St Ignace 3

Darras tome 33 p. 642

 

   177. L'an 1538, Paul III avait  établi une commission pour dé-

==============================

 

p643 CHAP. XII. — SAINT IGNACE DE LOYOLA ETC.     

 

truire les abus qui s'étaient glissés dans l'Église. Cette commission  concluait à la suppression des ordres religieux. Quoique le Pape rejetât cette proposition, elle montre  combien on était peu favo­rable à la multiplication des ordres religieux, et combien une entre­prise de ce genre était difficile. Or c'était précisément en de telles circonstances que saint Ignace allait demander à l'Église de recon­naître publiquement et d'approuver sa compagnie. C'était vraiment une œuvre ardue et au-dessus des forces humaines. Lorsque l'on considère de ce point de vue l'état des choses à cette époque, on ne peut s'empêcher d'admirer les voies de la Providence et la sa­gesse d'Ignace qui resta longtemps sans parler de fonder un ordre, et qui, avant de demander au Saint-Siège l'approbation de ses cons­titutions, voulut la mériter en quelque sorte par ses œuvres et sa prudence, et poser ainsi d'avance les bases de l'édifice qu'il se pro­posait d'élever. Cependant les événements avaient donné à ses des­seins la maturité nécessaire, et le temps était arrivé où il devait aller en avant, faute de quoi la réunion de ces hommes admirables eût été fortuite et sans résultats durables. Lorsque la question fut posée parmi eux, ils examinèrent, dans des conférences nécessaires et avec toute la maturité désirable : 1° S'il convenait de fonder un nouvel  ordre ; 2° en quelle forme il fallait  l'établir ; 3° d'après quelles règles il fallait statuer sur l'obéissance. Après de longues discussions, tous s'engagèrent  par  écrit, notamment à  aller, sur l'ordre du Pape, dans toutes les contrées du monde où il plairait de les envoyer. Les décisions prises furent réunies en cinq chapitres par Ignace et soumises à Paul III par le cardinal Contarini. Au pre­mier coup d'œil  sur le programme de l'Institut, Paul III s'écria : « Le doigt de Dieu est ici : Digitus Dei est hic. » A cause de  l'im­portance de l'affaire, une commission de trois cardinaux  fut nom­mée, et parmi eux Guidiccioni de Lucques, opposé à l'admission. Après  examen, l'ordre fut admis et confirmé le 22 septembre 1540 par la Bulle Regimini militantis Ecclesiae :

PAUL,   ÉVÉQUE,   SERVITEUR   CES   SERVITEURS   DE   DIEU,

POUR   LA   PERPÉTUELLE  MÉMOIRE.

=================================

 

p644      PONTIFICAT DE  PAUL  III  (1534-1549).

 

« Préposé, malgré notre indignité, par la disposition du Sei­gneur, au gouvernement de l'Eglise militante, et pénétré pour le salut des âmes de tout le zèle que nous commande la charge de Pasteur, nous environnons de toute la faveur apostolique les fidèles quels qu'ils soient qui nous exposent là-dessus leurs désirs, nous réservant d'en ordonner ensuite, selon qu'un mûr examen des temps et des lieux nous le fait juger utile et salutaire dans le Seigneur.


« Ainsi venons-nous d'apprendre que nos chers fils Ignace de Loyola, Pierre Lefèvre, Jacques Laynès, Claude Le Jay, Pasquier Brouet, François Xavier, Alphonse Salméron, Simon Rodriguez, Jean Codure et Nicolas de Bobadilla, tous prêtres des villes et dio­cèses, respectifs de Pampelune, Genève, Siguenza, Tolède, Viseu, Embrun, Placencia, tous maîtres ès-arts, gradués dans l'Université de Paris et exercés pendant plusieurs années dans les études théo­logiques : nous avons appris (disons-nous) que ces hommes, pous­sés, comme il est pieux de le croire, par le souffle de l'Esprit saint, se sont rassemblés de différentes contrées du monde, et, après avoir renoncé aux plaisirs du siècle, ont consacré pour toujours leur vie au service de notre Seigneur Jésus-Christ, de nous et des autres Pontifes-Romains, nos successeurs. Ils ont déjà travaillé d'une ma­nière louable dans la vigne du Seigneur, prêchant publiquement la parole de Dieu, après en avoir obtenu la permission requise ; ex­hortant les fidèles en particulier à mener une vie sainte et méritoire du bonheur éternel, et les engageant à faire de pieuses méditations; servant dans les hôpitaux, instruisant les enfants et les simples des choses nécessaires à une éducation chrétienne; en un mot, exerçant avec une ardeur digne de toutes sortes d'éloges, dans tous les pays qu'ils ont parcourus, tous les offices de la charité et toutes les fonc­tions propres à la consolation des âmes. Enfin, après s'être rendus en cette illustre ville, persistant toujours dans le lien de la charité, afin de cimenter et de conserver l'union de leur Société en Jésus-Christ, ils ont arrêté un plan de vie conforme aux conseils évangéliques, aux décisions canoniques des Pères, selon ce que leur expé­rience leur a appris être plus utile à la fin qu'ils se sont proposée.

