Bysance 37

Darras tome 18 p. 599


   28. Sur les entrefaites arrivèrent à Constantinople deux légats apostoliques envoyés par le pape Jean VIII pour renouveler près    

de l’empereur et du patriarche saint Ignace dont la mort était encore ignorée à Rome, les instances si longtemps inutiles auxquelles l'affaire de la Bulgarie avait donné lieu. «Nous débutons près de vous, disait Jean VIII à l'empereur nos conseillers Eugène, évêque

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p600 PONTIFICAT DE  JEAN   VIII   (873-882).

 

d'Ostie, et Paul, évêque d'Ancône, dont la science et la fidélité nous sont connues. Ils ont reçu de nous des instructions écrites auxquelles ils devront se conformer strictement. Quand leur mis­sion près de vous sera, comme nous en avons l'espoir, heureuse­ment terminée, ils se rendront en Bulgarie où nous vous prions de les faire conduire en sûreté. » Dans la lettre au patriarche Ignace, le pape était plus explicite et déclarait que le siège apostolique ne souffrirait pas la prolongation d'un état de choses contraire à toutes les lois de l'Église, menaçant Ignace d'excommunication s'il per­sistait à retenir la Bulgarie comme une annexe de son patriarcat. Telle était la mission des légats apostoliques Paul et Eugène. Leurs instructions particulières spécifiaient en outre la défense expresse de communiquer avec Photius et ses adhérents. Mais leur cons­cience ne put tenir contre les menaces de l'empereur et les séduc­tions de Photius lui-même. Non-seulement ils communiquèrent avec cet intrus, mais ils poussèrent la lâcheté et l'infamie jusqu'à dire publiquement que le pontife romain les avait envoyés pour dé­poser Ignace et rétablir Photius sur le siège patriarcal. En récom­pense de leur docilité, Photius leur promit satisfaction complète pour l'affaire de la Bulgarie, et l'empereur y joignit la promesse d'un secours efficace contre les Sarrasins qui dévastaient les pro­vinces italiennes et les Etats du saint-siége.


   29. Ce premier succès ne satisfit point encore l'ambition de Photius. Pendant que les deux légats infidèles restaient à Constantinople pour y négocier la restitution de la Bulgarie, il députa à Rome le nouveau métropolitain de Nacolie, Santabaren, son com­plice et son confident. Il devait remettre au pape une prétendue lettre synodique dans laquelle Photius, parlant au nom d'un concile imaginaire, notifiait la mort de son prédécesseur Ignace, l'élection unanime qui l'avait malgré lui appelé à recueillir la succession de ce grand homme, les violences mêmes qu'il avait fallu employer pour le contraindre à accepter de nouveau le siège patriarcal. II couronna ce chef-d'œuvre de mensonge par une de ces impostures qui lui étaient familières. Tous les métropolites et évêques d'Orient qui se trouvaient à Constantinople furent invités par lui à souscrire

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p601 CHAP. x. — rnoïius.     

 

un contrat d'acquisition que le patriarcat venait de conclure avec divers personnages qui demandaient à rester inconnus. Les signa­tures furent données sans difficulté aucune, seulement le prétendu contrat d'acquisition n'était rien autre chose que la lettre du pseudo-synode. Mais il était d'usage pour les lettres synodiques de joindre aux souscriptions le sceau épiscopal de chaque signataire, formalité solennelle qui n'était nullement en usage pour un simple contrat. On y pourvut au moyen d'une nouvell fourberie. Un secrétaire patriarcal, nommé Pierre, s'entendit successivement avec les secrétaires de cha­que évêque, comme s'il voulait faire une collection sphragistique. Il obtint de la sorte qu'on lui prêtât les sceaux des diverses signataires, les apposa à côté de chaque souscription et la pièce apocryphe fut ainsi revêtue de tous les caractères de la plus irréprochable authen­ticité. Photius, qui venait de faire parler à leur insu des évêques vi­vants, ne se fit aucun scrupule de contre faire l'écriture d'un mort. Il supposa une fausse lettre écrite au souverain pontife par le patriar­che Ignace pour notifier au saint-siége la soumission exemplaire de Photius, la rétractation qu'il venait de faire entre ses mains, la pé­nitence à laquelle il s'était de grand cœur engagé. En conséquence Ignace et les évêques de sa communion suppliaient Jean VIII de re­lever cet humble pénitent des censures précédemment encourues par lui. Ces deux lettres mensongères furent remises à Santabaren, qui se mit en route accompagné de deux ambassadeurs impériaux chargés d'une missive de Basile lui-même qui demandait au pape la confirmation de Photius «canoniquement, disait-il, rétabli sur le siège patriarcal de Constantinople, ainsi que l'avaient constaté après une minutieuse enquête les légats apostoliques. » L'empereur pro­mettait ensuite une entière satisfaction pour la question bulgare, et il annonçait l'envoi d'une armée navale pour défendre les côtes d'Italie contre les attaques des Sarrasins.


   30. Les députés grecs arrivèrent à  Rome au commencement  d'avril 879. On sait qu'ils obtinrent de Jean VIII la réintégration de Photius. Mais avec les faux renseignements et les pièces apocryphes dont ils étaient porteurs, il eût été absolument impossible, à moins d'une révélation particulière, que le pontife songeât à la leur refu-

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p602      PONTIFICAT   DE  JEAN   VIII   (872-882).


ser. « Un grand nombre d'écrivains ont accusé Jean VIII de fai­blesse honteuse, dit Monseigneur Iager ; il me semble que ce juge­ment qui contraste d'alleurs avec le caractère bien connu de ce pape, est trop sévère, et que ceux qui l'ont porté n'ont pas assez réfléchi sur la position où il se trouvait. Elle n'était plus la même que celle de ses prédécesseurs. Ignace avait cessé de vivre, Photius occupait sa place soutenu par tout le crédit de l'empereur. Refuser l'assentiment, c'était évidemment renouveler le schisme que les pré­décesseurs de Jean VIII avaient toujours cherché à prévenir ou à éteindre au prix de nombreux sacrifices et de concessions plus ou moins importantes. La réintégration de Photius était demandée, du moins on l'assurait au pape, par tout l'Orient, par les patriarches, les métropolitains et les évêques comme le seul moyen de maintenir la paix dans l'Église grecque. Ignace lui-même, tout mort qu'il était, figurait parmi les solliciteurs. Les instances de l'empereur Basile n'étaient ni moins vives ni moins pressantes. Jean VIII ne pouvait agir autrement qu'il ne le fit. Placés dans les mêmes circonstances, Nicolas le Grand et Adrien II eussent agi de même. Et qu'on ne dise pas que Jean VIII s'est laissé diriger par un intérêt purement ter­restre. La pacification de l'Italie, sa délivrance des Sarrasins et d'autres ennemis non moins dangereux, intéressaient au plus haut point de l'Eglise latine, de même que l'extinction du schisme était l'intérêt le plus vital de l'Eglise d’Orient. On objectera peut-être que les lettres des patriarches et des métropolitains, ainsi que celle d'Ignace étaient fausses. Mais le pape, qui avait sous les yeux leur signaturere vêtue du sceau officiel, pouvait-il le soupçonner, surtout lorsque ses légats qui étaient sur les lieux non seulement ne récla­maient pas mais donnaient une adhésion complète. Photius, ajoute-t-on, n'était point corrigé : sans doute, il ne l’était pas ; mais on l'avait présenté au pape, comme sincèrement repentant et converti. Qu'on dise donc tant qu'on voudra que Jean VIII a été odieusement trompé par une série d'impostures et de fourberies sacrilèges, mais qu'on ne l'accuse pas d'une honteuse faiblesse. » Telle est la con­clusion de Monseigneur Iager : c'est aussi la nôtre, et nous ajoute­rons que ce fut celle du pape Jean VIII lui-même. Ce grand pontife

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p603 CHAP.   XII.  —  P0XT1FICAT  DE  MARIN  I     

 

ne fit aucune difficulté de reconnaître qu'il avait été trompé par les mensonges combinés de Photius, de l'empereur et des légats infidèles. Aussitôt qu'il connut la vérité, il flétrit les légats prévaricateurs, il cassa tous les actes des pseudo-synodes, et fit signifier au patriar­che schismatique une nouvelle sentence d'excommunication par le courageux diacre Marinus.


