Vienne Concile Oecuménique 3

Darras tome 16 p. 295

 

19. Le saltem tacendo de cette dernière phrase est une allusion manifeste à la conduite d'Honorius, et aux lettres dans lesquelles ce pape, dès la naissance du débat, avant que l'hérésie monothélite se fût définitivement formulée, prescrivait le silence suggéré comme moyen préventif par l'hypocrite Sergius. Ce passage de la lettre de saint Agathon a une importance capitale ; il nous donne la mesure exacte du jugement de l'église romaine sur Ho-norius. Agathon ne laisse pas même entrevoir la possibilité de ranger son prédécesseur parmi les auteurs de l'hérésie monothélite. Au contraire, il affirme énergiquement que jamais le siège apostolique n'a dévié de la vraie tradition, ni incliné vers la moindre erreur. Il redouble son affirmation avec d'autant plus d'in­sistance qu'il la savait contestée en Orient. Il l'appuie sur la tra­dition de l'Église catholique, sur les décrets des conciles généraux, sur l'enseignement des pères et des docteurs. Il constate que seuls les hérétiques la contredisent et la combattent par de haineuses

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1 Luc, xxn, 31-32.

2. S. Agath., Epist. I; Pair, lat., tom. LXXXVII, col. 1172, B.

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récriminations. Enfin, il en démontre la légitimité par les paroles mêmes de la promesse divine faite aux pontifes romains en la per­sonne de Pierre. Dans la pensée de saint Agathon, l'orthodoxie d'Honorius ne faisait donc pas l'objet du moindre doute. C'est aussi, on l'a vu précédemment, notre opinion. Mais si la doctrine d'Honorius, telle qu'elle résulte du texte même des lettres de ce pape, est irréprochable, on pourrait, non sans quelque apparence de motifs, supposer que sa conduite le fut moins. Administrativement parlant, comme le dit très-bien Joseph deMaistre 1, il semble avoir manqué de prudence et s'être trop fié à la parole byzantine de Sergius. Dans la rigueur de la doctrine strictement théologique, on a pu lui appliquer la distinction établie par les commentateurs sur la parole de Notre-Seigneur à saint Pierre. Cette parole ren­ferme à la fois une promesse : « J'ai prié pour que ta foi ne faillisse pas, » et un précepte : « Confirme tes frères. » Or, la promesse divine d'infaillibilité ne saurait jamais souffrir d'éclipse ; elle n'a pas été atteinte dans le fait d'Honorius, puisque l'orthodoxie des lettres de ce pape est constante. Mais le précepte auquel les papes peu­vent manquer, puisqu'ils ne sont point impeccables, semblait avoir été sinon volontairement et sciemment, au moins involontairement et à son insu, violé par Honorius, dont les lettres dans le cas présent ne confirmèrent pas autant qu'il était possible l'épiscopat d'Orient dans la vraie foi. Telle est la solution aujourd'hui généralement adoptée. Cependant saint Agathon n'admettait même pas dans Honorius cette imprudence de conduite, cette faute administrative. Il déclare au contraire qu'Honorius a suffisamment rempli le devoir de sa charge, qu'il a exactement observé le précepte divin, qu'il s'est consciencieusement acquitté de son obligation pontificale en pres­crivant le silence. Cette remarque est fort grave. Saint Agathon, plus près que nous des événements, avait pour les apprécier, outre l'assistance et les lumières de l'Esprit-Saint, une connaissance di­recte et presque immédiate des faits. Son jugement, on en convien­dra, emprunte une valeur immense à l'autorité même de celui

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1 J. de Maistre, Du Pape, tom. I, p. 178.

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qui le prononce, au caractère dogmatique de l'acte qui le renferme, à la souscription du concile romain, à l'adhésion de toute l'église latine. Aussi ni saint Agathon, ni le concile romain réuni sous sa présidence, ni l'épiscopat d'Occident n'entendaient en aucune fa­çon que les légats envoyés au futur concile eussent le moindre droit de souscrire à une condamnation quelconque d'Honorius.

