Darras tome 34 p. 49
208. La France et l'Espagne venaient de rompre le traité que Paul III avait eu tant de peine à leur faire conclure, le Turc menaçait l'Italie. Le Pape voulut avant tout conjurer les maux qui menaçaient l'Eglise et dispersa les jésuites comme autant de grands-gardes de la péninsule. C'est que j'appelle la campagne d'Italie, plus belle aux yeux de la foi que tous les lauriers de Lodi, d'Arcole et de Marengo. Salmeron fut envoyé à Modène ; l'hérésie qui s'y glissait comme un chancre, suscita contre lui des accusations qui l'obligèrent à se défendre ; il se défendit de manière à confondre l'imposture, et, pendant deux années prêcha en héroïque missionnaire. Pasquier-Brouet fut envoyé à Foligno, à Muntepulciano, à Reggio de Modène, à Faenza; par des entretiens familiers, des œuvres de charité, des exercices de confréries, il força l'ennemi à battre en retraite. Lefèvre et Laynès opérèrent d'abord à Parme, puis à Plaisance et communiquèrent leur esprit à des prêtres chargés de continuer leur mission. Le plan des sectaires était d'envahir secrètement toute l'Italie et de la détacher graduellement du Saint-Siège ; Venise, pour leur dessein, avait une particulière importance, Laynès y parut et se dressa, lui seul, comme un mur d'airain. Son éloquence était vive ; elle avait de profondes pensées, de fortes images. Tour à tour, par des sermons et des exégèses, elle lui assura, sur toutes les classes de la cité, un véritable empire. De Venise, il gagnait Padoue et réformait l'Université. Au mois de févriers 1554, il paraissait à Brescia, où s'infiltraient les disciples et les ouvrages de Luther et de Calvin. Dans cette ville, dont il eut bientôt ravivé la foi, habitait un moine apostat, qui, par sa forte dialectique, dévoyait beaucoup d'esprits. Fort de sa science, il provoqua Laynès en champ clos. Ces discussions publiques étaient
=========================================
p50 PONTIFICAT DE PAUL III (1334-1549).
alors un plaisir et un besoin. Accompagné d'une multitude avide de ses joutes, le moine se présente devant les jésuites, qui, patiemment, l'écoutent développer ses thèses à loisir. Quand il eut énuméré ses arguments, Laynès dont la mémoire était prodigieuse, les reprit l'un après l'autre et les réfuta d'une façon si péremptoire, que l'adversaire confondu avoua son erreur et rentra dans le giron de l'Église. Ces exploits de la Compagnie au pays lombard venaient de décider, pour une part, du salut de l'Italie.
209. En Espagne, les jésuites n'avaient pas à lutter contre un invisible ennemi. L'Espagne était catholique ; elle avait combattu les Maures pendant huit siècles ; et les braves de Cavadonga avaient marqué les âmes du sceau de leur héroïsme. De plus, Ignace était espagnol et son œuvre militante devait convenir au sang généreux de ses vaillants compatriotes. Un espagnol, nommé Araoz, était entré dans l'Institut ; c'est à lui qu'échut la charge de le faire connaître à ses compatriotes. Araoz était éloquent et surtout convaincu ; son voyage en Espagne fut comme un de ces triomphes que la fable attribue à certains demi-dieux. A Barcelonne, il fonde une maison de la Compagnie ; à Burgos, à Valladolid, même enthousiasme, mêmes résultats ; dans les provinces basques il opère de semblables prodiges. Plus d'une fois, les églises se trouvèrent trop petites pour ses auditoires ; il dut prêcher en rase campagne. Le vice-roi de Catalogne était don François de Borgia ; il s'entretint avec Araoz et se sentit vaincu : il devait être le troisième général de la Compagnie. Le Portugal, le royaume le plus empressé à recevoir la Compagnie, eut en partage Xavier et Rodriguez ; Xavier partit pour les Indes ; Rodriguez fonda une maison à Lisbonne et posa les fondements du célèbre collège de Coïmbre. Au mois de janvier 1544, il ne comptait que vingt-cinq sujets ; en juillet, il en comptait soixante : la grâce de Dieu s'attachait partout aux pas d'un Jésuite. En Portugal, ils luttèrent surtout et avec un tel succès contre la corruption des mœurs, qu'un témoin oculaire dit, en parlant de leur réussite : « C'est une seconde Sparte qu'ils veulent fonder.»
