Grégoire VII 65

Darras tome 22 p. 451

 

46. «  Loin de manifester un si étrange repentir,  dit la chronique anonyme de Magdebourg, Rodolphe durant les heures suprêmes qu'il survécut à ses blessures ne regrettait qu'une seule chose, l'impossibilité de poursuivre sa  victoire  et  de venger définitivement l'honneur de l'Eglise, de l'empire et du saint-siége  par la ruine du tyran qui en était l'opprobre et le fléau 3. »   On eut le temps de le transporter à Mersebourg 4. Là entouré des évêques qu'il édifiait par sa piété, ayant reçu les onctions saintes et le viatique du Seigneur il rendit à Dieu son âme héroïque (16 octobre 1080). «Ainsi mourait au sein  de  sa victoire  le  nouveau Judas Machabée, le grand défenseur de saint Pierre, s'écrie Bernold  de Constance. Il n'avait survécu qu'un  jour à   ses  horribles et glorieuses blessures ; il prit  ses dernières dispositions avec une admirable sérénité ; puis il émigra vers le Seigneur, après avoir régné trois ans et demi sur cette terre. Tous les monastères, toutes les congrégations religieuses, les pauvres surtout pleurèrent sa mort. Les Saxons firent pour la recommandation de son âme d'innombrables aumônes. Il avait été le père de la patrie, nn miroir de justice, le soldat couronné, l'intrépide défenseur de la sainte église.

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1 Videte, hac ego juravi domino meo Henrico non nocere ; sedjussio apostolici petitioque  principum   me   fccit  juramenti  transgressorem,  (Chron.   Ursjperg ann. 1080.)

2. Hist. de Grég. VII, tom. II, p. 289.

3. Chronic. Magdeb. ap. Meibom., tom. II, p. 31G.

4.Ekkeard, Chronic. Pair. Lat., tom. CLIV, col. 952.

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Ses funérailles furent célébrées avec une magnificence triomphale à Mersebourg 1 » Sur sa tombe élevée sous le dôme de la cathédrale et surmontée de sa statue en bronze doré on déposa son sceptre et son épée. La reconnaissance, l'admiration et l'amour des Saxons se traduisirent dans un mot de l'épitaphe gravée sur le monument: « Depuis Charlemagne jamais roi ne fut si grand dans la paix ni si vaillant dans la guerre 2. »

 

47. « Or, reprend Bernold de Constance, le jour même où Rodolphe mourait à Mersebourg l'armée du saint-siége commandée par la très-prudente comtesse Mathilde engageait à Volta près de Mantoue une sanglante bataille contre les troupes lombardes de l'antipape Wibert. Mathilde fut vaincue et son armée mise en fuite 3. » Bonizo enregistre avec douleur cette nouvelle catastrophe. « Les desseins du Seigneur, dit-il, sont un abîme impénétrable. Il entrait dans les conseils mystérieux de la Providence de combler alors les vœux du roi excommunié, au lieu de faire éclater sur ce grand coupable les châtiments qu'il avait mérités. Pendant que Rodolphe succombait en Germanie, le jeune prince Conrad fils du tyran mettait en déroute près de Mantoue l'armée de la très-excellente comtesse Mathilde. Après ce double et éclatant succès, l'orgueil des schisinatiques monta jusqu'aux cieux 4. »

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1. Bernold. Const. Chrome. Patr.   Lat., tom. CXLVIII, col. 1379. 2. Voici l'épitaphe gravée sur la tombe du héros :

Rex hoc Rodulfus patrum pro lege peremptus,

Plorandus merito, conditur in turnulo. Rex illi similis, si regnet tempore pacis,

Consilio, gladio non fuit a Karolo. Qua vicere sui, ruit hic, sacra victima belli;

Mors sibi vita fuit, Ecclcsxse cecidit.

(Watterich, tom. I, p. 445.)

