Darras tome 13 p. 2
§ I. Nestorius.
1. Durant l'intervalle qui avait séparé la levée du siège d'Hippone et la défaite de Bonifacius par les Vandales, l'empereur d'Orient, Théodose le Jeune, avait profité du départ des auxiliaires
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qu'il envoyait en Afrique pour adresser directement à saint Augustin, par un officier de sa cour, une invitation spéciale à un concile œcuménique dont l'ouverture était fixée au 7 juin 431, dans la ville d'Éphèse. Les lettres impériales n'étaient officiellement transmises qu'aux seuls métropolitains, et l'évêque d'Hippone n'avait pas ce rang hiérarchique. La primatie africaine appartenait à l'église de Carthage, dont le titulaire était depuis quelques années Capreolus, successeur du condisciple et ami de saint Augustin, Aurelius. Mais le génie du grand docteur valait, aux yeux de l'empereur d'Orient, toutes les dignités et les titres ; la nouvelle de sa mort n'avait pu encore parvenir à Constantinople. La missive impériale, datée du 19 novembre 430, arriva à Hippone vers les fêtes de Noël. Capreolus qui la reçut, loin de se montrer offensé d'une pareille préférence, déposa respectueusement la lettre sur le tombeau de l'immortel évêque, et l'ouvrit ensuite pour en prendre connaissance et aviser aux importantes mesures qu'elle prescrivait 1. Dans la déplorable situation de l'Afrique, il était impossible aux évêques de cette province de se rendre au concile. Capreolus s'y fit représenter par un diacre nommé Bessula. En la personne de ce délégué à la grande assemblée d'Éphèse, l'Église universelle devait contempler avec larmes la foi survivant au malheur et les sept cents évêchés jadis florissants, maintenant anéantis, de l'Afrique chrétienne !
2. L'hérésie du nestorianisme, parallèle à celle des pélagiens et sortie de la même source, venait de se produire en Orient et d'apporter de nouveaux désastres à une époque déjà si agitée. Après la mort d'Atticus patriarche de Constantinople (10 octobre 423), le suffrage populaire se porta sur le prêtre Sisinnius, qui administrait avec un titre paroissial l'un des faubourgs de Byzance nommé Elaia (l'Olivier). « Ce choix, dit l'historien Socrate, fut exclusivement l'œuvre des laïques. Le clergé ne l'approuvait pas. Mais le clergé lui-même était divisé en deux factions : l'une proposant le prêtre Philippe de Side, l'autre le prêtre Proclus. Les débats se prolongèrent quatre mois avec un véritable acharnement. Enfin,
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1.Labb., Concil., tom. III, pag- 532.
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le 28 février 426, le peuple l'emporta, et Sisinnius reçut la consécration épiscopale. Il s'en montra digne par sa modestie, sa douceur et sa charité. Son premier acte fut de promouvoir le prêtre Proclus au siège de Cysique. Il voulut le sacrer de sa main, honorant ainsi dans la personne d'un ancien rival la sainteté, le mérite et le talent. Mais les habitants de Cysique ne partageaient pas, à l'égard de Proclus, les sympathies du métropolitain et du clergé de Byzance. Ils se choisirent pour évêque un moine nommé Dalmatius, et le firent sacrer, au mépris des règles canoniques qui défendaient de procéder à aucune ordination épiscopale sans le consentement du patriarche. Sisinnius réclama vainement le maintien de son droit. Les habitants de Cysique répondirent que le privilège dont on arguait avait été personnel à Atticus et s'était éteint avec lui. Ils conservèrent donc l'évêque de leur choix. Proclus n'avait rien fait pour être promu à une dignité