210. En France, les Jésuites ne furent représentés d'abord que par des étudiants à l'Université de Paris : le berceau de l'ordre de
=========================================
p51 CHAP. XII. — DÉBUTS DE LA COMPAGNIE DE JÉSL'S.
vait en être ainsi le Séminaire. En 1540, le Navarrais Jacques d'Eguia était le supérieur de ces écoliers, Jérôme Domenech lui succéda en 1541. Paul Achille, Ribadéneira, Viole, François Strada, l'un des plus célèbres prédicateurs de son siècle, André Oviédo, qui fut patriarche d'Ethiopie et plusieurs autres, se livraient avec l'ardeur ordinaire des novices aux travaux dont l'Université ouvrait le champ. A l'étude, ils joignaient toutes les pratiques de la charité et du zèle. Leur prosélytisme attira des recrues et des protecteurs: Jacques Miron demanda d'entrer dans la Compagnie ; François Picard et Maitre à Cornibus, se déclarèrent hautement ses protecteurs. Dans l'intérêt des éludes, on jugea utile de réunir dans une même maison les étudiants de l'Ordre : le collège des Boursiers, et, en 1542, celui des Lombards, ouvrirent leur porte. La rivalité entre Charles-Quint et François Ier entraîna bientôt l'expulsion du supérieur Domenech et la dispersion des élèves. Du reste les ressentiments ne manquaient pas, en France, contre le nouvel Institut. Cet Ordre était fondé par un Espagnol; la plupart de ses membres appartenaient à la même nation. Cette nation, par ses souverains, se posait en rivale ardente de la France : la différence des mœurs et des caractères était flagrante ; il y avait, de plus, préjugés, antipathie. Les clameurs contre les Jésuites, poussées par les hérétiques d'Italie et d'Allemagne, retentissaient dans tout le royaume, où ils comptaient beaucoup de sectateurs. Ignace avait placé, à Paris, une pierre d'attente ; il laissa au temps le soin de calmer les esprits et de faire tomber les préventions. En 1545, l'évêque de Clermont, se déclarant protecteur de la Compagnie, fonda un collège à Billom et logea les Pères à Paris dans son hôtel de Clermont, qui sera plus tard, la première maison de l'Ordre dans cette Capitale. Ce point de départ heureux découvrit bientôt la grande pierre d'achoppement de la Compagnie. Dès longtemps, les Universités s'opposaient à l'admission des ordres religieux comme corps enseignants ; leur opposition aux ordres de S. Dominique et de S. François avait suscité de longues controverses et obtenu un retentissement considérable. La présence des Jésuites, d'autant plus redoutables qu'ils étaient plus forts, devait réveil-
==========================================
p52 PONTIFICAT DE TAUL III (1534-1549).
ler toutes ces querelles et montrer combien peu l'Université accepte la concurrence du mérite. La lutte durera trois siècles ; elle se continue encore, quand tout a changé, excepté les passions. — Outre l'opposition des Universités, les Jésuites trouvaient encore parfois des ennemis au sein du clergé. Les réguliers étaient jaloux, parce qu'ils se voyaient surpassés en vertu ; ils ne se dissimulaient point que le nouvel ordre avait plus de souplesse dans les formes pour s'approprier aux convenances sociales ; ils regrettaient que le Saint-Siège eût accordé aux nouveaux venus d'immenses privilèges. Le clergé séculier avait d'autres motifs d'opposition ; s'il ne découvrait pas, dans les Jésuites, l'extérieur mortifié et pénitent, il ne s'apercevait que trop de leurs succès énormes dans la direction des âmes ; les évêques se plaignaient qu'ils fussent soustraits à la juridiction de l'Ordinaire ; enfin, évêques et curés, pendant longtemps, ne pardonneront pas, aux Jésuites, leur irréconciliable guerre contre le rigorisme jansénien et le servilisme gallican. Cette hostilité du clergé et des Universités