3. Bernold. loc. cit.

4. Boniz. Sutr. Ad amie, lib. IX; Patr. Lat., tom. CL, col. 849. On se rappelle qu'après l' entrevue de Canosse, le roi Henri à son retour en Allemagne avait laissé son fils le jeune prince Conrad à Pavie entre les mains et sous la direction des évêques schismatiques lombards. Ce dut être ce jeune prince qui assista à la bataille de Volta et y fit ses premières armes. Bonizo ne le désigne point par son nom. Nous avons cru pouvoir suppléer à cette lacune. Le ma-

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p453 CHAP.   IV. ELECTION  DU  Roi   HERMANM  DE  LUXEMBOURG.

 

L'antipape et son satellite l'ex-cardinal Hugues le Blanc, secondés par plus de trente évêques lombards, parcouraient en triomphateurs toutes les provinces de la Haute-Italie. Vainement saint Anselme de Lucques essaya de réagir contre l'explosion et les violences du schisme. Un synode qu'il convoqua dans ce but à San-Genesio n'aboutit qu'à un nouveau désastre. Le pieux évêque fut chassé de son diocèse par les simoniaques révoltée. Les succès inespérés de Henri IV semblaient une consécration providentielle de sa cause. On les rapprochait malignement des lettres pontificales où quelques mois auparavant Grégoire VII annonçait le prochain triomphe de l'Eglise et l'expédition des alliés du saint-siége contre Ravenne. Aujourd'hui toutes ces espérances étaient renversées. « Le ciel même se déclare pour nous, disait le schismatique Sigebert de Gemblours. Le pseudo-roi Rodolphe est renversé. La ville de Mayence si longtemps hostile au césar légitime Henri a vu s'écrouler ses remparts et ses maisons dans un tremblement de terre formidable, le jour des calendes de décembre1. » (1« décembre 1080.)

§ V. Election du roi Hermaim de Luxembourg.

48. Cependant le fugitif de Wolksheim,  vainqueur sans le savoir, le roi excommunié Henri IV  en quittant au galop de son cheval les bords ensanglantés de l'Elster, avait traversé les vastes forêts qui le séparaient de la Bohême où il s'arrêta dans un castrum appartenant à l'un de ses fidèles. Ce fut là que huit jours

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nuscrit du  cardinal d'Aragon portait ici une erreur que Muratori a signalée (Annal. Ital. 1080). Il confondait le jeune prince qui assista en 1080 à la bataille de Volta, avec Henri V qui n'avait alors que deux ans. 1. Sigeb. Gembl. Chronic. Pair. Lat., tom. CLX, col. 220.

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après sa défaite 1, il apprit la mort de Rodolphe qui lui rendait si inopinément les avantages d'une victoire. « Son premier mouvement à cette nouvelle, dit Bonizo de Sutri, fut celui d'une exaltation satanique. Sa rage contre l'Eglise et son chef légitime se traduisit en imprécations furibondes. Ce fut réellement la corne de l'impie levée contre le ciel. « Dieu se prononce en ma faveur ! » s'écria-t-il, et il se vantait de la complicité du Tout-Puissant qui ratifiait ainsi ses forfaits et ses crimes 2. » Les ordres les plus sévères furent donnés, ajoute Bernold, « pour garder tous les chemins qui conduisaient en Italie. On ne laissait passer aucun voyageur s'il n'avait auparavant juré de n'entretenir aucun rapport avec Grégoire VII et fait serment de fidélité à l'antipape 3. » Ces mesures bientôt connues à Rome y jetèrent l'épouvante. Les meilleurs amis du grand pape lui conseillaient de céder aux malheurs d'une position presque désespérée et d'essayer avec Henri la voie des accommodements. Inaccessible aux terreurs vulgaires, Grégoire VII rejeta noblement des avis qu'on essayait de décorer à l'ordinaire des beaux noms de sages tempéraments et de prudence chrétienne, mais qui cachaient une lâche pusillanimité.