 

20. Nous avons déjà vu la lettre synodale des cent vingt-cinq évêques du synode romain désigner par leur nom les hérétiques monothélites dont la mémoire devait être anathématisée par l'assemblée œcuménique. C'étaient Théodore de Pharan, Cyrus d'Alexandrie, Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre de Constantinople 1. Saint Agathon les énumère dans le même ordre, et cite les textes où chacun d'eux avait soutenu ostensiblement l'erreur monothélite2. « Il faut donc, ajoute-t-il, retrancher de la sainte Église de Dieu ces docteurs de mensonge et leurs doctrines erronées. Il faut que tout l'ordre des évêques et des prêtres, que le clergé et le peuple unanimement, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, confessent et proclament avec nous la formule de la vérité, la rectitude évangélique et apos­tolique de la foi orthodoxe, laquelle a été fondée sur la pierre ferme du bienheureux Pierre prince des apôtres, et par son assistance et son secours, s'est maintenue exempte de toute erreur3. » L'insistance d'Agathon à remettre sans cesse sous les yeux de ses légats le dogme de l'orthodoxie infaillible du siège apostolique en opposi­tion avec les erreurs des hérétiques orientaux, donne lieu de sup­poser que le saint pape prévoyait les manœuvres qui devaient dans l'assemblée œcuménique se dresser contre la mémoire d'Honorius. En tout cas, il ne pouvait prendre plus de précautions pour faire comprendre à tout l'univers que, ni dans sa foi ni dans sa conduite pontificale, Honorius ne pouvait être l'objet d'aucune flétrissure. Après une lumineuse exposition du dogme des deux volontés en Jésus-Christ, le pape produisait la série de témoignages empruntés aux pères et aux docteurs, telle à peu près que le concile de Latran sous la présidence de saint Martin I l'avait rédigée, et dont il vou-

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1. Cf. n° 15 de ce chapitre.— 2. S. Agath., Epist. i ; Pair. lut., lom. LXXXVJI, col. 1204. — 3. Pair, lat., tom. LXXXV1I, col. 1205, D.

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lait qu'à l'exclusion de tous autres ses légats fissent usage. Les textes sont tirés des œuvres de saint Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Cyrille d'Alexandrie, Athanase, Denys l'Aréopagite, Hilaire de Poitiers, Ambroise et Léon le Grand. Les docteurs de l'Orient donnaient ainsi la main à ceux de l'Occident et présentaient ensemble la même foi orthodoxe explicitement contraire au monothélisme byzantin. En terminant, Agathon disait à l'empereur : «Je vous supplie, très-pieux et très-clément auguste, et avec moi toute âme chrétienne, agenouillée, vous conjure d'ajou­ter à tant de bienfaits dont le genre humain vous est déjà rede­vable, celui de rétablir dans son intégrité parfaite la foi du Christ au nom duquel vous régnez. Accordez à quiconque voudra prendre la parole pour défendre la doctrine qu'il professe liberté entière de s'expliquer, en sorte qu'il soit manifeste que nulle pression, nulle terreur, nulle menace, nulle exclusion n'aient été exercées au sein du concile œcuménique. Ainsi tous, dans la pleine posses­sion de la vérité, nous offrirons au Christ Notre-Seigneur des prières incessantes pour la prospérité et l'exaltation de votre glo­rieux empire 1.


   21. En résumé, le tomus doqmaticus de saint Agathon circonscrivait le pouvoir des légats sur quatre points principaux : la doctrine de l'infaillibilité du saint-siége en matière de foi ; l'exposé de la croyance orthodoxe aux deux volontés et opérations naturelles en Jésus-Christ dans les termes où elle était définie d'après le con­cile de Latran par la lettre pontificale elle-même ; l'obligation de se borner pour la discussion dogmatique aux textes des saints pères transmis par le pape ; l'injonction de faire condamner les auteurs de l'hérésie monothélite dans l'ordre et selon l'énumération adoptés et par Martin I dans son précédent synode et par le nou­veau concile romain présidé par saint Agathon. Sur ces quatre chefs, la lettre synodale et celle du souverain pontife sont dans le plus parfait accord. En l'absence des actes aujourd'hui perdus de ce synode romain, nous ne pouvons que constater le fait, sans avoir la possibilité de pénétrer plus profondément dans les délibérations

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1. Pair, lai., tom. LX XXVII, col. 1213.

