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CHAPITRE V
1. Translation à Hippone, en l'an 424, des reliques du martyr Etienne. - 2. Janvier, prêtre d'Hippone, lègue en mourant à cette Eglise une somme d'argent qu'il s'était réservée bien qu'il eût adopté la vie de communauté. - 3. Augustin fait à ce sujet un discours au peuple, refuse le don, le rend aux enfants de Janvier, et déclare à ses clercs, que, si quelques-uns d'entre eux voulaient garder de l'argent, il leur permet d'habiter hors du palais épiscopal et de conserver l'honneur de leur grade. - 4. Dans un second discours, il déclare que tous ont persévéré dans leur dessein de suivre la vie de communauté, qu'ils ont horreur de la propriété, et que si l'un d'eux conservait de l'argent, il serait rayé du nombre des clercs; il excuse aussi auprès du peuple ceux qui possédaient encore quelques biens. - 5. Terrible châtiment de dix enfants maudits par leur mère. - 6. L'un d'eux, nommé Paul, est guéri miraculeusement auprès d'Hippone. - 7. Quelques jours après, Palladie est aussi guéri. - 8. Augustin confie à Quintilien Galla et Simpliciola.
1. Il n'y avait pas encore deux années révolues qu'Augustin possédait à Hippone les reliques du martyr Etienne, lorsqu'il travaillait à son dernier livre de la Cité de Dieu, terminé, comme nous l'avons dit (1) sur la fin de l'année 426 (2). Il ne put donc recevoir ces saintes reliques que sur la fin, au plus tôt, de l'année 424. Il est même à peu près certain que le quatrième sermon (3) sur saint Etienne fut prononcé le jour de la réception des reliques, et le cinquième (4) avant qu'elles ne fussent placées sous l'autel. Le saint évêque déposa, en effet, pour y être vénérées, ces reliques dans une chapelle de son église et sur la voûte, il fit tracer quatre vers, pour apprendre aux fidèles que les prodiges extraordinaires accomplis par l'intercession et les reliques de saint Etienne devaient être rapportés à Dieu seul, leur auteur (5). Pour faire connaître ces miracles, Augustin, le premier de tous, introduisit en Afrique la coutume que ceux qui en auraient été l'objet, les publieraient dans un mémoire et seraient ainsi pour tous les fidèles un témoignage public (6). Ainsi furent recueillis en moins de deux ans à Hippone près de 70 de ces récits et le jour où le saint prélat prononça son sixième sermon sur le martyre de saint Etienne (7), il fit donner lecture de l'un d'eux. Parmi tous les miracles arrivés à Hippone durant les deux premières années après la translation des reliques du bienheureux, Augustin ne cite par leur nom que trois morts rappelés à la vie; et il y ajoute la guérison de Paul et de Palladie (8) que nous reporterons sur l'année suivante. Or, si nous plaçons en 424 la translation de ces reliques à Hippone, rien n'empêche de regarder comme ayant trait à l'édicule, où elles reposaient, les paroles du saint prélat dans son second sermon sur la vie et les mœurs de ses clercs, prononcé vers le commencement de l'année 425, peu de temps après l'Épiphanie, et où (9) il dit que la chapelle de saint Étienne fut construite par les soins et aux frais du diacre Héraclius (10). Si au contraire les reliques du martyr n'étaient parvenues à Hippone qu'en 425, il serait plus difficile de prétendre que l'édicule, élevé par Héraclius, eût été consacré à saint Etienne. Car dans ce cas, le sermon où il est parlé des reliques n'aurait pu être prononcé qu'au commencement de l'année 426, alors qu'Héraclius ne remplissait encore que les fonctions de diacre ; plus tard seulement il fut élevé au sacerdoce (11), et peu après, le 6 des calendes d'octobre de l'année 426, désigné par Augustin pour être son successeur et prendre en mains l'administration et la direction des affaires de l'église d'Hippone.
2. Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que le saint évêque était accablé de vieillesse et avait tous ses cheveux blancs lorsqu'il prononça devant le peuple d'Hippone ses deux célèbres sermons sur la règle de vie de ses clercs (12). Voici à quelle occasion. Nous avons vu, dans les premiers temps de son épiscopat, que ce saint homme rassemblait dans sa demeure épiscopale tous ses clercs, avec lesquels, après
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(1,~ De la cité de Dieu. Liv. VII, eh. iv, n. 4, liv. XXII, cli. viii, n. 20. (21) Sern?., cccxvif. (3) Serm.
cccxvili. (1) se,M., cccxl'x, n, 7. (5) De la cité de M u. liv. XXII eh, viii, n. 20. (6) 'Zerm. cccxix. (7) M., B,
17-19. (8) Id., n. 22, 1,CCCLVI, n. 7. ~îl) Lettre caxiii. ~,!2) Seî?ii. CCCLv,n.7 ; Serrn.,
cccLvi, n. 7-13.