   49. Voici  comment  il s'en exprimait dans une lettre collective adressée à saint Altmann de Passaw et au vénérable Willelm abbé d'Hirsauge, ses deux légats en Saxe : «Presque tous nos fidèles, en apprenant la mort inopinée du roi Rodolphe de bienheureuse mémoire, ont redoublé près de nous les instances et les supplications pour nous déterminer à une réconciliation avec Henri. Ils font valoir l'attachement que la majeure partie des Italiens professent pour ce prince, la possibilité de le faire revenir à de meilleurs sentiments, le danger de  le pousser aux plus extrêmes violences

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1. Cujxts mors Henrico post octo dies in quodam Castro latitanti et de fuga cogi lanti nuntiata est. (Boniz. Sutr., loc. cit.)

2. Boniz. Sutr., ibid.

3. Vtnullus adlimina apostolorum posset ire, qui non prius abjuraret quod ad papam Gregorium diversurus non esset. (Bernold, Patr. Lat., tom. CXLVIII, col. 1379.)

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si une réconciliation n'avait pas lieu avant l'expédition qu'il projette contre nous. Enfin ils ajoutent que nous n'avons plus à espérer de la Saxe aucun appui. Si cela était vrai, en ce qui me concerne je n'y attacherais qu'une médiocre importance. Je méprise profondément la tyrannique insolence de Henri. Mais au point de vue de notre chère fille la comtesse Mathilde, la question est fort différente. Si elle ne devait plus compter sur l'alliance de la Saxe, comme déjà ses sujets trouvent qu'elle suit une politique insensée en soutenant la cause du saint-siége et qu'ils lui refusent leur concours, elle se verrait forcée ou de conclure une paix qui serait une apostasie ou de perdre tous ses états. Travaillez donc énergiquement à lui ménager dans votre pays des auxiliaires indispensables. Le duc Welf de Bavière a jadis prêté entre nos mains, devant l'impératrice Agnès et le vénérable évêque de Côme, un serment d'inviolable fidélité à saint Pierre. Rappelez-lui ses promesses. L'heure est venue de les tenir. Faites les mêmes recommandations à tous les puissants du royaume. Qu'ils laissent les Italiens suivre la fortune de Henri, mais qu'ils restent eux-mêmes les fidèles de l'Eglise, les défenseurs du prince des apôtres. Avant tout conjurez les Saxons, dans l'élection qu'ils vont faire d'un nouveau roi, de s'inspirer principalement de ces grandes pensées. Il s'agit de donner à la république chrétienne un chef digne de régner au nom de Jésus-Christ. Vous savez ce que fut Rodolphe et ce que la sainte Eglise attendait de lui, si Dieu ne l'eût enlevé à notre amour et à nos espérances. Lui trouver un successeur réunissant les mêmes qualités à ce degré héroïque n'est pas chose facile. Mais qu'on agisse avec réflexion et maturité. Mieux vaut après quelques délais faire un choix convenable à l'honneur de l'Eglise, que d'élever précipitamment, sur le trône un roi incapable ou indigne. Quand le nouvel élu aura été choisi dans ces conditions, voici la formule du serment que vous lui ferez prêter au nom de la sainte église romaine : « Serment du roi, » juramentum regis. « Dès cette heure et à l'avenir je serai en droite foi fidèle au bienheureux apôtre Pierre et à son vicaire le pape Grégoire aujourd'hui vivant. Tout ce que le pape me prescrira avec la clause per veram

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obedientiam, « par vraie obéissance, » je l'observerai religieusement comme doit faire un chrétien. Touchant l'administration des églises, les possessions territoriales, les revenus ou cens donnés à saint Pierre par l'empereur Constantin le Grand 1 et par Charlemagne, et toutes autres donations d'églises ou de domaines faites au siège apostolique en quelque temps que ce soit par hommes ou femmes dans toute l'étendue de ma juridiction, je me concerterai avec le pape de façon à ne point encourir péril de sacrilège et perte de mon âme. Le Christ aidant, je rendrai à Dieu et à saint Pierre digne honneur et secours efficace ; le jour où il me sera possible de voir le pape, je me ferai entre ses mains chevalier de saint Pierre et de lui2. »

