Monothélisme 6

Darras tome 16 p. 108

 

p108       TONTIFICAT CE  SAINT  EUGÈNE  I   (634-657).

 

   19. Enfin un quatrième témoin, le patrice Grégoire, fils de Photinus, se présenta, à la requête du sacellaire, et déposa en ces termes : « A Rome, dans sa cellule où je l'étais allé voir, comme je disais à l'abbé Maxime : L'empereur notre maître est à l'a fois monarque et pontife, son disciple Anastase s'écria : Non, non, il n'est pas pontife, il n'en est pas digne ! » Cette naïve déposition, que l'histoire a enregistrée, nous révèle tout le système religieux et politique des empereurs de Byzance. Ne pouvant plus être dieux à la façon des césars païens, ils voulaient du moins joindre le pon­tificat à leur titre impérial, et dicter des croyances à leurs sujets comme ils dictaient des lois. L'idée n'est pas morte avec leur em­pire. Nous la retrouverons à d'autres époques, sous d'autres climats, et jusque dans notre siècle, où le scepticisme des hommes d'État ne refuse pas de s'allier avec les plus bizarres superstitions. Saint Maxime prit fort au sérieux les paroles qui nous semblent aujour­d'hui si ridicules. «Seigneur Grégoire, dit-il au témoin, ayez la crainte de Dieu en pensée. Dans l'entretien que vous rappelez, le moine Anastase mon disciple n'a pas prononcé un seul mot. — Puis se prosternant jusqu'à terre, Maxime s'adressa aux sénateurs et dit : Permettez à votre serviteur de reproduire très-exactement devant vous la conversation que j'eus à Rome avec le seigneur Grégoire, quand il daigna venir me visiter dans ma cellule. Après m'être prosterné devant lui, selon l'usage, et l'avoir embrassé, quand nous fûmes assis : Seigneur, lui dis-je, quel motif vous amène dans cette ville et me procure le bonheur de vous voir? — Il me répondit: Le très-excellent empereur notre maître, que Dieu conserve, dans sa sollicitude pour la paix des églises, m'a chargé d'une mission près du saint et vénérable pape ; il m'a remis les offrandes qu'il adresse au bienheureux apôtre Pierre. Il veut rétablir la communion entre Rome et Constantinople, il a fait choix de ma médiocrité pour cette négociation. — Gloire à Dieu qui vous a trouvé digne d'un tel ministère ! m'écriai-je. Mais quelles conditions sa sérénité bénie met-elle à l'alliance des deux églises ? — Une seule , dit Grégoire , reconnaître le type. — En ce cas, repris-je, la tentative, je le crois, sera infructueuse. Les Romains

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ne sauraient permettre qu'on supprime d'un même coup et les en­seignements dogmatiques des pères et les impures élucubrations de l'hérésie. Ce serait éteindre la vérité sous prétexte d'étouffer le mensonge, faire disparaître la lumière en voulant dissiper les ténèbres. Que devient Jésus-Christ notre Dieu, s'il est interdit de prêcher la parole qu'il nous a enseignée ? — Mais, répliqua-t-il, le type ne détruit pas les saints oracles, il prescrit le silence dans l'in­térêt de la pacification générale. — L'Écriture sainte elle-même, répondis-je, nous apprend que le silence en ce cas est une véritable destruction. Vous savez la parole de David : Non sunt loquelœ neque sermones, quorum non audiantur voces eorum1. S'il n'est per­mis ni de prêcher ni d'entendre la parole de Dieu, il est évident par ce mot de l'Écriture que la parole divine est détruite. — De grâce, me dit-il, n'entrons pas dans cette forêt des Écritures. Je me contente du symbole. — Et comment, lui demandai-je, pouvez-vous concilier le symbole et le type ? — En quoi donc, répliqua-t-il, le type nuirait-il au symbole? — Il le détruit entièrement, dis-je. — Comment cela? demanda-t-il. — Récitez, je vous prie, le symbole, dis-je. — Et il commença ainsi : «Je crois en Dieu, le père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles. » — Arrêtez-vous là, repris-je, et apprenez comment on détruit de nos jours la foi de Nicée. Dieu ne saurait être créateur sans avoir une volonté et une opé­ration essentielle à sa nature divine. Dans l'incarnation, Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme ne saurait donc être dépouillé de la double volonté et  opération essentielles à sa  nature  divine et à sa nature humaine. Vous dites : Faisons la paix ; ne par­lons point de la double opération et volonté naturelles en Jésus-Christ. A ce compte, les Juifs pourraient nous dire : Faisons la paix, vous ne parlerez plus du baptême, nous ne parlerons pas de la circoncision, et nous voilà d'accord. Les ariens tenaient le même langage au grand empereur Constantin, qui eut le mal­heur de les favoriser trop. Ils disaient : Qu'on ne parle ni de

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1 Psalm. xvin, 3.

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consubstantialité ni de diversité de substance, et toutes les divi­sions seront finies. Les docteurs et les pères n'en continuèrent pas moins à faire usage du mot consubstantiel, qui exprimait clairement la vérité orthodoxe. Ils affirmèrent le droit et le devoir qu'ont les pontifes de rechercher et de définir les dogmes de l'É­glise catholique. —Eh quoi ! s'écria Grégoire, tout empereur chré­tien n'est-il donc pas pontife ? — Non certes, répondis-je. Un empe­reur ne monte point à l'autel, il ne consacre ni ne baptise, il ne fait pas l'onction du chrême, il n'impose les mains ni aux évêques ni aux prêtres ni aux diacres. En un mot, il porte la couronne et la pourpre, mais non les insignes du pontife, le surhuméral et l'évan­gile. — Mais alors, objecta-t-il, que devient le texte de l'Écriture qui dit formellement que Melchisédech fut roi et pontife?» —Cette instance de l'ambassadeur byzantin est curieuse comme échantillon de la théologie officielle des courtisans. Maxime connaissait mieux que nous cette théologie, il savait toute la profondeur du mal; l'ecthèse et le type étaient des actes pontificaux de l'empereur. Le saint abbé prit donc la peine de réfuter en forme une objection qui nous fait aujourd'hui hausser les épaules. «Voici, ajoute-t-il, comment je répondis à Grégoire : Melchisédech, seul, sans précédent et sans suc­cesseur, fut la figure du roi unique, notre Dieu, qui devait un jour pour le salut du monde devenir grand pontife. Si vous transportez à n'importe quel autre personnage la royauté et le sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech, oserez-vous lui en attribuer aussi les ca­ractères distincts, énumérés par l'Écriture : Sans père ni mère, sans généalogie, sans commencement ni fin 1 ? Voyez les monstrueuses conséquences de votre doctrine. Il se trouvera qu'un autre que Jésus-Christ sera Dieu incarné selon l'ordre de Melchisédech, mais l'ordre d'Aaron manquera à ce pontife inventé pour la perte des âmes. Est-il donc besoin d'une plus longue démonstration? La litur­gie sainte distingue clairement ce que vous voudriez confondre. Au mémento des morts, après avoir fait mémoire des pontifes, des prêtres, des diacres et de tout l'ordre sacerdotal, les empereurs sont nommés

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1 Hebr., VII, 3.