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qui eurent lieu au sein de cette réunion. Il n'est pas douteux que la question d'Honorius y fut posée. Les termes mêmes de la lettre impériale de Constantin Pogonat en faisaient une obligation. Le prince, on se le rappelle, insistait sur la prétention des deux patriarches monothélites, Théodore de Constantinople et Macaire d'Antioche, à revendiquer Honorius pour un de leurs complices. Nous ne saurions donc trop regretter la perte des actes du synode romain. Si jamais ils se retrouvent dans quelque palimpseste de la bibliothèque vaticane 1, le monde s'étonnera qu'on ait pu si long­temps infliger à un grand pape une flétrissure d'hérésie. Mais sans attendre une éventualité aussi incertaine, le jugement de saint Agathon, solennellement rendu dans une assemblée de cent vingt-cinq évêques représentant toute l'église latine, suffit, aux yeux de l'histoire, pour innocenter définitivement la mémoire d'Honorius. La sentence prononcée par un pape, inscrite dans un tomus dogmaticus, véritable décret ex cathedra, ratifiée synodalement, acceptée par toutes les églises latines, constitue en faveur d'Ho­norius une justification canonique d'une incontestable authen­ticité, d'une valeur morale bien supérieure à toutes les calom­nies posthumes dont ce pape fut l'objet. Parmi les cent vingt-cinq évêques signataires de la lettre synodale, l'histoire compte des saints illustres. Nous avons déjà nommé saint Wilfrid, qui souscrivit en ces termes : « humble évêque de la sainte église d'Eboracum, député des chrétientés constituées dans l'île de Bretagne. » Il faut y ajouter saint Mansuetus évêque de Milan; saint Barbatus, ce courageux missionnaire de Bénévent qui avait achevé la conversion des Lombards ; saint Jean de Bergame, thaumaturge qui forçait l'admiration du roi Cunibert; saint Decorosus de Capoue; saint Félix de Spolète ; saint Anastase de Pavie2. Tous, à la souscription

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1 Les espérances de ce genre, que les nombreux desiderata de l'historien nous ont déjà fait plus d'une fois exprimer, ne sont pas aussi invraisem­blables qu'on pourrait le croire. Au moment où nous écrivons ces lignes, ou annonce la récente découverte, dans les papyrus orientaux de la bibliothèque de Turin, d'une version copte des actes du concile de Nicée, perdus depuis quatorze siècles.

1 Saint Wilfrid est honoré le 12 octobre ; saint Mansuetus de Milan  et

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du pape, saint lui-même, joignent la leur, en constatant qu'ils ont été unanimes dans les délibérations : In hanc suggestionem quam pro apostolica nostra fide unanimiter construximus, similiter subscripsi. Bien que la sainteté personnelle des membres d'une assemblée conciliaire ne soit pas plus indispensable pour la valeur canonique des décisions que la sainteté des ministres pour la validité des sacrements, il n'en est pas moins vrai qu'elle forme comme une auréole d'éclat et de gloire céleste autour d'un concile. Sous ce rapport, la comparaison entre les grecs et les latins nous offre un singulier et douloureux contraste. Pendant que l'église latine était si féconde en saints évêques, celle d'Orient n'en fournira pas un seul parmi les signataires du VIe concile général.


   22. La députation romaine fut composée, ainsi que nous l'avons romaine à vu, d'une manière très-distincte, d'abord des trois légats du pape, les prêtres Georges et Théodore, le diacre Jean, auxquels le Liber Pontifîcalis et les divers monuments ajoutent le sous-diacre Cons­tantin, probablement comme secrétaire de légation, mais sans au­cun pouvoir officiel près du futur concile; en second lieu, des évêques députés par le synode, Abundantius de Paterno, Jean de Porto, Jean de Rhegium métropolitain de la Calabre, tous trois représentant l'épiscopat latin avec le prêtre Théodore, délégué de l'église de Ravenne ; enfin de quatre abbés pris dans les monastères grecs de Rome ou d'Italie, et dont les actes nous ont conservé les noms, savoir : Théophane abbé du monastère sicilien de Baïa, Georges prêtre du monastère romain de Renatus, Conon et Etienne prêtres du monastère romain dit « de la maison d'Arsicia. » Ces douze personnages arrivèrent à Constantinople vers le 8 septem­bre 680. Le Liber Pontificalis nous a déjà fait connaître l'honorable accueil qu'ils reçurent de l'empereur. Logés au palais de Placidie, entretenus aux frais du trésor, ils parurent en grande pompe dans une procession solennelle à l'église de Sainte-Marie-des-Blakhernes. Ce dernier détail a une signification qui ne manque pas d'impor-

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saint Barbatus de Bénévent, le 19 février; saint Jean de Bergame, le 11 juillet; saint Decorosus de Capoue, le 15 février; saint Félix de Spoléte, le 18 mai; saint Anastase de Pavie, le 30 mai.

