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32. Un moment il sembla permis de croire que quelque puissant prince catholique allait se lever dans un deces élans magnanimes qui trois siècles auparavant avaient engendré de si brillantes prouesses et de si grands résultats : le duc Philippe de Bourgogne venait d'envoyer une flottille dans les eaux du Levant, et, réunissant toute sa noblesse dans un banquet splendide, il avait fait serment de marcher lui-même contre les Infidèles ; il se rendit même en Allemagne pour conférer à ce sujet avec l'empereur. Mais ce n'était point ainsi qu'on se préparait autrefois à la croisade, dans les délices de la table et par de vaines parades en champ clos; on s'y préparait dans le jeûne et la prière, par le renoncement aux mondaines vanités. C'est pourqoi les grands projets du noble duc s'évanouirent avec la fumée des festins : il ne pouvait, disait-il, s'aventurer dans une expédition lointaine, parce que le roi de France, qui ne partait pas, profiterait sans doute de son éloignement pour se livrer à des entreprises contre ses Etats. Le roi de France de son coté disait que la crainte d'un retour offensif des Anglais sur le continent l'empêchait de se mettre en route. Les mauvais prétextes ne firent pas défaut non plus aux princes d'Allemagne pour s'abstenir de la croisade. En sorte que, si les restes de la Grèce purent encore être préservés pendant quelque temps d'une entière ruine, le Souverain Pontife ne parvint à ce résultat qu'en surmontant les
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plus grandes difficultés. De concert avec Alphonse d'Aragon, il fit tenir à Scanderbeg des sommes considérables, afin que le héros Albanais fût à même de prolonger la lutte contre les Ottomans. Le conquérant de Constantinople avait déchaîné sur l'Epire pour la dévaster douze mille hommes de cavalerie sous les ordres d'Amésa. Scanderbeg parvint à les entourer, en tua un grand nombre et força les autres à se rendre. Mahomet furieux envoya Débréa avec une nouvelle armée, et les Macédoniens auraient certainement succombé sous des forces de beaucoup supérieures, s'ils n'avaient, par l'entremise du Saint-Siège, reçu d'Occident quelques secours.
§ V. PREMIÈRES LUEURS DE LA RENAISSANCE
33. On ne peut refuser à Mahomet II des qualités réelles d'homme d'Etat. Au premier moment de la conquête, le fanatisme, la violence et la tyrannie n'auraient pu que la compromettre. Il le comprit en assurant aux vaincus le libre exercice de leur culte, il éloigna de leur esprit les velléités de retour à l'indépendance, qui auraient compromis ou retardé la consolidation de son pouvoir. N'était-il pas le fils d'une chrétienne? On le vit se rapprocher sans affectation du vénérable patriarche Gennadius et s'enquérir simplement des vérités du catholicisme, en sorte qu'on put concevoir l'espérance d'une conversion. Mais il ne voulait par là que donner le temps à la domination ottomane de pousser de fortes racines. Plus tard, le farouche sectaire du Coran, l'irréconciliable ennemi de la foi romaine et du nom chrétien, jeta le masque du politique : il favorisa le retour au schisme parmi les Grecs, le schisme étant la première étape vers l'apostasie1. La nouvelle de la prise de Constantinople par les Turcs produisit sur les Sarrasins et les Maures
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1 Jakkoz., Manet., Vit Nicol. v, ano. 1153. — Ms. bibl. Val., sign. nutu. 2045.
—PniLF.i.pn., xix, ad Foscur. equitem. — Monstkelet., Hist., vol. m, p. 55, 56.
—Marin. Bari.et., Vit. Scanderbeg., vu.
TrjRCOGR.EC, II.