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au rang des laïques en ces termes : Et eorum qui in fide dormierunt laïcorum, Constantini, Constantis et reliquorum. Au mémento des vivants la même distinction subsiste : le nom des empereurs n'est prononcé qu'après celui des pontifes, des prêtres et de tout l'ordre sacerdotal. » — Ici le vénérable accusé fut interrompu par les exclamations furieuses des sénateurs, qui voulaient faire preuve de zèle en soutenant la théologie impériale. Entre tous, l'abbé Menas se signalait par l'éclat de sa voix. « En parlant ainsi, dit-il à Maxime, tu as déchiré l'unité de l'Église ! «Le sacellaire, le visage en feu, interpellait les sénateurs : « Vous pouvez, disait-il, écrire ce que vous avez entendu à l'exarque Calliopas. Demandez-lui comment il a laissé vivre un pareil scélérat ! » Cet orage mit fin à l'interrogatoire. Maxime, chargé d'injures, allait sortir emmené par les gardes, lorsque Menas, dont la rage n'é­tait pas satisfaite, s'approcha du confesseur : « La justice de Dieu devait t'atteindre en ce jour, lui dit-il, toi qui n'as cessé de séduire les âmes et de prêcher les erreurs d'Origène ! » Le saint vieillard trouva encore assez de force pour repousser cette nouvelle accusa­tion. Élevant la voix de manière à être entendu de toute la salle, il s'écria : « Ànathème à Origène, à ses doctrines, à tous ses fauteurs ! — Le patriarche Épiphane s'adressant alors à Menas : Seigneur abbé, lui dit-il, votre grief contre Maxime ne tient pas. Si Maxime fut autrefois origéniste, il vient de purger son hérésie en criant anathème à Origène. » — On introduisit alors le moine Anastase, mais personne n'était disposé à continuer une séance déjà si longue. Sous prétexte que l'accusé dont la voix était naturelle­ment très-faible parlait trop bas et qu'on ne pouvait entendre ses réponses, les gardes reçurent l'ordre de le frapper à coups de pieds et de poings. Après quoi, on le reconduisit demi-mort dans son cachot1.

 

20. Cette laborieuse journée n'était pas finie. Vers le soir, le patrice Troïlus et le majordome du palais Sergius-Eucrates se rendirent à la prison de Maxime. Leurs manières et leur langage avaient une bienveillance affectée; ils firent asseoir le captif, et ayant

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1 S. Maxim, acta ; Pair, grac, tom. XC, col. H4-H9.

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pris place à ses côtés, lui dirent : «Seigneur abbé, racontez-nous quelle fut la teneur de vos conférences avec Pyrrhus en Afrique et à Rome. Par quels arguments décisifs avez-vous pu le convaincre au point de le faire anathématiser sa propre croyance pour em­brasser la vôtre ? » Maxime leur donna à ce sujet tous les détails que sa mémoire put lui fournir1, et il ajouta en terminant : «Quant à moi, je n'ai pas la prétention d'avoir une croyance qui me soit personnelle. Ma foi est celle de l'Église catholique, elle ne m'appar­tient pas en propre. — Vous ne voulez donc pas, lui dirent-ils, communiquer avec le siège patriarcal de Constantinople? — Non, répondit le saint vieillard. — Et pourquoi? demandèrent ses in­terlocuteurs. — Parce que les neuf chapitres de Cyrus d'Alexan­drie, dit-il, l'ecthèse publiée autrefois par Sergius et le type actuel sont subversifs de la foi orthodoxe, de la doctrine des con­ciles œcuméniques. Les pontifes de Rome et le dernier synode de Latran ont déposé le patriarche de Constantinople ; je ne saurais dès lors communiquer avec lui. — Ainsi, dirent les deux émissaires, vous seul êtes dans la voie du salut, et nous autres, nous serons damnés ? — Les trois enfants dans la fournaise, répondit Maxime, ne damnaient personne, bien qu'ils souffrissent le martyre pour leur fidélité au Seigneur. Daniel dans la fosse aux lions faisait de même. Dieu me préserve, moi aussi, de damner qui que ce soit : mais je suis prêt à mourir plutôt que de trahir ma conscience. — Que ferez-vous donc, interrompirent les agents, lorsque vous ver­rez les Romains eux-mêmes communiquer avec nous? Hier les apocrisiaires de Rome sont arrivés ici, et demain dimanche ils communiqueront in sacris avec le patriarche. Voilà bien la preuve que vous seul entreteniez les Romains dans leur hostilité contre nous. A peine avez-vous disparu du milieu d'eux, que l'accord est rétabli. —Les légats venus de Rome, répondit Maxime, communi­queront peut-être avec le patriarche, ainsi que vous le dites. Là n'est point la question. Il faut savoir s'ils sont porteurs d'une lettre pour lui. Je ne saurais croire que les Romains consentent

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1 Cf. chap. précédent, n° 16.

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jamais à rétablir la communion avec votre église, si vous ne recon­naissez explicitement deux volontés et deux opérations naturelles en Jésus-Christ. — Encore une fois, reprirent les deux patrices, si l'union a lieu sans la clause dont vous parlez, que ferez-vous? — Je répéterai la parole de l'Apôtre : Anathème même à un ange qui prêcherait un évangile différent de celui qui nous a été ensei­gné ! — Vous attachez donc une bien grande importance à ce qu'on distingue en Jésus-Christ deux volontés et deux opérations? — Je crois cette distinction absolument nécessaire, si l'on veut rester dans la foi catholique. Les pères s'accordent à dire que chaque nature se reconnaît à ses opérations substantielles. Or, comment recon­naître le Christ pour vrai Dieu et vrai homme tout ensemble, si on le dépouille des deux opérations humaine et divine? Otez au lion son rugissement et la faculté de le produire, il n'y a plus de lion ; de même pour toutes les natures possibles, dépouillez-les de leurs pro­priétés constitutives, elles ne subsistent plus. — Ce que vous dites est vrai, nous le reconnaissons. Mais pourquoi contraster l'empereur? C'est uniquement en vue de la paix qu'il a promulgué le type. Son intention n'était nullement d'altérer en quoi que ce fût la doctrine théologique de l'Incarnation. » —Après cet aveu des interlocuteurs, la discussion cessa, et le saint vieillard, se livrant à de pieuses effusions, parla avec tant d'élévation et de charme, que Troïlus et le majordome ne purent dissimuler leur respectueuse sympathie. Enfin Sergius dit à Maxime : « Je vous retrouve aussi éloquent que dans votre cellule de Chrysopolis, à l'époque où j'avais souvent le bon­heur de vous entendre. Dieu vous protégera, calmez vos inquié­tudes. Un seul point nous désole tous, c'est que vous détournez un grand nombre de personnes de la communion avec notre église. — Le serviteur de Dieu répliqua : Peut-on citer un seul homme à qui j'aie dit : Ne communiquez pas avec l'église byzantine? — Le seul fait de vous en abstenir vous-même, reprit Sergius, est plus éclatant que ne serait un coup de tonnerre. » Comme on disait ensuite que l'Occident tout entier anathématisait le type, Troïlus demanda au saint : « Trouvez-vous donc juste qu'on déshonore ainsi le nom du très-pieux empereur ? — Maxime répondit : Que
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Dieu pardonne à ceux qui ont conseillé au prince de publier le type, et à ceux qui ont enregistré cet édit ! — Qui sont ceux-là? demanda Sergius. — Les ecclésiastiques ont conseillé, reprit le saint vieillard, et les sénateurs ont enregistré. C'est de la sorte qu'une hérésie, dont l'empereur n'est personnellement pas cou­pable, rejaillit sur son nom. Ayez le courage de lui donner un bon conseil. Qu'il prenne exemple sur son aïeul Héraclius de pieuse mémoire. En apprenant que l'ecthèse le faisait passer en Occident pour un hérétique, ce grand prince dégagea sa responsabilité et écrivit au bienheureux pape Jean en ces termes : « L'ecthèse n'est point mon œuvre; je ne l'ai point dictée, je n'ai chargé per­sonne de la rédiger pour moi. Le patriarche Sergius l'avait com­posée cinq ans avant mon retour de l'expédition contre les Perses. Quand je fus rentré à Constantinople, il me pria de la souscrire et de la publier en mon nom. J'accueillis sa supplique. Maintenant que l'ecthèse est devenue pour plusieurs un sujet de scandale, je fais savoir à tous qu'elle n'est pas mon œuvre personnelle.» De­puis cette déclaration, l'ecthèse porte le nom de Sergius. Que le pieux empereur fasse de même, et sa mémoire demeurera sans souillure. — Les deux interlocuteurs secouèrent la tête en silence; puis après quelques instants de réflexion : Tout cela, dirent-ils, présente bien des difficultés et des complications. » Après quoi ils saluèrent le saint vieillard et sortirent1.