===============================

 

p645 CHAP.  XII.   —  SAINT  IGNACE  DE  LOYOLA  ETC.     

 

Or, ce genre de vie, exprimé dans la formule dont nous avons parlé, a non-seulement mérité les éloges d'hommes sages et remplis de zèle pour l'honneur de Dieu, mais il a tellement plu à quelques-uns d'entre eux qu'ils ont pris la résolution de l'embrasser. «Or, voici cette forme de vie telle qu'elle a été conçue : « Quiconque voudra, sous l'étendard de la croix, porter les armes pour Dieu, et servir le seul Seigneur et le Pontife-Romain, son vicaire sur la terre, dans notre Société, que nous désirons être appelée la Compagnie de Jésus, après y avoir fait vœu solennel de chasteté perpétuelle, doit se proposer de faire partie d'une société principalement instituée pour travailler à l'avancement des âmes dans la vie et la doctrine chrétiennes, et à la propagation de la foi, par des prédications publiques et le ministère de la parole de Dieu, par des exercices spirituels et des œuvres de charité, notam­ment en faisant le catéchisme aux enfants et à ceux qui ne sont pas instruits du christianisme, et en entendant les confessions des fi­dèles pour leur consolation spirituelle. Il doit aussi faire en sorte d'avoir toujours devant les yeux : premièrement Dieu, et ensuite la forme de cet Institut qu'il a embrassé. C'est une voie qui mène à lui, et il doit employer tous ses efforts pour atteindre à ce but que Dieu même lui propose, selon toutefois la mesure de la grâce qu'il a reçue de l'Esprit saint et suivant le degré propre de sa vocation, de crainte que quelqu'un ne se laisse emporter à un zèle qui ne se­rait pas selon la science. C'est le Général ou Prélat que nous choi­sirons qui décidera de ce degré propre à chacun, ainsi que des em­plois, lesquels seront tous de sa main, afin que l'ordre convenable, si nécessaire dans toute communauté bien réglée, soit observé. Ce Général aura l'autorité de faire des constitutions conformes à la fin de l'Institut, du consentement de ceux qui lui seront associés, et dans un conseil où tout sera décidé à la pluralité des suf­frages.


« Dans les choses importantes et qui devront subsister à l'ave­nir, ce conseil sera la majeure partie de la Société que le Général pourra rassembler commodément ; et, pour les choses légères et momentanées, tous ceux qui se trouveront dans le lieu  de la rési-

==============================

 

p646      PONTIFICAT  DE  PAUL  III  (1334-1549).

 