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l'effet d'une commotion électrique : ceux-ci conçurent le dessein de rentrer en possession de leurs antiques conquêtes en Espagne. A la voix de leurs marabouts, ils se jetèrent sur la Castille avec un élan auquel rien ne semblait devoir résister. Ils s'emparèrent de plusieurs places et portèrent de toutes parts la dévastation, le massacre et l'incendie. Les habitants de Médina-Cœli tremblèrent derrière leurs murailles et sollicitèrent les secours du Saint-Siège pour les réparer. Mais ce fut en ce moment même où tout semblait désespéré, en cette funèbre année 1453, que la Providence mettait le salut de la civilisation catholique dans un berceau : en Espagne venait de naître ce Ferdinand qui devait chasser les Maures du royaume de Grenade et reculer fort au loin en Afrique et dans un nouveau monde les limites de l'empire de Jésus-Christ.
34. L'Angleterre, qui devait plus tard dérober à l'Espagne le sceptre des mers, était à cette époque peut-être plus malheureuse encore : le duc Richard d'York y soulevait de furieuses tempêtes, un bouleversement dont l'Histoire n'offre que de bien rares exemples. Richard se posait en prétendant à la couronne, comme descendant par sa mère de Lionel, fils d'Edouard III. Il avait pour complices et pour alliés Edouard de Salisbury, Thomas Gourtenay, comte de Devon, et le célèbre Warwick, son maître plutôt que son complice. Avec leur secours, il parvint à prendre la haute main dans le comté de Kent, et put réunir des forces respectables. Le roi Henri, rassemblant à la hâte ses troupes, accourut pour l'écraser, avant qu'il eût eu le temps de se fortifier davantage. Le duc rebelle, ne se sentant pas de taille encore à soutenir onvertement la lutte, eut recours à la dissimulation : il avait agi, dit-il, uniquement pour se soustraire à la persécution du duc de Somerset, qu'il accusait de plusieurs crimes. II licencia son armée, se rendit auprès du roi, et promit de demeurer toujours fidèlement soumis à son autorité. La paix semblait faite par l'intermédiaire du légat apostolique : elle fut de bien courte durée. Le duc de Somerset, premier ministre, était accusé par celui d'York du crime de lèse-majesté. En se disculpant, il retourna l'accusation contre son adversaire, et demanda que le prince fût jeté dans les fers, que la vé-
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rité fût établie par les procédures ordinaires et par la question. Il ne put cependant réussir: Richard resta libre par la crainte qu'on eût de son fils Edouard, qui s'avançait sur Londres avec des troupes d'élite. Ces circonstances, au lieu de ramener Richard à la modération, ne firent que le confirmer dans ses projets ambitieux. A force de mensonges et d'obsessions, de concert avec ses complices, il extorquait à la curie romaine des lettres qui le déliaient du serment prêté à son roi, lettres que le Pape déclara nulles et de nul effet dès qu'il eut été mis au courant de ce qui se passait.
35. Occupés de ces dissensions intestines, les Anglais menèrent fort mal leurs affaires à l'extérieur. L'année d'avant, le seigneur Lesparre et quelques autres nobles, qui ne pouvaient se plier à la domination française, leur avaient livré par trahison Bordeaux et quelques autres places d'Aquitaine ; mais en 1453, ils furent combattus non loin de Périgueux, en essayant de faire lever le siège de Castillon, perdirent les villes qu'ils avaient recouvrées, et, pressés jusque dans Bordeaux, achetèrent leur salut au prix de leur retraite en Angleterre. Charles VII, pour empêcher une nouvelle défection des Bordelais, fit élever deux grandes forteresses qui les tinrent en respect, et, comme le seigneur de Lesparre essaya de susciter encore des soulèvements, il paya de la tête son audace et son obstination. L'empire de la France était désormais affermi pour toujours en Aquitaine1. En Bohême, l'excès même de désordres récents faisait éclore tout à coup de sérieuses espérances d'un prochain retour à l'unité catholique. Un insigne brigand, du nom d'Axamit, ayant réuni sous ses ordres tout ce qu'il avait pu trouver d'assassins et de criminels de la pire espèce, s'était rendu tellement redoutable en Pannonie, que le régent Hunyade se voyait dans l'impuissance de mettre le royaume à couvert de ses forfaits et de ses déprédations. Maintenant, le Bohême avait à redouter la contagion de semblables calamités. Des députés partirent pour Vienne, et demandèrent qu'on leur livrât Ladislas pour le couronner solennellement à Prague, afin que leur patrie n'eût plus
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1 POLYD. VlRGIL., Hist. AngL, XII1I. — Mo.nstrelet., Ilisl., vol. m, pag. 18, 41, 55, 57 i't 65.