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16.« Ce decretum d'Etienne VI, qu'on peut lire intégralement dans le recueil canonique d'Ives de Chartres, est, suivant l'expression de Ciaconius, un véritable monument d'éloquence et de zèle apostolique. Le bienheureux pontife eut à répondre aux let­tres injurieuses et blasphématoires de l'empereur Basile le Macé­donien 2 adressées à Adrien III et arrivées à Rome au moment où ce pape venait de mourir. Fidèle aux traditions de ses prédéces­seurs, Etienne dans son rescrit à l'empereur de Byzance anathématisait de nouveau Photius, et reprochait vivement à Basile la persécution que ce prince faisait subir aux catholiques d'Orient et le schisme qu'il entretenait contre l'Église romaine. Il adressa en même temps une encyclique à tous les évêques orientaux pour relever leur courage et les mettre en garde contre les intrigues de Photius. Sur les entrefaites, Basile le Macédonien vint à mourir (1er mars 886); son fils et succeseur Léon VI Porphyrogénète fit

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1 Ivon. Carn. Décret., pars vin, cap. cxxvi. Patr, lot,, ton». CLXI, col. 610 ' CI. ton». XVIII de cette Histoire, p. SlO.

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p33 CHAP.   I.  — COMPLÉMENT DE LA  NOTICE  D'ETIENNE  VI.       

 

cesser le schisme, relégua Photius dans un monastère et entretint avec le pape Etienne une correspondance dont les principaux documents ont été conservés. Vers ce temps, le bienheureux pape procéda à la translation solennelle des reliques des martyrs Diodore, Marianus et de leurs compagnons1 retrouvées par ses soins dans la catacombe de la voie Salaria. Ces glorieux témoins de Jésus-Christ avaient conquis la palme du martyre sous L'empereur Numérien dans les circonstances suivantes. La catacombe où ils étaient réunis avec un grand concours de fidèles pour célébrer le triomphe des martyrs Chrysanthe et Daria2, mis à mort quel­ques mois auparavant, fut signalée aux païens qui en obstruèrent les issues et firent périr de faim tous ceux qui y étaient renfermés. Cette crypte longtemps oubliée fut divinement révélée dans une vision au bienheureux pape Etienne qui y découvrit les osse­ments des martyrs et les transporta solennellement à Rome, le 17 janvier 3. »


Darras tome 19 p. 346

 

§ III. L'empereur Léon le Philosophe


37. Pondant que Sergius achevait à Rome les années de son pontificat, Léon VI, le Philosophe, terminait son règne à Byzance. Bien qu’il eût personnellement contribué à délivrer l'Église de Constuntinople de la domination schismatique de Photius, et qu'à ce titre il ait droit à la reconnaissance de l'histoire, il était loin, nous l'avons dit, de justifier dans sa conduite privée le surnom de «Philosophe » ou « Sage » que les contemporains lui décernè­rent. Peut-être d'ailleurs ne voulurent-ils donner à ce titre un peu prétentieux que la signification plus restreinte de littérateur, et dans ce cas il eût parfaitement convenu à Léon VI qui s'exerça dans toutes les branches de la littérature et ne recula même pas devant la théologie. Ses œuvres complètes forment le tome CVII de la Patrologie grecque. On y trouve vingt homélies ou panégyriques que Léon VI, à l'exemple de Constantin le Grand, prononçait de­vant le peuple assemblé à l'époque des principales fêtes; des essais de prières liturgiques, des méditations pieuses, une lamen-

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1. Labbe. ConeiHor. Ton. IX, ooL 645.

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p347 CHAP.   III.   — L'EMPEREUR LÉON LE  PHILOSOPHE      

 

tation sur le jugement dernier dont l'approche préoccupait alors tous les esprits, et enfin une épître dogmatique adressée au calife Omar pour lui démontrer la fausseté du mahométisme et la vérité de la foi chrétienne. Ces diverses élucubrations théologiques, en supposant qu'elles soient l'œuvre du César lui-même, supposent chez lui des connaissances étendues, une véritable érudition ec­clésiastique et de fort louables intentions. Il en est de même des Novellœ Contsitutiones, ou «Révision générale du corps de droit civil, » qu'il dédia à son frère le patriarche saint Etienne. Ce triage fait dans l'immense recueil des décrets impériaux témoigne d'une grande largeur de vues, un sens droit, un esprit ferme et résolu. Un traité sur la tactique militaire, qui porte également le nom de Léon VI, est un des monuments les plus précieux pour l'histoire de la stratégie antique. Tout cet ensemble d'oeuvres sorties de la plume du littérateur couronné se termine par des poésies qui ne sont ni supérieures ni inférieures à tant d'autres et qui restent dans le ton général d'une honnête médiocrité. Elles seraient peut-être aujourd'hui totalement oubliées sans les Oracula, ou Prophéties, à la fois en vers et en images symboliques, dans lesquels on a prétendu depuis trouver exactement prédites la chute de l'empire grec et la prise de Constantinople par les Turcs. Prophétiques ou non, les oracles de Léon VI sont curieux ; ils annoncent d'ailleurs la restauration d'un empire chrétien à Constantinople, par la double influence d'un grand prince et d'un grand pontife.