dont il redoutait bien plus qu'il n'ambitionnait le fardeau; il s'estima trop heureux d'en être ainsi déchargé. Revêtu du caractère épiscopal, il continua à évangéliser le peuple de Constantinople, qui goûtait extrêmement ses prédications. Philippe de Side ne montra pas le même désintéressement. Il avait été ordonné diacre par Jean Chrysostome, et se piquait à la fois d'éloquence et d'érudition. Il réfuta les écrits de Julien l'Apostat et composa une Histoire chrétienne divisée en trente-six livres, dont chacun forme plusieurs volumes, en sorte que le nombre de ces derniers atteint presque le chiffre de mille. Chaque sommaire remplit un tome entier. Il entassa dans cet ouvrage une érudition vraiment indigeste. Tous les systèmes de philosophie y sont longuement exposés : la géométrie, l'astronomie, les mathématiques, la musique même y ont place. La géographie, l'histoire naturelle, les descriptions topographiques et physiques y sont accumulées de façon à en rendre la lecture insoutenable. Le tout était pour arriver à incriminer l'élection de Sisinnius, à soutenir qu'elle avait été une injustice, et que le peuple de Constantinople s'était engoué fort mal à propos d'un prêtre qui n'avait ni la science ni la capacité de Philippe de Side. L'auteur se montre intarissable sur ce point, et ses expressions sont tellement
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inconvenantes que je n'ajouterai pas à la témérité qui les a inspirées celle de les reproduire 1. » Ainsi parle Socrate.
3. Nous n'avons plus l'Histoire chrétienne de Philippe de Side. Photius, ce lecteur infatigable, recula lui-même devant un pareil ouvrage. « J'en ai entrepris la lecture, dit-il. L'auteur commence à l’in principio de la Genèse et continue par l'histoire de l'Ancien Testament. Le premier livre remplit quatre-vingts volumes ; les vingt-trois qui suivent sont de même étendue. Je me suis arrêté là pour le moment. Prolixité stérile ; abondance de mots, peu d'idées ; hors-d'œuvre, digressions infinies, satiété et dégoût, telle est cette œuvre. Sous prétexte d'histoire, c'est un amalgame de récits incohérents. Le fond consiste à dire que Philippe de Side était préférable à Sisinnius pour devenir patriarche de Constantinople, et que cependant Sisinnius a été préféré1. » L'appréciation conforme de Socrate et de Photius ne nous permet pas de regretter beaucoup la perte de ces milliers de volumes. Qui sait pourtant s'ils ne renfermaient pas, à travers leur fatras prétentieux, quelques indications dont la science historique aurait profité? Quoi qu'il en soit, l'auteur et l'ouvrage eurent le même sort; ils sont restés inconnus. Sisinnius n'occupa que deux ans le siège de Constantinople. Il mourut le 24 décembre 427.
4. Les brigues recommencèrent avec une nouvelle chaleur. Les deux factions rivales se disposaient à prendre une éclatante revanche. Pour couper court à toute cette agitation, Théodose le Jeune, de concert avec Pulchérie sa sœur et l'impératrice Eudocia, signifia au clergé et au peuple qu'il n'accepterait aucun des candidats indigènes. II mit en avant le nom d'un prêtre d'Antioche dont la vertu, la piété, l'éloquence rappelaient, disait-on, celles de Chrysostome lui-même. Ce prêtre était Nestorius. Né dans une condition obscure, à Germanicia, petite ville de la province Euphratésienne 3, il était venu de bonne heure à An-
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1 Socrat, Jiist. eccles., lib. VII, cap. xxvi-xxviii; Pair, grœc, tom. LXVII, col. 800, 801. — 2. Phol., Myriobibl., eap.xxxv, Patr. grœc, tom. CII1, col. 68.