trouve un fidèle écho et une force nouvelle dans les chambres des Parlements. Les Parlements sont d'ailleurs jaloux de l'influence des Jésuites à la cour et sur la noblesse ; ils combattent particulièrement, en eux, les adversaires des théories parlementaires sur l'organisation sociale, le pouvoir des rois et les rapports naturels entre les deux puissances. En France et hors de France, les hérétiques, les révolutionnaires, les sociétés secrètes, les gens de cour et les philosophes corrompus leur jurent une haine éternelle. C'est un honneur pour les Jésuites: les supports de Satan n'ont pas l'habitude de se méprendre sur la force de leurs adversaires. — Malgré toutes les oppositions, dans cette France travaillée par le Calvinisme, Pasquier Brouet, fut envoyé pour fonder l'Institut. A sa suite vinrent l'infatigable Laynès, Antoine Possevin et Edmond Auger. Laynès avait déjà soutenu la foi catholique en Italie, réformé la Daterie, composé une Somme théologique et refusé le chapeau de cardinal, lorsqu'il parut en France et brilla surtout au collège de Poissy. Possevin avait été délégué Apostolique en Russie et en Suède, lorsqu'il vint à Lyon combattre les hérétiques. Enfin Edmond Auger, dont personne n'i-
========================================
p53 AP. XII. — DÉBUTS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
gnore la vocation extraordinaire, l'érudition, l'éloquence, la sainte intrépidité au pied de l'échafaud, sut forcer l'admiration de ses ennemis: il fonda un Collège à Paris et ramena, lui seul, plus de quarante mille protestants.
111. « Le mouvement religieux qu'imprimèrent les Jésuites en Allemagne, dit Ranke, est peut-être sans exemple dans l'histoire. » L'Allemagne était le berceau du protestantisme ; elle était alors si ignorante et si corrompue, que l'erreur pouvait aisément s'y promettre tous les succès. C'est donc sur ce théâtre que le grand adversaire de Luther devait déployer ses forces et faire valoir ses ressources ; il s'y essaya principalement par l'envoi de trois Pères, Lefèvre, Le Jay et Canisius. Lefèvre, dit Florimond de Rémond, était natif d'un village près de Genève, qui, dès l'âge de douze ans gardant ses brebis, fit vœu de perpétuelle chasteté ; il se rendit depuis, par la vivacité de son esprit, un grand pasteur de la bergerie de Jésus-Christ. » Lefèvre fut envoyé en Allemagne en 1510, avec Ortiz, député de Charles-Quint. On avait proposé un colloque, où, sous couleur d'expliquer les choses, on s'ingéniait à les obscurcir, à les passionner et à les faire trancher par la force. A son premier coup d'oeil sur la nation allemande, Lefèvre fut épouvanté: « Je m'étonne, écrit-il, qu'il n'y ait pas deux ou trois fois plus d'hérétques, et cela parce que rien ne conduit si rapidement, à l'erreur dans la foi, que le désordre des mœurs ; car, ce ne sont ni les fausses interprétations de l'Écriture, ni les sophismes qu'emploient les Luthériens dans leurs sermons et leurs disputes, qui ont fait apostasier tant de peuples et fait révolter contre l'Église Romaine, tant de villes et de provinces : tout le mal vient de la vie scandaleuse des prêtres.» Au lieu de discuter dans des colloques, Lefèvre se prit à prêcher: il ouvrit des exercices spirituels aux évêques, aux prélats, aux électeurs, aux vicaires-généraux, aux ambassadeurs des couronnes, aux théologiens, aux docteurs et aux autres membres des diètes ; il évangélisa successivemnt Worms, Spire, Ratisbonne ; expliqua, en dernier lieu, l'Écriture Sainte à Mayence. Quand Lefèvre eut résolu les doutes des grands et leur eut enseigné la manière de régler leur vie, vint Le Jay qui voulut répandre, dans
========================================
p54 PONTIFICAT DE PAUL III (1534-1549).
