Darras tome 17 p. 479
24. Alcuin , né dans le Northumberland en 735, l'année même où mourut le vénérable Bède, n'avait pu, comme le dit le chroniqueur, en être l'élève. Mais deux disciples de Bède, Egbert archevêque d'York, puis son frère et successeur Aelbert, furent réellement les maîtres d'Alcuin. L'école épiscopale d'York rivalisait alors avec celle de Cantorbéry. Alcuin s'y distingua, dès son plus jeune âge, par une piété vive et une ardeur incroyable pour le travail. Il avait onze ans à peine qu'on lui reprochait de préférer la lecture de Virgile à celle des psaumes. Le cours d'études suivi à York était celui que le vénérable Bède avait mis en honneur. « Notre maître le savant Aelbert, dit Alcuin dans son poème de poncificibus Eboraci, abreuvait à toutes les sources de la science nos esprits avides. Aux uns il enseignait les règles de la grammaire ; il faisait couler pour les autres les flots de la rhétorique; il formait ceux-ci aux luttes de barreau, ceux-là aux chants des poètes aoniens. Il leur apprenait à faire résonner la flûte de Castalie, à frapper d'un pied lyrique les sommets du Parnasse. Il expliquait le mécanisme des cieux, les pénibles éclipses du soleil et de la lune, les cinq zones du pôle, les sept étoiles errantes (planètes), les lois des astres, leur lever et leur coucher, les mouvements violents de la mer, les tremblements de terre, l'histoire naturelle de l'homme, des animaux domestiques, des oiseaux et des bêtes féroces, les diverses combinaisons des nombres et leurs formes variées. Il enseignait a calculer d'une manière
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1 Monacli. San. Gallieus., Vit. Carol. Maqn., lib. I, cap. il.
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certaine le retour annuel de la Pâque; mais surtout il nous découvrait les mystères des saintes écritures, il nous faisait pénétrer dans les profondeurs de l'ancienne loi 1. » Vers l'an 763, Aelbert fit le pèlerinage de Rome, dans le double but de satisfaire sa piété et d'augmenter par de nouveaux manuscrits les trésors de la bibliothèque d'York. Alcuin l'accompagna. Ensemble ils traversèrent l'Alsace et séjournèrent quelque temps au monastère de Murbach. Dès cette époque, Alcuin eut l'occasion de connaître Charlemagne et d'en être tellement apprécié que le grand roi l'adjoignit aux ambassadeurs qu'il faisait partir pour Rome, circonstance rappelée par le Liber Pontificulis, où le nom d'Albinus (Alcuin) est suivi de cette gracieuse épithète deliciosus regis. Cependant le jeune docteur anglo-saxon ne se fixa point encore à la cour de France, où de si brillantes destinées l'attendaient dans l'avenir. Les deux pèlerins revinrent en Angleterre, et leur situation respective changea bientôt. Aelbert fut promu sur le siège archiépiscopal d'York. Il l'occupa pendant douze ans, après lesquels il se retira dans la solitude, se choisit un coadjuteur dans la personne d'Éanbald, et remit à Alcuin la direction en chef de l'école et de la bibliothèque. C'est Alcuin lui-même qui nous apprend tous ces détails. « Aelbert, dit-il, donna à Éanbald l'administration de l'église, les biens, l'argent; mais le trésor de ses livres qu'il aimait avant tout, il le légua à son autre fils, celui qui n'avait jamais quitté le père afin de se tenir toujours aux sources mêmes de la science. L'illustre maître les avait rassemblés des points les plus reculés de l'univers : il les avait réunis tous sous un même toit. Là, vous trouverez tous les ouvrages des anciens pères, les chefs-d'œuvre du génie romain, tout ce que la Grèce brillante a transmis au Latium, toutes les pluies divines qui apaisèrent la soif du peuple hébreu, toutes les lumières resplendissantes qui ont brillé sur le sol africain ou sous le ciel de l'Italie, Jérôme, Hilaire, Ambroise, Augustin, Athanase , Orose, Grégoire le Grand, Léon;
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1.Alcuin., De pcmtificib. eccles. Eboracensis, v. 1433 et seq. ; Pair, lat-, loin. Cl, col. 841. — Cf. M. Franc. Monniur, Alcuin et Charlemagne, 2« edit., pag. 10.
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la parole éclatante de Basile et de Fulgence ; Cassiodore, Jean Chrysostome ; les doctrines d'Athelm, du vénérable maître Bède, de Victorinus et de Boèce; les anciens historiens, Pompée, Pline; le profond Aristote et Cicéron le grand orateur; les chants de Sedulius, Juvencus, Alcime, Clément, Prosper, Paulin, Aralor, Fortunat, Lactance, Virgile, Stace, Lucain ; les maîtres de grammaire Probus, Phocas, Donat, Priscisn, Servius, Euticius, Pompée, Comminien, et une infinité d'autres génies, illustres par la science, l'éloquence ou la poésie, dont je ne pourrais inscrire les noms sans allonger démesurément ce récit1. » Nous ne saurions trop regretter la réticence imposée à Alcuin plus encore peut-être par la difficulté de mettre en vers tout un catalogue de bibliothèque, que par la crainte de fatiguer le lecteur. Telle qu'il nous l'a transmise, cette liste incomplète nous donne une haute idée du dépôt littéraire des évêques d'York, et nous permet de conjecturer ce que dut être la bibliothèque palatine de Charlemagne, quand Alcuin vint en prendre la direction. Il est probable, en effet, que ni le grand roi ni son nouveau bibliothécaire n'eussent voulu d'une bibliothèque inférieure à celle d'une cité quelconque des îles britanniques. Parmi les élèves d'Alcuin à York, on compte Luidger qui devint plus tard l'apôtre de la Frise, Witzo surnommé Caudidus, Sigulplie, Fridugise, Onias et Joseph, tous célèbres dans leur temps par des écrits exégétiques et théologiques dont quelques fragments nous sont seuls parvenus. Au milieu de ses préoccupations scolastiques et des labeurs du professorat, Alcuin visitait fréquemment son ancien maître, l'archevêque Aelbert. Un jour, leur entretien roula sur la mort. Le vénérable vieillard lui dit : « Quand j'aurai quitté cette terre d'exil et émigré vers Dieu, tu partiras pour Rome afin d'en rapporter le pallium à ton condisciple Éanbald ; ensuite lu visiteras la France. Tu es appelé par la Providence à y faire le plus grand bien. Jésus-Christ sera ton guide dans ce voyage, il dirigera tes nas sur la terre étrangère. Tu auras à lutter contre
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1 Aîc.uia, De pontifie. Eboracens. ; Pair, lut., lotn. CI, col. 844.
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une abominable hérésie, qui voudra prouver que l’Homme-Dieu n'est que le fils adoptif du Père; tu deviendras l'inébranlable défenseur de la Trinité sainte, et tu persévéreras sur la terre du voyage à éclairer et à convertir les âmes 1. » Quelques jours après, Aelbert mourut, chargé d'ans et de saintes œuvres. Alcuin, tout entier à sa douleur, nous en a laissé un témoignage dans ces vers : « Hélas ! faut-il donc rappeler ce funeste souvenir, ce jour qui vit couler tant de larmes, quand la cruelle mort ferma les yeux du grand pontife, notre père et notre maître? Il nous laissa voués aux pleurs et à l'exil, il retourna dans la patrie. 0 père, sans toi nous allons être emportés par les flots sur l'Océan du monde, ignorant à quel port il nous sera donné de jeter l'ancre2! » Ainsi que l'avait prédit le saint vieillard, Alcuin fut chargé d'aller à Rome solliciter le pallium pour le nouvel archevêque. Dans ce second voyage, il retrouva Charlemagne devenu maître de l'Italie. L'entrevue eut lieu à Parme. « Le grand roi s'éprit pour le grand professeur d'une affection telle qu'il voulait l'avoir sans cesse à ses côtés et ne pouvait se rassasier de l'entendre. Pour l'attacher à la France, il lui donna sur-le-champ l'abbaye de Ferrières et celle de Saint-Loup de Troyes. Je ne puis, sans l'autorisation de mon roi et de mon évêque, répondit Alcuin, abandonner ma patrie, quitter l'église où j'ai reçu la tonsure cléricale et la consécration des lévites. Permettez-moi donc de retourner dans mon pays. — Char- lemagne, de sa voix la plus caressante, lui dit : J'ai des richesses en abondance, illustre maître, je serai heureux d'en disposer en votre faveur et de vous honorer comme un père. Il y a longtemps que nous vous désirons tous dans ce royaume; maintenant que vous y êtes venu, que nous avons eu la joie d'être illuminés par les rayons de votre piété, je vous en supplie, ne nous quittez plus. — Seigneur, reprit Alcuin, je ne veux point résister à votre volonté, mais il faut que j'y sois autorisé canoniquement. Je laisserai de grand cœur et ma patrie et l'héritage de mes aïeux,
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1 Alcuini vila, cap. v; Patr. laf., toui. C, col. 97.
2. Alcuiiij De pontifie. Eborac, toiu. cit.
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si je puis vous être utile, même en restant pauvre près de vous. Il vous reste à m'obtenir de mon roi et de mon évoque1. » Charlemagne le laissa donc encore retourner en Angleterre, mais n'épargna rien pour hâter la conclusion définitive. Après l'accomplissement de toutes les formalités, le célèbre professeur quitta York pour venir enseigner la France entière.
25. Ce ne fut pas en effet l'école palatine seule qui profita de la présence d'Alcuin, bien qu'elle en recueillit la première les leçons. Le mouvement littéraire et la passion des études prirent un essor inouï depuis l'occupation des Gaules par les Francs. La transformation alla jusqu'à changer les noms eux-mêmes : Charlemagne s'appela David; son fils Pépin Jules ; la princesse Gisèle Lucia; Richtrudis (Rotrude), fille aînée du monarque, Columba; Alcuin Flaccus; Angilbert, gendre du roi, Homère; Éginhard, son autre gendre, Béséléel; saint Adalard Augustin; Riculphe, Damoetas. Charlemagne, le David de cette royale académie, propageait partout le goût de la science. Il écrivait à saint Lull, dont il trouvait sur ce point le zèle un peu refroidi: «Vous travaillez noblement avec le secours de Dieu à la conquête des âmes, mais, ce dont je ne puis assez m'étonner, vous négligez d'apprendre les belles-lettres à vos clercs. Serait-il possible que, dans une si grande multitude soumise à vos ordres, il ne se trouvât personne qui ait quelque disposition à s'instruire? Apprenez- donc à vos fils spirituels les arts libéraux, pour contenter notre désir en un sujet qui nous touche si vivement2. » Charlemagne donnait à l'église d'Osnabrück un domaine immense, englobant toute la forêt comprise entre les localités de Farnewinckel, Rustenheim, Dershosset et Egesterfelc, uniquement pour l'entretien d'une école où le grec serait enseigné de façon qu'on pût toujours y trouver des hommes parlant parfaitement cette langue, et capables d'accompagner leur évêque dans les ambassades à Constantinople3. Nous avons dit que
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1 B. Alcuin' ixln, loc. cit.
2. Lebeuf, Sv/.;i/e»ie«/ à lu dissertation sur Fêlai des sciences sous Charlemagne, réimprimé il.ni* Ih colli.'ction Leber, tom. XIV, pag. 371.
3. Carol. M ttiu.f b'pist. n ; Patr. lat., tom. XCVIil, col. 89i.
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Charlemagne comprenait le grec, mais qu'il le prononçait mal. Aujourd'hui après mille ans révolus, la France du XIXe siècle en est encore là. On peut en dire autant du latin, que nous nous sommes, par une bizarrerie inexplicable, obstinés à travestir dans une prononciation particulière qui n'a d'autre mérite que d'être la nôtre, et le rend sur nos lèvres inintelligible à tous les autres peuples. Ce travers que nous signalons à la science soi-disant progressive de notre époque, existait pour le grec au VIIIe siècle. Le professeur spécialement chargé par Charlemagne d'enseigner cette langue aux jeunes Francs, était Paul Diacre. On négociait alors le mariage de Richtrudis, fille du roi franc, avec le jeune empereur byzantin Constantin VI Porphyrogénète ; de là, l'importance que Charlemagne apportait à l'étude du grec. Mais Paul Diacre ne lui laissait guère d'illusion : « On dit, lui écrivait-il, que la princesse votre glorieuse fille va franchir les mers pour aller ceindre à Byzance une couronne, et poiter la domination des Francs jusque sur les rivages de l'Asie. Mais si les clercs qui l'accompagneront ne parlent dans ces contrées d'autre grec que celui qu'ils auront appris de moi, ils courent risque de rester muets 1. »
26. Soit vice de prononciation, soit paresse des jeunes francs, les efforts du maître restaient donc stériles. Le découragement, l'approche de la vieillesse, mais surtout l'amour profond du disciple de Benoît pour sa cellule du Mont-Cassin, le sollicitaient à reprendre le chemin de l'Italie. II le mandait à Charlemagne, dont il leçut en réponse les strophes suivantes :. « Que le Dieu qui fit rétrograder de trois heures le cadran d'Ézéchias renouvelle pour toi et quintuple le prodige. C'est ma réponse au vœu qu'en un chant digue des Piérides tu m'adresses à moi-même, en me souhaitant trois fois cinq lustres au delà des limites communes de la vie. Mais que fais-tu? Paul, jadis vaillant soldat, toujours l'épée au poing contre nos ennemis ! Ton bras appesanti par les années a-t-il donc perdu sa vigueur ? Redresse au moins la tête, si ta main ne peut plus soulever le bouclier. Reste
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1. Lebeuf, loc. cit., pag. 364.
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en prolétaire dans ta ville de Metz, puisque tu redoutes les champs de bataille où l'on cueille des lauriers. Le sang alourdi par l'âge s'est-il desséché dans tes veines au point que ton cœur ne palpite plus pour la gloire1 ? » Ces images de guerre appliquées aux luttes du savoir et de l'intelligence sont dignes de Charlemagne. Elles ne purent cependant déterminer Paul Diacre à prolonger son séjour à l'école de Metz. Il la quitta pour retourner au Mont-Cassin , dont la riche bibliothèque lui fournit les matériaux de son ouvrage intitulé Historia Miscella ou Histoire des derniers siècles de l'empire, continuation du livre d'Eutrope. De son palais d'Aix-la-Chapelle, le roi n'oubliait pas le docte professeur; il lui écrivait en vers toujours, mais d'un ton moins belliqueux. Voici quelques-uns de ces envois poétiques. « Le roi Charles adresse comme un pieux hommage à son frère chéri, le vieux Paul, ces modestes distiques, tracés d'une main rapide sur le parchemin. Petite lettre, va porter au loin ma parole. Traverse les cités, les montagnes, les forêts, les fleuves et les plaines, jusqu'à ce Mont-Cassin illustré par le grand pasteur des âmes, le patriarche Benoit. Sur ces sommets sacrés, cherche mon Paul ; c'est là qu'il habite parmi les vénérables serviteurs de Dieu. Quand tu l'auras rencontré, dis-lui : Le roi Charles m'envoie vous saluer. Exprime-lui toute notre joie de la santé que la grâce du Christ lui conserve. Demande à ce vieux père de prier pour nous et de nous recommander aux prières de sa communauté sainte, car je sais de science certaine que Dieu les exauce toujours. Aussi je veux mander à tous les frères mon salut de perpétuelle paix. Tous donc, jeunes gens et vieillards, sachez que le roi Charles vous salue. Puisse la grâce du Christ vous régir et vous protéger à jamais2. » Une autre fois Charlemagne employait exclusivement l'alexandrin et adressait à Paul Diacre les vingt-cinq hexamètres suivants : «Christ, père du monde, foyer du siècle radieux, exauce ma prière et place sur mes lèvres des paroles qui ne soient pas trop indignes des célestes
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1. Alcuin. Carmina ; Pair, lai., tom. CI, col. 1312.
2. Carol. Magij., Carmina ; Pair, lai., tom. XCV1II, col. 1352.
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grâces que ta clémence nous accorde. Je veux adresser aux pères le salut de la dilection. Lève-toi, joyeuse muse des vers chrétiens, viens à moi, rendons ensemble des actions de grâces méritées à ces vénérables frères qui savent à la fois nous prodiguer le miel de la doctrine et réjouir nos cœurs par leurs chants. Vole aux champs de l'Ausonie, ma lettre rapide, salue en passant Pierre de Pisc mon bien-aimé 1, remercie-le des gracieux vers qu'il nous a récemment envoyés. Arrête-toi à la splendide demeure du grand pontife Adrien, prosterne-toi suppliante au tombeau de saint Pierre, et là prie pour moi et pour les miens dans le recueillement et le silence. Reprends alors ton vol à travers bois, collines et vallées, jusqu'au toit hospitalier de Benoit, le favori de Dieu. Jette-toi au cou de mon Paul; près de lui tu trouveras le repos cher aux voyageurs fatigués. Là les poissons frais, les légumes verts, le pain savoureux ne manquent jamais pour les hôtes; là régnent une pieuse paix, l'humilité, la belle harmonie des frères, et à toules les heures de la nuit et du jour la louange, l'amour et le culte du Christ. Dis au père et à tous ses religieux : Salvete, valete 2. »
27. Le lecteur doit commencer maintenant à croire que Charlemagne savait écrire. Non-seulement il avait à sa disposition cet art élémentaire, base de tant d’autres connaissances qu’il possédait en un degré éminent, mais il voulait que la science proprement dite fût accessible à tous ses sujets. En 787, il adressa aux évêques et abbés de son royaume une circulaire qu'on peut appeler un programme d'instruction publique. L'exemplaire qui nous en a été conservé provient de l'abbaye de Fulda. Il est conçu en ces termes : « Charles, par la grâce de Dieu, roi d33 Francs et des Langobards, patrice des Romains, à l'abbé Bau-
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1 Pierre ds Pise, l'un des plus illustres professeurs de cette époque, avait enseigné quelque temps à l'école palatine de Pépin le Bref, quand Charlemagne y était encore élève.
2. Carol." Magu., Carmina, Patr. lat., tom. XCXVIII, col. 1353. Cette pièce de vers composée par Charlemagne a été, en ces dernières années, découverte et publiée par l'école des Chartes.
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gulf, à toute sa congrégation et à tous nos fidèles sujets confiés à vos soins, salut au nom du Dieu tout-puissant. — Sache votre dévotion agréable à Dieu que, de concert avec nos fidèles, nous avons jugé utile que, dans tous les évêchés et monastères des états dont le Christ nous a donné le gouvernement, on prît soin non-seulement du maintien de la vie régulière et de l'observance des lois de notre religion sainte, mais qu'on se préoccupât d'instruire dans la science des lettres et selon la capacité de chacun tous ceux à qui le Seigneur a donné la faculté naturelle d'apprendre, en sorte que si la discipline régulière apprend à bien vivre, l'instruction apprenne à bien parler, et que tous les serviteurs de Dieu qui s'appliquent à lui plaire par la sainteté se rendent capables de le servir par la science. En effet, quoiqu'il soit mieux de bien faire que de savoir, il faut savoir avant de faire. Chacun doit donc apprendre d'abord ce qu'il devra pratiquer ensuite, et l'âme progressera d'autant mieux dans le service de Dieu qu'elle aura une plus exacte connaissance de la loi. Si l'erreur, le mensonge, l'ignorance sont si pernicieux dans le commerce avec les hommes, combien plus ne le sont-ils pas dans la vie chrétienne, où les fidèles doivent être par excellence les serviteurs de la vérité? Or, dans la correspondance que nous entretenons avec les monastères où l'on prie pour nous et pour la prospérité de notre règne, nous avons eu fréquemment l'occasion de remarquer que les sentiments qu'on nous exprime sont excellents, mais les phrases incultes et le langage incorrect. Ce qu'une pieuse dévotion inspirait bien au cœur, une langue inhabile et novice ne savait pas le traduire sans faute. Nous avons dès lors commencé à craindre que, de même qu'il y avait peu d'habileté à écrire, de même l'intelligence des saintes Écritures ne fût beaucoup moindre qu'elle ne devrait être. Là en effet si une erreur de mots est dangereuse, combien plus ne le serait pas une erreur de sens? C'est pourquoi nous vous exhortons non-seulement à ne pas négliger l'étude des lettres, mais à concentrer sur elle tous vos efforts, afin que, dans l'humilité d'un cœur entièrement voué à Dieu, vous puissiez pénétrer plus facilement et plus sûrement les
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mystères des écritures divines. Dans les pages sacrées on rencontre à chaque instant des allégories, des tropes, des figures de mots ou de pensée; il n'est pas douteux que celui-là en saisira mieux le sens spirituel qui sera le plus versé dans l'étude des lettres. Qu'on fasse donc choix pour professeurs d'hommes qui joignent à une profonde science le goût et l'aptitude de l'enseignement. Dans cette œuvre, qu'on se pénètre bien de la pensée qui nous inspire nous-même. Nous voulons qu'en votre qualité de soldats de l'Église vous soyez tout ensemble dévots intérieurement et doctes extérieurement, chastes et exemplaires clans voire vie, pleins de science dans votre enseignement. Ainsi, témoin de vos vertus et de votre sainteté, le peuple ambitionnera l'honneur de vous voir; charmé de la sagesse de vos paroles, de l'édification de vos enseignements, de l'harmonie de vos chants sacrés, il retournera à sa demeure louant Dieu et rendant grâces à sa miséricorde d'avoir préparé à nos générations de tels maîtres1.»