   21. Le samedi suivant, Maxime et son disciple Anastase furent de nouveau amenés au palais sénatorial pour un second interrogatoire. Le deux patriarches Pierre de Constantinople et Macaire d'Antioche assistaient à cette séance, mais ni l'un ni l'autre ne jugea à propos de prendre la parole. Anastase comparut le premier. « Est-il vrai que tu aies anathématisé le type? lui demandèrent les juges. — Non-seulement je l'ai de vive voix anathématisé, mais j'ai signé une profession de foi renfermant cet anathème. — Ne veux-tu pas main­tenant reconnaître ta faute?— A Dieu ne plaise, s'écria-t-il, que je considère comme une faute l'accomplissement d'un devoir sa-

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1 Act. S. Maxim., tom. cit., col. 120-125.

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cré ! » Rien ne put lui arracber un désaveu, et il fut ramené en prison. Maxime fut alors introduit dans l'assemblée, et le patrice Troïlus lui dit : «Abbé, comprenez votre situation, dites la vérité, et l'empereur vous fera miséricorde. Si vous nous forcez à une enquête légale sur les griefs articulés contre vous, le texte de la loi emporte une sentence de mort. — Vous savez fort bien, répondit Maxime, que les accusations dont vous parlez sont autant de calom­nies et de mensonges. Maintenant faites de moi ce que vous voudrez. Je sers Dieu, aucune injure ne saurait m'atteindre. — Mais, dit Troïlus, n'avez-vous pas anathématisé le type?— Oui, répondit Maxime, je vous l'ai dit déjà plusieurs fois. — Vous avez anathé­matisé le type, donc vous avez anathématisé l'empereur. — Non, reprit le serviteur de Dieu, je n'ai point anathématisé l'empereur, mais seulement un écrit condamné comme hérétique. — Où donc cet écrit fut-il condamné ? — A Rome, par un concile réuni dans l'église de la Mère de Dieu au Latran. » Le préfet du prétoire lui demanda : « Veux-tu, oui ou non, communiquer avec l'église de Constantinople ? — Non, répondit-il, je ne le veux pas. —Et pour­quoi ? répliqua le préfet. — Parce que l'église de Constantinople rejette l'autorité des conciles œcuméniques. — Elle la rejette si peu, objecta le préfet, que dans les diptyques sacrés elle nomme à l'autel les conciles généraux. — Qu'importe qu'on les nomme, dit le saint, quand on renverse leur croyance? — Pourrais-tu, dit le préfet, nous le démontrer? — Si le sénat le désire, dit Maxime, je suis prêt à lui fournir des preuves péremptoires. » — L'as­semblée ne répondit pas à cette mise en demeure. Il y eut un moment de silence, après lequel le sacellaire demanda à Maxime : « Pourquoi as-tu juré une telle haine aux Grecs, et réserves-tu pour les Romains tout ton amour ? — Le serviteur de Dieu répondit : La loi de Jésus-Christ nous défend de haïr personne. J'aime les Romains, leur foi est la mienne ; j'aime les Grecs, leur langue est ma langue, leur pays est ma patrie. — Quel âge as-tu? — Soixante-quinze ans. — Et ton disciple? — Il en a trente-sept. — Un des clercs qui assistaient à la séance s'écria : Vieillard, Dieu te rend tout ce que tu as fait souffrir au bienheureux Pyrrhus ! —

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Maxime ne répondit rien à ce lâche insulteur. » On remarqua beaucoup le silence des deux patriarches de Constantinople et d'Antioche, lesquels ne prirent pas une seule fois la parole. A propos du concile de Latran dont il venait d'être question, Démosthénès pré­senta à Maxime une objection ainsi formulée : «Ce concile est sans valeur, puisque celui qui le présidait, le pape Martin, a été déposé. — Il ne fut point déposé, répondit le serviteur de Dieu, mais exilé. Montrez-moi, si vous le pouvez, les actes canoniques du synode où aurait eu lieu sa prétendue déposition. — Le patrice Troïlus interrompit le confesseur en ces termes : Abbé, vous ne savez ce que vous dites. Ce qui est fait est fait 1. » Sur cette belle théorie des faits accomplis, que notre siècle a empruntée tant de fois au bas empire, la séance fut levée, et le prisonnier reconduit dans son cachot.