dence du Général. Quant au droit de commander, il appartiendra entièrement au Général. Que tous les membres de la compagnie sachent donc, et qu'ils se le rappellent, non-seulement dans les pre­miers temps de leur profession, mais tous les jours de leur vie, que toute cette Compagnie, et tous ceux qui la composent combattent pour Dieu sous les ordres de notre très saint seigneur le Pape et des autres Pontifes-Romains  ses successeurs. Et quoique nous ayons appris de l'Evangile et de la foi orthodoxe, et que nous fas­sions profession de croire fermement que tous les fidèles de Jésus-Christ sont soumis au Pontife-Romain comme à leur chef et au vi­caire de Jésus-Christ ; cependant, afin que l'humilité de notre So­ciété soit encore plus grande, et que le détachement de chacun de nous et l'abnégation de nos volontés soient plus parfaits, nous avons cru qu'il serait fort utile, outre ce lien commun à tous les fidèles, de nous engager encore par un vœu particulier, en sorte que, quelque chose que le Pontife Romain actuel et ses successeurs nous commandent, concernant le progrès des âmes et la propaga­tion de la foi, nous soyons obligés de l'exécuter à l'instant sans ter­giverser ni nous excuser, en quelque pays qu'ils puissent nous en­voyer, soit chez les Turcs ou tous autres infidèles, même dans les Indes, soit vers les hérétiques et les schismatiques, ou vers les fidèles quelconques. Ainsi donc, que ceux qui voudront se joindre à nous examinent bien, avant de se charger  de ce fardeau, s'ils ont assez de fonds spirituels pour pouvoir, suivant le  conseil du Seigneur, achever cette tour ; c'est-à-dire, si l'Esprit saint qui les pousse, leur permet assez de grâces pour qu'ils puissent espérer de porter avec son aide le poids de cette vocation ; et quand, par l'ins­piration du Seigneur, ils se seront enrôlés dans cette milice de Jé­sus-Christ, il faut que, jour et nuit les reins ceints, ils soient tou­jours prêts à s'acquitter de cette dette immense. Mais afin que nous ne puissions ni briguer ces missions dans les différents pays ni les refuser, tous et chacun de nous s'obligeront de ne jamais faire à cet égard, ni directement ni indirectement, aucune sollicitation auprès du Pape, mais de s'abandonner entièrement là-dessus à la volonté de Dieu, du Pape comme  son vicaire, et du Général. Le

==============================

 

p647 CHAP. XII- — SAINT IGNACE DE LOYOLA ETC.      

 

Général promettra lui-même, comme les autres, de ne point solli­citer le Pape pour la destination et mission de sa propre personne, à moins que ce ne soit du consentement de la Société. Tous feront vœu d'obéir au Général en tout ce qui concerne l'observation de notre règle, et le Général prescrira les choses qu'il saura convenir à la fin que Dieu et la Société ont eue en vue. Dans l'exercice de sa charge, qu'ils se souviennent toujours de la bonté, de la douceur et de la charité de Jésus-Christ, ainsi que des paroles si humbles de saint Pierre et de saint Paul, et que lui et son conseil ne s'écartent jamais de cette règle. Sur toutes choses, qu'ils aient à cœur l'ins­truction des enfants et des ignorants dans la connaissance de la doctrine chrétienne, des dix commandements et autres semblables éléments, selon qu'il conviendra, eu égard aux circonstances des personnes, des lieux et des temps. Car il est très-nécessaire que le Général et son conseil veillent sur cet article avec beaucoup d'at­tention, soit parce qu'il n'est pas possible d'élever sans fondement l'édifice de la foi chez le prochain autant qu'il est convenable, soit parce qu'il est à craindre qu'il n'arrive parmi nous qu'à proportion que l'on sera plus savant, l'on ne se refuse à cette fonction comme étant moins belle et moins brillante, quoiqu'il n'y en ait pourtant point de plus utile, ni au prochain pour son édification, ni à nous-même pour nous exercer à la charité et à l'humilité. A l'égard des infé­rieurs, tant à cause des grands avantages qui reviennent de l'ordre, que pour la pratique assidue de l'humilité, qui est une vertu que l'on ne peut assez louer, ils seront tenus d'obéir toujours au Géné­ral dans toutes les choses qui regardent l'Institut; et dans sa per­sonne ils croiront voir Jésus-Christ comme s'il était présent, ils l'y révéreront autant qu'il est convenable. Mais comme l'expérience nous a appris que la vie la plus pure, la plus agréable et la plus édifiante pour le prochain est celle qui est la plus éloignée de la contagion de l'avarice et la plus conforme à la pauvreté évangélique, et sachant aussi que notre Seigneur Jésus-Christ fournira ce qui est nécessaire pour la vie et le vêtement à ses serviteurs qui ne chercheront que le royaume de Dieu, nous voulons que tous les nôtres et chacun d'eux fassent vœu de pauvreté perpétuelle, leur

=================================

 

p648      PONTIFICAT  DE  PAUL  III   (1534-1349).