3 . La province d'Euphratesia-Augusta, en Syrie, était bornée à l'est par l'Osroène, au midi par la Phénicie et la Syrie première, à l'ouest par la Ci-
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tioche, et avait vécu quelques années dans le monastère, ou mandra, comme on disait alors, de saint Euprepius. Il s'y lia d'une étroite amitié avec Théodoret, le futur évêque de Cyr. Un goût passionné pour l'étude, une érudition dont il cherchait sans cesse à élargir le cercle par des lectures nouvelles, une grande facilité d'élocution, jointes à une voix sympathique, à une figure régulière et noble, le firent remarquer. Sa vie était exemplaire, la pureté de ses mœurs, sa modestie, son zèle le rendirent bientôt l'objet de la vénération publique. Il évitait le bruit, la foule, l'éclat. Quand il paraissait dans la chaire, on admirait son recueillement, la pâleur de son visage exténué par les mortifications, le jeûne et les veilles. La réputation de Nestorius était universelle en Syrie; on en parlait comme d'un génie et d'un saint. Un jour, le fameux Théodore de Mopsueste prêchant à Antioche laissa échapper dans son discours une proposition inexacte. Nestorius l'en reprit avec autant de ménagement dans la forme que de solidité dans le fond, et le lendemain l'évêque de Mopsueste n'hésita point à se rétracter publiquement. Cet incident ne permettait guère de soupçonner l'intime liaison qui existait entre Théodore et Nestorius. Elle était cependant très-réelle. Le prêtre d'Antioche professait pour l'évêque de Mopsueste une admiration sincère, un véritable culte. Le jugement chez Nestorius ne répondait pas aux autres qualités intellectuelles, d'ailleurs si brillantes, et plus tard le pape Célestin put dire : « Sa trop grande érudition lui a tourné la tête. » Théodoret, qui le connaissait à fond et qui demeura longtemps sous le charme de cette amitié du premier âge, en inscrivant, bien des années après, le nom de Nestorius dans la liste des hérésiarques, disait : « La vertu n'était pour lui qu'un moyen d'ostentation; il eût sacrifié la gloire de Jésus-Christ lui-même à la sienne propre. Ses discours qui me charmèrent autrefois n'avaient cependant rien de mâle, rien de naturel, rien d'émouvant; ils étaient calculés pour l'effet et pour les
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licie, et au nord par l'Arménie. Germanicia, patrie de Nestorius, porte dans les médailles le nom de Caesarea Germanica. Elle fut ainsi appelée par Antiochus, dernier roi de Comagène, en l'honneur du César Germanicus, père ce Caligula, qui lui avait rendu son royaume.
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pCHAP. I. — NESTORIUS.
applaudissements de la foule 1. » Dans son commerce assidu avec la personne et les ouvrages de Théodore de Mopsueste, Nestorius avait puisé le germe de l'erreur à laquelle il devait plus tard attacher son nom. Mais nul ne le soupçonnait alors. Sa promotion au siège de Constantinople fut accueillie avec faveur par le pape Célestin I et par saint Cyrille d'Alexandrie. Tous deux répondirent par des félicitations sincères à la lettre synodale des évêques de la province byzantine leur notifiant l'ordination du nouveau patriarche. Le sacre eut lieu le 10 avril 428, en présence et aux applaudissements de la cour, du clergé et du peuple.
5. « Ce jour-là même, dit Socrate, dans son discours d'inauguration Nestorius adressait à Théodose le Jeune cette apostrophe emphatique : Grand prince, donnez-moi la terre purgée de toutes les hérésies, et je vous donnerai en récompense le royaume des cieux. Aidez-moi à dompter les hérétiques, et je vous aiderai à subjuguer les Perses ! — Ce langage, continue l'historien, passa aux yeux de la multitude pour une preuve de zèle et de foi orthodoxes. Mais les esprits sérieux y virent une marque de présomptueuse vanité et d'ambitieuse violence. C'était en effet dès le début, et sans même avoir pris le temps de sonder le terrain, se poser en persécuteur. Cinq jours après, il entreprit de faire abattre l'église où les ariens continuaient à tenir leurs assemblées particulières. Dans leur désespoir, les ariens voyant leur temple livré à la pioche des démolisseurs, y jetèrent de leurs propres mains des torches enflammées. Le feu se propagea rapidement et gagna les maisons voisines. Ce fut l'occasion d'un tumulte effroyable ; les ariens faisaient retentir dans toute la ville des cris de vengeance. Grâce à Dieu, on put réussir à calmer cette émeute. Mais il en resta à Nestorius le surnom d'«incendiaire,» qui lui fut donné à la fois et par les ariens et par les catholiques eux-mêmes. Il n'en devint ni plus modéré ni plus circonspect. Les novatiens se virent à leur tour en butte à ses violences. Leur évêque Paul jouissait de l'affection et de l'es-
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1 Theodor., Hœretkarum fabularum compendium, Pair, lib. IV, cap. xu; grœc, tom. LXXXIII, col. 433.
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time générales. C'en était assez pour éveiller la haine et la jalousie de Nestorius. Cependant de puissantes interventions lui firent cesser ses excès. Il s'en dédommagea sur les Quartodécimans qu'il fit poursuivre à main armée dans les provinces d'Asie, de Lydie et de Carie. Il y eut à Milet et à Sardes des massacres sur lesquels je ne veux pas insister. Leur auteur devait bientôt expier tant de crimes. Une pareille conduite était manifestement opposée aux règles et aux traditions de l'Église. Elle trouva pourtant des imitateurs. Dans la province de l'Hellespont, Antoine, évêque de Germa, se crut le droit de faire contre les macédoniens de sa ville épiscopale ce que le patriarche de Constantinople faisait dans la sienne. Aux réclamations qui lui furent adressées, il opposait un ordre émané, disait-il, de Nestorius lui-même. On souffrit quelque temps sa tyrannie ; mais enfin, les macédoniens exaspérés ne mirent plus de bornes à leur vengeance. Ils soudoyèrent des meurtriers qui assassinèrent Antoine. Nestorius trouva dans cet attentat une nouvelle occasion de se livrer à ses fureurs. Il obtint un édit impérial qui dépouillait les macédoniens de leurs églises. Le décret fut exécuté dans toute sa rigueur. Les macédoniens proscrits furent impitoyablement spoliés non-seulement dans la petite cité de Germa, mais à Constantinople, à Cyzique, et dans toutes les villes de l'Hellespont. Quelques-uns d'entre eux, pour se soustraire à la persécution, embrassèrent la foi du consubstantiel, et rentrèrent dans la communion de l'Église. Nestorius qui mettait tant d'ardeur à dépouiller les autres allait sous peu se voir dépouillé lui-même 1. »
6. Dans ce récit de Socrate, il faut nécessairement faire la part de l'animosité du novatien contre un patriarche qui avait osé attaquer sa secte. Les violences ont sans nul doute été exagérées, et la responsabilité qui doit incomber à Nestorius en tout ceci demanderait, pour être mieux établie, un témoignage plus désintéressé et moins partial. En l'absence d'autres documents, il reste toutefois à sa charge une exagération visible d'intolérance et l'ardeur d'un
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1. Socrat., Hist. eccles., lib. VII, cap. sxix et xxxi.
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p9 CHAP. I. — NESTOBIUS.