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à craindre d'autres révolutions. Comme on avait en ce moment à s'occuper de graves affaires intéressant l'Autriche et la Moravie, le départ du jeune prince fut retardé jusqu'à la Saint-Michel. La chose eut lieu : Ladislas, alors âgé de treize ans environ, fut couronné et sacré solennellement à Prague, en cette année 1453, selon le rit catholique, bien que le régent Podiébrad fût le porte-drapeau des sectaires de Jean Huss. L'archevêque hussite Rokyczsana fut rigoureusement exclu de la cérémonie. Du reste, pendant le séjour assez long que le jeune roi fit en Bohême, il donna des marques éclatantes de son aversion pour l'hérésie et de son attachement inébranlable à la foi romaine 1.
36. La Ville Eternelle elle-même ne fut pas à l'abri des commotions de cette année si tourmentée : dans les premiers jours fut dé- couverte et déjouée une conjuration des plus dangereuses contre la vie et la dignité du Souverain Pontife et des cardinaux. Le chef et l'âme en était le chevalier Etienne Porcaria, fauteur de continuelles séditions, et qui avait été pour cela même exilé à Bologne. Il quitta cette ville sous un travestissement, gagna Rome à marches forcées par les routes privées de surveillance, et, rassemblant ses amis, leur fît part de ses projets et de son plan de révolte. N'était-il pas honteux, disait-il, que certe ville, longtemps jadis la maîtresse de l'univers, fût maintenant sous le joug des prêtres? Des prêtres! elle aurait moins à rougir d'être sous celui d'une femme. Il venait, lui, prêt à délivrer la patrie de cette dégradante servitude. La chose serait aisée s'ils étaient dignes du nom d'hommes. Le jour de l'Epiphanie, le Pape devait pontifier à Saint-Paul ; il n'y avait qu'à étendre les bras pour le prendre ; le peuple, par amour de la liberté, viendrait aussitôt en aide à ceux qu'il entendrait la proclamer. — Il apportait, pour lier Nicolas V, une chaîne d'or qu'il avait préparée d'avance ; il la fit voir aux conjurés, ajoutant que son avis n'était pas de mettre à mort le Pontife, mais de le retenir sous bonne garde jusqu'à ce qu'il eût consenti à leur livrer le château Saint-Ange. Les secrets de la faconde tribunitienne lui
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1. AEN. Sylv., Epist., 136, iï2.; Bohem. hist., 02. — Cocl. llisi. Bussit., n. — Dcbrav., xiix. — Micnov., îv, 65 in fine; et alii.
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étaient familiers : il rangea tout le monde à son sentiment avec d'autant moins de peine qu'il avait appelé tous ceux qui ne pouvaient rien espérer de la paix, des hommes perdus de dettes et de mœurs, ayant à redouter les recherches de la justice. Nicolas V, prévenu à temps, envoya des troupes pour saisir les conspirateurs. Etienne Porcario fut découvert et pris chez sa sœur, au fond d'une armoire, où il se cachait à demi-mort d'épouvante. Les autres furent faits prisonniers dans la maison même où ils s'étaient réunis. Un seul, Baptiste Sciarra, homme à la main prompte, d'un courage à toute épreuve, trouva le salut dans la fuite en se frayant un passage avec son épée à travers les rangs des pontificaux. Etienne fut pendu aux créneaux du château Saint-Ange ; les autres prisonniers le furent à ceux du Capitole.