 

déclarant qu'ils ne peuvent acquérir ni en particulier, ni même en commun, pour l'entretien ou usage de la Société, aucun droit civil à des biens immeubles ou à des rentes et revenus quelconques, mais qu'ils doivent se contenter de l'usage de ce qu'on leur don­nera pour se procurer le nécessaire. Néanmoins ils pourront avoir dans les Universités des collèges possédant des revenus, cens et fonds applicables à l'usage et aux besoins des étudiants, le Général et la Société conservant toute administration et surintendance sur lesdits biens et sur lesdits étudiants à l'égard des choix, refus, ré­ception et exclusion des supérieurs et des étudiants, et pour les rè­glements touchant l'instruction, l'édification et la correction desdits étudiants, la manière de les nourrir et de les vêtir, et tout autre objet d'administration et de régime, de manière pourtant que ni les étudiants ne puissent abuser desdits biens, ni la Société elle-même les convertir à son usage, mais seulement subvenir aux be­soins des étudiants. Et lesdits étudiants, lorsque l'on se sera assuré de leurs progrès dans la piété et dans la science, et après une épreuve suffisante, pourront être admis dans notre Compagnie, dont tous les membres qui seront dans les ordres sacrés, bien qu'ils n'aient ni bénéfices ni revenus ecclésiastiques, seront tenus de dire l'office divin selon le rite de l'Eglise, chacun séparément et en particulier et non point en commun ou en chœur. Telle est l'image que nous avons pu tracer de notre profession sous le bon plaisir de notre seigneur Paul III et du Siège Apostolique. Ce que nous avons fait dans la vue d'instruire par cet écrit sommaire et ceux qui s'in­forment à présent de notre Institut et ceux qui nous succéderont à l'avenir, s'il arrive que, par la volonté de Dieu, nous ayons jamais des imitateurs dans ce genre de vie ; lequel ayant de grandes et nombreuses difficultés, ainsi que nous le savons par notre propre expérience, nous avons jugé à propos d'ordonner que personne ne sera admis dans cette Compagnie qu'après avoir été longtemps éprouvé avec beaucoup de soin, et que ce n'est que lorsqu'on se sera fait connaître pour prudent en Jésus-Christ, et qu'on se sera distingué par la doctrine et par la pureté de la vie chrétienne, que l'on pourra être reçu dans la milice de Jésus-Christ, à qui il plaira

=================================

 

p649 CHAP. XII. — SAINT IGNACE DE LOYOLA ETC.      

 

de favoriser nos petites entreprises pour la gloire de Dieu le Père, auquel seul soit gloire et honneur dans les siècles. Ainsi soit-il. »


« Or, ne trouvant dans cet exposé rien que de pieux et de saint ; afin que ces mêmes associés, qui nous ont fait présenter à ce sujet leur très-humble requête, embrassent avec d'autant plus d'ardeur leur plan de vie qu'ils se sentiront plus gratifiés de la faveur de Siège apostolique ; nous, en vertu de l'autorité apostolique, par la teneur de ces présentes et de science certaine, nous approuvons, confirmons, bénissons et garantissons d'une perpétuelle stabilité l'exposé précédent, son ensemble et les détails ; et quant aux asso­ciés eux-mêmes, nous les prenons sous notre protection et celle de ce Saint-Siège apostolique ; leur accordant néanmoins de dresser de plein gré et de plein droit les constitutions qu'ils jugeront con­formes à la fin de cette Compagnie, à la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ, et à l'édification du prochain, nonobstant les constitu­tions et ordonnances apostoliques du concile général et de notre prédécesseur d'heureuse mémoire, le pape Grégoire X, ou tous autres qui y seraient contraires.


« Nous voulons cependant que les personnes qui désireront faire profession de ce genre de vie ne puissent être admises dans la So­ciété ni y être agrégées au-delà du nombre de soixante.

« Donc que personne au monde n'ait la témérité d'enfreindre ou de contredire aucun des points ici exprimés de notre approbation, de notre accueil, de notre concession et de notre volonté. Si quel­qu'un osait l'attenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux Apôtres Pierre et Paul.


« Donné à Rome, à Saint-Marc, l'année de l'Incarnation du Sei­gneur 1540, le cinquième des calendes d'octobre, de notre Pontifi­cat le sixième. »


178. La première formule des constitutions de l'ordre étant ap­prouvée et la pierre fondamentale de l'édifice posée, il s'agissait de le développer dans toutes ses parties et surtout de choisir un supé­rieur. Le développement de la société devait être l'œuvre du temps;

===============================

 

p650      PONTIFICAT DE PAUL III (1534-1549j.