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tance. On se rappelle que le patriarche byzantin, Théodore, n'ad­mettait plus sur les diptyques de son église le nom des souverains pontifes. Il voulait même en effacer celui de Vitalien, le dernier par ordre de date qui y fut inscrit. Dès lors ce fougueux monothélite, s'il eût encore exercé les fonctions patriarcales à cette époque, aurait certainement refusé de communiquer in sacris avec les en­voyés d'un pontife exclu des tables liturgiques de communion. Il aurait attendu, avant de le faire, la décision du concile général. Mais précisément Théodore avait été déposé, sans que les motifs de sa disgrâce nous soient connus. On peut conjecturer avec assez de vraisemblance que son hostilité au projet de pacification reli­gieuse déplut à l'empereur et attira sur lui la foudre. Car l'empe­reur était en réalité le maître absolu de ces fastueux patriarches : il les créait, destituait ou réhabilitait à son gré. Les églises ré­voltées contre l'autorité légitime du successeur de Pierre tombent toujours sous la verge de quelque César. Théodore avait été rem­placé par Georges, et ce dernier, le lendemain de l'arrivée des légats, recevait de Pogonat une divalis, ou sacra impériale, conçue en ces termes :

 

23. « Au nom de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le pieux, pacifique et fidèle empereur Flavius Constantin au très-saint et très-bienheureux archevêque de Constantinople Georges, patriarche œcuménique. — Au milieu des sollicitudes militaires et civiles dont notre sérénité est sans cesse préoccupée, nous plaçons en première ligne le maintien de la foi chrétienne, qui est celle de notre empire et de nos armées victorieuses. Nous estimons donc nécessaire d'adresser cette présente et pieuse sacra à votre pater­nelle béatitude, pour la prier, avec notre sanction impériale, de convoquer dans cette ville, notre capitale, les très-saints métropoli­tains et évêques qui dépendent de ce siège. Avec l'assistance du Dieu tout-puissant et miséricordieux, ils procéderont diligemment à une enquête sur le dogme de la volonté et de l'opération en Jésus-Christ. Bien qu'énoncé depuis longtemps, ce dogme a sus­cité de vifs dissentiments parmi quelques personnages de la sainte Église de Dieu. Nous voulons qu'il soit ordonné également au véné-

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rable Macaire, archevêque d'Antioche, de convoquer les métropoli­tains et les évêques ses sufffragants, et de les réunir ici. Par nos pieuses lettres nous avons adressé la même exhortation au très-saint Donus, pontife du siège apostolique de l'antique Rome, alors vivant. Son successeur, le très-saint Agathon, récemment ordonné pape, a reçu notre missive. Ses légats et ceux du synode romain viennent d'arriver, porteurs d'une lettre du très-saint pape et d'une autre rédigée par le concile. Votre paternelle béatitude, comprenant que la question d'orthodoxie domine toutes les autres, prendra toutes les mesures nécessaires pour accélérer la réunion des vénérables métropolitains et évêques, afin qu'une définition dogmatique orthodoxe soit enfin formulée. Dieu vous garde longues années, très-saint et très-bienheureux père 1. » Une note chronologique, annexée par une main étrangère, donne à ce mes­sage la date du IX des ides de septembre (10 septembre 680). Le style du rescrit impérial est curieux. Le patriarclre de Constantinople y est carrément traité d'oecuménique; on lui prodigue les épithètes de très-saint et de très-bienheureux. Entre le pape et lui nulle différence, sinon qu'on accorde au premier le titre de prœsul apostolicœ sedis. Et pourtant c'était l'empereur qui avait nommé Georges en remplacement de Théodore. On dirait que, par une ironie d'assez mauvais goût, plus les patriarches deve­naient des créatures impériales, plus la chancellerie officielle leur augmentait les prétentieuses qualifications dont l'abus est le trait caractéristique de toutes les décadences. Si la forme du rescrit est emphatique, le fond n'est pas d'une orthodoxie bien rassurante. L'empereur, sans énoncer catégoriquement le terme d'une opé­ration, une volonté en Jésus-Christ, adopte à dessein les expres­sions ambiguës et indéfinies de volonté, opération, au singulier, r.ifi ts BeW.iiaTO; xaî ivcpyEiaç, et il ajoute que ce dogme, existant déjà depuis longtemps, to-j ?,3yi cmô iuo).xoû xpôvov àvaçûsvTo; SôyfpuxToç, ne laisse pas que de susciter de vifs dissentiments parmi certains person­nages de la sainte Église, l/. tivwv îtposwuov. Cette allusion à l'église

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1 Labbe, tom. VI, col. 600.