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avoir abandonné tout titre de propriété, il vivait en parfaite communauté de tout bien (1). Il n'ordonnait personne à la cléricature qu'à la condition de suivre avec lui cette vie de communauté (2); et il en avait pris l'engagement devant l'assemblée du peuple dans un discours plein d'éloquence. Il se contentait d'apprendre à tout clerc que sa règle de vie serait désormais celle de sa demeure (3), et pour la pratique, il préférait s'en remettre à leur conscience que de rechercher minutieusement s'ils avaient conservé quelques biens; car une pareille inquisition n'aurait pu être qu'odieuse. Mais un prêtre, du nom de Janvier, lui en imposa. Il vint un jour le trouver, promit d'observer la vie commune, habita avec les autres clercs et fut nourri des biens de l'Eglise. Or, il avait deux enfants, un fils et une fille, qu'il plaça pour les faire élever, à Hippone, le jeune homme dans un monastère, la fille dans un couvent; il devait sans doute avoir complètement renoncé à toute propriété et disposé de sa fortune comme il convenait à sa condition, et cependant on n'ignorait pas qu'il s'était réservé une somme d'argent assez considérable ; mais elle était, disait-il, pour sa fille, qui n'était pas encore sortie de l'enfance, et dont on ne pouvait encore affirmer la vocation pour la vie religieuse, bien qu'elle y fût déjà engagée, paraît-il, par quelque lien. Personne ne pouvait donc accuser le père de conserver ce qu'il disait lui appartenir, jusqu'à ce que devenue adulte, elle pût faire de cet argent ce qu'il convenait à une vierge du Christ. Pendant ce temps, Janvier tombe malade, dispose, dans son testament de l'argent comme s'il lui appartenait, déshérite ses enfants, en blâmant son fils, en louant sa fille, et meurt, laissant l'Église d'Hippone héritière de tous ses biens (4). Mais Augustin, dès qu'il eut découvert cette fraude dans un prêtre de sa communauté, en conçut la plus vive douleur et condamna cette action qui mettrait obstacle peut-être au salut de Janvier, et qui était de plus une offense et un scandale pour son Église, en détruisant cette bonne odeur de vertu que ses clercs répandaient parmi le peuple (5). Sa règle invariable était de rejeter toujours les héritages que des parents faisaient à l'Église au préjudice de leurs enfants; aussi s'écriait-il en parlant de Janvier (6) : « Que ce qu'il a laissé revienne à ses enfants et qu'ils en usent à leur gré. Car il me semble que si j'acceptais cet héritage, je participerais à cette action que je condamne et que je déplore (7).
3. Après avoir ainsi satisfait sa conscience, il crut de son devoir de défendre contre l'envie sa réputation auprès du peuple sous les yeux duquel il vivait, et de lui exposer sa conduite dans la crainte que quelqu'un ne prit de là une occasion de chute. Il invita donc les fidèles à se réunir le jour suivant, et lorsque tous furent arrivés, dans un discours simple et familier, mais très propre à émouvoir les esprits, il leur mit devant les yeux la règle de vie qu'il avait résolu de garder toujours avec ses clercs. Il exposa la faute de Janvier et la défense qu'il avait formulée à son église de ne pas recevoir cet héritage ; puis il déroula les raisons qui l'avaient engagé à rejeter aussi les autres héritages, malgré le blâme et la désapprobation de quelques personnes contre ce dessein si généreux, et si prudent (8). Ensuite pour ceux de ses clercs qui paraissaient avoir encore quelques biens en propre, soit qu'ils n'eussent pas encore partagé avec leurs frères l'héritage paternel, soit qu'ils n'eussent pas atteint l'âge qui leur permettait d'en disposer; il déclara qu'il leur avait ordonné, s'ils voulaient demeurer dans sa communauté de vendre et de dépenser tout ce qu'il leur restait, ou de le donner et de le mettre en commun, avant l'Epiphanie, fête qui devait se célébrer dans quelques mois (9). Il avait aussi décrété auparavant que quiconque quittait la vie commune, renonçait par là même à la cléricature, parce qu'il abandonnait sa promesse de vivre dans cette sainte société. Mais, dans son discours au peuple, il avoua qu'il avait résolu de changer cette loi ; qu'en conséquence, si quelque clerc aimait mieux posséder quelque bien en propre, que plaire à
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(1) Sel*M., CCCLV, n. 1-12. (2) Id., n. 6. (3~ Id., n. 2. (4) M., n. 3. (5) Ser»?., CCCLI, n. 2. (6) Id., CCCLV, t). 4. (7) id., n. 3. (8) Serm -, CCULV, D. 1. (9) Id., n. 6.