   50.  Ni Bossuet, ni Fleury, ni aucun des maîtres de l'école gallicane n'ont relevé cette lettre caractéristique du grand pape. Voigt avait ses raisons pour n'en point parler. Il lui eût été dur, malgré la sympathique érudition avec laquelle il a étudié l'histoire de Grégoire VII, d'apprendre aux protestants d'Allemagne ses coreligionnaires que les Saxons du onzième siècle, avant d'élire un successeur au héros de Wolksheim, au roi «père de la patrie et miroir de justice, » avaient reçu de Grégoire VII le programme des conditions à lui imposer. Telle était, pourtant l'attitude des Saxons ces glorieux ancêtres de l'Allemagne actuelle, vis-à-vis de la papauté. Non-seulement ils étaient prêts à accepter de la main de Grégoire VII la formule de serment que devait prononcer le nouveau roi, mais leur unique grief contre le pontife, nous le leur avons entendu répéter assez de fois durant les trois années précédentes, était de ne pas recevoir assez souvent de lui des instructions détaillées et précises. Lors donc que de modernes  écri-

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1 Notons ici en passant que Grégoire VII, l'un des papes qui se préoccupa avec la plus persévérante attention de classer les archives pontificales et d'en remettre tous les documents en lumière croyait, comme nous, à l'authenticité de la donation constantinienne et ne craignait pas de l'affirmer officiellement dans une circonstance aussi solennelle que devait l'être un serment royal. Cf. tom. IX de cette Histoire, p. 161.

2. S. Greg. VII, Epist. m, lit. IX ; Pair. Lut., tom. CLXVIII. col. 608.

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vains complètement étrangers à la constitution de l'Europe chrétienne au moyen âge reprochent à Grégoire VII la prétention tyrannique d'avoir voulu à son gré disposer des royaumes et des couronnes, ils commettent sans le savoir un lourd contre-sens C'étaient les peuples chrétiens qui voulaient obtenir du vicaire de Jésus-Christ des rois dignes de les commander. En retournant la proposition des gallicans et des rationalistes, on a la vérité absolue. L'élection du successeur de Rodolphe en fournit l'éclatante démonstration. Celui qui allait recueillir l'héritage du héros ne serait roi qu'à la condition de prêter le serment fixé par le pape, sinon non. A un autre point de vue, le formulaire dressé d'avance par Grégoire VII présente un intérêt supérieur aux circonstances qui l'ont inspiré, et dont la portée est aussi actuelle aujourd'hui qu'elle pouvait l'être en 1080. Il s'agissait d'affirmer l'inviolabilité des domaines de l'Eglise contre la convoitise des rois; de prévenir des spoliations sacrilèges ; en un mot de maintenir le grand principe de la propriété base de toute civilisation. A cette époque, l'Eglise avait à défendre ses domaines contre la cupidité des rois. Violée par eux, la loi de la propriété atteinte dans son principe le plus élevé, celui de la destination sainte qui la consacre, devait aller en s'amoindrissant jusqu'au jour où la logique révolutionnaire, brisant les sceptres et les trônes, écrirait sur les ruines de toute civilisation : « La propriété c'est le vol. »

 

   51. Des rois comme Henri IV d'Allemagne ne semblent faits que pour tuer les monarchies; et cependant, de même que la fortune de     Néron eut ses adorateurs, celle de Henri IV eut les siens. Tant la bassesse humaine est capable de dégradation et de servilisme ! Néron distribuait à ses favoris les dépouilles du patriciat romain ; Henri IV distribuait aux siens les dépouilles de l'Église. « A la mort de Rodolphe, il se vit plus que jamais entouré de courtisans, dit Bruno de Magdebourg. Au mois de décembre 1080, comme nos princes étaient réunis pour traiter de l'élection d'un roi, il survint un messager annonçant que Henri, ne doutant plus de la soumission définitive de la Saxe, arrivait à la tête d'une armée formidable dans l'intention de célébrer les fêtes de Noël à Goslar, résidence

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habituelle de nos rois. A cette nouvelle le cri de guerre fut poussé, et en trois jours trente mille guerriers saxons furent sous les armes, prêts à mourir pour la défense de la patrie. A son tour, Henri qui avait compté sur une facile victoire commença à trembler. Changeant de tactique, il licencia sa propre armée et entama des négociations. « Vous ne pouvez demeurer sans roi, disait-il aux princes saxons. Donnez la couronne à mon fils, et je jure de ne jamais poser le pied sur votre territoire. » Le duc Otto de Nordheim à qui les ambassadeurs firent cette proposition répondit ironiquement : « D'un méchant taureau ne vient d'ordinaire qu'un mauvais veau; je ne veux pas plus du fils que du père. » Les fêtes de Noël se passèrent donc sans que le tyran 1 souillât de sa présence le château royal de Goslar. Cependant cet excommunié préparait une expédition contre l'Italie. Il voulait de quelque façon que ce fût sortir d'une situation qui lui pesait, soit en apaisant par une soumission hypocrite le seigneur pape Grégoire, soit en le contraignant par la violence à lever le ban de l'anathème, soit enfin, ce qui lui souriait davantage, en chassant de Rome le pontife légitime pour installer l'antipape Wibert sur le trône apostolique. Avec cet intrus, sa créature, il pourrait librement satisfaire tous ses instincts de cruauté et de tyrannie. Toutefois ses familiers lui représentaient le danger de quitter ses états au moment où les Saxons, fiers de leur récente victoire mais exaspérés par la perte de leur roi, ne respiraient que la vengeance. Ils ne manqueraient pas de profiter de l'expédition d'Italie et de l'absence de l'armée pour ravager l'Allemagne entière2.» Henri écouta l'avis de ses conseillers et se détermina à traiter avec les princes Saxons. Une conférence fut indiquée pour le mois de février 1081 à Kaffungen en Westphalie, dans la forêt qui touche à la ville et en porte le nom.

   52. « Au jour fixé, reprend le chroniqueur, les représentants des deux partis se trouvèrent en présence. C'étaient du côté de Henri

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Le mot dont se sert le chroniqueur en parlant de Henri IV depuis sa déposition au concile romain de l'an 1076 est toujours celui d'ex-rex. 2. Brun. Magdeb. loc. cit., col. 581.

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les évêques de Cologne, de Trêves, de Bamberg, de Spire et d'Utrecht ; du nôtre, ceux de Mayence, de Magdebourg, de Saltzbourg, de Paderbom et d'Hildesheim. Les partisans de Henri élevèrent d'abord la prétention d'écarter de la conférence tous ceux qui n'avaient pas le caractère officiel de délégués ; mais les nôtres refusèrent, en disant qu'ils n'acceptaient point de colloque secret et que tous grands et petits pouvaient assister aux délibérations et les entendre. On s'assit donc de part et d'autre sous les arbres de la forêt, et l'on garda des deux parts un silence absolu. Les nôtres ne voulaient pas prendre les premiers la parole : ils n'avaient pas demandé la conférence, on la leur avait proposée, ils devaient donc attendre qu'on leur en fît connaître l'objet. Les partisans de Henri croyaient au contraire la dignité de leur maître intéressée à leur silence ; ils voulaient avoir l'air d'être venus écouter les requêtes des Saxons. Enfin les nôtres se lassèrent de cette station muette et prièrent l'archevêque de Saltzbourg Gébehard de porter la parole en leur nom. Gébehard était un modèle de sagesse et de sainteté, l'honneur de l'épiscopat, la vivante image du Sauveur dont il retraçait l'humilité et la mansuétude. Il se leva avec une modestie angélique, et d'une voix pleine de douceur s'adressant aux délégués de Henri, il s'exprima en ces termes : « Les vénérables évêques et les autres princes saxons rassemblés devant vous ont daigné m'imposer la charge de parler en leur nom. Je vous supplie donc, vous nos frères dans l'épiscopat et vous illustres princes allemands, de m'écouter avec patience d'apporter le calme et la tranquillité d'esprit nécessaires pour juger impartialement une cause qui nous est commune et dans laquelle, si vous voulez bien comprendre la situation, vos intérêts ne sont pas moins engagés que les nôtres. Nous en appelons avec confiance à votre propre témoignage, car séparés de nous pour suivre une voie différente, vous ne voulez pas rompre avec la vérité. C'est donc avec la certitude de n'être pas démentis que nous exposerons le détail des violences et des outrages dont le roi Henri nous accablait alors que, vivant sous son joug, nous accomplissions tous nos devoirs de fidèles sujets. Les évêques, les

