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24. Le premier et le plus important est celui que nous lisons au quatrième livre de la Vie de Constantin, par Eusèbe. Il est ainsi conçu : «L'empereur, après quelques accidents de santé, tomba définitivement malade ; il se fit transporter aux eaux thermales et revint ensuite à la cité d'Hélénopolis. Là, prosterné dans la temple des martyrs, il offrit à Dieu d'ardentes prières. Cependant il comprit que son dernier jour était proche, et il voulut, dans sa foi vive, effacer les fautes de toute sa vie par l'efficacité des paroles secrètes et par le verbe salutaire de la purification J.ÔYUV àrcoffTjrwv Suvi(j.ei, ffioTr,pt(j> yt ).6y(,o ).ovtpoù. Dans cette pensée, il s'agenouilla sur le marbre comme un suppliant de Dieu, fit
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l’exomologène au milieu de ses souffrances, et reçut l'imposition des mains avec la prière solennelle. De retour dans sa villa, voisine de Nicomédie, il réunit les évêques et leur dit : Voici enfin venu le jour que j'ai appelé par tant de vœux, où il me sera donné de recevoir le gage du salut. Il est temps que je reçoive le signe qui confère l'immortalité, le sacrement salutaire. Autrefois j'avais eu la pensée d'accomplir cet acte solennel dans les eaux du Jourdain, où Notre-Seigneur voulut être lui-même baptisé. Mais Dieu sait mieux que nous ce qui nous convient. Il a fixé ce lieu pour le théâtre de sa miséricorde à mon égard. Hâtons-nous donc. Si ce Dieu, arbitre souverain de la vie et de la mort, daigne prolonger mes jours, j'aurai dans l'avenir la joie de me mêler à son peuple et d'être admis dans l'Église à la participation des prières, avec tous les autres fidèles. Dès aujourd'hui je promets d'observer fidèlement toutes ses lois. — Après qu'il eut ainsi parlé, les évêques procédèrent, selon le rit solennel, aux divines cérémonies. Après lui avoir fait toutes les recommandations nécessaires, ils l'admirent à la participation des mystères sacrés. Le premier de tous les empereurs, Constantin, régénéré par la réception du sacrement, fut confirmé dans la foi. Quand il eut reçu le sceau divin, une sainte allégresse et les lumières de la grâce céleste inondèrent son esprit et son coeur. Les magnificences de la foi apparurent à son intelligence dans toute leur splendeur ; il admirait, dans une sorte d'extase, la grandeur et la puissance de Dieu. Après que toutes les cérémonies furent achevées, on le revêtit d'habits blancs comme la neige et on le reposa sur son lit. Depuis ce jour, il ne voulut plus revêtir la pourpre impériale. Élevant enfin la voix, il rendit grâces à Dieu dans une prière fervente qu'il termina ainsi : C'est maintenant que je suis vraiment bienheureux; je sens en moi le gage de l'immortalité ; la lumière divine éclaire mon âme ! — Puis il ajoutait : Qu'ils sont à plaindre les malheureux qui vivent dans la privation de pareils biens ! — Successivement, les principaux officiers du palais et les chefs de son armée vinrent l'entretenir. Ils laissaient éclater toute leur douleur à la pensée qu'il allait bientôt les laisser orphelins; ils faisaient des vœux pour que le ciel daignât prolonger
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ses jours. Mais l'empereur leur répondait: Je suis maintenant en possession de la véritable vie; moi seul puis savoir l'étendue de mon bonheur actuel. J'ai hâte de retourner à Dieu. Tous les délais irritent mon impatience. — Il régla ensuite ses dispositions suprêmes ; il accorda des faveurs annuelles aux Romains; il partagea l'empire comme un héritage paternel entre ses enfants, dictant sur ce point les mesures qu'il jugeait utiles. Or, tout cela se passait pendant la grande et auguste solennité de la Pentecôte qui dure huit jours. C'est à cette date qu'après l'ascension du Sauveur l'Esprit-Saint daigna se communiquer à la terre. Le dernier jour des fêtes consacrées à cet anniversaire, le plus illustre peut-être des annales de l'Eglise, vers l'heure de midi, Constantin passa à Dieu, laissant à cette terre des mortels la partie mortelle de lui-même, réunissant à son Dieu son âme immortelle qui avait tant aimé Dieu. Telle fut la mort de Constantin 1. »
25. A une première lecture, ce récit paraît assez obscure. On ne comprend pas tout d'abord s'il est question d'un baptême, ou de la réception des derniers sacrements. Mais, en l'examinant avec plus d'attention, on ne tarde pas à se convaincre qu'il s'agit très-réellement du sacrement de baptême que l'empereur eût souhaité recevoir dans les eaux du Jourdain et dont il porte avec tant de joie les habits blancs à Nicomédie. Dès lors ce récit renferme une contradiction absolue avec la tradition romaine. Celle-ci ne peut subsister, si celui-là est vrai, à moins qu'on ne suppose que Constantin, baptisé une première fois à Rome par le pape, aurait été rebaptisé à Nicomédie par les Ariens. Telle paraît avoir été la pensée de saint Jérôme qui s'exprime ainsi dans sa Chronique : « Baptisé dans ses derniers moments par Eusèbe de Nicomédie , Constantin mourut dans l’hérésie arienne2. » Ce témoignage de saint Jérôme est d'autant plus significatif que nous savons, par des textes précis de saint Augustin 3, que les Ariens, comme les Dona-
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1. Euse'b., Constant. Vit., lib. IV, cap. LXI-lxiv. — 2. S. Hicrocym., Chronic; Pnti: lat., t. XXVII, col. 679. — 3 Rebaptisari ab Arianis CatUolicus novimut. S. Augustin., lib. de Hœresibus; lib. 111, Contra Cresconium Donatist., cap. xxrr, et Kpnt. clxxxv, alias L.
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tistes, en étaient venus à cet excès d'impiété de rebaptiser les catholiques qu'ils parvenaient à séduire. Le P. Van IHecke, conti-nuateur des Acta sanctorum, a mis ce fait dans tout son jour1, et le considère comme ayant une importance sérieuse dans la question du baptême de Constantin 2. Déjà Mabillon avait entrevu cette solution en parcourant les œuvres d'Anselme d'Haverberg, publiées pour la première fois, en 1676, à la fin du Spicilegium de d'Achery. A cette époque, Schelstrate soutenait la thèse que Constantin avait reçu un double baptême, le premier à Rome, le deuxième à Nicomédie. Mabillon lui écrivait alors en ces termes : « Je vous signale un document qui ne peut manquer de vous être agréable. II vient à l'appui de votre sentiment et affirme le double baptême de Constantin, l'un par le pape saint Sylvestre, l'autre par Eusèbe de Nicomédie. Consultez donc le livre d'Anselme d'Haverberg Adversus Grœcos. C'est là où je viens de lire ce texte pré-cieux 3. » Voici en effet les paroles de l'évêque d'Haverberg, que Mabillon signalait à son ami: « Eusèbe de Nicomédie, l'âme de la faction arienne, rebaptisa l'empereur Constantin le Grand, selon le rit arien. En effet, ce prince avait été, après sa conversion, baptisé par le pape Sylvestre à Rome, dans le palais de Latran. Le même fait se produisit pour le fils du grand Constantin, Constance, lequel per-verti par les Ariens, fut également rebaptisé par Eusèbe de Nicomédie, et poussa si loin son obstination hérétique, qu'il prétendit exiger du pape Liberius d'adhérer publiquement à l'arianisme, et de se faire rebaptiser lui-même; ce que le pontife refusa 4. » II est sans doute curieux de rencontrer, dans un auteur de l'an 1126, une solution si catégorique de la question controversée. Malheureusement Anselme d'Haverberg ne nous indique pas les sources où il a puisé ce curieux renseignement. Dès lors on est en droit de révoquer en doute une thèse produite à une si grande distance du
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1. Act. sanct., ton). VII, octobr., 2» pr.rs, pag. 830-882. — 2. Lettre de D. Pitra. Quelques observations sur le baptême de Constantin, Ami de la Religion, 1er janvier 1850, pag. 15. —2. lbîd., Epist. Mabillon, adSchelslrate. — * Anselmi Havelberg. episcop. (1126-1154), Dialog. adversus Grœcos, lib. 111, cap. xïl; J>air. lat., tom. CLXXXVM, col. 124G.
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fait lui-même. D'ailleurs, malgré l'autorité de saint Jérôme et celle que lui prêtent subséquemment les témoignages que nous ve-nons de citer, il est certain, d'après la tradition immémoriale de l'Église grecque et latine, que Constantin est mort dans les senti-ments d'une véritable orthodoxie. La fin tragique d'Arius avait fait une profonde impression sur l'esprit de ce prince; Constantin le Jeune, son fils et son successeur, atteste qu'il prit dès lors la résolution formelle de rappeler saint Athanase de son exil et d'éloigner de sa personne les intrigues de la faction arienne1. Ces dispositions, officiellement rappelées par le fils même du grand Constantin, dans une lettre adressée au peuple d'Alexandrie , contredisent formellement le récit d'Eusèbe et la note de saint Jérôme dans sa Chronique. Enfin, la preuve que Constantin le Grand ne mourut point dans l'hérésie, c'est le culte religieux qui lui fut rendu de temps immémorial dans l'Église grecque. Il nous faut donc chercher une autre hypothèse que celle d'une rebaptisation.
26. Le récit du baptême à Nicomédie, tel que nous le lisons dans la Vie de Constantin, a servi de base à tout un courant d'opinion auquel Théodoret, Socrate et Sozomène, abréviateurs ou continuateurs d'Eusèbe, se sont laissé entraîner. Chacun d'eux reproduit, en les copiant textuellement, les paroles de la Vie de Constantin. Leur témoignage n'a donc d'autre autorité que celle du monument qu'ils citent. En Occident, outre saint Jérôme qui a suivi la version d'Eusèbe, il faut ajouter encore saint Ambroise, lequel s'exprime ainsi dans l'éloge funèbre de Théodose : « Il est vrai que Constantin ne demanda qu'à l'extrémité la grâce du sacrement de baptême qui effaça toutes les fautes de sa vie. Cependant il a le mérite éminent à nos yeux d'avoir été le premier des empereurs qui ait embrassé la religion de Jésus-Christ et transmis aux princes, ses successeurs, l'héritage de la foi. » Évidemment, saint Ambroise reproduit ici la leçon d'Eusèbe, sans autres détails, avec cette réserve néanmoins qu'il n'attribue pas à Constantin le malheur d'être mort dans l'hérésie, ainsi que saint Jérôme croyait pouvoir
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1. Epistola Constanlini Cccsarh populo Alexandrùe. S. Athanisji. Apologia contra Arianos, cap. lxxxvii; Pair, grtec, tom. XXV, col. 466.
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le faire. Ce sont là tous les témoignages conformes au récit d'Eusèbe, que présentent les auteurs grecs ou latins de l'antiquité. En comparant leur liste avec celle des écrivains qui ont attesté le baptême de Constantin à Rome, on se convaincra que ces derniers sont de beaucoup les plus nombreux. Mais nous ne voulons point nous prévaloir de cet avantage, nous souvenant que les témoignages se pèsent et ne se comptent pas. Toutefois, avant de pro-céder à l'examen critique du récit d'Eusèbe, il nous faut écarter du débat un texte du concile de Rimini (359), où l'on a cru longtemps trouver la confirmation du baptême de Constantin in extremis à Nicomédie 1. Labbe, le P. Petau, tous les critiques sérieux ont déjà fait justice de ce fameux texte du concile de Rimini; mais, comme on le cite encore, et qu'on ne paraît pas se douter qu'une faute de copiste, vingt fois corrigée par les savants, a seule donné lieu à la méprise, nous sommes contraint de nous y arrêter un instant. Voici les paroles de la lettre synodale de Rimini, adressée à l'empereur Constance : « Ce serait une impiété et un sacrilège de nous écarter des décisions formulées avec autant de rectitude que de sagesse par le concile de Nicée , d'accord avec Constantin le Grand, votre très-illustre père. Vouloir y ajouter ou en retrancher quelque chose, serait une témérité et un péril ; ce serait ouvrir la porte à toutes les prétentions de l'hérésie. Pour l'avoir fait, Ursace et Valens furent solennellement excommuniés. Ils n'ont obtenu leur réhabilitation qu'après avoir confessé leur erreur, demandé pardon et accepté la pénitence qui leur fut imposée. C'est ce qui résulte de leurs signatures autographes, apposées aux Actes du concile de Milan (349), en présence des prêtres de l'Église romaine. Au contraire, c'est la foi catholique si mûrement examinée dans ce concile en présence de Constantin que ce prince fit promulguer avec tant de zèle. C'est dans cette foi qu'il fut baptisé et qu'il est passé de cette vie au repos éternel. Mais depuis lors, ces misérables, Ursace et Valens, dans leur criminelle audace, se sont
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1. « Il n'y a pas moyen, dit M. Albert de Broglie, de résister au concours des témoignages circonstanciés d'Eusèbe, de saint Jérôme et de la lettre synodale du concile de Rimini (Arminium). » L'Église et l'Emp. Rom., t. II p. lit.
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mis de nouveau à prêcher l'hérésie et à tourner tous leurs efforts contre les décrets de la vérité1. » Tel est le texte du concile de Rimini. Il se prêterait merveilleusement à la version d'Eusèbe, si le prince désigné dans l'original grec sous le nom de Köstantinos; et qui mourut quelques mois après le concile de Milan (349), après avoir reçu le baptême dans la foi catholique, pouvait être Constantin le Grand. Mais Constantin le Grand était mort en 337. Impossible donc qu'il eût assisté, en 349, au concile de Milan et qu'il en eût promulgué les décrets. Or, il y eut réellement un empereur orthodoxe qui assista au concile de Milan, qui fut baptisé peu de temps après et qui tomba bientôt sous le poignard de Magnence. Cet empereur est connu dans l'his-toire sous le nom de Constant. En grec on le nommait Kôstantios;. Un copiste aura intercalé un v au milieu de ce vocable et en aura fait le Kôstantinos qui défraie encore la critique superticielle de nos vulgarisateurs. C'est là une simple question de cacographie, redressée par les notions de la chronologie la plus élémentaire.
27. Toute la discussion se concentre donc uniquement sur le témoignage emprunté à la Vie de Constantin, par Eusèbe de Césarée. Cet historien, dont les tendances ariennes sont connues, a-t-il grossièrement menti à sa conscience et à la postérité, par le récit d'un prétendu baptême apocryphe? Nous ne le croyons pas. Quelles que fussent ses sympathies pour la faction hétérodoxe, il se respectait trop lui-même pour commettre un pareil faux. Les œuvres qui nous restent de lui prouvent qu'il avait un sentiment très-élevé de sa personnalité historique et littéraire. Sa conduite, même dans les débats de l'Arianisme, fut celle d'un homme qui ne voulait se mettre en avant, ni dans son propre parti, ni dans celui de la résistance. Il louvoya constamment entre la vérité et l'erreur, inclinant visiblement vers celle-ci, mais ne rompant jamais ouvertement avec celle-là. Un tel caractère peut manquer de franchise, mais il ne manque pas d'habileté. En tous cas, il ne se prête nullement à une fraude historique telle que la supposition d'un fait aussi considérable que
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1.Labb., Coll. Cwtcrt., tom. II, col. 797.
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le baptême de Constantin à Nicomédie, relaté avec les détails précis et les circonstances qui l'accompagnent. Nous croyons donc qu'Eusèbe n'a rien inventé de ce genre ; nous croyons fermement qu'il était incapable du rôle de faussaire. Mais ce qu'il n'a pas fait lui-même, d'autres l'ont fait à sa place, et ici les témoignages abondent. Voici comment s'exprime à ce sujet la Chronographie de Théophane (870) : « Le grand Constantin reçut le baptême des mains du pape Sylvestre. On conserve encore aujourd'hui à Rome le baptistère qui servit en cette circonstance et que l'empereur, après sa victoire définitive sur tous ses rivaux, décora magnifiquement en souvenir du baptême qui lui avait été conféré par Sylvestre. Cependant d'autres affirment qu'il reçut le baptême seulement quelques jours avant sa mort, dans la ville de Nicomédie et des mains d'Eusèbe, évêque de cette ville, partisan déclaré des Ariens. Ils ajoutent que Constantin avait différé jusque-là cette cérémonie, dans l'espérance de pouvoir l'accomplir un jour sur les rives mêmes du Jourdain, où Notre-Seigneur fut baptisé. Quant à moi, j'ai étudié la question et je déclare qu'il est incontestable que cet empereur fut baptisé à Rome par le pape saint Sylvestre. Les Ariens ont supposé sous le nom de ce prince de fausses constitutions adressées au pape Melchiade. Je me suis convaincu du fait, et il ne me reste aucun doute à cet égard. Ils ont éga-lement imaginé la mensongère narration du baptême à Nicomédie. Leur but était de diffamer la mémoire de ce très-pieux empereur, en laissant croire, ou qu'il était mort dans leur hérésie et baptisé à eux, ou qu'il était mort sans baptême. Car telle est l'alternative par laquelle leur fausse légende nous réduit. Mais ce serait une absurdité que de les croire. Si Constantin n'avait point encore été baptisé à l'époque du concile de Nicée, il n'aurait pu assister aux saints mystères qui y furent célébrés, ni prendre place dans l'assemblée des évêques. On touche donc du doigt l'imposture 1. » Ainsi s'exprimait en 870, Théophane, abbé d'un monastère de Constantinople. Il prend soin lui-même de justifier son sentiment par les preuves
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1. S. Théophane», Chronog.; Patr. graec, tom. CVI1I, col. 90-92.
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d'érudition, d'histoire et de bon sens, dont il l'entoure. Un autre chroniqueur byzantin, un siècle plus tard, rassemblait, sous le titre Synopsis historiones, Compendium historiarum, tous les documents fournis par Georges le Syncelle, Uamactolus, Scylax, Théophane, etc. Voici comment il s'exprime au sujet du baptême de Constantin : « Ce prince, dit-il, fut baptisé à Rome par le pape Sylvestre. En même temps qu'il recevait le sacrement de régénération, il fut guéri de la lèpre. Une foule de Romains témoins de ce prodige, demandèrent le baptême à son exemple. Je sais que certains historiens prétendent que Constantin, sur son lit de mort, fut baptisé par l'évêque arien Eusèbe de Nicomédie. Ils se trompent : pseudontai. Suivant eux, l'empereur eût différé jusque-là son baptême, parce qu'il eût désiré, disent-ils, le recevoir dans les eaux du Jourdain. Mais qui donc aurait pu l'empêcher de satisfaire ce pieux désir, s'il l'avait eu, soit après sa victoire sur Licinius, quand il parcourut l'Orient en vainqueur, soit lorsque, rappelé dans cette contrée par l'expédition des Perses, il traversa toute la Palestine? C'est là une fable arienne qui n'a pas plus de valeur que celle qu'on a mise en avant pour ternir la naissance de ce prince, quand on a dit qu'il était un fils adultérin de Constance-Chlore1. » Michel Glycas, autre chronographe byzantin, n'est pas moins explicite. Comme son récit est plus complet que tous les précédents et qu'il renferme quelques particularités, les unes complètement inédites, les autres indiquées seulement par Moïse de Corène, nous le prenons d'un peu plus haut. « Au temps où Constantin-le-Grand, dit-il, entreprit son expédition contre Maxence, il vit dans les airs le signe vénérable de la croix. Grâce à ce signe il fut vainqueur. Mais ayant épousé en secondes noces Fausta, fille de Maximien-Hercule, il se laissa de nouveau entraîner par elle au culte des faux dieux, et porta dans ce changement subit une véritable fureur. Dieu l'en punit. La lèpre lui couvrit tout le corps, et ses ravages étaient accompagnés d'atroces douleurs. Des prêtres de Jupiter Capitolin indiquèrent un moyen infaillible de
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1. Cedren., Historiarum Compendium ; Pair, grtsc, tom. CXXI, col. 518-520.
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guérlson. Ils rassemblèrent quelques jeunes enfants qu'on devait égorger ; l'empereur devait être guéri en se plongeant dans une baignoire remplie de leur sang encore chaud. En entendant les cris des victimes et les lamentations de leurs mères, Constantin s'émut. Je préfère souffrir toute ma vie, dit-il, plutôt que de laisser égorger ces innocents! La nuit suivante, les apôtres lui apparurent; ils lui ordonnèrent de mander le pontife Sylvestre, et de recevoir le baptême de sa main, lui promettant à ce prix la guérison. Constantin fut baptisé et la lèpre disparut. Depuis cette époque, l'empereur ne s'écarta plus des règles de la vraie foi et donna l'exemple de toutes les vertus chrétiennes. Il jeûnait le mercredi et le samedi; s'abstenait de tout travail le dimanche; il défendit la traite des esclaves exercée par les Juifs; il supprima le supplice de la croix, et décréta qu'à l'avenir les jours de la semaine qui portaient le nom de quelque divinité idolâtrique auraient d'autres appellations1. Constantin mourut à Nicomédie, empoisonné par ses frères, qui jalousaient son pouvoir. On a dit que ce grand prince avait été baptisé sur son lit de mort, et qu'il avait attendu jusque-là à recevoir le sacrement divin de la régénération, sous prétexte qu'il se promettait d'aller se faire baptiser dans les eaux du Jourdain. C'est là une prétention qui ne supporte pas l'examen. Les Ariens ont en effet accrédité cette légende que l'empereur aurait reçu le baptême des mains d'Eusèbe de Nicomedie, leur partisan, et qu'ainsi Constantin serait mort en communion de foi avec eux. Mais il y a un monument qui tranche la question et qui atteste la réalité du baptême dans la vieille Rome2 par le pontife saint Sylvestre. C'est le baptistère de ce grand empereur; il y a toujours été conservé; on l'y voit encore aujourd'hui. Comment d'ailleurs Constantin eût-il
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1. Ces renseignements, donnés ici par Michel Glycas an sujet du changement de nom prescrit par Constantin pour le calendrier hebdomadaire, ne se rencontrent dans aucun autre auteur. La mesure impériale ne put d'ailleurs prévaloir contre la force de la coutume. A l'heure actuelle, sauf le nom du dimanche, tous les autres jours ont conservé leur étymologie idolâtrique.
2. On sait que les auteurs Bysantins désignent ainsi la ville de Romulus pour la distinguer de Constantinople qui dans le style officiel, se nommait la nouvelle Rome.
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assisté à toutes les cérémonies du concile de Nicée, s'il n'avait auparavant reçu le baptême? A qui fera-t-on croire qu'on l'eût admis sans cela aux prières et aux sacrifices? Un tel récit appliqué à la mémoire de ce grand homme est une impiété et un sacrilège1. » Nicéphore Calliste a tout un chapitre intitulé : «Réfutation de ceux qui ont prétendu que Constantin avait été baptisé à Nicomédie par les Ariens. » Il résume avec énergie toutes les raisons qui militent en faveur de la tradition romaine. Voici ses paroles : « Les auteurs anciens les plus graves et les plus véridiques ne laissent aucun doute sur le fait du baptême de Constantin à Rome par Sylvestre. Maxence avait été vaincu par le signe de la croix ; l'empereur triomphant voulut être régénéré par ce signe salutaire, et l'on conserve encore le monument glorieux de ce fait, je veux dire le baptistère où le sacrement lui fut conféré. La secte arienne qui avait jadis envahi l'Orient accrédita l'opinion contraire et soutint que sur son lit de mort Constantin aurait reçu le baptême à Nicomédie, des mains d'Eusèbe, évêque de cette ville. On ajoutait que le désir de l'empereur eût été d'accomplir cette pieuse cérémonie dans les eaux du Jourdain. C'est là une prétention sans fondement. L'Église enseigne comme un fait certain que le prince fut baptisé à Rome par le pape Sylvestre. Je le déclare moi-même hautement, telle est la vérité historique à laquelle tous doivent se rattacher. Les Ariens, pour le succès de leurs intrigues, et dans un sentiment déplorable de perversité, ont imaginé cette fable de Nicomédie, pour faire croire que Constantin, ayant reçu de leurs mains le baptême, était mort dans leur communion. C'est là une imposture absurde. En effet, si l'empereur avait attendu jusqu'à ce moment pour se faire baptiser, il est clair qu'il n'aurait pu participer aux divins mystères avec les évêques du concile de Nicée. Or, l'histoire atteste que Constantin, dans cette assemblée auguste, participa non-seulement aux eulogies, mais à la table eucharistique commune à tous les fidèles. Arrière donc cette supercherie des Ariens2!»
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1. Mich. Glycas, Annal., lib. IV j Patrol. grcec, loin. CLVIII, col. 496-i7i. —
2. Nicep. Callist., Ecclesiast. histor., lib. VII, cap. XXXV; Pair, grcec, tom. CXLV, col. 1285-1288.
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Après cette solennelle profession de foi, Nicéphore revient, au chapitre suivant, sur cette question. Il cite des paroles de Sozomène, Socrate et Théodoret contraires à son sentiment, et il ajoute : « Ces auteurs affirment que Constantin fut baptisé in entremis à Nicomédie. A quelle source ont-ils puisé ce renseignement? Je ne veux pas m'en occuper davantage. J'ai déjà dit que, d'accord avec la tradition de l'Église universelle, je demeure convaincu que ce prince fut réellement baptisé à Rome par le pape Sylvestre 1. »