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d'Occident tout entière, qui résistait au prétendu dogme du monothélisme, dénote une médiocre sympathie pour la foi catholique. Enfin Macaire d'Antioche est toujours pour l'empereur un véné­rable archevêque. Macaire devra convoquer ses suffragants, les­quels avec ceux du patriarcat de Constantinople formeront toute la future assemblée. Il n'était plus possible, en effet, pour la Pales­tine, la Célésyrie, l'Egypte, la Mésopotamie, l'Afrique tombées au pouvoir des califes, de prendre part à la réunion projetée.


§ IV. VI» Concile général, IIIe de Constantinople.


    24. Telles étaient la disposition des esprits et la situation gênérale des choses, quand s ouvrit le VIe concile œcuménique. « Au nom du Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ, disent les actes, sous le règne des Flaviens couronnés de Dieu, nos sérenissimes maîtres, le très-pieux Constantin, prince décoré du titre de grand, auguste et empereur à perpétuité, en la vingt-septième année de son règne, la troisième après son premier consulat, ses frères Héraclius et Tibère bénis de Dieu, en la vingt-deuxième année de leur association à l'empire, le septième jour du mois de novembre indiction IXe (7 novembre 680), sous la présidence du grand et bien aimé empereur Constantin, dans la salle du dôme (in Trullo) du sacré palais, fut tenue la première actio (session) du saint et œcuménique concile. Étaient présents et auditeurs (prœsentibus et audientibus), par ordre de son impériale sérénité, les glorieux con­sulaires et patrices Nicétas, maître des offices impériaux ; Théo­dore, maître des commandements et sous-stratège de Thrace ; Sergius; Paul; Julien, logothète des milices; Constantin, curateur du palais impérial d'Hormisdas ; Anastase, lieutenant du comte des excubiti (grand-chambellan); Jean, questeur; Polyeucte; Thomas; Paul, administrateur des provinces orientales; Pierre, et Léonce, majordome de la mense impériale 1. » En tout treize fonction­naires impériaux, formant l'escorte du prince. Le prœsidente magno

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1 Labbe, tom. Vf, col. 608.

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imperatore Constaniino figure à ce protocole non pas seulement en vertu de l'étiquette byzantine, mais comme expression exacte de la vérité ; car, dans les diverses sessions auxquelles il assista en personne, l'empereur prit la direction des débats. Tout inusitée que fût cette forme de procédure et malgré son évidente irrégula­rité, elle eut dans la circonstance des avantages réels. En face de l'épiscopat d'Orient, presque tout entier monothélite, les légats du pape et la députation latine, c'est-à-dire douze personnes seule­ment, allaient supporter la lutte. L'empereur, voulait l'union. Le con­trepoids de sa présence et de son autorité était nécessaire pour rétablir l'équilibre. Que ce motif ou tout autre ait déterminé la conduite de Pogonat, il n'en est pas moins certain que le VIe concile œcuménique accepta sa présidence et lui laissa tout pou­voir dans la conduite de la discussion. Cinquante pères tant évêques que députés de titulaires absents, ou abbés de monas­tères ayant voix délibérative, se trouvaient réunis. L'empereur prit place sur un trône, au fond de la salle. A sa gauche, place d'honneur par rapport à la position de l'autel médiane où reposait l'exemplaire des Évangiles, siégèrent les trois légats du siège apos­tolique et les représentants du synode romain; à sa droite, les deux patriarches Georges de Constantinople, Macaire d'Antioche, et les évêques leurs suffragants respectifs. L'ordre de préséance, dans la liste des actes, attribue le premier rang parmi les pères aux trois légats apostoliques, les prêtres Théodore , Georges, et le diacre Jean. Après eux, le patriarche Georges de Constantinople; le prêtre et archimandrite Pierre, vicaire et représentant du pa­triarcat d'Alexandrie; Macaire patriarche de Théopolis ou Antioche ; le prêtre et archimandrite Georges, délégué de Théodore, vicaire apostolique du patriarcat vacant de Jérusalem ; les trois évêques de Porto, Paterno et Rhegium, députés du synode romain ; le prêtre Théodore, député de l'église de Ravenne ; puis les évêques orien­taux; ensuite les quatre abbés représentant les monastères grecs de Rome et d'Italie ; enfin les archimandrites Anastase de Cons­tantinople et Etienne d'Antioche, ce dernier constamment désigné dans les actes par l'épithète « disciple de Macaire. » Quand tous

