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LE THÉATRE DE LA PASSION SE MET EN PLACE.

§ VI. Réduction de la Judée en province Romaine.

 

  27. Cependant Archélaûs et Antipas, bientôt suivis de Philippe leur troisième frère, de Salomé leur tante et de toute la famille d'Hérode, s'embarquaient à Joppé, pour aller solliciter à la cour d'Auguste la décision de la succession en litige. Le véritable roi des Juifs et du monde, grandissait dans l'obscurité de Nazareth, alors que Rome se partageait entre les intrigues rivales des prétendants au trône de Jérusalem. Un épisode significatif se produisit, dans l'intervalle des délibérations. Auguste avait envoyé son intendant Sabinus en Judée, pour se saisir immédiatement des sommes considérables léguées à l'empereur par le vieil Hérode. Cette clause du testament était regardée comme inviolable, et son exécution n'admettait point de sursis, tant «le domaine des Hérodes,» à l’époque de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, était une principauté suzeraine et indépendante! La présence de Sabinus à Jérusalem et le caractère vexatoire de ses inquisitions fiscales

IV. 23 '

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révoltèrent toute la population. Sous prétexte de rechercher les trésors laissés par Hérode, il avait occupé militairement les principales forteresses du royaume. Une insurrection formidable éclata dans la Ville sainte, à la fête de la Pentecôte, et se propagea bientôt sur tous les points de la Judée. Le gouverneur romain de Syrie, le fameux Varus, dont les désastres en Germanie devaient, quelques années plus tard, arracher des larmes de désespoir à l'empereur, fut assez heureux en cette circonstance pour délivrer Sabinus assiégé dans le palais de Jérusalem, et éteindre la sédition dans tout le pays. Afin de donner une apparence de satisfaction aux mécontents, Varus autorisa les Juifs à députer cinquante de leurs principaux chefs à la cour d'Auguste. Ils supplèrent l'empereur d'annexer purement et simplement la Judée à la province romaine de Syrie, et de les débarrasser pour jamais de la dynastie d'Hérode. «La cruauté de ce prince, dirent-ils, a été telle, que si une bête féroce pouvait obtenir le gouvernement d'un peuple, elle n'agirait pas avec plus d'inhumanité. A la mort de ce monstre, ajoutèrent-ils, nous avions espéré d'Archélaûs, son fils, une conduite sage et modérée. Dans cette illusion, nous avons consenti à honorer d'un deuil public les funérailles d'Hérode, et nous avions proclamé l'avènement du jeune prince. Il a répondu à notre attente, par le massacre de trois mille Hébreux, dans l'enceinte du Temple de Jérusalem 1.» L'effet de cette protestation, appuyée par les huit mille Juifs fixés à Rome, ne fut pas aussi décisif qu'on aurait pu le croire. Auguste, après plusieurs jours de réflexions, donna à Archélaûs les provinces de Judée, de Samarie et d'Idumée, sous le titre d'ethnarque, avec promesse de lui accorder plus tard le nom de roi, s'il s'en montrait digne par sa modération et sa vertu. Antipas fut tétrarque de la Galilée et de la Pérée; Philippe, avec le même titre, reçut l'investiture de la Batanée, de la Trachonitide et de l'Auranite. Salomé fut confirmée dans la possession des villes que lui avait léguées son frère. Le dernier testament d'Hérode se trouvait ainsi ratifié, sauf la modification importante qui supprimait provisoirement le titre de Roi des Juifs,

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1. Joseph., Antiq.j'ud., lib. XVII, cap. xu.

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et l’annexion des villes de Gaza, Hippo 1 et Gadara, à la province romaine de Syrie 2.

  28. L'extinction du titre de roi et la promesse conditionnelle de le rétablir en la personne de l'ethnarque de Jérusalem, si sa conduite l'en rendait digne, étaient à la fois un avertissement pour Héraclius, et une habile concession faite aux Juifs. La politique romaine se montre ici fidèle à ses traditions constantes. Elle cherchait partout à semer la division entre les souverains et les peuples, humiliant les premiers sans trop exalter les seconds, dans le but de recueillir le fruit de l'irritation des uns et des souffrances des autres, en faisant désirer sa propre domination comme une délivrance. Archélaûs, rentré dans ses états, ne comprit point ce que la situation avait de grave. Sa tyrannie s'exerça avec d'autant plus de rigueur que son ressentiment était plus profond. Le grand-prêtre Joazar, destitué sans motif, fut remplacé par Éléazar, fils de Simon. L'année suivante, nouvelle destitution,  et Josué, fils de Sia, revêtait les insignes de la souveraine sacrificature, pour les remettre, quelques mois après, à l'ex-grand-prêtre Joazar. Le mécontentement des Juifs se traduisit d'abord par des murmures. Archélaûs y répondit par des cruautés. Toutefois, sentant la nécessité, de se créer des alliances, il songeait à épouser la fille du roi de Cappadoce, Glaphyra, veuve une première fois du jeune prince Asmonéen Alexandre, fils de l'infortunée Mariamne, et une seconde fois du roi de Mauritanie, Juba. La loi mosaïque interdisait l'union du beau-frère avec la belle-soeur qui avait eu des enfants de son premier époux. Outre, cette irrégularité, Archélaus, pour contracter avec Glaphyra l'alliance qu’il méditait, dut répudier sa femme légitime, que ses vertus rendaient chère au peuple. Un an s'était à peine écoulé, depuis le nouveau mariage, que Glaphyra mourait subitement. Les Juifs virent dans cet événement une punition divine. Arcbélaûs, exaspéré, donna dès lors un libre cours à ses vengeances. La nation tout entière se plaignit de sa tyrannie au tribunal de César. 

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1. A trente stades de Tibériade (Reland, Palœst. illustr., loin. V,

pag. 821), 21.

2. Joseph., Antiq. hebr.,\\h. XYU cao. xii xnu De Bell, jud., \\h. i\, cap, m, VIII et IX.

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Dion Cassius ajoute au récit de Josèphe cette particularité, que les deux tétrarques, Antipas et Philippe, se joignirent aux députés hébreux, pour accuser leur frère. Quoi qu'il en soit, Auguste prononça la déposition d'Archélaus. La Judée, la Samarie et l'Idumée furent déclarées provinces romaines, et administrées par un procurateur qui relevait du gouvernement de Syrie. Le malheureux Archélaûs fut exilé à Vienne, capitale des Allobroges, dans les Gaules, et y finit misérablement sa vie. (An 10 de J.-G.)

  29. Quirinius, homme consulaire, précepteur des deux jeunes princes Caïus et Lucius César, fut chargé par Auguste de recueillir, au profit de la couronne impériale, les domaines d'Archélaûs. Le dénombrement, commencé dix années plus tôt, se termina, cette fois, sans grande difficulté. Le sentiment de la nationalité juive s'était tellement effacé dans les esprits, sous l'influence de la tyrannie étrangère, que la domination romaine était acceptée, avant même son établissement officiel. Le mot qui retentira au prétoire de Pilate, la profession de foi politique des Hébreux: Non habemus regem nisi Cœsarem était dans tous les cœurs, au moment où Archélaus quittait, pour la dernière fois le palais Antonia. Vainement, le docteur pharisien Sadoc mit en avant un chef de parti, Judas le Gaulanite, pour réagir, au nom du principe mosaïque, sur l'esprit de la multitude. Leurs efforts soulevèrent d'abord quelques troubles partiels. A l'aide de la devise: «Jéhovah est notre seul Roi,» ils réussirent à rassembler sous leur drapeau des bandes séditieuses, habituées à vivre de brigandage et de rapines. Mais le grand-prêtre Joazar et la partie intelligente de la nation se tinrent en dehors du mouvement. Joazar, en particulier, prêchait hautement la soumission au nouveau pouvoir. Il se compromit, en cette circonstance, à tel point, que le gouverneur romain, Quirinius, crut devoir le sacrifier plus tard à l’animadversion populaire. Quand le calme fut rétabli, et que la faction de Judas le Gaulanite fut réduite à une secte inoffensive, la grande sacrificature passa aux mains du pontife Anne, beau-père de Caïphe. Nous retrouverons ces deux figures sacerdotales à l'époque de la Passion de Jésus-Christ.

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