zèle aussi intempestif que peu chrétien. Il est remarquable d'ailleurs que l'orthodoxie de Nestorius, si rigoureuse contre les autres hérésies, avait pour le pélagianisme des ménagements tout particuliers. L'erreur de Pélage avait été solennellement condamnée à Constantinople même, dans un synode byzantin : elle l'avait été à Antioche, patrie adoptive de Nestorius. Tout l'Orient connaissait l'anathème porté contre elle soit en Palestine, soit dans les conciles de Carthage, et ratifié depuis par la sentence définitive du pontife de Rome. Malgré cet éclat et cette notoriété vraiment universels, Nestorius affectait de n'avoir sur ce point aucun renseignement propre à éclairer sa religion. Voici en quels termes il écrivait à saint Célestin I : « Nous avons ici Julianus (d'Éclane), Florus, Orontius et Fabius qui se disent évêques italiens. Plusieurs fois ils se sont adressés au très-pieux et très-illustre empereur, se plaignant d'être injustement persécutés pour la foi. J'ai eu moi-même à entendre leurs lamentations, et ils ne cessent de revenir à la charge. J'aurais besoin de savoir la vérité sur leur compte, afin de pouvoir prendre un parti à leur égard. Je voudrais surtout donner à l'empereur des renseignements qui ne soient point en opposition avec ceux que vous aurez à fournir. L'ignorance où je me trouve à ce sujet m'exposerait soit à accabler injustement des malheureux dignes de compassion, soit à encourir l'indignation de votre béatitude dont le zèle pour la foi est si connu, en accueillant des coupables qu'elle aurait condamnés1. » Cette lettre sembla d'autant plus étrange à Rome que la condamnation de Julianus d'Éclane et des évêques ses adhérents avait été entourée d'une publicité immense et notifiée à toutes les églises de la catholicité. Le pape ne se pressa point de répondre. De son côté, Nestorius renouvela plusieurs fois sa demande de renseignements. Dans une autre lettre qui nous est restée de lui, il disait à saint Célestin : « Souvent déjà j'ai écrit à votre béatitude au sujet de Julianus, Orontius et les deux autres évêques leurs compagnons. Ils continuent à réclamer près du très-pieux et illustre empereur ; ils m'adressent à moi-même
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1 Nestor.,Epis!, ad Cœtestin.; Pair, lat., tom. L, col. 438.
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leurs requêtes et se plaignent avec larmes d'avoir été indignement persécutés par les catholiques d'Occident. Jusqu'ici je n'ai reçu aucune réponse de votre béatitude. Il m'est donc impossible de rien opposer de solide à leurs lamentations et à leurs doléances. Les bruits à leur sujet sont contradictoires. Les uns les traitent d'hérétiques et soutiennent que leur exil a été mérité ; d'autres affirment leur innocence; eux-mêmes enfin protestent avec serment qu'ils ont été calomniés, que tous leurs malheurs viennent de leur invincible attachement à la foi véritable. Je ne sais que croire. Les appuyer, s'ils sont réellement hérétiques, serait un crime: les repousser, s'ils sont innocents, serait une impiété barbare. Daignez donc, pontife chéri de Dieu, faire cesser mes incertitudes et mes perplexités. Apprenez-moi ce que vous pensez d'eux. Jusqu'ici j'ai pu les maintenir entre la crainte et l'espérance, dans l'expectative d'une réponse de votre béatitude; car vous n'ignorez pas, seigneur très-vénérable, que c'est chose importante et grave de juger une accusation d'hérésie, et d'absoudre ou de condamner en pareil cas 1. »
7. Le souverain pontife ne jugea point encore à propos de répondre à cette dernière lettre. Nestorius, au moment où il l'écrivait, ne tenait déjà plus la balance d'une main aussi impartiale qu'il le prétendait. Cœlestius, longtemps réfugié près de Théodore de Mopsueste, comme un fils dans la maison paternelle, venait d'arriver lui-même à Constantinople. Le vieillard de Mopsueste était mort l'année même de la promotion de Nestorius, qui alla l'embrasser une dernière fois en se rendant d'Antioche à Byzance. Privé d'un protecteur dont le pouvoir ne répondait pas au dévouement, Cœlestius en retrouvait un autre plus accrédité, dans la personne du nouveau patriarche. Il songea immédiatement à tirer parti de cette situation. Joignant ses instances à celles de Julianus d'Éclane et des trois autres évêques pélagiens, il sollicita de Théodose le Jeune la convocation d'un concile œcuménique, où la question de la grâce, «étouffée, disait-il, par l'ignorance des Occi-
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1 Nestor., Ad Cœlestin. papam; Patr. lat., tom. L, col. 442, 443.
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p11 CHAP. I. — NESTORIUS. I
dentaux, « serait enfin remise en lumière. Loin de s'opposer à cette requête, Nestorius l'appuya directement près de l'empereur par ses conversations, et indirectement près du peuple par la faveur dont il entourait les proscrits. Il les admit à sa communion, il affectait de les avoir toujours à ses côtés dans la célébration des saints mystères, il parlait de leur future réhabilitation comme d'un triomphe pour la foi catholique. Or, il se trouvait en ce temps à Constantinople un laïque venu d'Occident, nommé Marius. Le surnom qu'il se donne lui-même de Mercator (marchand), semblerait indiquer qu'il voyageait pour son négoce et parcourait ainsi les différentes cités de l'empire. Il avait eu l'occasion de connaître personnellement saint Augustin, dont il possédait à fond la doctrine, et dont il admirait les écrits. D'un style simple, mais substantiel et nerveux, il rédigea en grec un Commonitorium1, ou « Mémoire » sur l’hérésie de Pélage et de Cœlestius. Il y inséra le texte même des erreurs de ces sectaires, et celui des conciles ou des lettres pontificales qui les avaient anathématisés; puis il l'adressa à l'empereur Théodose, en même temps qu'il en répandait par milliers des exemplaires dans le clergé et le peuple de Byzance (429). L'effet de cette publication inattendue fut d'autant plus décisif que Marius-Mercator avait pris soin de rappeler textuellement les termes de la condamnation portée contre Cœlestius et Pélage dans les deux conciles de Constantinople et d'Antioche. C'était démasquer la fourberie de Nestorius, en prouvant que sa prétendue ignorance des faits antérieurs relatifs à l'histoire pélagienne était une imposture, puisqu'à Antioche d'où il sortait l'erreur de Cœlestius avait été flétrie sous ses yeux, et que, d'un autre côté, les archives ecclésiastiques de Constantinople renfermaient les documents les plus explicites à ce sujet. Le Commonitorium parut si clair que Théodose le Jeune prit le parti de chasser de la ville Cœlestius et ses adhérents. Cette mesure était un véritable échec
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1 Marius-Mercator, Commonitorium de Cœlestio, imperatori oblatum; Pair, lat., tom. LXVIIt, col. 64. Nous n'avons plus le texte grec de cet ouvrage, dont la traduction latine retrouvée dans deux manuscrits, l'un du Vatican, l'autre de l'église da Beauvais, a été publiée pour la première fois en 1673, par le P. Garnier, savant jésuite, né à Paris en 1612, et mort à Bologne en 1681.
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p12 PONTIFICAT DE SAINT CÉLESTIK I (422-432).
pour Nestorius. Il prit plaisir à l'aggraver, en adressant au chef pélagien une lettre d'encouragement et de condoléance. Elle était conçue en ces termes : « A l'honorable et très-religieux prêtre Cœlestius, Nestorius, salut dans le Seigneur. Supportez patiemment, vénérable frère, les injustes persécutions de gens qui croient soutenir la vérité en vous refusant leur communion, comme si vous étiez impur et souillé. Les saints qui nous ont précédés sur la route du ciel ont porté courageusement leur croix. La souffrance passe, mais la vérité est éternelle. Jean-Baptiste, pour avoir repris Hérode, le roi d'alors, fut condamné à avoir la tête tranchée ; il ne trembla pas, car il savait que les hommes étaient impuissants à décapiter le Christ, son chef. Paul et Pierre furent de même immolés 1. Mais à quoi bon multiplier les exemples? Il en fut ainsi toujours; la piété ne va jamais sans épreuves. Demeurez donc inébranlable dans la vérité; n'imitez point la défaillance de tant d'évêques dont les rescrits au synode d’Occident et à celui d'Alexandrie accusent la lâcheté. La foi orthodoxe vous est connue. Peut-être le Seigneur daignera-t-il prendre en pitié son Église, et faire quelque chose pour son triomphe ! Je salue tous les frères qui sont avec vous. Conservez santé, force et courage, très-religieux frère, priez pour moi et puissiez-vous bientôt nous être rendu 2 !» (430.)