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Ce Concile fut un refus décidé d'un christianisme de l'adaptation. Le théologien Arius, d'Alexandrie en Egypte, avait proposé dans les années précédentes un modèle extrêmement simple d'un christianisme adapté. Il expliquait la foi chrétienne comme un monothéisme au sens strict de la pensée philosophique. Cela signifiait avant tout que la désignation « Fils de Dieu » pour le Christ ne devait pas être prise à la lettre. En conformité avec le monothéisme philosophique, le Christ ne pouvait pas être Dieu au sens propre: il ne pouvait être qu'une créature intermédiaire dont Dieu s'était servi pour la création du monde et pour ses rapports avec les hommes. Le mot «Dieu” ne pouvait être employé pour le Christ que pour ainsi dire entre guillemets mais, avec les explications nécessaires, on pouvait pourtant le permettre à la piété138.
Cette solution paraissait extrêmement sympathique : ce que le mot « Fils de Dieu” avait de choquant pour la philosophie était écarté, la christologie complètement insérée dans la structure des possibilités des conceptions dominantes. D'un autre côté on pouvait de cette façon expliquer aussi les textes bibliques et maintenir le langage de la tradition. Les Pères de Nicée se refusèrent à cette offre. Ils soulignèrent que la Bible en son point le plus décisif, dans le témoignage de Jésus‑Christ, pouvait et devait être prise à la lettre. Si elle dit « Fils”, c'est que justement elle pense Fils. Les Pères traduisirent ces mots “Fils de Dieu” dans la formule “le Christ est de même nature
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que le Père”, Dieu au sens littéral et pas seulement Dieu entre guillemets. Ils introduisirent la formule « de même nature que le Père” dans leur confession de foi. Sous les paroles bibliques on semblait ainsi introduire un concept philosophique. Mais ce n'était que pour dire sans équivoque que la Bible devait être prise sérieusement à la lettre et qu'il ne fallait pas la dissoudre par un effort d'adaptation philosophique aux vraisemblances du sens commun. Le recours de la foi à la philosophie se réalise ainsi dans une direction inverse de celle d'Arius. Tandis que celui‑ci mesure le christianisme selon les critères de l'intelligence éclairée et le transforme selon cette mesure, les Pères du Concile utilisent la philosophie pour rendre évident de façon non équivoque ce qui distingue le christianisme 139.
Par cette décision on sauvait le sérieux religieux du christianisme, et par là même son rang d'instance spirituelle propre. Mais d'un autre côté c'était évidemment trop demander au monde éclairé de l'époque. Bien que la confession de Nicée fût couverte par l'autorité de l'Empereur et par celle des évêques, donc par les autorités politiques et religieuses compétentes, elle ne put tout d'abord s'imposer qu'en Occident, où le rôle prépondérant de l'Évêque de Rome lui apportait son plein soutien. En outre, l'Occident se trouvait à l'écart des grands mouvements philosophiques du temps et n'était donc pas si exposé que l'Orient de langue grecque aux crises spirituelles provoquées par elle. En Orient pourtant se dressait presque seul, avec son oui sans compromis au concile de Nicée, le grand évêque d'Alexandrie Athanase. On voit alors s'imposer dans toute l'étendue des Églises d'Orient ce désordre indescriptible dont parle Basile: on inventait continuellement de nouvelles formules de compromis qui pourtant, au lieu d'unifier, ne faisaient que multiplier toujours plus la division des partis.
En face de cette situation, Constantin avait déjà commencé à se détourner de la doctrine de Nicée qui n'arrivait pas à s'imposer. Son fils Constance mena une politique décidée d'abandon de la confession du concile. Comme politicien il essaya d'établir l'unité sur la base du plus petit commun dénominateur. Là où le concile avait dit que le Christ était égal au Père en nature, maintenant surgissaient diverses formules qui au lieu de cela parlaient d'une similitude du Fils avec le Père. Constance s'attacha à l'expression qui disait que le Christ était “semblable au Père conformément à l'Écriture” ; il fit approuver cette for-
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mule en 360 par un Synode de Constantinople, ce qui privait officiellement de toute valeur la confession de Nicée 140. Politiquement parlant, cela devait nécessairement apparaître comme un compromis extrêmement judicieux, car la foi y était étroitement référée à la Bible. La formule dit en effet qu'il en est du Christ comme cela se trouve dans la Bible. Par là on atteignait une solution en apparence très pieuse, qui établit la foi exclusivement sur la lettre de l'Écriture. Mais en même temps on refusait à l'Église sa propre capacité de décision et on remettait entre les mains de l'État l'ordonnance concrète des affaires de l'Église.