 

mais il était urgent d'élire un chef, car plusieurs membres étaient déjà hors d'Italie et le Pape avait l'intention d'en envoyer d'autres dans d'autres contrées. Ignace appela donc à Rome, au carême de l'an 1541, tous les membres dispersés en Italie. Les compagnons d'Ignace arrivèrent promptement ; avant de choisir un général, il fallait tracer au moins les contours généraux des règles de l'Ordre. D'après la commission qui lui en avait été donnée, Ignace présenta un projet qui fut examiné avec soin et accepté par tous comme règle obligatoire. Cette affaire vidée, on consacra trois jours à la prière et on alla au scrutin. A l'ouverture des votes, Ignace était élu général à l'unanimité, moins sa voix, en toute liberté des élec­teurs et après mûre réflexion. Ignace avait donné son suffrage à celui qui obtiendrait, en dehors de lui, la majorité, car, par humi­lité, il s'excluait. Lorsqu'il se vit élu, il fit connaître, en toute hu­milité, que ses défauts et son incapacité l'obligeaient à récuser la charge ; s'il ne l'avait pas dit plus tôt, c'était pour ne point mettre la confusion parmi les électeurs. Au bout de trois jours, à force de prières, il persuada de recommencer l'élection ; le nouveau scrutin, donna le même résultat Ignace proposa alors d'en référer à l'arbi­trage d'un tiers ; le confesseur d'Ignace, arbitre choisi, lui fit, en conscience, l'obligation d'accepter ; il se résigna. L'élection ratifiée, il restait aux membres à s'engager par des vœux solennels, ce qu'ils firent à saint Paul-hors-des-murs. Après qu'ils eurent visité les autres églises stationnales, Ignace célébra le saint-sacrifice dans la chapelle de la basilique dédiée à la Vierge. Avant de communier, il se tourna vers ses compagnons, tenant l'hostie à la main au dessus de la patène et lut tout haut la formule des vœux. Après qu'il eut communié, les autres en firent autant. La cérémonie achevée, ils visitèrent les autres autels, puis, arrivés devant l'autel majeur, ils embrassèrent Ignace et, en lui baisant la main, lui témoignèrent leur filiale vénération. Voici la formule des vœux : « Je soussigné promets au Dieu tout-puissant et au Pape, son vicaire en terre, de­vant la bienheureuse Vierge sa mère, et en présence de la Compa­gnie, pauvreté, chasteté et obéissance perpétuelle, selon la forme de vie contenue dans la bulle de la société de Notre Seigneur Jésus,

==============================

 

p651 CHAP.   XII.   —   SAINT  IGNACE  DE  LOYOLA   ETC.     

 

et dans les constitutions déjà publiées ou qui le seront plus tard. Je promets, en outre, obéissance particulière au Pape, relativement aux missions. Je promets également de faire en sorte que la jeu­nesse soit instruite dans la doctrine de la foi, conformément à la bulle et aux constitutions. Donné à Rome le vendredi 22 avril, dans l'Eglise de saint Paul-hors-des-murs. » Pour inaugurer sa charge, Ignace descendit aux bas offices de la cuisine ; puis, pendant qua­rante-six jours, se mit à prêcher dans la petite église de la Compa­gnie. Sa parole était ardente, énergique et efficace. Après ses ins­tructions, les auditeurs couraient aux confessionnaux, et mon­traient, par leur contrition, le fruit de ses discours. Voici, d'après Maffeï, quel fut dès lors l'ordre de la journée du général. A son le­ver, il méditait pendant le temps prescrit, après quoi il se prépa­rait à la messe qu'il disait quand ses infirmités n'y mettaient point obstacle. Si quelque affaire l'appelait au dehors, il restait ensuite avec un compagnon, sinon il recevait les personnes de la maison ou les étrangers, avec lesquels il se montrait toujours gai, ne lais­sant jamais paraître ni une timidité gênante ni une défiance soup­çonneuse ; mais il était très-prudent et très-réservé dans ses entre­tiens. Après le dîner, il se délassait en causant des choses qui pou­vaient instruire sans fatiguer l'esprit, ou de la manière de conduire les autres et des entreprises commencées. Ensuite il s'occupait des affaires de sa charge, donnait sa signature, lisait et corrigeait les lettres. Le soir, après souper, il réglait les travaux du lendemain, disait aux supérieurs de la maison ce qu'ils avaient à faire et tra­vaillait ensuite très-activement avec son secrétaire. Dès que celui-ci l'avait quitté, il allait et venait pendant longtemps, seul, appuyé sur son bâton et absorbé dans un profond recueillement. Quatre heures suffisaient à son sommeil. Ce n'est là, je le sais, que la par­tie extérieure et comme le squelette de sa vie; mais tout cela était animé chez lui par une union intime avec Dieu ; or ce côté de la vie des saints n'est connu que de Dieu.