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eurent pris séance, les légats du siège apostolique, s'adressant à Constantin, lui dirent: « Très-bienveillant seigneur, acquiesçant au message transmis par votre sérénité, le très-bienheureux pape Agathon nous a envoyés ici avec une lettre émanée de lui et une autre rédigée par les évêques réunis en synode à Rome sous sa présidence. Déjà nous les avons remises à votre majesté. Il y a environ un demi-siècle que des expressions nouvelles et contraires à la foi orthodoxe furent introduites par les pontifes de cette cité de Constantinople, votre capitale. Sergius, Paul, Pyrrhus et Pierre, auxquels il faut joindre Cyrus d'Alexandrie, Théodore de Pharan et quelques autres de leurs complices, ont jeté le trouble dans l'Église en prêchant une seule volonté et une seule opération en Jésus-Christ. Vainement le siège apostolique s'est opposé à leurs tenta­tives. Nous prions votre majesté de faire expliquer les partisans de cette erreur, et de leur demander sur quelles autorités ils l'appuient. — Vous avez entendu les légats de l'ancienne Rome, dit Constantin en se tournant à droite et en interpellant les deux patriarches Georges de Constantinople et Macaire d'Antioche. Voyez ce que vous avez à répondre. » — Georges crut devoir gar­der un silence prudent. Macaire se leva, avec son disciple Etienne, et deux de ses suffragants1, Pierre métropolitain de Nicomédie et Salomon évêque de Clanée. En leur nom, Macaire prit la parole : « Nous n'avons, dit-il, rien innové. Ce que nous croyons et ensei­gnons au sujet d'une opération et d'une volonté en Jésus-Christ, nous le tenons des conciles généraux, des patriarches de cette cité dont on vient de donner les noms, de Cyrus jadis pape d'Alexandrie et d'Honorius autrefois pape de l'ancienne Rome. Nous sommes prêts à fournir nos preuves. — Si vous voulez en effet apporter des preuves, reprit Constantin, nous vous prévenons qu'on n'en admettra point d'autres que les témoignages empruntés aux con­ciles œcuméniques et aux pères approuvés par l'Église. — Très-

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1.  II en restait quatre autres, Macrobe de Séleucie. Eulalius de Zénonopolis, Constantin de Dalisande et Théodore d'Olba, lesquels, bien que présents à la session, ne voulurent pas s'associer à la démonstration faite par leur patriarche.

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pieux seigneur, dit Macaire, ordonnez que les actes des conciles généraux soient apportés par l'archiviste du patriarcat. » Sur l'ordre de l'empereur, le diacre Georges, gardien des archives, produisit les codices. Le disciple de Macaire, le prêtre Etienne, lut alors le texte du IIIe concile œcuménique tenu à Éphèse. Dans le discours de clôture prononcé par saint Cyrille se trouvait cette phrase : « Jésus-Christ Notre-Seigneur est le fondement immuable sur lequel repose la stabilité de votre empire. C'est par lui en effet que les rois régnent, et sa volonté est toute-puissante. » A ce mot Macaire interrompit la lecture et dit à Constantin : « Voilà, sei­gneur, qui démontre qu'il n'y a qu'une volonté dans le Christ. » La démonstration n'était cependant guère concluante. Les légats en firent la remarque, et déclarèrent que l'interprétation de Macaire était abusive. Constantin, sans approuver ni blâmer, fit reprendre la lecture. Elle se poursuivit jusqu'à la fin des actes du concile d'Éphèse. Après quoi l'empereur dit : « C'est assez pour aujour­d'hui. Dans la prochaine réunion nous lirons les actes du concile de Chalcédoine.» Et la séance fut levée 1.

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