37. Echappé providentiellement à ce danger, Nicolas V put se consacrer avec une activité nouvelle à cette collection de manuscrits et de traductions qui sera son éternelle gloire, et, surtout après la chute de Constantinople, recueillir les plus précieux trésors de la littérature et les fugitifs qui les portaient à l'Occident 1. L'année 1454, vit se produire les efforts les plus sérieux pour l'organisation d'une croisade contre les Turcs. Au mois de mai, une grande diète fut réunie à Ratisbonne. Philippe de Bourgogne, Louis de Bavière, Albert de Brandebourg et d'autres barons s'y rendirent. AEnéas Sylvius, au nom de l'empereur, fit un discours si plein d'ardeur et d'éloquence qu'il électrisa l'assemblée. La guerre sainte fut décrétée d'enthousiasme. On décida néanmoins qu'il convenait de demander à la France de joindre son contingent à l'armée des croisés; aux Italiens d'équiper une flotte, ayant pour destination de fermer les bouches de l'Hellespont et du Bosphore, d'infester le littoral des territoires ennemis. Mais trop peu de princes étaient venus à Ratisbonne pour qu'on y prît une détermination définitive ; Frédéric lui-même s'était abstenu, demeurant en Autriche, de crainte que les prochains mouvements en Hongrie ne portassent atteinte à ses
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1 AEs. Stlv., Europ., 5, 8. — Gobelin., Comment., 1. II. — SiErB. Infissuh., Ms. bibl. Vat., Bign. num. 111. — Facius., Vit. Âlfons. reg., x. — Ram. Vola-ier., Anlrop., un. — Jahnoz. Mamct., Vit. Nicol., v, lib. I et II.
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intérêts. On convint donc de la réunion d'une autre diète à Francfort, pour l'organisation comme corps d'armée et comme argent1. Malgré les démarches faites, cette diète de Francfort eut moins d'assistants encore que la précédente, au point que les esprits inclinaient à revenir sur la résolution d'entreprendre la croisade. Il fallut une seconde fois l'éloquence enflammée d'AEnéas Sylvius, pour qu'où ne vit pas les contractants de Ratisbonne retirer honteusement leur parole2. Nonosbtant le maintien de la décision antérieure; tout était encore à peu près à faire, puisque la pacification de l’Occident, sans laquelle l'expédition ne pouvait être fructueusement entreprise, était loin d'être conclue. Des lueurs d'espérances traversèrent pourtant ce sombre horizon:par exemple, lorsque l'humble Augustin Simonnet Camers, eut obtenu la réconciliation de tous les peuples d'Italie. Malheureusement cette paix, par où l'homme de Dieu prétendait arriver à tourner toutes les forces des Chrétiens contre les Turcs, était acceptée par les contractants dans un tout autre esprit; et la preuve, c'est que les Vénitiens, aussitôt après la pacification de l'Italie, s'empressèrent de renouveler la trêve qu'ils avaient conclue deux ans avant avec les Turcs3.
38. Une autre paix non moins utile à la cause catholique fut celle de l'Aragon avec la Castille. Le roi Jean de Castille étant mort à Valladolid, le 20 juin 1454, eut pour successeur son fils Henri. La reine d'Aragon se rendit aux fêtes du couronnement, munie des instructions les plus larges de la part de son mari et de son beau-frère de Navarre ; par son entremise eut lieu une complète entente, qui mit fin à tous les différends entre les trois États. Un pareil succès, qui ne put être obtenu, eût été cependant bien désirable touchant la réconciliation du prince Charles de Viana avec son père Jean II, alors roi de Navarre, et plus tard d'Aragon. Voici les causes de cette longue et funeste guerre civile, qui ne fi-
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1Gotius., Comment., i. — /Es. Stlv., Epiât., 127.
8Gobeux., Comment., i. — JEs. Sylv., epist. 12ï.
' A.ytos., p. m tit. x.vi, 12. — Collenut., vi. — Facios, x. — Mafias., xiii, 16. — /Ex. Stlt., Europ., 49 et 58 ; et epist. 121. — Jaxkoz. JIaket., Ms. bibl. Vatic, siga. num. 2045, in Vit. Nicol. v, 1. n.
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rent qu'attiser les factions des Beaumont et des Gramont. Jean, prince aragonais, était devenu roi de Navarre du droit de sa femme Blanche. Devenu veuf, il se remaria. Charles, fils de Blanche, prétendit que la couronne ne pouvait être retenue plus longtemps sans injustice par son père, après l'intrusion d'une marâtre qui cherchait évidemment tous les moyens de la transmettre à ses descendants. Le prince était soutenu par la puissante faction des Beaumont et l'alliance des rois de France et de Castille. Mais Jean avait pour lui les Gramont, presque tout le peuple, et les Aragonais. C'est ainsi que la Navarre fut déchirée pendant plusieurs années par ces dissensions entre le père et le fils1, drame lugubre qui finira par une mort tragique. Dans le Nord, la guerre entre Canut de Suède et Christiern de Danemark empêcha ce dernier de répondre à l'appel de l'empereur pour la croisade. Plus loin sur la Baltique, la révolte des Prussiens contre les chevaliers Teutoniques, et l'injuste appui donné aux rebelles par l'ambitieux Casimir de Pologne, entretenaient également un état de guerre, que le Souverain Pontife, par l'entremise de son légat le cardinal de Cusa, ne parvint pas à faire cesser, et qui fut cause que ces peuples ne purent pas non plus se joindre aux autres puissances catholiques contre les Turcs2. En 1155, les députés des villes et des princes adhérents à la croisade, eurent une première conférence à Neubourg, en Autriche, avec l'empereur Frédéric; aucune résolution définitive n'y fut encore prise pour un prompt départ. Pendant ce temps, les Infidèles agrandissaient toujours le cercle de leurs conquêtes : Athènes et toute la Grèce, Caffa et toutes les colonies génoises de la mer Noire tombaient en leur pouvoir3.
39. Nicolas V, sentant sa mort prochaine, voulut faire devant les cardinaux réunis un minutieux examen des actes de son pontificat et leur en expliquer les causes. Ce discours est le plus beau testa-
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1Mariaîi., de reb. Hispan , 11, 15 et 17. — Gaiiival., xxvii, 4S ; xxvm, 23, 25.
2. AE.n. Sïlv., Europ., 29. — Micnor.j iv, 60. — Ciiom r., xxii, 23. — Kranti. Wandal., su, 17 et 20.
3Ako.nïm., Twcogrxc. Iiistor., n, 137.
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ment qu'un prince ait jamais pu faire. Après s'être donné cette suprême consolation d'un sage, il put consacrer toutes ses pensées au passage de cette vie d'épreuves à celle qui fixe notre sort éternel. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 mars 1435, après huit ans de règne, et fut enseveli dans la basilique de Saint-Pierre. A cinquante-six ans, il succombait sous le poids de ses sollicitudes pastorales, plutôt que sous un mal caractérisé. Comme l'un de ses prédécesseurs était mort de la bataille de Tibériade, il mourut de la prise de Constantinople. Nicolas V doit être mis au premier rang parmi les plus grands papes de tous les âges. II dota Rome d'utiles et splendides monuments : le palais de Sainte-Marie à la Crèche et le temple de Saint-Étienne du Cœlius furent reconstruits; il bâtit l'église de Saint-Théodore, dans la plaine entre le Capitole et le Palatin ; le Panthéon d'Agrippa restauré fut couvert d'un dôme de plomb ; le palais du Vatican était déjà dans sa pensée ce qu'on le voit encore ; il jeta les fondements d'une enceinte qui devait mettre ce palais et la basilique du Prince des Apôtres à l'abri de ces surprises et de ces coups de mains qui s'étaient produits à toutes les époques. Plusieurs des œuvres attribuées à Léon X doivent être restituées à Nicolas V. On lui dut le rétablissement du pont Milvius et l'agrandissement des thermes Viterbiens ; presque toutes les rues des faubourgs furent pavées par son ordre. Ami des grands travaux d'architecture, il soutint de sa protection et de ses libéralités ceux qui les exécutèrent. Passionné pour l'étude, il fut un protecteur non moins éclairé des lettres et des savants que des arts et des artistes. Il confia la traduction des anciens livres à des hommes d'un mérite reconnu qu'il récompensa généreusement; nommons Grégoire de Trébizonde, Laurent Valla, Pierre Candide Décember, Georges Castellano, les grecs Démétrius et Philelphe. Il aima d'ailleurs tous les hommes distingués de son temps, Horace Romano, Nicolas Perrolti, Tortelli d'Arezzo, Albert de Florence, Blondus Flavius de Forli.
40. Il pratiqua largement l'aumône, surtout envers les nobles que des revers de fortune avaient réduits au besoin. Un grand nombre de vierges pauvres lui durent la faveur d'un établissement
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sortable. Il reçut toujours magnifiquement tous les ambassadeurs envoyés à sa Cour. Son tempérament bilieux le prédisposait à des mouvements subits de colère ; mais il les comprimait aussitôt et rentrait dans la sérénité de son âme. Celte irritabilité fut le seul travers que put reprocher la malveillance à ce noble caractère, qui ne mérita pas moins bien des hommes que de Dieu. Il poussa jusqu'au scrupule le désintéressement, le mépris des richesses, au point de ne pouvoir être soupçonné de la moindre compromission, même lointaine, dans un acte de simonie. Reconnaissant envers ceux qui servaient l'Eglise en le servant, zélé pour la justice, travaillant sans relâche à l'établissement ou bien à la conservation de la paix, indulgent aux fautes d'autrui, sévère pour lui-même, rigide observateur des cérémonies et ne négligeant rien de ce qui pouvait accroître l'éclat du culte divin, il était réellement un roi-pontife. Ces admirables qualités qui avaient grandi avec lui dans l'ombre de sa vie privée et qui l'avaient porté à la plus haute dignité de ce monde, devinrent les ornements du souverain pontificat et parurent l'avoir acquis par lui. On eût put croire qu'il avait été élevé dès le berceau pour être le prince des princes de la terre, et non qu'il s'était élevé jusque-là de la plus modeste condition. Et ce qu'il y a de plus admirable peut être dans Nicolas V, c'est qu'on est obligé de convenir qu'il ne suivit jamais un vain désir de célébrité personnelle, et s'inspira toujours de la pensée d'agrandir la gloire de l'Église Romaine et de la Religion. C'est le mobile qu'il donnait lui-même aux actes de son pontificat, dans le beau discours adressé aux cardinaux assemblés autour de son chevet d'agonie, et l'Histoire n'a pu que confirmer cette franche appréciation. Nicolas sut mériter les éloges sans réserve de tous les écrivains de son temps; sa vie fut si pleinement intègre, que les auteurs hétérodoxes eux-mêmes n'y trouvent rien à reprendre1.
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1Jakhoz. Manet., lib. III, Vit. Nicol., v, Ms. biW. Vat. sign. num. 2046. — Gobei.in., Comment. Pu II, 1. I. — UARTnOL. e Tirnc, Ms. Vnt., fign. mini. m. — Paul. Brnedict., Ms. Vat., sign. nuru. 110. — Anton., i:i p. tit. xxn, 14 in principio. — /Eu. Stlv., de Europ., 58. — Platik., Vit. Nicol. v. — Alphons. Ciacon., in Nicol. y. — Philelph., lit). XII, Epist. nd Nicol. Arcimbuld.: et xm, epist. I ad Callist. — Cocl., Hist. Hussit., m.