Darras tome 14 p. 574
§ II. Hagiographie des Gaules.
8. Les Gaules étaient alors la contrée où la foi évangélique faisait les progrès les plus éclatants. « La partie de l'Anjou où se trouvait Glanfeuil, dit M. de Montalembert, était échue en partage à celui des petits-fils de Clovis qui régnait à Metz et sur l'Austrasie, et qui s'appelait Théodebert. C'est à lui que dut s'adresser le vice-comes Plorus pour obtenir d'abord l'autorisation nécessaire à l'établissement de Maurus et de sa colonie bénédictine, puis celle de s'enrôler lui-même dans leur congrégation. Théodebert ne consentit à se séparer d'un de ses principaux officiers qu'avec peine, et après avoir lui-même visité le nouveau monastère. Il s'y rendit avec toute cette pompe que la race de Clovis avait si longtemps empruntée aux traditions de l'empire abattu; mais tout revêtu de sa pourpre, dès qu'il aperçut Maurus, le roi franc se prosterna devant le moine romain, comme Totila s'était prosterné devant Benoît, en lui demandant de prier pour lui et d'inscrire son nom parmi ceux des frères. Il présenta son jeune fils à la communauté, se fit désigner spécialement ceux des moines qui étaient venus du mont Cassin avec l'abbé, demanda leurs noms, et les embrassa ainsi que leurs frères. Puis il parcourut les lieux réguliers, mangea avec les moines au réfectoire, et voulut, avant de partir, que le chef de ses scribes rédigeât sur l'heure et scellât de son anneau la donation d'un domaine du fisc qu'il destinait au monastère. Florus obtint ensuite que le roi servît de témoin à sa prise d'habit. Après avoir ajouté de nouvelles largesses à sa première donation1, Florus affranchit et dota vingt de ses esclaves; puis, déposant sur l'autel son baudrier militaire, il s'agenouilla devant le roi qui, à la prière
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1 Nous avons parlé de la première donation de Florus au chapitre précédent, pag. 500.
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de l'abbé, lui coupa une première mèche de cheveux; les autres seigneurs achevèrent de le tonsurer complètement. Au moment de quitter le monastère, le roi voulut revoir son ami revêtu du froc ; il l'exhorta à honorer ce nouvel habit comme il avait honoré la vie séculière, puis se jeta dans ses bras et y resta longtemps en pleurant, avant de s'éloigner muni de la bénédiction de l'abbé 1. Voilà donc comment le roi franc et le moine bénédictin firent connaissance, et ces deux forces qui vont fonder la France, la diriger et la représenter pendant de longs siècles, les voilà en présence pour la première fois2.»
9. Les relations de saint Maur avec les autres rois francs ne furent pas moins affectueuses. « Clotaire I, disent les actes, appelait souvent l'homme de Dieu à ses conseils, et témoignait la plus grande bienveillance pour le monastère. Un jour Maurus lui envoya deux frères pour l'entretenir de quelques affaires qui intéressaient la communauté. Le roi accueillit favorablement leur requête, puis il s'informa avec soin des libéralités faites à Glanfeuil par ses prédécesseurs. Après en avoir entendu l'énumération : Je ferai davantage encore pour vous, dit-il, puisque Dieu m'a donné plus de richesses et de puissance3. » Au moment où il parlait ainsi, Clotaire I se trouvait en effet réunir sur sa tête tous les domaines partagés autrefois entre les enfants de Clovis. Childebert, roi de Paris, était mort sans enfants en 008. Théodebert d'Austrasie, prématurément enlevé par une maladie soudaine, en 317, n'avait laissé qu'un fils, Théodebald, âgé alors de cinq ans, et qui mourut lui-même en 333. L'unité de la monarchie franque s'était, par suite de ces extinctions, reconstituée en la personne de Clotaire I. Il ne faudrait pas cependant attribuer à cette expression d'unité monarchique l'idée d'une concentration de puissance absolue, telle qu'on la vit plus tard exercée par Louis XIV. Les seigneurs francs voyaient dans les princes mérovingiens des chefs militaires et électifs beaucoup plus que des rois. Ainsi Clotaire I, ayant à châtier une défection des Saxons qui refusaient de payer le tribut annuel de cinq
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1 Faustus, Vit. S. Mauri, cap. xlix-lii. — 2 Moines d'Occident, tora. Il, pag. 280-282. — 3. Vit. S. Maur., cap. lviii.
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cents vaches
consenti au profit des rois austrasiens, dut marcher contre eux avec son armée.
Cette démonstration suffit pour effrayer les rebelles. Ils apportèrent au roi
des paroles de soumission, mais les guerriers francs les chassèrent sans
vouloir les entendre. Les Saxons revinrent encore, offrant la moitié de tout ce
qu'ils pos
sédaient, et Clotaire dit à ses leudes : «Renoncez, je vous prie, à votre
projet, car le droit n'est pas de notre côté. Si vous voulez absolument aller à ce combat, je ne vous suivrai pas. » Eux alors, irrités, se
jetèrent sur lui, déchirèrent sa tente, l'accablèrent d'injures, et, l'entraînant de force, voulaient le tuer. Il les suivit donc, mais
ils furent battus 1. Ces mœurs encore barbares et cet esprit indompté des guerriers francs nous font comprendre l'alliance instinctive de
la race mérovingienne avec les évêques et les moines, dont l'influence
civilisatrice devait peu à peu incliner sous le joug de la foi ces courages
fiers et indociles,
10. Le saint abbé de Glanfeuil contribua pour une part considérable à l'œuvre de la tranformation des Francs, que les colonies bénédictines devaient si glorieusement continuer après lui. Maurus vit jusqu'à cent quarante religieux réunis sous sa direction. «Il y avait trente-huit ans qu'il dirigeait la sainte communauté, dit son biographe. Il la voyait féconde en vertus non moins qu'en sujets, et il rendait grâces au Dieu tout-puissant des progrès de ses chers disciples. Se souvenant alors de la prophétie du bienheureux Benoît, il comprit que sa mort était proche et voulut s'y préparer par une retraite absolue, dans la cellule qu'il s'était construite près de l'oratoire de Saint-Martin. Il convoqua les frères, leur communiqua son dessein et les pria de se choisir un abbé qui les gouvernerait à sa place. Non, répondirent-ils en pleurant, nous ne le choisirons pas. Puisque nous avons la douleur de vous perdre, désignez vous-même celui qui doit vous remplacer. — Le bienheureux se laissa toucher par leurs prières ; il choisit un noble et parfait religieux, Bertulfus, son disciple bien-aimé, fils du vice-cormes Florus. Ce choix fut ratifié par les acclamations de la com-
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1 Greg. Turon., Ilist. Franc. Epitomata per Fredegarium, cap. Ll; Patr. lai. tom. LXXI, col. 502.
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munauté tout entière. L'homme de Dieu fit asseoir Berlulfus sur la chaire abbatiale, et lui rappela avec une effusion paternelle la tendresse et la sollicitude qu'il devait apporter à sa nouvelle charge. Puis il se retira dans sa cellule, retenant seulement auprès de lui deux frères, Primus et Anianus. — Pour nous, ajoute le biographe, il nous défendit de quitter le nouvel abbé, ordonnant que nous fussions ses assistants pour veiller par nos conseils à ce qu'il ne s'écartât jamais du sentier de la sainte règle1. » Libre enfin de jouir de la solitude qu'il s'était préparée, saint Maur y passa deux ans et demi dans la contemplation des choses du ciel. Durant cet intervalle, la peste, qui ravageait alors le monde, sévissait cruellement dans les Gaules. Un navire venu d'Espagne l'avait apportée d'abord à Marseille. L'évêque de cette ville, Théodore, était à la cour de Childebert, quand la triste nouvelle lui parvint. Il se hâta de retourner au milieu de son peuple, et, comme plus tard son successeur Belzunce, il se multiplia pour combattre le fléau. En quelques mois, les victimes de la contagion furent si nombreuses qu'on put craindre un dépeuplement complet. Les survivants ne voulaient pas quitter un seul instant leur évêque, afin de mourir du moins entre ses bras. Il s'enferma avec eux dans l'enceinte de l'église de Saint-Victor, passant les jours et les nuits en prières pour désarmer la colère de Dieu. La province d'Arles fut également décimée. Nous avons dit plus haut que la capitale des Arvernes, Clermont, fut épargnée du vivant de Gallus, son saint évêque. Après la mort de celui-ci, le fléau fit une irruption soudaine, et dans un seul jour on compta trois cents cadavres. Gantinus, indigne successeur de saint Gai, s'enfuit lâchement. Il revint pour les fêtes de Pâques, croyant que tout danger avait disparu ; mais il fut soudainement frappé et mourut le vendredi saint (566). A Reims, les populations épouvantées accouraient au tombeau de saint Rémi, et imploraient avec confiance la protection de l'apôtre des Francs. Le voile qui recouvrait son tombeau fut porté en procession autour de la ville. Le circuit tracé dans cette pieuse cérémonie devint comme une
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1 Faustus, Vit. S. Maur., cap. lxiii.
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barrière invisible qui repoussa la contagion. Le fléau dévastateur ne pénétra point dans l'intérieur de la cité. Nicetius obtint, pour sa ville épiscopale de Trêves, la même faveur que saint Gal à Clermont. Dans ces tristes conjonctures, quatre évêques de la province dite Lyonnaise IIIe, saint Euphrone de Tours, saint Félix de Nantes, Domitianus d'Angers et Domnolus (saint Domnole) du Mans, adressèrent aux peuples de leurs diocèses une lettre collective pour les engager à fléchir par la pénitence le courroux du ciel. « Fils bien-aimés, disaient-ils, enfants de la grâce divine, fruits de la bienheureuse Église, génération baptisée, possession du ciel, membres du Christ, élus du royaume où vous attend une palme qui sera notre couronne à nous-mêmes, le temps est venu, dans ce péril imminent, de vous adresser un avis salutaire. Nous succombons sous le poids de nos péchés. Il n'est plus pour nous d'autre refuge que dans la miséricorde de Dieu. Ce grand Dieu ne nous la refusera pas, lui qui a daigné mourir pour nous. C'est la pénitence que nous prêchons. Elle sera le commun remède. Ceux d'entre vous qui sont fiancés et dont le mariage n'est point encore accompli, feront une œuvre méritoire de retarder leurs noces. Non pas certes que nous devions oublier la parole de l'Apôtre, qui recommande en termes si formels la sainteté de l'union conjugale. Mais nous croyons qu'en l'occurrence actuelle il est de notre devoir de vous donner ce conseil : d'une part vous attirerez sur vous, par la mortification et la pureté des sens, la grâce divine; d'autre part, vous laisserez venir le temps où votre union sera sans danger même corporel. Que si l'heure de la fin du monde a sonné, et que tous nous devions émigrer de cette vie, du moins nous paraîtrons revêtus d'une parure immaculée au tribunal du souverain Juge. Nous vous exhortons en outre à imiter l'exemple du patriarche Abraham, en offrant au Seigneur la dîme de vos biens, afin qu'il daigne vous maintenir sains et saufs en possession du reste. « L'aumône éteint le péché, disent les Écritures, faisons donc l'aumône, et nous serons purifiés1. » Et pourquoi n'offirions-nous pas à ce grand Dieu une part des biens
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1 Eccles., m, 33; Luc, XI, 41.
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que nous tenons de sa munificence? Les lui offrir, c'est les consacrer, non les perdre. Nous vous supplions encore, au nom de la charité de Jésus-Christ, de vous pardonner mutuellement vos offenses, et de mettre un terme à toutes les inimitiés qui ont pu surgir précédemment entre vous. Comment implorer de Dieu le pardon pour nous-mêmes, si nous ne pardonnons à nos frères? Nous venons de vous rappeler l'exemple d'Abraham et de la dîme qu'il offrait au Seigneur. Ce n'est point encore assez, et puisqu'il est malheureusement trop vrai que le fléau sur dix personnes en enlève neuf, rétablissons la proportion en sens opposé. Sur dix esclaves, qu'on en mette un en liberté, afin de conserver les neuf autres. Les familles qui n'ont point d'esclaves pourront offrir à l'évêque un tiers d'as (trimissem) pour chacun de leurs membres. Cette offrande sera fidèlement employée au rachat des captifs. Enfin, s'il en est parmi vous qui aient contracté des unions incestueuses, nous les exhortons, et au nom du salut de leur âme nous les supplions de se séparer immédiatement, pour apaiser la colère du Seigneur et préparer le retour de ses bénédictions 1. »
11. Le terrible fléau n'épargna point le monastère de Glanfeuil. Saint Maur fut miraculeusement prévenu de son approche. Une nuit, comme il voulait, selon sa coutume, entrer dans l'oratoire de Saint-Martin, pour y répandre devant Dieu ses supplications et ses larmes, il se vit arrêter par une légion d'esprits infernaux. Leur chef lui dit : «Tu es venu d'une région étrangère, tu as entrepris de longs voyages pour nous chasser de ces lieux où notre empire était florissant. Bientôt tu verras jusqu'où s'étend notre puissance de destruction. Je vais sévir contre tes religieux et les décimer par la mort. Je triompherai de toi, et ta communauté sera anéantie. — Dieu te confonde, Satan ! répondit le saint. Tu es menteur dès l'origine ; tu es le père du mensonge. — A ces mots, la vision disparut. Le solitaire pénétra dans l'oratoire et demanda à Dieu dans une fervente prière de lui révéler ce que signifiait la menace du démon. Un ange, éclatant de blancheur, lui apparut et
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1. Labbe, Concil., lom. V, col. 868.
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lui dit : « Pourquoi te troubler, âme bénie, à propos d'événements que le Seigneur a permis dans sa sagesse? Le diable est le père du mensonge; néanmoins, par ses conjectures, il peut annoncer quelquefois la vérité. Ce qu'il t'a prédit, ne vient pas de lui-même ; c'est l'ordre de Dieu. Les paroles qu'il a prononcées sont vraies dans une certaine limite. Il est certain que la plus grande partie de cette congrégation sainte sera bientôt appelée à paraître devant le Seigneur : tel est le décret de la Providence. Mais il est faux que l'ennemi des âmes doive y trouver aucun sujet de triomphe. Tous les moines, fidèles à tes enseignements, attendront avec joie le moment de l'appel divin. Tu auras la consolation de les voir te précéder au ciel, où tu ne tarderas pas à les rejoindre. » Après avoir parlé ainsi, l'ange disparut. L'homme de Dieu se rendit au monastère, convoqua tous les religieux et leur apprit ce qui venait de se passer. « Fils bien-aimés, dit-il, lorsque Dieu révèle sa volonté souveraine à ses serviteurs, ce serait une révolte que d'en concevoir le moindre sentiment de tristesse. C'est lui qui appelle les hommes à la vie ; c'est lui qui les appelle à la mort. Nul ne peut échapper au décret qui frappe toute la race humaine. La sentence portée contre nos premiers parents demeure pour chacun de nous irrévocable. Or, voici que le Seigneur nous avertit que la fin de nos jours est proche. Il nous ménage par cette révélation le temps de nous purifier des fautes passées par les larmes de la pénitence et par la mortification corporelle. Scrutons avec soin nos voies et nos œuvres, comme dit le prophète; prévenons la visite du Seigneur par la confession, afin que nous puissions aborder, au chant de l'hymne triomphal, les portiques de la Jérusalem céleste, et contempler face à face la gloire du Dieu qui réjouit les saints. Voici donc, bieu-aimés frères, l'heure où le jugement va commencer par la maison de Dieu. Adorons les desseins toujours justes quoique insondables de la Providence divine. Serviteurs d'un bon maître, acceptons et révérons ses ordres. En haut nos cœurs et nos espérances ! Désormais ne laissons plus échapper la moindre imperfection dans nos œuvres, le plus léger défaut de vigilance dans notre conduite. Parvenus à la onzième heure, ne laissons pas
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l'ennemi nous blesser au talon et nous ravir la couronne. — Cette exhortation du saint remplit les âmes d'une ferveur nouvelle. Tous se préparèrent joyeusement au dernier combat. La mort frappa bientôt, mais nous avons la confiance, ajoute le biographe et témoin oculaire, que tous ceux que nous avons vus émigrer alors de cette vie ont été reçus dans la patrie céleste. Dans l'espace de cinq mois, cent seize de nos frères moururent. Parmi eux, nous ensevelîmes de nos mains Constantinien et Antoine, qui étaient venus avec nous d'Italie. D'une congrégation naguère si nombreuse, il ne resta plus que vingt-quatre religieux. A son tour, le bienheureux Maurus fut atteint d'une vive douleur au côté (pleurésie). Le mal fit des progrès rapides et le réduisit bientôt à l'extrémité. Il se fit porter devant l'autel du bienheureux Martin. Là, étendu sur un cilice, entouré des vingt-quatre disciples qui lui restaient, il reçut les sacrements vivificateurs, nous bénit et émigra heureusement vers le Seigneur, le XVIII des calendes de février (15 janvier 584). Il avait soixante-douze ans, dont il avait passé vingt tant à Subiaco qu'au mont Cassin, et quarante à Glanfeuil. Saint Benoît lui avait prédit qu'il mourrait dans la soixantième année de sa profession monastique. Cette prophétie se trouva ainsi exactement vérifiée. Maurus fut enseveli à droite de l'autel, dans l'oratoire de Saint-Martin, et de nombreux miracles ne tardèrent pas à glorifier son tombeau. Après la mort du bienheureux, continue le biographe, je restai seul avec Simplicius, de tous ceux qui avaient quitté le mont Cassin pour venir dans les Gaules. Ensemble nous demandâmes au serviteur de Dieu Bertulfus de nous permettre de retourner à notre monastère d'Italie. Mais il nous supplia avec larmes de ne pas nous séparer de lui. Nous n'eûmes pas le courage d'affliger le saint homme. Sa mort, survenue deux ans après, nous permit de revenir au mont Cassin. Nous laissions Glanfeuil sous le gouvernement du pieux abbé Florianus, l'un des plus chers disciples de saint Maur 1. »
12. Les moines domptaient à la fois la terre et les hommes sur le sol occupé par les Francs. Childebert, le premier roi de Paris, ---------------
1 Faustus, Vit. S. Maur., cap. lxiv-lxvii; Bolland., xv jan.
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l'assassin de ses neveux, subit, de même que Théodebert et Clotaire, l'ascendant des vertus monastiques. « En traversant le pays des Bituriges pour aller combattre les Visigoths, dit M. de Montalembert, il s'arrêta à la porte de la cellule occupée par l'ermite Eusitius (saint Ensice) et lui offrit cinquante pièces d'or. Pourquoi faire? dit le reclus. Donnez-les aux pauvres; il me suffit de pouvoir prier Dieu pour mes péchés. Toutefois, marchez en avant, vous serez vainqueur, et puis vous ferez ce que vous voudrez. — Childebert inclina sa tête chevelue sous la main du solitaire pour recevoir sa bénédiction, et lui promit que, si sa prédiction se vérifiait, il viendrait lui bâtir une église. La prédiction s'accomplit et la promesse du roi fut tenue. Après qu'il eut défait les Visigoths et pris Narbonne, leur capitale, il fit construire sur les bords du Cher un monastère et une église qui servit de sépulture au solitaire. Cette donation s'accrut de celle que fit le noble Vulfin, un des principaux Francs de l'armée, et qui, dans la distribution des récompenses que fit Childebert au retour de sa campagne, ayant demandé et obtenu un domaine royal, ou ce qu'on appelait déjà un honneur, sur les bords mêmes de cette rivière du Cher, courut en faire hommage au saint moine dont la renommée l'avait séduit. Eusitius devait être, d'après son nom, d'origine romaine ou gallo-romaine. Mais Childebert eut des relations du même genre avec un autre religieux dont le nom, Marculph, indique une origine franque, et qui est le premier de tous les saints moines dont le nom porte cette empreinte. Il était d'ailleurs issu d'une race riche et puissante établie dans le pays de Bayeux, et tout dans le récit de sa vie témoigne de l'union contractée chez lui par la fière indépendance du Franc avec la rigoureuse austérité du moine. Il avait consacré la première moitié de sa vie à prêcher la foi aux habitants du Cotentin, puis on le vit partir, monté sur son âne, pour aller trouver Childebert en un jour de grande fête, au milieu de ses leudes, et lui demander un domaine à l'effet d'y construire un monastère où l'on prierait pour le roi et pour la «république des Francs. » Ce ne fut point à l'adulation habituelle aux Romains du bas empire qu'il eut recours pour se faire écouter. Paix et miséricorde à toi, de la part de Jésus-
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Christ, lui dit-il, prince illustre. Tu es assis sur le trône de la majesté royale, mais tu n'oublieras pas que tu es mortel, et que l'orgueil ne doit pas te faire mépriser tes semblables. Rappelle-toi le texte du Sage : «Les hommes t'ont constitué prince, ne l'élève pas, mais sois l'un d'eux au milieu d'eux1. » Sois juste dans ta clémence et aie pitié jusque dans tes justices. — Childebert exauça sa demande. Mais à peine eut-il achevé cette première fondation, que, pour mieux goûter les attraits de la solitude, Marculph alla se réfugier dans une île du littoral de la Bretagne, à peine habitée par une poignée de pêcheurs. Une bande nombreuse de pirates saxons étant venue s'abattre sur cette île, les pauvres Bretons accoururent tout épouvantés aux genoux du moine franc. Ayez bon courage, leur dit-il, et si vous m'en croyez, prenez vos armes, marchez contre l'ennemi, et le Dieu qui a vaincu le Pharaon combattra pour vous. — Ils l'écoutèrent, mirent en fuite les Saxons, et une seconde fondation marqua l'emplacement de cette victoire de l'innocence et de la foi, enflammées par le courage d'un moine, sur la piraterie païenne2.»