le clergé, les germes de la vertu. Le clergé, sous les yeux même de l'Empereur, se révolte à l'idée du changement que ce Français veut introduire dans les mœurs. Les hérétiques s'unissent au clergé dans un commun sentiment de haine. On menace Le Jay de le jeter dans le Danube : « Peu m'importe, répond-il, d'entrer au ciel par la voie d'eau ou par la voie de terre. » Bobadilla, de son côté, s'arrête à Inspruck, prêche à la cour et suit Ferdinand à Vienne. Bobadilla fait aussi triompher l'Evangile dans le cœur des prêtres dissolus. Quant à Le Jay, après avoir prêché avec fruit, il soutient les évêques dans la lutte contre l'hérésie. A l'assemblée provinciale de Salzbourg, il est leur conseil unique et exclusif; il prouve d'abord que les Prélats ne peuvent jamais consentir à ce que, dans une assemblée laïque, on s'arroge le droit de résoudre une question religieuse ; il démontre ensuite que les protestants, en supposant qu'ils admettent tous les dogmes catholiques, seraient encore entachés de schisme et d'hérésie, s'ils refusent de reconnaître, en matière de foi, l'autorité des Souverains Pontifes. Les évêques adhérèrent à cette déclaration ; ils firent écarter l'idée d'un Concile national inspiré par les Luthériens et chargèrent Le Jay de presser, à Rome, la convocation de l'assemblée œcuménique dont les Jésuites étaient les intelligents promoteurs.
212. Marteau des hérétiques, comme l'appelle le cardinal Stanislas Hosius ; homme très vénérable dont la louange, dit Raynaldi, est dans l'Evangile et dans toutes les églises, Canisius, selon le témoignage de nombreux écrivains, est l'astre le plus radieux qui, au XVIe siècle, était paru en Allemagne. Pour prouver, comme il convient, la science, les vertus et les mérites de Canisius, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire le bref de sa béatification en 1865 :
« Le Christ Notre-Seigneur, ayant prédit que les portes de l'enfer ne prévaudraient jamais contre son Église, a suscité, dans tous les siècles, des hommes vaillants, qui, armés du double glaive de la sainteté et de la doctrine, ont eu pour mission de réprimer l'audace, de repousser les assauts, et de résister aux violences des méchants, toutes les fois qu'ils ont essayé d'ébranler cette même Eglise, et de semer le trouble dans son sein.
========================================
p55 CHAP. XII. — DEIÎL'TS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
« Certes, on l'a vu souvent, mais surtout à l'époque funeste de Luther, lorsque cet homme impie, dominé par un orgueil satani-que, s'éleva contre le Saint-Siège, boulevard et forteresse du nom chrétien, arbora l'étendard de la révolte et se mit à répandre d'innombrables erreurs pour corrompre l'intégrité de la foi, et causer ainsi la perte des âmes. Ce ne fut point sans une disposition particulière de la Providence, que l'année même où Ignace de Loyola, père et fondateur de la Compagnie de Jésus, tombait atteint d'une grave, mais heureuse blessure, en défendant le château de Pampelune, et que, déposant, peu après, les armes de la milice séculière, il résolut de combattre désormais les seuls combats du Seigneur, qu'en cette même année, disons-nous, naquit le vénérable serviteur de Dieu Pierre Canisius, destiné à lutter avec force et courage, sous les auspices du même Ignace, contre des ennemis d'un genre nouveau. Canisius, né en 1521, d'une famille distinguée, à Nimègue, en Hollande, passa dans l'innocence les années du premier âge sous le toit paternel. Plus tard, il se rendit à Cologne pour y faire ses études ; ayant achevé le cours des humanités, et reçu le grade de docteur en droil civil, il se transporta à Louvain pour s'initier au droit canonique. Quoique jeune, il était si enflammé de zèle pour défendre la foi, qu'on eût dit, à le voir s'élever contre les erreurs pernicieuses des hérétiques, qu'il faisait l'apprentissage des luttes glorieuses qui l'attendaient dans l'avenir.
« Pour donner cours aux sentiments qui l'animaient, il résolut de s'enrôler dans la Compagnie de Jésus qui venait de s'établir; rien ne fut capable de l'arrêter dans la réalisation de son projet: ni la perspective d'une fortune opulente, ni les avantages d'une alliance choisie qu'on lui offrait. A peine eut-il reçu les ordres sacrés, que son cœur brûla du désir de défendre l'Eglise ; aussi ne s'épargna-t-il aucune peine pour se mettre en état de voler de toutes manières â son secours.