 

   38. Quoi qu'il en soit, et malgré toutes ces brillantes qualités, Léon le Philosophe ne fut pas un grand empereur. Il écrivait des traités de stratégie et ses armées, qu'il ne commandait jamais en personne, étaient partout battues, en Macédoine par les Bulgares (889), en Mésie et en Pannonie par les terribles Hongrois (890-900). Mais le désastre de Thessalonique dépassa en horreur toutes les calamnités précédentes. Les Sarrasins, après avoir ravagé la Sicile et pillé l'Archipel, vinrent avec une flotte immense assiéger cette ville demeurée l'une des merveilles de la Macédoine (904). Le chel musulman Léon de Tripoli avait

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p348       sehgius m (904-94 4>.

 

amené des hélépoles flottantes supportées par des vaisseaux qui pouvaient venir s'embosser au pied des tours avancées daus la mer. Le gouverneur de Thessalonique, Nicétas, n'avait qu'une garnison insuffisante. Il s'était hâté de demander des renforts à l'empereur. Celui-ci crut devoir se porter en personne au secours des assiégés ; il prit alors pour la première fois le commande­ment d'une armée, mais il imagina de faire le voyage en litière : il arriva donc trop tard. Dans l'intervalle des assauts furieux s'étaient livrés autour des murailles ; Nicétas, suppléant au nom­bre par la bravoure dont il donnait l'exemple et par une direc­tion intelligente, repoussa d'abord victorieusement toutes les attaques. Mais enfin les hélépoles du général musulman livrèrent aux ennemis l'accès d'une des tours et la malheureuse Thessa­lonique succomba. Durant trois jours l'armée victorieuse mas­sacra les habitants. Ceux  qui  survécurent  furent emmenés captifs en Syrie ; on les entassa pôle-mêle sur soixante navires qui en furent surchargés comme d'un bétail humain. Il en restait encore, et Siméon le  Métaphraste, chargé d'une mission de l'empereur près du chef sarrasin fut assez heureux pour racheter quelques familles. Toutes les maisons, églises, édifices quelcon­ques furent rasés, les murailles abattues, les tours renversées; le feu acheva l'œuvre de la démolition trop lente au gré des vainqueurs. Rien ne resta debout de cette antique cité qui avait vu jadis dans ses murs le grand apôtre des nations, le sublime Paul. L'Orient chrétien, l'univers catholique tout entier, frémit à la nouvelle de cette catastrophe. L'empereur sortit un instant de sa torpeur et prit d'énergiques mesures pour relever tant de ruines et rétablir Thessalonique. Pendant qu'on y travaillait, un grand homme de guerre Eustache, aïeul de Romain Argyre qui devait plus tard ceindre la couronne impériale, vengeait l'honneur des armes byzantines et battait sur terre et sur mer les Sarrasins.


   39. Les exploits personnels de Léon VI au fond de son palais étaient d'une toute autre nature. Sa grande préoccupation fut celle de se marier sans cesse et de vivre constamment en dehors des saintes lois du mariage. La législation de ses « Novelles »

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p349 CHAF. ni. — L'EMPEREUR LÉON LE PHILOSOPHE.   

   

contre de tels scandales est puisée dans l'enseignement de l'Église et renferme les plus sages prescriptions, mais le législa­teur n'en tint pour ce qui le regardait aucun compte. Sa pre­mière femme, l'impératrice Theophano, mourut en 898 et mérita d'avoir son nom inséré au catalogue des saints. Mais les vertus par lesquelles cette pieuse impératrice obtint les honneurs d'une canonisation posthume sont autant d'accusations contre son infidèle époux dont elle supporta patiemment l'abandon, le dédain, les outrages publics. Retirée dans la solitude, elle par­tageait son temps entre l'aumône et la prière, pendant que l'empereur philosophe affichait devant toute la cour sa passion pour une concubine. Zoé, c'était le nom de cette misérable, était femme du patrice Théodore; elle l'empoisonna pour être plus libre dans sa vie de désordre. A la mort de Theophano, Zoé fut solennellement couronnée et reçut le titre d'impératrice. Elle n'en jouit que vingt mois et mourut ne laissant de son union avec l'empereur aucune postérité. Au moment de placer Zoé dans le cercueil, on y lut ces mots tracés par une main inconnue : « Ci-gît une malheureuse fille de Babylone. » Tant de scandales avaient indigné tous les esprits. Le patriarche saint Nicolas le Mystique n'avait point épargné à l'empereur les remontrances et les avertissements. Des conspirations de palais s'étaient suc-­cédées, révélant de plus en plus le mécontentement général, Léon le Philosophe passa outre. A peine veuf de Zoé il épousa une phrygienne d'une rare beauté, nommée Eudoxie. On sait que la discipline de l'église grecque proscrivait les troisièmes noces. L'empereur lui-même dans ses Novelles les avait inter­dites et son langage sur ce point est d'une rigueur inexorable. « Les animaux eux-mêmes, dit-il, un grand nombre du moins, quand ils ont perdu leur compagne, se résignent au veuvage. Comment donc des chrétiens, après avoir eu la faiblesse de pro­-céder à un second mariage, pourraiont-ils abjurer toute pudeur et passer à un troisième1? » Donnant un solennel démenti à sa

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1 Léon. Philoi. NovtUa. xo. Pair, g me., tom. CVII, col. 604.

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p350       sbbhus m (904-911).

 

propre législation, Léon VI convola en quatrièmes noces. Sans attendre la mort d'Eudoxie, qui survint cependant bientôt, il prit une nouvelle concubine, portant encore le nom de Zoé, mais surnommée Carbonopsina pour la distinguer de la première. Il en eut un fils qui fut depuis Constantin VII, dit Porphyrogénète, un quatrième mariage suivi d'un couronnement solennel porta la nouvelle Zoé sur le trône impérial.


  40. Cette fois le patriarche Nicolas refusa son ministère à cette nouvelle infraction aux canons reçus dans l'église grecque ; il fulmina les censures contre les prêtres qui y avaient prêté leur concourset il interdit à l'empereur l'entrée de l'Eglise. A cet acte courageux, Léon le Philosophe répondit par une violence sacrilège. Le patriarche fut enlevé de son palais, jeté sur une barque, transporté sur la côte d'Asie et obligé de gagner au milieu d'une neige épaisse le lieu de son exil. Ce luxe de cruauté contre un vieillard respectable, un saint, déjà considéré comme tel de son vivant, était de la part de Léon d'autant plus criminel qu'avant d'en venir aux mesures de rigueur, Nicolas s'était prosterné aux pieds du César, le suppliant d'attendre, avant de déclarer le mariage avec la quatrième impératrice, le retour d'un courrier expédié au pape Sergius III pour lui soumettre la cause et réserver la question à son jugement. Or l'empereur n'ignorait pas, et le patriarche savait lui-même que la discipline de l'Église romaine au sujet des noces multiples était complètement diffé­rente de celle de l'Orient. Il n'était donc pas douteux que l'inter­vention du souverain pontife ne dut trancher la question dans le sens favorable aux vues de l'empereur. Mais elle aurait dégagé la responsabilité de Nicolas vis-à-vis de l'épiscopat grec et des églises orientales dont la pratique s'était maintenue jusqu'alors et avait acquis au for civil et d'après le texte des constitutions rédigées par Léon VI lui-même la valeur d'une loi d'État. Tonte cette logique du bon sens et du droit échoua devant la nouvelle passion du philosophe couronné. Un nouveau patriarche, le syncelle Euthymius, fut promu au siège de Constantinople et un rentable schisme, celui des troisièmes et quatrièmes noces suc-

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p351 chap. m. — l'empereur léon le philosophe.      

 

céda à celui de Photius. La majeure partie du clergé et des fidèles demeura attachée à saint Nicolas le Mystique, le reste embrassa la communion d'Euthymius. Telle était la situation de l'église byzantine au moment ou Sergius III envoyait des légats apostoliques chargés en son nom d'étudier l'affaire et de cher­cher une solution à ce nouveau conflit. Lorsqu'ils arrivèrent à Constantinople, Léon le Philosophe venait de succomber à une attaque de dyssenterie causée par ses débauches (911). Il n'avait que quarante-six ans et en avait régné vingt-cinq. Sa mort coïn­cidait avec celle de Sergius III qui terminait lui-même à Rome au mois de septembre 911 un pontificat issu d'une tempête et poursuivi à travers tant d'orages.

 

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