179. Ignace vivait, depuis sa vocation, d'après la règle qui lui avait été communiquée à Manrèze, en même temps que l'idée de la Compagnie. Dès le commencement de sa vie religieuse, il avait

===============================

 

p652      PONTIFICAT  DE  PAUL  111  (1534-1549).

 

agi partout comme un Jésuite doit faire ; il communiqua à ses dis­ciples, la même forme de vie ; en sorte que les lois essentielles de la Société existaient dans la pratique, avant d'être fixées par l'é­criture, et de former corps. Pour obtenir l'approbation de Paul III, le fondateur avait ramené à quelques points, la forme primitive de son Ordre ; mais ce n'était là que l'esquisse de son idée et le croquis de son plan. Ignace dut entreprendre un plus grand travail, parce que le Pape l'avait imposé par sa bulle de 1540 à la Compagnie et que celle-ci en chargea Ignace. Or il est certain, d'un côté, que c'est lui qui rédigea seul les constitutions et, de l'autre, que celles-ci n'ont jamais été changées, comme chacun peut s'en assurer en comparant l'original manuscrit en espagnol avec la traduc­tion imprimée en latin. Il est également certain que, bien qu'il connût les règles des autres Ordres, il n'en profita point pour son travail. Le P. Annibal Codret, qui l'assista comme secrétaire, disait à ce propos en 1599 : « Tout le temps que le vénérable père Ignace écrivit les constitutions, pendant les sept mois que je l'ai servi, je n'ai vu dans sa chambre que le Missel, les jours où il devait dire la messe. Après s'être recommandé à Dieu pendant la nuit, il écrivait le matin ce que Dieu lui avait inspiré. Lorsque le temps était beau, afin d'être moins dérangé, il allait, avec permission, dans le jardin d'un Romain. On dressait une table au milieu du jardin ; on y met­tait du papier et de l'encre et, il écrivait alors ce qui se présentait à lui. » Ignace, dit lui-même don Gonzalez : «Voici comment il procéda dans la rédaction des constitutions ; tous les jours il disait la messe et présentait ou offrait à Dieu le point dont il s'agissait. » C'est ainsi qu'il traita seul avec Dieu cette affaire importante, em­ployant de son côté la méditation et la prière, comme un moyen d'attirer les lumières d'en haut. Pour comprendre avec quelle ma­turité Ignace poursuivit son travail, il faut ajouter que, commen­çant en 1540, c'est seulement en 1550 qu'il put soumettre les cons­titutions à une assemblée de profès. Il ne voulut rien publier qu'il ne l'eût mis en état de supporter la critique ; il demanda donc les avis des autres, afin que son œuvre convînt à tous indistinctement et que la différence des pays et des peuples, des mœurs et des ca-

===============================

 

p653 CHAP. XII. — SAINT IGNACE DE LOYOLA ETC.       

 

ractères, ne rendit point nécessaires les dispenses et les exceptions qui ont coutume d'affaiblir les règles et les lois. Non seulement il soumit son œuvre à l'approbation des Pères réunis à Rome, mais il les envoya aux absents, qui les examinèrent avec la même scru­puleuse attention. Ignace ne les publia qu'après les avoir revues, corrigées et augmentées, suivant qu'il avait été jugé nécessaire. En 1553, il les envoyait en Espagne, en Portugal et dans d'autres pro­vinces, non comme une œuvre achevée, mais pour qu'on s'assurât, par l'expérience, si elles convenaient à toutes les nations ; et dans le cas même où elles seraient trouvées en rapport avec le but de la Compagnie, elles ne devaient recevoir une sanction définitive, qu'après avoir été examinées et approuvées par la société tout en­tière, ce qui n'eut lieu qu'après sa mort, en 1558. La Congrégation générale les confirma avec les sentiments de la vénération la plus profonde pour l'œuvre et pour son auteur. Les constitutions fu­rent ensuite présentées au pape Paul IV, qui chargea une commis­sion de quatre cardinaux de lui donner son avis, et cette commis­sion, après les avoir soumises à un nouvel examen, les approuva d'une voix unanime ; sur quoi le Pape les confirma sans y changer un mot.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon