Pour la Gaule 1

Darras 15 p. 3

 

2. Lorsque Jean III, régulièrement et pacifiquement élu par le clergé et le peuple romain, monta sur la chaire de saint Pierre le 27 juillet 560, un intervalle de près de cinq mois s'était écoulé

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1 Lib. Pontifie, not. lxiu, Joan. III; Pair, lat., tom. CXXVIII, col. 625.

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depuis la mort de son prédécesseur. La durée de l'intérim eut pour unique cause l'empiétement de la cour de Byzance, laquelle exi­geait, comme nous l'avons dit plus haut, la ratification préalable de l'empereur. Dès lors, selon le hasard des événements et le ca­price des souverains, il fallait que l'Église catholique demeurât sans chef. Si, par exemple, vainqueurs des Perses, les empereurs de Byzance avaient transporté un jour leur capitale à Samarcande, ou que, maîtres de l'extrême Orient, il leur eût pris fantaisie d'aller habiter Pékin, les papes auraient dû attendre, après leur élection, le retour des ambassadeurs envoyés dans ces contrées lointaines, rapportant la signature de César après un voyage qui n'eût pas alors demandé moins de quatre années. Impossibilités matérielles, insupportable despotisme, énorme abus de pouvoir, ridicule subs­titution des successeurs de Tibère à la personne même de Jésus-Christ pour l'investiture des successeurs de saint Pierre, tout était monstrueux; mais la force est aveugle et les empereurs avaient la force. Les orages politiques du commencement de son pontificat et la captivité dans laquelle Jean III passa les dernières années de sa vie, expliquent l'absence presque complète de monuments écrits sur son administration. Nous n'avons plus de lui qu'une seule lettre authentique, fort courte et sans date. Elle est adressée à l'arche­vêque de Vienne Evald l, et fut peut-être rédigée à la lueur de la lampe des catacombes. C'est une réponse à une consultation litur­gique. La voici : « Au sujet des rites à observer pour l'office de la messe, et sur lesquels vous m'interrogez dans vos lettres, sache votre charité que ces rites varient selon les diverses églises. On célèbre différemment à Alexandrie, à Jérusalem, à Éphèse, à Rome. Mais votre église doit conserver les rites et les institutions de l'Église romaine, de même qu'elle en a reçu le fondement de notre sainte religion. Nous vous envoyons par votre prêtre Félix, le vénérable pallium à votre usage, ne voulant point que vous

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1 Le catalogue des archevêques de Vienne mentionne, en l'année 567, la promotion de saint Evautius comme évêque de cette métropole. (Cf. Gall. Christian., tom. I, col. 765.) Tout porte à croire que l'Evantius de la Gallia Christiaiana est le même que l’Evaldus de la lettre pontificale.

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demeuriez plus longtemps privé de ce présent du bienheureux Pierre. Nous vous envoyons en même temps comme reliques des cheveux de saint Paul, afin que votre église trouve un appui dans l'intercession du glorieux apôtre dont un disciple a porté chez vous les premières semences de la foi 1.» Telle est cette lettre pontificale, écrite dans la captivité, monument précieux de la tra­dition au sujet de l'apostolicité de nos églises. Du fond de sa retraite, Jean III veillait à la conservation de la liturgie et des pré­rogatives d'honneur de la chrétienté des Gaules.

 

3. « Les premiers apôtres des diverses églises dont l'ensemble formait au christianisme, dès l'époque de Constantin, un si ma­gnifique empire, dit le P. Guéranger 2, avaient porté avec eux les usages des églises-mères qui les envoyaient; ils avaient com­plété, interprété ce qui avait besoin de l'être. Après eux, leurs successeurs avaient, tout en gardant l'unité sur le fond inalté­rable en tous lieux, ajouté avec plus ou moins de bonheur, de nouvelles parties à l'œuvre primitive, pour satisfaire à de nou­veaux besoins. Mais cette divergence, moins sentie dans le cours des persécutions et durant les violentes secousses de l'arianisme, était un grave inconvénient, du moment que l'Église avait à s'occuper des institutions propres à l'âge de paix qui s'ouvrait devant elle. « S'il n'y a qu'une seule tradition, écrivait saint Siricius, une seule discipline doit être gardée dans toutes les églises3. » — Saint Célestin avait posé le grand principe « que la règle de croire découle de la règle de prier 4. » Dès l'an 416, le deuxième concile de Milève avait porté le canon suivant : « Il nous a semblé que les prières, les oraisons ou messes qui ont été approuvées dans un concile, les préfaces, les recommandations, les impositions des mains, devaient être observées par tous 5. » En 461, le concile de Vannes présidé par saint Perpetuus évêque de Tours, disait : « Il nous a semblé bon que, dans notre province, il n'y eût qu'une seule

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1.S. Joan. III, Epist. h; Pair, lat., totn. LXXI1, col. 18. 2. Institutions liturgiques, tom. I, pag. 129.

3. Si una traditio est. una débet disciplina per ornnes ecc/esias custodiri. — * Ut legem credendi statuât lex supplicandi. s Labbe, Concil., toin. II, pag. 1540.

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coutume pour les cérémonies saintes et la psalmodie, en sorte que, comme nous n'avons qu'une seule foi, nous n'ayons qu'une même règle pour les offices 1. » Le concile d'Agde, en 500, proclamait la même doctrine : « Comme il convient, disait-il, que l'ordre de l'Église soit gardé également par tous, il faut, ainsi qu'on le fait en tous lieux, qu'après les antiennes, les collectes soient récitées en leur rang par les évêques ou par les prêtres -. » L'Église gothique d'Espagne, à la même époque, éprouvait le même besoin d'unité et sanctionnait la même règle, en attendant l'unité romaine dont elle ne devait jouir que longtemps après la France. Voici le pre­mier canon du concile de Girone : « Pour ce qui touche l'institu­tion des messes, dans toute la province tarragonaise, on obser­vera, au nom de Dieu, l'usage de l'église métropolitaine, tant pour l'ordre de la messe que pour ce qui est de la psalmodie et de la fonction des ministres 3. » Le premier concile de Braga, en 503, accentuait davantage encore cette doctrine dans les canons sui­vants : « I. Il a plu à tous, d'un commun consentement, que l'on gardât un seul et même ordre de psalmodie, tant aux offices du matin qu'à ceux du soir, et qu'on ne mélangeât point la règle ecclésiastique de coutumes privées ou même tirées des monas­tères. — II. Il a plu également d'ordonner qu'aux vigiles et messes des jours solennels, les mêmes leçons fussent récitées dans toutes les églises. — III. Il a plu ensuite d'ordonner que les évêques et les prêtres ne salueraient pas le peuple diversement, mais d'une seule manière, disant : Dominus vobiscum, ainsi qu'on lit au livre de Ruth 4, et que le peuple répondrait : Et cum spiritu tuo ; en la manière que l'Orient tout entier l'observe par tradition apostolique, et non en la façon que la perfidie priscillienne l'a in­nové 5. — IV. II a plu aussi d'ordonner qu'on célébrerait univer-

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1. Labbe, Concil., tom. IV, pag. 1057. — 2 Labbe, tom. IV, pag. 1388. — 3Labbe, tom. IV, pag. 1568. — 4.Ruth., 11,4. Cf. tom. II de cette Hist., p. 138.

5. On se rappelle que Priscillien, importateur du manichéisme en Occident, ne voyait dans le Dieu de la Bible et de l'Évangile qu'un démiurge inférieur. C'est en ce sens qu'il altérait la salutation liturgique : Dominus vobiscum. (Cf. tom. X de cette Histoire, pag. 538.) Malgré la prescription du concile de Braga, les évêques d'Occident ont toujours employé la salutation Pax vobis,

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sellement les messes suivant l'ordre que Profuturus, jadis évêque de cette église métropolitaine, l'a reçu par écrit de l'autorité du siège apostolique. — V. Il a plu enfin d'ordonner que per­sonne ne s'écartât, pour l'administration du baptême, de l'ordre établi déjà dans l'église métropolitaine de Braga, lequel a été adressé par écrit au susdit évêque Profuturus par le siège du très-bienheureux apôtre Pierre 1. » Cette tendance de plus en plus marquée vers l'unité liturgique, se poursuivait donc d'abord en exigeant la conformité de toutes les églises suffragantes avec leur métropole respective, jusqu'à ce que les métropoles elles-mêmes, par leur force de cohésion avec le siège apostolique, fussent amenées successivement à l'observation de la règle ro­maine. La réponse de saint Jean III à l'archevêque de Vienne était conçue dans cet ordre de sage et prudente direction, dont les papes ne s'écartèrent jamais.

 

4. La période du VIe siècle comprise entre le pontificat des deux papes homonymes Jean II (332) et Jean III (373), fut pour les églises d'Occident, demeurées à peu près étrangères aux troubles de l'eutychianisme, une époque de prospérité et de paix. Les conciles provinciaux se tenaient régulièrement et consolidaient partout la discipline cléricale. Il est remarquable que ces fréquentes réunions d'évêques n'offrirent nulle part, dans nos contrées, l'aspect scan­daleux de luttes, d'animosités, de passions personnelles, dont les mêmes assemblées dans l'église grecque étaient trop souvent le théâtre. Sous l'action plus immédiate des souverains pontifes, l'Occident gardait la modération, la rectitude et la mesure. L'Es­pagne catholique, bien que gênée dans son développement par

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toutes les fois que le Gloria in excelsis est récité à la messe. Or, jusqu'au commencement du XIe siècle, les évêques seuls récitaient à la messe le Gloria in excelsis, en sorte que la salutation Pax vobis, considérée comme une suite naturelle des premières paroles de l'hymne angélique Pax hominibus bonœ voluntatis, est restée le privilège exclusif des évêques, même après que les prêtres eurent le droit de réciter à la messe le Gloria in excelsis. (Cf. Pascal, Dict. de liturgie, col. 1127.)

1. Labbe, tom. V, pag. 840. Dom GuéraDger, Institut, liturgiques, tom.  I, pag. 128-135.

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l'arianisme officiel des rois Visigoths, compta plusieurs réunions conciliaires. En 540, les sept évêques de la province de Barcelone rédigèrent les dix canons suivants : « I. On chantera le psaume Le (Miserere) avant le cantique. II. La bénédiction sera donnée aux fidèles à l'office du matin, de même qu'à celui du soir 1. III. Il ne sera permis à aucun des clercs de laisser croître sa chevelure ni sa barbe 2. IV. Le diacre ne doit point s'asseoir dans l'assemblée du presbyterium. V. En présence de l'évêque, les prêtres, à leur rang, réciteront les collectes. VI. Les hommes qui seront soumis à la pénitence publique auront la tête rasée, et porteront un habit religieux, durant le temps de prière et de jeûne qui leur sera fixé. VII. Ils n'assisteront point aux festins, ils interrompront leur commerce ou leur négoce, et mèneront une vie frugale dans l'inté­rieur de leur maison. VIII. Les pénitents malades qui demanderont à être réconciliés, et qui auront reçu l'absolution du prêtre, devront, en cas de retour à la santé, achever leur pénitence. IX. Nous en­joignons de donner la bénédiction du viatique à tous les malades qui la demandent. X. A l'égard des religieux, on observera les règles prescrites par le concile de Ghalcédoine 3. » — Nous avons déjà donné les canons du premier concile de Braga, tenu en 563. Un second se réunit dans la même ville en 572, ou plutôt, ainsi que le portent les actes, «la onzième année du prince Theodomir, sous le règne de Jésus-Christ Notre-Seigneur : Régnante Domino nostro

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