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Dieu et à l'Eglise, il pourrait le faire tout en conservant sa dignité, mais en quittant le palais épiscopal; et il ne cache pas le mal d'une semblable conduite, puisque c'était faillir à sa promesse et violer ses vœux, comme lorsqu'une vierge quitte le monastère où elle était entrée, tout en persévérant dans la virginité. Mais l'hypocrisie lui paraissait encore plus coupable, et dès lors il ne voulait pas les contraindre à se retrancher dans une dissimulation continuelle, ni qu'ils pussent prendre occasion de troubler l'Eglise par leurs plaintes sur l'exclusion de la cléricature, plaintes que peut-être quelques évêques même pourraient ne pas trouver injustes. Il aime mieux avoir des estropiés que de pleurer des morts (1). Il lui suffit, à lui, de leur avoir montré nettement combien grands sont leurs dangers et leurs malheurs; quant au reste, il le remet au jugement de Dieu. Lui, évêque, leur promet la conservation de leur dignité, mais c'est à eux de considérer s'ils peuvent espérer la félicité éternelle. Enfin il termine son discours en promettant au peuple de lui rapporter après l'Epiphanie ce qui en serait des clercs, sur la soumission desquels il comptait, et des enfants de Janvier à qui leur malheureux père, outre les autres maux, avait laissé un procès. La fille en effet prétendait que tout ce que son père avait laissé était à elle, comme lui-même l'avait affirmé tant de fois. Le jeune homme de son côté protestait contre le testament de son père qui avait disposé de l'argent, comme d'un bien propre, et non comme d'un dépôt appartenant à sa fille. Le saint prélat crut devoir intervenir comme un père, et promit de mettre fin à ce différend et de s'adjoindre un honorable laïque pour le juger selon les règles de l'équité (2). Mais le frère et la sœur le délivrèrent de ce soin : ils s'arrangèrent amicalement et suivirent le conseil du bienheureux qui les engageait à se partager la somme entre eux (3). Heureusement que les clercs ne lui causèrent pas de soucis; tous, prêtres, diacres, sous-diacres, et son neveu Patrice qui était de ce nombre, il les trouva tels qu'il les désirait, pas un seul ne manqua de courage ni de bonne volonté (4). S'il leur était permis d'avoir quelque bien, ils le gardaient pieusement et religieusement, non pour eux, mais pour les autres, et sans aucune idée d'avarice; tous embrassèrent la vie de communauté avec ses règles, et acceptèrent avec joie la loi du saint évêque, qui excluait de leur sein quiconque serait trouvé possédant quelque chose en propre (5).
4. Après la fête de l'Épiphanie, il fit donc part au peuple de ces bonnes nouvelles comme il le lui avait promis. Il comprenait que sa condition était d'être exposé aux reproches des uns et aux louanges des autres; mais ses amis n'étaient point intimidés par ceux qui ne l'aimaient pas. D'abord, il fit lire par le diacre Lazare le passage des actes des apôtres où est décrite la vie des premiers chrétiens, but vers lequel il voulait conduire ses clercs; puis reprenant lui-même ce passage, il rendit raison de ceux de ses clercs qui pour une cause légitime n'avaient encore pu se détacher entièrement de leur biens, ou à qui on supposait à tort quelque propriété. Et, pour l'avenir, il retira la permission qu'il avait accordée de vivre en dehors du palais épiscopal avec son bien, et déclara que quiconque serait surpris désormais, après son vœu, (à) posséder quelque argent, serait dégradé par lui de sa dignité cléricale : « Qu'il en appelle contre moi à mille conciles, s'écrie le saint homme, qu'il marche contre moi où il voudra; qu'il aille en un lieu quelconque : Dieu viendra en aide pour que là où je suis évêque, il ne puisse être clerc. Vous l'avez entendu, ils l'ont entendu eux-mêmes; mais j'espère de notre Dieu et de sa miséricorde, que de même qu'ils ont reçu avec joie notre règle de vie, ils la garderont avec un cœur pur et fidèle (6).» Après avoir rappellé aussi que la paix était faite entre les enfants de Janvier, il ajouta qu'il avait la douce espérance que ses amis témoigneraient hardiment leur allégresse, tandis que ses adversaires dévoreraient leur chagrin dans le silence; que, du reste, s'il y avait quelqu'un
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(1) S"ì'ììì-2-CrCLVI, n. 14. (2) CCCLv, n. 3, (3) Serm., CCCM, n. 11. (4) Id., n. 3. (5) Ibid., n. 14_. (6) Ibid.
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qui voulût le calomnier, il se chargeait de le confondre en public, si toutefois la chose en valait la peine (1). «Je veux, dit-il, que notre vie soit devant vos yeux. Je sais que des pervers, pour s'autoriser dans le mal, ne cherchent que des exemples de mauvaise conduite, et couvrent leurs frères d'infamie afin de faire croire qu'ils ont des exemples qui les justifient. Nous avons accompli notre devoir : il ne nous reste plus rien à faire. Nous sommes sous vos yeux, et nous ne désirons rien d'aucun de vous, sinon des bonnes oeuvres (2). » Ces paroles du saint prélat prouvaient évidemment que la plupart des clercs vivaient soumis à la règle établie ; car il parlait seulement de ceux dans la conduite desquels il y avait peu de chose à reprendre. Ses prêtres étaient pauvres, malgré les bruits que l'on faisait courir sur leur richesse, et ils n'avaient rien apporté dans sa société, sinon une charité sans bornes : « Les sous-diacres, dit-il, sont également pauvres par la grâce de Dieu, et ils attendent tout de sa miséricorde. Ils n'ont pas de quoi faire l'aumône, car n'ayant aucun bien, les cupidités du monde sont mortes dans leur coeur. Ils vivent avec nous dans une commune société, et personne ne fait de distinction entre eux et ceux qui ont apporté quelque chose. L'union seule de la charité doit être préférée aux avantages d'un héritage terrestre (3). » Quant aux diacres soupçonnés d'avoir failli à leur serment pour posséder quelque bien, il repousse loin d'eux toute accusation et les disculpe un à un. Enfin il termine par ces paroles : « Que personne ne calomnie les serviteurs de Dieu, car Dieu a horreur des calomniateurs. La récompense de ses serviteurs croît, il est vrai, en proportion des attaques dont ils sont victimes, mais le châtiment croit aussi pour les méchants. Or, nous ne voulons pas d'une récompense qui entraînerait votre perte ; nous préférons avoir moins dans le ciel, et vous y voir régner avec nous (4). »
5. La guérison de Paul et de Palladie arriva cette même année d'une façon toute divine. Ce miracle toutefois ne fut pas accompli à la même époque que ceux qui se firent à Hippone par la vertu des reliques de saint Étienne (5). Mais il fit tant de bruit et eut tant d'éclat, que personne dans la ville n'y fut étranger et ne put en ignorer les admirables détails (6). À Césarée, ville de Cappadoce, vivait une famille illustre qui comptait dix enfants, dont sept garçons et trois filles, parmi lesquels Paul était le sixième et Palladie la septième. Le père vint à mourir; et, quelques jours après ses funérailles, en présence de toute la famille, l'aîné accabla sa mère d'injures violentes et sacrilèges; elle(il) s'oublia même jusqu'à porter la main sur elle, sans qu'aucun de ses frères songeât à l'arrêter, ni à lui adresser une parole pour calmer sa fureur. La malheureuse mère ressentit la douleur la plus profonde d'une conduite aussi dénaturée ; et, emportée par un sentiment de colère fort commun aux femmes, elle fit éclater sa douleur et se vengea en maudissant son premier-né. « Elle s'avançait, dit Paul dans le récit de sa guérison, vers le baptistère sacré, après le chant du coq, pour appeler la malédiction de Dieu sur son fils; lorsqu'un démon survint, sous la ressemblance de notre oncle ; et, lui adressant le premier la parole, il lui demanda où elle allait. Elle répondit qu'elle allait maudire son fils, à cause de l'injure horrible qu'il lui avait faite. Et alors cet ennemi, facilement maître du cœur d'une femme en colère, lui persuada de maudire tous ses enfants. Excitée par les conseils du serpent, notre mère infortunée se jette sur la fontaine sacrée qu'elle enlace de ses bras, les cheveux épars, la poitrine découverte, et demande à Dieu, que, chassés de notre patrie et errants dans les contrées étrangères, nous allions effrayer par notre exemple toute la race humaine (7). » Dieu écouta ce cri de douleur, et quelque coupable qu'il fût, il voulut l'exaucer. Car dans les desseins impénétrables de sa justice, il se devait de châtier des fils coupables d'impiété envers leur mère. L'aîné fut donc saisi d'un horrible tremblement qui agitait ses membres même pendant le sommeil ;
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(1) Ibid., n. Il. (2) Id., n. 12. (3) Scrnz., CCCLVI, a. 8. (4) Id,, n. 15. (5) De la cité de Dieu, liv. XXII, eh. vin, n. 20. à la note maie de lit (6) Ibid., n. 22. (7) Serm., cccxxii. loi)]. 1. 26
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dans l'espace d'une année le même châtiment tomba sur tous ses frères et soeurs, selon l'ordre de leur naissance (1), et pour la malheureuse et infortunée mère, elle fut punie avec d'autant plus de rigueur qu'elle se voyait plus promptement et plus complètement exaucée . Ne pouvant supporter plus longtemps le souvenir de sa prière impie et l'opprobre des hommes, elle se pendit, terminant ainsi sa triste vie par une fin plus funeste encore (2). Ainsi une seule famille apprenait aux enfants le respect et l'obéissance qu'ils doivent aux auteurs de leurs jours, et rappelait à ceux-ci, qu'ils ne doivent jamais oublier leur nom ni se laisser emporter par un mouvement de violente colère contre leurs enfants. Les malheureux, frappés de la malédiction maternelle, ne purent supporter la vue de leurs concitoyens; ils s'éloignèrent de leur patrie ; partant les uns d'un côté, les autres d'un autre. Ils rendirent presque tout l'empire romain témoin de leur infortune (3), et portèrent la terreur chez les orgueilleux par l'exemple de leur supplice (4). Le second des frères recouvra la santé à Ravenne par le secours des reliques de saint Laurent, qui y avaient été récemment apportées. Paul et Palladie, inspirés sans doute par Dieu qui voulait manifester leur misère dans différentes contrées, se mirent en route pour visiter tous les lieux où l'on disait que s'opéraient des miracles. Entre autres villes, ils allèrent à Ancône, ville d'Italie, à Uzale, en Afrique, toutes deux célèbres par les prodiges du bienheureux Etienne. Mais ils ne purent y recouvrer la santé, ou plutôt Dieu qui aurait pu l'accorder sans aucune demande, réservait le spectacle de cette double guérison à Hippone la Royale. Lui-même daigna le leur apprendre dans une vision qu'ils eurent le jour même des calendes de Janvier, trois mois avant le miracle. « Un homme d'un aspect éclatant et vénérable par ses cheveux blancs, racontait Paul à Augustin, me disait que la santé que je désirais tant, me serait accordée dans trois mois. Dans sa vision, ma sœur voyait Votre Sainteté avec le même visage que nous vous voyons en ce moment; nous connûmes alors que nous devions nous rendre dans ce lieu. Pour moi, dans la suite, dans nos voyages de cité, en cité, je voyais souvent Votre Béatitude. Partout où nous allions, elle m'apparaissait telle que je la vois en ce moment. Avertis donc par l'autorité divine, nous sommes venus à Hippone quinze jours environ avant le temps prédit (5). » C'était alors probablement le 8 des ides de mars. Paul et Palladie se rendaient chaque jour à l'église, dans la chapelle de saint Etienne, et, les yeux baignés de larmes, ils suppliaient Dieu de leur pardonner leur crime et de leur rendre la santé, objet de tous leurs désirs. Là, comme partout, ils attiraient l'attention de toute la cité; et ceux qui les avaient vus ailleurs, et qui connaissaient la cause de leurs tremblements, en donnaient connaissance aux autres (6).
6. Enfin, la solennité de Pâques arriva, et le dimanche même au matin, lorsque déjà le peuple se pressait en foule dans l'Église, Paul tenait en priant la balustrade du sanctuaire qui contenait la châsse du martyr. Tout à coup il fut renversé et, semblable à quelqu'un qui dort, il cessa de trembler. Un grand saisissement s'empara des fidèles. Quelques-uns effrayés versaient des larmes, d'autres voulaient le relever; mais on les en empêcha en disant qu'il valait mieux attendre (7). Le jeune homme restait privé de sentiment ;, mais peu après, s'étant levé, il reconnut qu'il était délivré de son agitation. La guérison était complète (8). « Il était sans souffrance, dit Augustin, et regardait ceux qui se pressaient autour de lui. Oh ! alors qui, parmi les fidèles, ne rendit pas gloire à Dieu ? De tous les points de l'Église partaient des cris de joie et de reconnaissance. On accourait vers moi au moment où je me rendais à ma place: chacun se précipitait et répétait ce qu'un autre venait de dire. Pendant que, dans ma joie, je rendais grâce à Dieu, Paul lui-même arriva, accompagné d'une grande foule; il se
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(1) De la cité de Dieu, liv. XXII, eh. VII1,11. 22. (2) Serm., cccxxi.,. (3) De la cité de Dieu, livXXII, eh. vil,, il. 22. (4) Serm., uccxxiii, n. 1. (5) Serm-e cccxxii. (6) De la cité de Dieu., liv. XXII, eh.* vin, n. 22.
(7) Id., (8) Serni., c,~cxxji.
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jeta à mes genoux et me tint étroitement embrassé. Nous nous avançâmes alors vers le peuple. L'Église était pleine et de tous côtés on entendait ces joyeuses acclamations : Gloire, grâce, soient rendues à Dieu ! Personne ne gardait le silence. Je saluais le peuple, et les cris redoublaient. Lorsque le calme fut rétabli, on fit une lecture solennelle dans les saints Evangiles, et le moment du sermon arrivé, je ne dis que quelques paroles sur la circonstance et la joie universelle; voulant que mon peuple méditât plutôt dans son coeur la voix éloquente de Dieu dans le prodige qui venait de s'accomplir (1). » Il nous reste encore le petit discours que le saint prélat prononça à cette occasion (2), ou du moins le résumé de ce discours, car il est difficile de croire qu'il put se restreindre jusqu'à parler si peu. Cependant nous ne pouvons rien affirmer de certain, puisqu'il s'excuse lui-même de sa brièveté, alléguant pour motif sa fatigue et la longueur de l'office de la veille, qu'il n'aurait pu supporter, dit-il, jusqu'au bout, accablé qu'il était par le jeûne, si les prières. de saint Etienne ne l'eussent soutenu. Paulin nous donne dans la vie de saint Ambroise (3) une idée de ses immenses occupations, en disant que le samedi, jour où mourut l'évêque de Milan, cinq prélats purent à peine suffire à l'administration des baptêmes qu'Augustin avait coutume de donner lui-même tout seul. On peut comprendre, d'après le sermon, que Paul se tenait près d'Augustin, car celui-ci le montra au peuple et dit que sa présence tenait lieu des mémoires que les autres publiaient sur les bienfaits obtenus par l'intercession du bienheureux Etienne. Il parait, en effet, qu'Augustin se contenta de cela sans jamais demander à Paul le récit de sa guérison (4). Il l'emmena dîner chez lui et lui ordonna de raconter fidèlement toute l'histoire des malheurs de sa mère et de ses frères; et, le récit terminé, il résolut de le rapporter aux fidèles, afin de faire connaître ainsi la providence de Dieu, et de proclamer ses oeuvres admirables dans la personne de ses saints. Le lendemain, il prit là parole selon sa coutume, fit ce petit discours qui nous reste encore, et promit de faire écrire cette narration pour la lire le jour suivant (5).
7. Le troisième jour après Pâques, il monta dans la chaire d'où il avait coutume de parler, et fit venir après lui sur les degrés, après avoir en quelque sorte consulté le peuple, Paul et sa sœur Palladie qui n'avait pas encore recouvré la santé : " Tous les fidèles, dit le saint homme, de l'un et de l'autre sexe, avaient les yeux fixés sur celui qui se tenait debout, sans éprouver aucun tremblement, et sa sœur qui était agitée de tous ses membres. Ceux qui n'avaient pas vu dans Paul ce que la miséricorde de Dieu avait opéré, le pouvaient voir dans Palladie et ils comprenaient ainsi les actions de grâces que l'on devait rendre pour l'un, et les prières qu'il fallait adresser pour l'autre (6). » On lut ensuite le mémoire de Paul. Il le terminait en demandant d'implorer pour sa sœur la bonté divine, et de rendre pour lui de solennelles actions de grâces. Après cette lecture, ils descendirent tous deux. Palladie alla prier près de la châsse du saint martyr, et Augustin fit une instruction au peuple sur ce qu'il venait d'entendre. Tout d'abord il affirma qu'il espérait voir la santé dont Paul se réjouissait, revenir aussi à tous ses frères (7). Quant aux apparitions fréquentes dont Paul parle dans son mémoire, il supplia son cher peuple de ne pas lui en attribuer l'honneur : « Car que suis-je, sécriait-il? Je leur ai apparu sans le savoir ? Ils me voyaient et je l'ignorais ; c'était Dieu qui les avertissait de venir dans cette ville. Que suis-je ? sinon un homme comme tant d'autres (8)? » Puis il commençait à parler des miracles qui s'étaient opérés à Ancône et à Uzales par la vertu des reliques du saint martyr, lorsque tout à coup partent de la chasse les cris redoublés de : Grâce à Dieu ! Gloire au Christ (9)! C'était la guérison de Palladie qui provoquait ces acclamations. Elle venait de s'approcher de la balustrade qui fermait la chapelle, lorsqu'elle
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(1) De la Cité de Dieu, liv.II n’h 1 - mr, n. 7,1 ~z) M m., erexx. (3) Víe de saffit Ambroise, n. 38. (4) Sem., CQUX1- (5) De la cité de Díeu, liv. XXII, eh. vili, n. 22, (6)r lcì., (7) Serm., CaeXXIII, il- L (8) Id-P Il- 2. (9) Id.,n: 4.
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tomba à terre, comme son frère, parut dormir, et se releva bientôt après complètement guérie (1). Aux acclamations des témoins du miracle, le peuple tout entier se précipite, et, le saint homme demandant ce qui se passait, on amène la jeune fille dans l'Église à la chaire même d'où prêchait Augustin (2). « Alors, dit-il, hommes et femmes firent entendre un tel cri d'admiration, que ce bruit, accompagné de sanglots paraissait ne devoir pas finir. On conduisit Palladie au même lien où un instant auparavant elle se tenait en tremblant. L'allégresse avait succédé aux gémissements. On avait à peine prié pour elle, et déjà le désir qui s'échappait de tous les cœurs était exaucé, et les louanges s'élevaient vers Dieu avec un tel bruit, que nos oreilles pouvaient à peine le supporter. Qu'y avait-il donc dans ces cœurs reconnaissants, sinon la foi du Christ, pour laquelle Étienne avait répandu son sang (3) ? » Quand le tumulte se fut apaisé, le saint Docteur n'ajouta que quelques mots pour exalter la miséricorde de Dieu, qui avait exaucé leur désir seul de lui adresser des prières. Le jour suivant, il parla encore et se demanda humblement pourquoi Dieu avait voulu que ce miracle se fît à Hippone plutôt qu'à Ancône ou à Uzales (4). Mais ce qui reste de ce sermon ne contient que le récit d'un insigne miracle opéré à Uzales sur un petit enfant mort avant d'avoir reçu le baptême. D'où l'on peut conclure qu'il ne nous est pas parvenu en son entier.
8. Dans cette même année peut-être, après avoir nourri de la parole divine pendant quelque temps Galla qui était du nombre des veuves et sa fille Simpliciola qui avait voué au Christ sa virginité, Augustin les renvoya dans leur patrie avec des lettres de recommandation pour Quintilien qui en était évêque. Elles emportaient avec elles des reliques du saint Martyr. «Votre Sainteté, écrit Augustin à Quintilien, sait combien elle doit les honorer comme nous les honorons nous-mêmes (5). » Peu de temps après, il se rendit à Uzales, où il engagea Pétronia, femme d'une grande distinction, à écrire la relation du miracle que saint Étienne avait opéré en sa faveur. Il détermina aussi Évode à demander la même chose à ceux qui, par la même intervention, avaient recouvré la santé (6).
CHAPITRE VI
1. Mort de Sévère évêque de Milève. - 2. Le prêtre Héraclius.- 3. Augustin le désigne pour son successeur et se décharge sur lui de l'administration des affaires. - 4. Discussion entre les moines d'Adrumète sur la grâce et le libre arbitre. - 5. Les défenseurs du libre arbitre vont trouver Augustin qui les instruit et leur donne avec deux livres le livre de la Grâce et du Libre Arbitre pour Valentin et ses moines. - 6. Le docteur leur envoie un deuzième livre sur la Correction, et sur la Grâce.