   22. Le 48 mai 635 jour de la Pentecôte, Maxime reçut dans sa prison la visite de deux émissaires du patriarche byzantin. Voici en quels termes il écrivit dès le lendemain à son disciple Anastase le procès-verbal de cette conférence. «A quelle église appartenez-vous, me demandèrent-ils, à celle de Constantinople, de Rome, d'Antioche, d'Alexandrie ou de Jérusalem ? Toutes sont mainte­nant, ainsi que les provinces qui en dépendent, unies dans la même profession de foi. Si donc vous voulez encore rester membre de l'Église catholique, il faut vous rallier à sa doctrine. N'ayez pas la prétention de frayer au monde une voie nouvelle dont seul vous auriez fait la découverte. Autrement vous pourriez, mais trop tard, vous en repentir. — L'Église catholique, leur dis-je, a été fondée par notre Seigneur et souverain maître en la personne de Pierre, le jour où ce glorieux apôtre confessa la divinité de Jésus-Christ. Je serais heureux d'apprendre les bases sur lesquelles l'union dont vous me parlez s'est accomplie entre les diverses églises; je souscrirai volontiers à tout ce qui aura été légitimement et canoniquement accompli. — Bien qne nos ins­tructions soient muettes sur ce point, répondirent-ils, pour ne pas

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1. Act. S. Maxim.; Pdtr. lat., tom. cit., col. 126-130.

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vous laisser l'ombre d'un prétexte à alléguer encore, nous consen­tons à vous en faire la confidence. Nous avons reconnu deux opé­rations en Jésus-Christ en raison de la distinction des natures, et une seule en raison de leur union. — Prétendez-vous, demandai-je alors, que ces deux opérations n'en font qu'une à cause de l'u­nion hypostatique, ou bien qu'outre ces deux opérations il y en a une autre? — Nous disons simplement, répliquèrent-ils, qu'en raison de l'union hypostatique les deux opérations n'en font qu'une.—Mais, répondis-je, confondre les deux opérations en une seule à cause de l'union des natures, les diviser ensuite à cause de la distinction des natures, c'est en réalité ne laisser subsister ni une seule ni deux opérations. Il m'est impossible de souscrire une telle profession de foi. Dites-le à ceux qui vous envoient, et qu'ils fassent de moi ce qu'ils voudront, puisqu'ils en ont la puis­sance. — S'il en est ainsi, me dirent-ils, si vous refusez d'obéir vous serez anathématisé par une sentence du pape, et la peine capitale suivra l'anatbème. Telle est la décision prise par l'empe­reur et le patriarche. — Que les desseins de Dieu s'accomplissent, répondis-je. Ma vie et ma mort le glorifieront dans les siècles des siècles 1. » L'entretien finit de la sorte, et les envoyés se reti­rèrent. La défection des apocrisiaires qui venaient de sanctionner la nouvelle formule monothélite et de communiquer in divinis avec le patriarche, durant les solennités de la Pentecôte, portait déjà ses fruits. L'autorité de ces indignes légats compromettait celle du pape lui-même. Maxime allait être anathématisé par eux au nom du souverain pontife. L'injustice, la fourberie, l'erreur triom­phaient à Constantinople, par la connivence de ceux-mêmes qui avaient reçu mission de les combattre jusqu'à la mort. Il importait que le pape saint Eugène fût promptement et sûrement informé d'un état de choses si lamentable. Anastase réussit à faire parvenir aux moines grecs réfugiés dans l'île de Sardaigne, à Gagliari, une lettre où il expose la situation. « Trouvez un prétexte, leur dit-il, pour être autorisés le plus tôt possible à faire le voyage de Rome.

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1 S. Maxim., ad Anastas. monach. ; Pair, grœc, tom. cit., col. 132.

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p118        PONTIFICAT DE  SAINT  EUGÈNE  I  (654-657).

 

   Vous vous adresserez aux hommes pieux et fermes qui gouver­nent cette église fondée comme le rocher sur la foi immuable de Pierre, vous les instruirez de la défection des légats et des nou­velles manœuvres de l'hérésie 1. »

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