« Le clergé et le peuple de Cologne, jaloux de conserver intact le trésor inestimable de la foi orthodoxe, députèrent Canisius auprès de l'empereur Charles-Quint et de l'évêque de Liège, George d'Autriche, pour réclamer leur appui contre Hermann, archevêque
========================================
p56 PONTIFICAT DE PAUL m (1534-1349).
de Cologne, qui, s'étant laissé prendre à l'amorce des opinions nouvelles, et séduire par les fourberies hérétiques, avait fait venir à Cologne plusieurs novateurs, introduisant ainsi les loups ravissants dans la bergerie du Christ. Canisius remplit sa mission avec un plein succès ; car peu de temps après, Hermann, mercenaire, et non pasteur, fut frappé d'anathème, et déposé de son siège par le souverain pontife.
« Pierre était à peine âgé de vingt-six ans, lorsque le cardinal Othon Truchsès, évêque d'Augsbourg, qui avait su apprécier le savoir et la vertu de l'homme de Dieu, l'envoya au concile de Trente, comme son théologien. Les pères qui composaient cette mémorable assemblée, furent frappés du talent avec lequel parlait Canisius ; ils admiraient la maturité du jugement qu'il apportait dans les questions à expliquer, la promptitude de ses réparties, son éloquence grave et soutenue. Appelé à Rome par saint Ignace, il reçut l'ordre d'aller enseigner les belles-lettres au collège de Messine en Sicile. Il s'acquitta de cette mission, certes très difficile, avec un rare mérite, et au grand avantage des jeunes gens confiés à sa sollicitude. Une année s'était à peine écoulée, que le vénérable Pierre, rendu à l'Allemagne, déploya sur ce vaste théâtre toutes les ressources de son zèle aussi saint qu'éclairé.
« En arrivant à Ingolstadt, et plus tard à Augsbourg, il dut constater avec douleur les nombreuses et profondes blessures que les hérétiques avaient faites à l'Eglise : le peuple était dépravé ; les mœurs du clergé étaient relâchées ; les temples abandonnés ; les sacrements méprisés ; la plupart des villes, dépourvues de pasteurs, étaient délaissées. Pour remédier à tous ces maux, Canisius eut recours au ministère de la parole, mais il prêcha surtout par le bon exemple, dont l'éloquence est toujours si persuasive. Vivement préoccupé de rétablir dans les collèges la marche des études solides, ce ne fut que par des efforts vigoureux et opiniâtres qu'il atteignit son but. Il fit venir des hommes d'une orthodoxie reconnue pour reprendre l'enseignement des saines doctrines et de la théologie scolastique, si propre à l'exposition du dogme catholique, et que, pour cette raison, les protestants avaient souverainement en
=========================================
p57 CHAP. XII. — DÉBUTS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
horreur. Ayant remarqué qu'on propageait le poison de l'hérésie au moyen de petits livres, il crut que le meilleur antidote à employer, était de publier un abrégé de la doctrine chrétienne ; il le composa avec tant d'exactitude, de clarté et de précision, qu'aucun ouvrage n'est plus propre à instruire les peuples dans la foi catholique. Aussi fut-il unanimenl approuvé par les évêques et les théologiens, et répandu de tous côtés pour le bien des âmes.
« On ne pourrait s'imaginer combien ce courageux athlète, que Dieu avait suscité pour servir de rempart à l'Eglise dans des temps très difficiles, entreprit de longs et fréquents voyages, durant l'espace de cinquante ans ; combien il eut à essuyer de fatigues et à dévorer de peine.
« Pour défendre l'épouse du Christ, il parcourut la Pologne, la Franconie, la Bavière, la Bohême, l'Allemagne presque toute entière. Il fut le sauveur d'une foule de villes et de provinces, préservant les unes de la contagion, purgeant les autres de la peste, parfois même invétérée, des erreurs nouvelles. Aux dictes de Ratisbonne, de Piotrkow et d'Augsbourg, il excita le courage des princes catholiques et des évêques, pour les amener à comprimer la fureur des sectaires et étouffer la flamme funeste de l'hérésie, qui dégénérait en une conflagration générale. Au colloque de Worms, il en vint publiquement aux mains avec les chefs de l'hérésie ; il écrasa les uns du poids de son érudition et de son éloquence, et réduisit les autres au silence, bien qu'ils fussent tous d'une audace effrénée. Il réfuta victorieusement les centuriateurs de Magdebourg, dans un ouvrage plein de science et de laborieuses recherches.
« Nommé premier provincial d'Allemagne par saint Ignace, il créa une multitude de collèges pour favoriser l'instruction de la jeunesse, et se donna des peines infinies pour établir à Home le collège Germanique, destiné à recevoir les jeunes Allemands qui, sous l'égide des souverains pontifes, formés aux bonnes mœurs et élevés dans la saine doctrine, devaient s'en retourner ensuite dans leur patrie, afin d'y combattre en bons soldats de Jésus-Christ les progrès envahissants de l'erreur. Les lieux qu'il ne pouvait visiter
=========================================
p58 PONTIFICAT DE PAUL III (1534-1549).
en personne étaient également l'objet de ses meilleures attentions; il y envoyait des prêtres émules de sa charité, chargés de cultiver avec soin le champ du Seigneur.
« Rappelé, pour la deuxième fois par les légats du Saint-Siège, au sein du concile de Trente, il y défendit la cause catholique avec un zèle et une science qui furent reconnus et admirés de tout le monde.
« Les souverains pontifes, nos prédécesseurs, pleins de confiance dans le savoir et la sainteté de Canisius, le chargèrent maintes fois de missions très importantes. Paul IV l'envoya en Pologne, pour y relever la religion sur le penchant de sa ruine ; Pie IV le députa vers les évêques et les princes de l'Allemagne, pour les déterminer à accepter et à promulguer les décrets du concile de Trente et servir par là les intérêts de la foi orthodoxe et des bonnes mœurs ; Grégoire XIII, enfin, se servit du ministère de ce saint apôtre pour débrouiller plusieurs affaires ecclésiastiques très compliquées ; s'en acquitta parfaitement, selon le gré du pontife, mais non sans vaincre de nombreuses difficultés et affronter de grands dangers.
« Du reste, ni les menaces, ni les injures, ni le péril même de sa vie, ne purent jamais le détourner d'employer toutes ses forces morales et physiques à soutenir la religion vivement battue en brèche par les menées perfides des protestants.
« Partagé entre mille soins divers, n'ayant jamais un moment de repos, bien moins encore de loisir, il consacrait à la prière une partie considérable de la nuit, et se livrait avec tant de bonheur à la contemplation des choses célestes, que d'ordinaire il y versait d'abondantes larmes. Les souverains pontifes et les personnages les plus éminents par leur rang et leur piété, et surtout saint Charles Borromée et saint Philippe de Néri, professaient pour Canisius la plus profonde estime ; néanmoins, malgré ces témoignages si flatteurs, il montrait tant de modestie, et était si plein de mépris pour lui-même, qu'il refusa constamment le Siège épiscopal de Vienne, qu'on lui offrit plusieurs fois avec instance. Ce ne fut qu'avec grand'peine qu'on parvint à lui faire accepter, en vertu d'une
=========================================
p59 CHAP. XII. — DÉ1JUTS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.
autorisation du Saint-Siège, l'administration du diocèse, durant une année.
« Son attachement et son dévoument au souverain pontife ne connaissait point de bornes. Il avait consacré au successeur de Pierre tous ses talents, ses efforts, ses labeurs, sa vie tout entière. Son obéissance à ses supérieurs n’était non moins exemplaire ; entièrement soumis à leurs ordres et à leur bon plaisir, aucune entreprise, si pénible ou difficile qu'elle pût être, ne lui paraissait au-dessus de ses forces, dès que l'autorité avait parlé : aussi sa joie et sa promptitude dans l'exécution étaient parfaites. Il conserva jusqu'à son dernier soupir la robe de l'innocence; d'ailleurs, dès son premier âge, il s'était engagé devant Dieu à garder la chasteté. Il affligeait son corps par toutes sortes d'austérités : à l'exemple de l'apôtre saint Paul, il réduisait sa chair en servitude, de peur qu'elle ne se révoltât contre l'esprit. Enfin, ayant reçu l'ordre de partir pour Kribourg, en Suisse, et s'y étant employé avec le plus grand zèle a procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, il mourut saintement dans la paix du Seigneur, l'an 1697, âgé de 77 ans. Il succomba sous le poids de ses longs et pénibles travaux, bien plus que sous le faix des années.