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prêtres sans jugement préalable, sans même la moindre accusation préventive, étaient par son ordre arrêtés comme des brigands, chargés de fers et jetés dans les cachots. Ceux dont il ne pouvait s'emparer étaient bannis de leurs sièges et dépouillés de tout ce qu'ils possédaient ; il distribuait les biens ecclésiastiques, ce patrimoine sacré des églises et des pauvres de Dieu, aux complices de ses débauches et de ses crimes. Combien de fois il promena la dévastation par le fer et le feu sur notre terre ! Il suffisait d'être Saxon pour être passé au fil de l'épée. Souvent alors, bien souvent, vous adressant nos supplications à tous et à chacun en particulier, nous proposâmes de remettre le jugement de notre cause entre vos mains, jurant d'accepter et d'exécuter fidèlement votre sentence. A quoi ont abouti toutes nos requêtes ? Vous le savez et votre témoignage ne nous fera point défaut. Donc nous ici présents et avec nous tous ceux qui habitent la terre de Saxe, nous vous adjurons, très-saints évêques du Christ et vous tous très-nobles princes et vaillants chevaliers, de vous recueillir dans la pensée du Dieu tout-puissant et dans le souvenir des devoirs de votre charge. Évêques, vous êtes constitués pasteurs des âmes non leurs destructeurs ; princes et chevaliers, vous avez reçu le glaive pour protéger l'innocence non pour l'immoler. Nous sommes vos frères dans le Christ, vos parents selon la chair, ne nous poursuivez donc plus le fer et la flamme à la main. Pour les maux passés, nous vous offrons le pardon et oubli, mais à la condition que nous vivrons désormais en sécurité. Déposez le fer et le feu; entre nous, comme il doit se faire entre chrétiens, que le droit et la raison décident, non les massacres ni les incendies. Ce que nous vous demandions avant la première effusion de sang, nous vous le demandons encore aujourd'hui que vous devez êtres rassasiés de notre sang. La cruauté de votre seigneur Henri ne nous a épargné aucune espèce de désastres, et cependant nous serions tout disposés comme jadis à le reconnaître pour notre roi, à lui prêter notre serment de foi et hommage, si vous prouviez par d'invincibles arguments que les évêques le peuvent faire sans se dégrader eux-mêmes, et les laïques sans trahir la cause de la foi. Faites cette

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démonstration et avant de sortir de cette forêt, nous tous ici présents nous ferons acte de soumission au roi votre seigneur. Mais au contraire, si vous daignez nous entendre, nous croyons pouvoir établir par les textes les plus concluants de l'Ecriture et des Pères que ni les clercs ni les laïques ne peuvent sans un sacrilège reconnaître l'autorité du seigneur Henri. C'est donc à vous de nous prouver qu'il a le droit de régner et qu'on peut licitement lui obéir: dans ce cas nous suivrons votre exemple. De même si nous démontrons le contraire, vous devrez reconnaître la vérité et cesser de nous traiter en ennemis. Peut-être objecterez-vous le lien du serment qui vous engage envers lui ; nous vous répondrons qu'un serment qui vous obligerait à persécuter des innocents serait nul de soi. En un mot, notre proposition se résume dans ce dilemme : Ou vous prouverez que le seigneur Henri a le droit de régner, ou nous prouverons le contraire. Mais dans l'un ou l'autre cas, vous cesserez d'égorger nos populations et d'incendier notre territoire 4. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon