La foi chrétienne hier et aujourd’hui 79

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   Ici se présente une nouvelle donnée très importante qui, à première vue, semble aller exactement en sens contraire, mais qui est en réalité conséquence nécessaire des réflexions précédentes.

 

En effet, si l'on est chrétien pour participer à une diaconie en faveur de la collectivité, cela signifie en même temps qu'à cause justement de cette relation à l'ensemble, le christianisme vit de l'individu et pour l'individu; car c'est à partir de l'individu seulement que peut se réaliser la transformation de l'histoire et la rupture de la dictature du milieu ambiant.

 

A mon sens, c'est là que se trouve le fondement de ce qui, pour les autres religions et l'homme d'aujourd'hui, demeure incompréhensible; à savoir que dans le christianisme, tout en définitive, dépend d'un seul, de l'homme Jésus de Nazareth, celui que le milieu ambiant ‑l'opinion publique ‑ a crucifié et qui, sur la croix, a brisé la puissance du « on », la puissance de l'anonymat, dont l'homme est prisonnier.

 

Face à cette puissance se dresse désormais le nom de cet homme particulier Jésus‑Christ, qui appelle les hommes à le suivre, c'est‑à‑dire à porter comme lui la croix, à triompher du monde sur la croix et à contribuer au renouvellement de l'histoire.

 

C'est parce que le christianisme envisage l'histoire en son entier que l'appel du Christ s'adresse radicalement à l'individu; c'est pour cette raison que le christianisme dépend

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entièrement de l'homme particulier et unique en qui s'est réalisée la trouée à travers l'état d'asservissement aux puissances et aux principautés.

 

Autrement dit: parce que le christianisme est ordonné à l'ensemble, et ne peut être conçu qu'à partir de la communauté et pour elle, parce qu'il n'est pas salut pour l'individu isolé, mais service de l'ensemble auquel l'individu ne peut ni ne doit se dérober, pour cette raison même, il comporte un principe du “particulier ».

 

 Le scandale inouï, qu'un individu unique et particulier, Jésus-Christ, soit reconnu par la foi comme le salut du monde, trouve ici le fondement de sa nécessité interne.

 

L'individu particulier est le salut de l'ensemble, et l'ensemble ne reçoit son salut que de cet homme particulier qui est véritablement le salut et qui par là‑même cesse d'être pour lui seul.

 

A mon avis, on peut comprendre aussi à partir de là qu'il n'y ait pas un pareil recours à l'individu particulier dans d'autres religions. L'hindouisme ne vise pas en fin de compte l'ensemble, mais l'individu qui opère son salut personnel, en s'évadant hors du monde, hors de la roue de la Maya.

 

Parce que dans son intention la plus profonde, il ne cherche pas l'ensemble, mais voudrait seulement arracher l'individu à la perdition, il ne peut reconnaître un autre individu particulier qui ait pour moi une signification et un rôle de salut décisifs. En dévalorisant le tout, il en vient ainsi à dévaloriser également l'individu, parce que la catégorie du «pour » disparaît 39.

 

   En résumé, les réflexions précédentes nous auront permis de constater que le christianisme procède du principe de “corporalité” (historicité); qu'il doit être pensé au plan de l'ensemble et n'a de sens qu'à ce niveau‑là, mais que pour cette raison même, il pose et doit poser un principe du «particulier », qui constitue son scandale et qui pourtant apparaît ici intrinsèquement nécessaire et rationnel.

 

2) Le principe “pour »

 

   Parce que la foi chrétienne exige l'engagement de l'individu, mais en lui demandant d'être pour l'ensemble et non pour lui-même, le mot « pour » exprime la véritable loi fondamentale de l'existence chrétienne: c'est la conclusion qui découle logiquement

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de ce qui précède.

 

C'est pourquoi dans le sacrement principal, celui qui forme le centre du culte chrétien, l'existence de Jésus‑Christ est présentée comme une existence “pour la multitude » «pour vous 40 », comme l'existence ouverte qui rend possible et opère la communication de tous entre eux par la communication en Lui.

 

C'est pour cela que l'existence du Christ, comme nous l'avons vu, s'accomplit et se réalise comme existence exemplaire lorsqu'il est « ouvert” sur la croix.

 

C'est pour cela que, annonçant et expliquant sa mort, il peut dire: « Je m'en vais et je viens vers vous » (Jn 14, 28) : du fait que je pars, la cloison de mon existence qui me limite maintenant, est brisée; et ainsi mon départ est véritablement ma venue, dans laquelle je réalise ce que je suis réellement, c'est‑à‑dire celui qui rassemble tous les hommes dans l'unité de son nouvel être, celui qui n'est pas limite, mais unité.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon