Constantin 15

Darras tome 9 p. 162

 

   30. Voici d'abord le texte de l'édit incriminé : «Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, l'empereur César Flavius Constantin, fidèle au Christ Jésus Notre Sauveur,

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1. Che la famosa donazione di Costantino, la quale, sotto il titolo di decretum o di constitutum o di privilegium Conslantini lcggesi fra le false Decretali d'isidoro Mercatore, sia merce spuria, egli e cosa gia da gran tempo passât in giudiealo irrevocabile presso tutti i doit:. Non sappiamo se piu trovisi clii voglia pgliar da senno le defese délia doaacione. (Civilta CattoL, Oru/inc del la donazione di Costanlino, secondo il Dôllinger, anno XV, vol. X, série V.)  sDùiliager, Vie Papst-Fabeln des âJittelalters, Munich, 1SG3, pag. 07, 09 71. 73, SI.

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p163 .   II.   —  DONATION   DE   CONSTANTIN.                      

 

Alemannique, Gothique, Sarmatique, Germanique, Britannique, Hunnique, pieux, heureux, triomphateur et vainqueur, toujours auguste, au très-saint et bienheureux père des pères, Sylvestre, évêque et pape de Rome, et à tous ses successeurs sur le siège du bienheureux Pierre jusqu'à la consommation des siècles, grâce, paix, charité, joie,  longanimité et miséricorde, en Dieu le Père Tout-Puissant, en Jésus-Christ son Fils et dans l’Esprit-Saint. Nous avons voulu, par cet édit émané de notre autorité impériale, faire connaître à tous les peuples de l'univers les merveilleuses faveurs que notre Sauveur, Rédempteur et Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu très-haut, a daigné nous accorder par ses saints apôtres Pierre et Paul et par l'intervention de notre père Sylvestre, sou-verain pontife et pape universel. » Après cet exorde, l'empereur fait sa profession de foi catholique et raconte en détail la maladie dont il avait été atteint, la vision des princes des apôtres, la première entrevue avec le pape Sylvestre, l'exhibition qui lui fut faite par ce dernier des images de saint Pierre et de saint Paul, reproduisant trait pour trait les personnages de l'apparition. « Notre bienheureux père Sylvestre, ajoute-t-il, nous fixa alors un temps de préparation et de pénitence que nous devions accomplir dans notre palais de Latran, nous recommandant d'implorer près de Jésus-Christ notre Sauveur et notre Dieu, par des jeûnes, des prières, des veilles et des larmes, le pardon des impiétés et des injustices que nous avions commises. Après cette épreuve, je reçus l'imposition des mains par les prêtres et fus amené au pontife. Là, renonçant à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, c'est-à-dire à toutes les vaines idoles fabriquées par la main des hommes, je déclarai spontanément devant l'assemblée que je croyais en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, des choses visibles et invisibles, et en Jésus-Christ son Fils, notre unique Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit, et qui est né de la vierge Marie. Le pontife bénit l'eau du baptistère, et, dans une triple immersion me purifia par le sacrement du salut. Pendant que j'étais plongé dans la piscine, je vis de mes yeux une main céleste qui me touchait. En me relevant et en sortant de l'urne baptismale, je

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remarquai que l'affreuse lèpre dont mon corps était auparavant couvert avait disparu. Je fus levé des fonts sacrés ; on me revêtit d'habits blancs. L'évêque, par l'onction du chrême, me conféra la grâce septiforme de i'Esprit-Saint ; il traça sur mon front l'étendard de la croix sainte, en disant : Que Dieu te signe du sceau de sa foi, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. —Tous les clercs répondirent : Amen ! Le pontife ajouta : Que la paix soit avec toi !— Ainsi, dès ce premier jour de la réception du sacrement de baptême, guéri miraculeusement de la lèpre, je reconnus qu'il n'y a pas d'autre Dieu que celui dont Sylvestre est le ministre, savoir : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, trinité dans l'unité, unité dans la trinité. Le pontife m'apprenait que Jésus-Christ, notre bon maître et Seigneur, avait dit à Pierre son disciple : Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux. — Admirable et glorieux pouvoir de lier et de délier au ciel et sur la terre ! Pendant que Sylvestre me l'expliquait, je comprenais davantage encore que ma guérison était une faveur du bienheureux Pierre. De même donc que le prince des apôtres a été constitué par Jésus-Christ lui-même comme son vicaire, il me parut convenable, ainsi qu'à tous mes satrapes, au sénat, aux grands et au peuple soumis à mon sceptre, d'investir les évêques successeurs de Pierre d'un pouvoir terrestre plus éclatant encore que celui dont nous jouissons glo-rieusement nous-même, puisque nous voulons choisir le prince des apôtres et ses successeurs pour nos patrons et nos intercesseurs auprès de Dieu. Afin de rehausser notre puissance impériale sur la terre, nous avons résolu d'entourer d'honneurs la sainte Église romaine et d'exalter au-dessus de tous les trônes occupés par les hommes le siège sacré du bienheureux Pierre, en lui attribuant la puissance et la gloire. Nous ordonnons donc qu'il exerce l'au-torité souveraine sur les quatre trônes d'Alexandrie, d'Antioche, de Jérusalem et de Constantinople, aussi bien que sur les autres sièges de toutes les églises du monde. Le pontife de le sainte Église romaine sera en tout temps le chef et le prince de tous les évêques de l'univers; à lui appartient le jugement défînitif sur toutes les questions qui intéressent la science de Dieu, l'intégrité

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et la stabilité de la foi chrétienne. Il est juste en effet que le chef et le principat de la loi divine soient attachés au siège que notre divin législateur et Sauveur Jésus-Christ a voulu choisir pour celui du bienheureux Pierre, dans cette ville de Rome où le prince des apôtres a souffert le supplice de la croix , et bu le calice d'amertume qui l'associait à la passion de son Seigneur et de son maître. C'est là que les nations doivent fléchir le genou et venir confesser le nom de Jésus-Christ, car c'est là aussi que le docteur des nations, le bienheureux Paul apôtre, présenta sa tête au glaive du bourreau et reçut, pour la gloire de Jésus-Christ, la couronne du martyre. Qu'ils accourent donc, les peuples de la terre, et que, jusqu'à la fin du monde, ils viennent entendre leur apôtre au lieu où repose son corps sacré! Prosternés dans le recueillement et la prière, qu'ils servent désormais le Dieu du ciel, notre Sauveur Jésus-Christ, dans ce lieu où ils furent si longtemps esclaves des plus farouches tyrans! Nous voulons que tous les sujets soumise à notre empire sachent que, dans notre palais de Latran, nous avons élevé à la gloire de Jésus-Christ notre Sauveur une basilique avec un baptistère. J'ai voulu, quand on creusait les fondations, porter sur mes épaules, en l'honneur des douze apôtres, douze corbeilles de la terre qui en fut extraite. Je renouvelle ici le privilège déjà contenu dans mes précédents décrets impériaux en faveur de cette basilique, qui doit être désormais considérée comme le chef et la métropole de toutes les églises du monde. J'ai fait de plus ériger les églises des bienheureux Pierre et Paul, princes des apôtres, et je les ai ornées des dons de ma munificence. J'y ai déposé avec honneur leurs corps sacrés dans deux tombeaux de bronze de Chypre, surmontés d'une croix d'or enrichie de diamants, et fermés par des clous d'or. Pour l'entretien de ces basiliques, j'ai attribué par édits impériaux de nombreuses dotations territoriales, tant en Orient qu'en Occident, au nord et au midi, en Judée et en Grèce, en Asie et dans la Thrace, en Afrique, en Italie, et dans les îles diverses. Ces largesses de notre muni-ficence ont été octroyées à la condition qu'elles seraient administrées par les mains de notre bienheureux père Sylvestre et de ses

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successeurs, qui disposeront de leur emploi. Que tout le peuple, que toutes les nations de la terre se réjouissent donc avec nous, unissant leur voix à la nôtre pour rendre à notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ d'universelles actions de grâces ! Il a daigné, ce grand Dieu qui réside au ciel et qui remplit le monde de son immensité, nous visiter en la personne de ses saints apôtres et nous rendre la santé du corps, en même temps qu'il éclairait notre âme par le sacrement de baptême. En reconnaissance de cette faveur insigne, nous avons donné et par ces présentes donnons aux saints apôtres Pierre et Paul, et par eux à notre bienheureux père Sylvestre, souverain pontife et pape de l'Église universelle, ainsi qu'à ses successeurs qui siégeront jusqu'à la fin du monde sur la chaire du bienheureux Pierre, notre palais de Latran, le premier et le plus auguste des palais impériaux. Nous lui avons donné le diadème qui couronnait notre front; la mitre phrygienne et le surhuméral que nous portons au cou comme symbole de notre puissance. Nous lui avons donné la chlamyde de pourpre, la tunique d'écarlate, enfin tous les ornements et insignes impériaux, le sceptre, les bandelettes, le cortège de dignitaires et l'escorte à cheval qui entourent notre majesté. Nous avons accordé aux très-pieux clercs et ministres consacrés au service de l'Église de Rome, chacun dans leurs différents ordres, les privilèges d'honneur, de prééminence et d'autorité dont jouit notre très-ample sénat; voulant qu'ils soient assimilés aux patrices, consuls et autres dignités impériales. De même que notre personne auguste est servie par des officiers de divers grades, tels que cubicularii (chambellans), ostiarii (camériers), excubitores (officiers de garde), de même nous voulons qu'il en soit ainsi près de la personne du pontife, pour rehausser l'éclat de sa dignité et la grandeur de l'Église romaine. Les clercs escorteront à cheval la personne sacrée du pontife ; leurs chevaux porteront les harnais et voiles blancs comme ceux de notre escorte, et l'étrier décoré comme celui des sénateurs. Ainsi les dignités du ciel et celles de la terre seront ornées, pour la gloire de Dieu, de la même splendeur. Avant tout, nous donnons à notre très-saint père Sylvestre, évêque et pape de la ville de

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Rome, ainsi qu'à tous ses successeurs les bienheureux pontifes qui siégeront dans la suite des âges, pleine et entière puissance d'admettre à la cléricature, en cette catholique et apostolique Église de Dieu, quiconque ils croiront devoir appeler à cet honneur, sans que nul soit assez téméraire pour s'y opposer. Nous avions aussi décrété que notre vénérable père, le souverain pontife Sylvestre et tous ses successeurs porteraient le diadème d'or et de pierreries que nous avons détaché de notre front pour leur en faire hommage. Nous voulions qu'ils le fissent pour la gloire de Dieu et l'honneur du bienheureux Pierre. Mais le très-saint pape Sylvestre a constamment refusé d'adjoindre à la couronne de la cléricature, qu'il porte en souvenir du bienheureux Pierre, le diadème que nous lui avons remis. En conséquence nous avons, de nos propres mains, déposé sur son front une mitre phrygienne d'étoffe blanche, emblème de l'éclatante lumière qui environna le sépulcre du Sauveur lors de la résurrection. Pour mieux témoigner notre vénération envers le bienheureux Pierre, nous avons voulu, dans une circonstance solennelle, tenir nous-même, devant tout le peuple, la bride du cheval que montait le pontife. Afin de grandir à jamais la majesté du pontificat, nous allons de notre personne abandonner, outre le palais de Latran, la ville de Rome elle-même, les provinces d'Italie et l'Occident au bienheureux pape Sylvestre et à ses suc-cesseurs, qui y exerceront le pouvoir royal 1, pour transporter notre empire et le siège de notre puissance dans les régions orientales, en la cité que nous élevons sur l'emplacement de Byzance et à laquelle nous voulons donner notre nom. Puisque Jésus-Christ, le roi céleste, a constitué à Rome le centre de sa religion et le principat de son sacerdoce, il ne nous semble pas convenable que désormais un empereur terrestre vienne tenir le sceptre dans cette ville. Toutes ces mesures ont déjà été décrétées par nos précédents édits ; nous les confirmons ici de nouveau, pour qu'elles demeurent fermes et stables jusqu'à la fin du monde.

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1. Nous reviendrons plus loin sur ce passage, inexactement compris et rendu dans la version latine de l'édit, d'après laquelle nous traduisons en ce moment.

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   Et maintenant, en présence du Dieu vivant qui m'a confié le sceptre et ordonné de régner, au nom du terrible jugement qu'il doit exercer un jour sur l'univers, j'adjure tous les empereurs qui doivent me succéder au pouvoir, tous les grands, les satrapes, le très-ample sénat et le peuple entier, d'avoir à respecter cette constitution impériale, ainsi que tous les privilèges qui y sont accordés à la sainte Église romaine. S'il se trouvait jamais (ce que je ne puis croire) un sacrilège assez audacieux pour enfreindre ce pacte solennel, qu'il tombe sous l'anathème d'une éternelle condamnation; qu'il éprouve en cette vie et dans l'autre l'indignation des princes des apôtres Pierre et Paul ; qu'il soit plongé avec Satan et tous les impies dans les abîmes de l'enfer ! Cette page de notre impérial décret, souscrite de notre main, a été déposée par nous sur le tombeau du bienheureux Pierre, prince des apôtres. Là nous avons solennement renouvelé au glorieux saint la promesse de maintenir inviolable et de recommander à ceux qui régneront après nous l'observation des privilèges que nous avons concédés à notre père Sylvestre, souverain pontife et pape universel, ainsi qu'aux évêques ses successeurs, par la grâce de Jésus-Christ, notre Dieu, notre Seigneur et Sauveur. — Ici se trouvait la signature impériale accompagnée de cette exclamation : Très-saint et bienheureux Père, que Dieu vous conserve de longues annés ! — Enfin on lisait la mention suivante : Donné à Rome le III des calendes d'avril, sous le consulat IVe de notre seigneur Flavius Constantin Auguste et de Gallicanus, hommes clarissimes 1. »

 

   31. Telle est, dans son ensemble, la fameuse donation Constantinienne, dont on a souvent parlé sans la connaître, et dont il nous faut examiner, sans parti pris et sans aucun préjugé, la valeur réelle. De prime abord, la pensée dominante, les vues et les idées chrétiennes de cette pièce sont loin de nous apparaître comme indignes de Constantin. Si ce prince a réellement été baptisé à Rome dans les circonstances que tant d'historiens nous ont retracées; s'il a provoqué le grand mouvement populaire de

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1. Lal»be, Collect. Loncil., tom. I, col. 1530-1539.

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conversion au christianisme qui se traduisit au palais Ulpien par le vœu d'abolir le pontificat idolâtrique; si enfin il a consacré à la gloire de Jésus-Christ et des princes des apôtres les basiliques que la tradition de tous les siècles est unanime à lui attribuer, il n'est pas douteux que telles durent être en ce moment ses préoccupations impériales. Le jour où l'eau sainte du baptême, par un pro-dige éclatant, lui avait rendu la santé du corps qu'il désespérait de recouvrer jamais, il faut bien convenir que Constantin dut croire à Jésus-Christ, non pas de la foi languissante des âmes énervées et lâches, mais d'une foi vigoureuse, active, énergique, telle qu'il fallait l'attendre d'un héros. La lèpre, dont il venait de voir se dissiper les hideuses écailles, lui avait laissé un souvenir moins affligeant encore que celui des crimes et des cruautés dont il s'était souillé naguères. Il y fait une allusion dans cette fameuse lettre; on retrouve dans son accent l'écho d'une conscience libre enfin et purifiée de ses fautes comme de ses remords. Si l'on était tenté de reprocher à cette impériale constitution un ton et un style trop exclusivement théologiques, qu'on lise dans Eusèbe le dis-cours authentique intitulé : Oratio Constantini ad sanctorum cœtum, écrit et prononcé par l'empereur. On se convaincra bientôt que le zèle du néophyte couronné ne se bornait point à seconder dans leurs efforts les ministres de la parole évangélique, mais qu'il voulait lui-même prendre sa part dans la prédication destinée à convertir le monde. Une autre particularité qu'on a parfois signalée comme une note fausse, un trait discordant, c'est la dénomination de «satrapes 1 » appliquée aux officiers militaires de l'empereur. Certes, s'il y eut jamais un terme étranger à la chancellerie païenne des Césars, ce fut bien celui-là. Mais aussi, qu'on ne l'oublie  pas, jamais l'histoire n'avait encore enregistré un édit

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1. Asov lxpû«[tev (leià rcivrOv tûv saTpaitûv ^(iâiv, x»i udéirîi; xft^ eruyx).r,Tou, xal *ûv ip/ôuttov, xal |iet-i nmô; toO >aoû. Utile jwlicavimut una cum omnibus nostris sutrapis et vuiverso senatu, optimutibus etiam et cuncto populo. N'ous croyons que le terme de satrapes désigne les généraux commandant les armées impériales. Sans cela l'énumération comprenant les autres dignités, telles que le sénat, les optimes ou archontes; renfermant les consuls, proconsuls et gouvereurs de provinces, resterait incomplète.

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impérial commençant par ces mots : In nomine sanctœ et individuae Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti. Tout était donc nouveau, style et chancellerie, dans ces premiers décrets de l'empereur récemment baptisé. On se souvient qu’Eusèbe de Gésarée affirme que Constantin faisait des livres saints sa lecture habituelle. Nous en avons une preuve de fait dans l'importation de ce terme de satrapes, emprunté aux descriptions bibliques des magnificences de la cour d'Assuérus et de Nabuchodonosor. Il est fort remarquable aussi que la date du rescrit impérial est celle du III des calendes d'avril (30 mars 329). Or c'est précisément le jour où la Pâque tombait en cette année. Dans la nuit illuminée qui précéda cette grande fête, on avait lu devant Constantin, comme on lit encore aujourd'hui, le Samedi-Saint, les proclamations de Nabuchodonosor ad satrapas, magistratus et judices, duces et prœfectos, omnesque principes regionum.1. Durant les quatre années qui venaient de s'écouler depuis son baptême, l'empereur avait entendu ces expressions scripturaires ; il les transporta dans son édit pascal. Y a-t-il là l'ombre d'une difficulté sérieuse ? Aussi bien, à quelque siècle de l'histoire qu'on veuille attribuer l'invention et la supposition de l'édit Constantinien, on se retrouverait en face du même anachronisme. Ni les empereurs de Rome, ni ceux de Byzance, ni les rois Franks, ni les monarques Germains, Visigoths ou Lombards, n'ont donné à leurs officiers le titre de satrapes. Le faussaire qui aurait eu, à une époque postérieure, l'idée de fabriquer ce décret, de toutes pièces, se serait donc bien gardé de tomber dans une faute si ridicule et si grossière. Constantin seul peut avoir écrit ce terme de satrapes, parce que seul il se retrouvait dans une situation analogue à celle des puissants maîtres du monde, dont l'Écriture nous a conservé la physionomie orientale. D'ailleurs, ce n'est point là ce qu'on reproche le plus à l'édit Cons-tantinien. Ce qui effarouche certains esprits dans ce document, c'est la nature même des privilèges qui y sont accordés aux papes, successeurs de saint Pierre : le droit d'avoir une cour aussi écla-

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1. Dan., 211, 2. Office du Samedi-Saint. Leçocj.

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tante que celle même de l'empereur, de porter tous les insignes impériaux, de remplir de leur majesté auguste la ville de Rome laissée entre leurs mains. Si l'on voulait réfléchir que jusque-là le titre de Pontifex maximus était exclusivement porté par les Césars, on trouverait tout naturel que la splendeur impériale ait été attachée par Constantin à la dignité chrétienne des souverains pontifes. Ce qui fait illusion ici, c'est qu'on regarde l'édit Constantinien comme établissant une confusion entre les deux ordres spirituel et temporel. Au contraire, c'est la distinction des deux pouvoirs qu'il établit nettement et pour la première fois. Il le dit explicitement : sic cœlestia sicut terrena ad laudem Dei decorentur. Constantin n'entend pas cesser de régner, en décorant le trône pontifical de la pourpre et des attributs impériaux. Il déclare au contraire que c'est le Dieu vivant qui lui a ordonné de régner : coram Deo vivo qui nos regnare prœcepit. Mais il place son pouvoir impérial sous le patronage et la paternité du bienheureux Pierre et de ses successeurs. Or, comme il serait indigne de Constantin d'avoir pour patrons et pour pères des pontifes sans gloire et sans majesté, il veut que tout ce qui est ici-bas symbole de puissance, le sceptre, la couronne, la pourpre, tous les attributs souverains, soient les ornements des pontifes. Connaît-on rien de plus grand que cette idée et rien de plus touchant que l'humilité de Sylvestre, qui refuse absolument de porter une autre couronne que celle de ses cheveux rasés en l'honneur du bienheureux Pierre? Le débat qui s'établit à ce sujet, entre l'empereur et le pontife, se termine à la gloire de tous les deux. Constantin, le vainqueur des Germains et des Franks, le héros qui a triomphé de Maxence et de Licinius, le maître de l'Orient et de l'Occident, escorte l'humble pontife dans les rues de Rome, et tient lui-même la bride de son cheval. On voudrait prétendre que tout cela est excessif, outré, invraisemblable. Mais pourtant vingt autres empereurs ont rendu les mêmes hommages aux successeurs de saint Sylvestre. Ils n'avaient pas été, comme Constantin, guéris de la lèpre, mais ils avaient la même foi que lui. Cela leur suffisait pour comprendre qu'ils se grandissaient, eux et leur pouvoir, de toute la déférence qu'ils témoignaient au vicaire de Jésus-Christ. Si l'on bannit de l'histoire l'hommage rendu par

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Constantin à saint Sylvestre, on ne pourra plus expliquer l'origine des honneurs exactement semblables rendus aux papes par les autres souverains. Constantin déclare solennellement que « l'empereur de la terre ne saurait plus résider dans la ville où Jésus-Christ a voulu établir le centre de sa religion et le principat de son sacerdoce. » Si l'on répudie comme apocryphe cette parole impériale, on se trouve en face d'un fait écrasant, c'est qu'à partir de Constantin, nul empereur romain ne résida plus à Rome. Dans les divers partages de l'empire, les titulaires d'Occident se fixèrent à Mediolanum (Milan), qui devint la nouvelle capitale politique de l'Italie. Julien l'Apostat lui-même, quand il se fit proclamer, ne se rendit point à Rome, mais à Constantinople. Il y a donc, dans le texte même du décret Constantinien, des preuves d'authenticité intrinsèque qui s'appuient sur l'histoire, les moeurs, les traditions, et qui s'imposent comme d'elles-mêmes à un esprit impartial. En transcrivant l'édit, dans sa Collection des conciles, le P. Labbe disait : «Tout ce qui regarde le domaine temporel et les privilèges souverains conférés par cet acte auv évêques de Rome, nous paraît très-vraisemblable. II est certain, par un témoignage formel de saint Optât de Milève, que le palais de Latran fut donné par Constantin aux papes. D'ailleurs, à moins d'avoir perdu le sens, on ne saurait s'inscrire en faux contre le fait de la possession de ce palais par les souverains pontifes depuis l'ère Constantinienne. L'édit est conforme à tout ce que nous connaissons de la munificence de l'empereur, de son zèle pour la religion chrétienne et de son ardeur à éteindre les superstitions idolâtriques. J'ajouterai une autre preuve, qui n'est pas moins considérable à mes yeux. Quand les rois Francs eurent triomphé des Lombards en Italie, ils prirent soin, dans leurs diplômes, de déclarer qu'ils restituaient au Saint-Siège les provinces dont il avait été violemment spolié. Pourquoi cette expression significative? Pourquoi « restituer » et non pas « donner? » Cette parole de notre chancellerie nationale est la reconnaissance explicite d'une donation antérieure. Or, on n'en connaît pas d'autre que celle de Constantin 1. »

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1. Labbe, Collect. Concil., tora. I, not., col. 1530 et 1539.

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