1. Sévère, évêque de Milève, ami intime d'Augustin, quitta cette vie vers le commencement de l'année 426 (7). Il avait, avant sa mort, désigné son successeur; et jugeant inutile d'en parler au peuple, comme il le devait, il crut qu'il suffisait de l'établir en présence de ses clercs. Mais après la mort de Sévère, les frères, les clercs et surtout les moines craignant un soulèvement dans le peuple; prièrent Augustin de venir pour sauvegarder la tranquillité publique. Le saint prélat fut assisté par la clémence divine, et bien que plusieurs se crussent offensés par le silence de Sévère, il fit promptement disparaître ces petits nuages de tristesse sous la sérénité de la joie. L'homme désigné pour être leur évêque fut accepté de grand cœur et avec joie. Il fut consacré dans la paix et avec le consentement de tous. Cet événement fut une occasion pour Augustin de méditer sur la mobilité des multitudes qu'il avait vues, non sans douleur, plusieurs fois dans différentes églises, excitées à de funestes dissensions par l'ambition des uns et par le mauvais esprit des autres. Aussi, âgé de plus de soixante-douze ans, et persuadé qu'il ne vivrait
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(1) De la cité de Dieu ' liv. XXII, eh. viii, n. 22. (2) Serni., cccxxiii, n. 4. (3) De la cité de Dieu, liv. XXII, eh. vin, n. 22. (4) Sernz., cccxxiv. (5) Let., ccxii. (6) De la ceté de Dieu, liv. XXII, eh. viii, n. 21. (7) Lettre ccxiii, n. 1.
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pas longtemps, il résolut de pourvoir à la sécurité de sa chère Hippone en désignant son successeur. L'Église, il est vrai, avait plusieurs fois défendu d'agir ainsi; mais nous pouvons dire que dans ces sortes d'affaires qui par elles-mêmes ne sont ni bonnes ni mauvaises, elle pouvait, selon qu'elle le jugeait avantageux, faire intervenir son autorité pour le permettre, ou pour le défendre. Du reste cette défense de choisir son successeur n'était pas encore en vigueur en Afrique, puisque nous voyons Augustin désigner lui-même son successeur et approuver la même conduite dans Sévère ; et ce qui est hors de doute, c'est qu'il ne fut guidé ni par l'ambition, ni par le désir de son propre avantage, mais uniquement par celui de son église. Il revint donc de Milève le samedi, septième jour des calendes d'octobre de l'an 426, et pria le peuple de se réunir le lendemain en plus grand nombre possible pour entendre des choses de la dernière importance.
2. Le dimanche, 6 des calendes du même mois, une foule nombreuse se pressait dans les murs de la basilique de la Paix, à Hippone la Royale. Augustin y arriva accompagné de deux évêques, Religianus et Martinien, de sept prêtres et de son clergé (1). Contre sa coutume, il ne fit pas de sermon, certain que le peuple, impatient de connaître ce qu'il avait promis de lui dire, ne pourrait tourner son attention vers autre chose. Après avoir dit, en quelques mots, de quelle nécessité il était pour lui de pourvoir à la tranquillité de son peuple, il déclara vouloir éviter ce qui était arrivé à Milève et ôter à tous la moindre occasion de se plaindre. Il manifesta surtout son désir qu'il croyait d'accord avec celui de Dieu, de voir après lui, sur le trône pontifical, le prêtre Éraclius. Tous aussitôt accueillirent ses paroles avec de grands applaudissements. Éraclius, ou Héraclius, comme on l'appelle quelquefois, est nommé le dernier parmi les sept prêtres qui assistaient à cette assemblée avec leur évêque, ce qui semble indiquer qu'il n'était pas des plus âgés (2). Lorsque Augustin prononça son discours sur la vie et les mœurs de ses clercs, il était encore jeune et remplissait seulement les fonctions de diacre (3); mais sa vie était déjà si édifiante, il remplissait d'une si grande joie le cœur du saint prélat, qu'il ne fut nécessaire de rien dire en sa faveur devant le peuple à qui sa conduite vertueuse était assez connue, et qui l'aimait par-dessus tous les autres: tout éloge du reste aurait blessé sa modestie (4). Ses parents, dit-on, lui avaient laissé une grande fortune; il l'avait employée en partie à élever la chapelle de Saint Etienne, comme nous l'avons vu plus haut, et avait donné le reste à Augustin pour être distribué comme il le jugerait à propos. Certes, si le saint prélat eût été conduit par la cupidité, ou même s'il n'eût considéré que la misère des pauvres dont il était chargé, il n'aurait pas rejeté une pareille offrande. Mais jaloux de sa réputation, moins pour lui (car le témoignage de sa conscience lui suffisait), que pour le peuple qui lui était confié, il conseilla à Éraclius d'acheter une propriété. Celui-ci obéit à ce conseil et fit don de ce domaine à l'Église. Écoutons là-dessus les admirables paroles du saint évêque : «Je vous avoue, disait-il à son peuple, que son âge ne me rassurait pas entièrement. Je craignais que cet acte ne vint à déplaire à sa mère, qu'elle ne m'accusât d'avoir entraîné son jeune fils pour obtenir son héritage paternel, et de le laisser sans ressources. Aussi j'ai voulu qu'en achetant cette propriété il pût conserver intacte sa fortune ; et ainsi, s'il arrivait, ce qu'à Dieu ne plaise, quelque chose de contraire à notre intention, ce bien lui serait rendu, et l'on ne pourrait soupçonner la réputation de l'évêque. Je sais en effet que, si le témoignage de la conscience me suffit, la réputation de votre prélat vous est nécessaire. Héraclius a aussi acheté un terrain à cette église, poursuit Augustin, vous le savez; il y a fait bâtir une habitation à ses frais, et peu de jours avant mon sermon à ce sujet, il en a fait don à l'Église; il n'avait attendu jusque-là sans doute que
pour la donner en parfait état. Quelle autre
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(1) M., (2) Id., n. 5. (3) Serm., CCUM, n. 7. (4) Lettre ecxm, n. 2.
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nécessité le poussait à bâtir cette maison, sinon la pensée d'y faire habiter sa mère, si elle était venue? Et encore, je le proteste hautement, elle l'habitera si elle vient à Hippone. Mais je dois ce témoignage à Héraclius : il est resté pauvre, et il n'a gardé pour lui que le trésor de la charité. S'il lui reste encore quelques esclaves, ils vivent déjà dans le monastère et il va leur donner la liberté en vertu des actes ecclésiastiques. Que personne ne dise donc : Héraclius est riche; que personne ne le juge, et n'ait le courage en parlant mal de lui de blesser sa propre conscience. Il s'est dépouillé de tous les biens de la terre et plaise à Dieu qu'il rende ce qu'il doit (1) ! »
3. Tel était le témoignage qu'Héraclius, encore diacre, avait reçu d'Augustin devant le peuple d'Hippone. Sa vertu sans doute ne s'était pas peu développée depuis cette époque, puisque l'évêque, non content de le juger digne du sacerdoce, l'adoptait pour son successeur. Augustin le déclara au peuple comme nous l'avons vu, et le destina à cette charge au nom du Christ (2). Afin de bien établir cette grande oeuvre pour la faire subsister, il lui donna une valeur authentique; il fit relever par les notaires ecclésiastiques ses propres paroles et les acclamations du peuple qui lui répondait; et surtout, pour tout rapporter à la volonté divine, il exhorta les fidèles à s'unir d'intention avec lui et à demander à Dieu la continuation de ce qu'il venait d'opérer parmi eux, « Voilà ce que je veux, dit-il, dans un langage plein d'affection, voilà ce que dans mon âge avancé, je demande au Seigneur avec d'ardentes prières , je vous avertis, ô mon peuple, je vous conjure de demander à Dieu avec moi que la paix du Christ unisse toutes nos pensées, et qu'il confirme ce qu'il a opéré parmi nous. Que celui qui m'a envoyé Héraclius le conserve, qu'il le garde sain et sauf, sans crimes, afin qu'après avoir fait la joie de ma vie, il me remplace après ma mort (3). » Cependant, satisfait d'avoir désigné Héraclius pour son successeur, Augustin ne voulut pas le sacrer évêque : il regardait en effet comme une faute d'avoir été consacré lui-même du vivant de Valère (4). Il le fit donc rester au rang de simple prêtre; mais il se déchargea sur lui du soin des affaires, suppliant le peuple et l'obligeant au nom du Christ d'aller pour les affaires vers Héraclius, dont la sagesse les éclairerait et qui lui demanderait comme a un père, conseil et assistance. Ainsi, il ne songeait pas à se retirer de son peuple, ni à lui manquer dans ses besoins ; il ne voulait seulement, jusqu'à ce que Dieu le retirât de ce monde, que s'appliquer tout entier à l'étude des Écritures. Peu d'années auparavant, en effet, les deux conciles de Numidie et de Carthage lui avaient confié cette mission; il avait obtenu de son église cinq jours par semaine pour s'en occuper : mais cette promesse n'avait pas été longtemps observée, et du matin au soir le saint homme devait entendre les causes de chacun. C'en était assez pour demander de remettre ce soin à Héraclius, et le peuple sans hésiter s'écria qu'il acceptait (5). Enfin Augustin pria tous ceux qui le poussaient de signer la relation de ce qui venait de se passer et de la confirmer par un dernier suffrage : on le fit sur-le-champ avec acclamation comme à l'élection des évêques (6). Puis le saint homme offrit le saint sacrifice, après avoir averti le peuple de se détacher, pendant ce moment de supplication, de tout autre soin, et de prier avec ferveur pour l'église d'Hippone, pour lui, son indigne pasteur et pour Héraclius (7).(Les actes insérés dans les lettres de saint Augustin contiennent la relation de cette réunion. Nous avons aussi deux sermons d'Héraclius encore prêtre : l'un prononcé en présence d'Augustin, où il déclare que la nécessité lui a fait accepter la charge de prêcher la parole de Dieu; l'autre sur les paroles du Christ au chapitre XIVe de saint Matthieu, quand le Seigneur marcha sur les eaux et reprocha à Pierre son manque de foi). Maximin, évêque arien, vint vers cette époque à Hippone et discuta avec le prêtre Eraclius ou Héraclius, qui, plus tard, fit venir Augustin lui-
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(1) SeM, CCCLVI, n. 7. (2) Lettre CCV11,b. 5. (3) Id., n. 7. 2. (4) Id., n. 4-5. (5) Id., n. 5. (6) Id., n. 6. (7) Id.,
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même pour avoir un entretien avec cet hérétique (1).