L’Origénisme et les Trois Chapitres 3

 Darras tome 14 p. 524

 

        40. La mort du patriarche Mennas,  survenue quelques mois après (25 août 532), fit oublier pour un instant la controverse des trois Chapitres. Malgré certains actes de faiblesse, généreusement expiés d'ailleurs, Mennas laissait une réputation de sainteté que l'Église a consacrée1. « Un jour qu'il officiait dans la basi­lique de Sainte-Sophie, les patenœ, sur lesquelles les diacres pré­sentaient aux fidèles le corps du Seigneur, demeurèrent, après la distribution eucharistique, chargées de nombreuses parcelles qui n'avaient point été consommées. C'était la coutume en pareil cas d'appeler les petits enfants des écoles voisines, et de leur distribuer le pain des anges2. Les diacres agirent donc ainsi. Or, parmi cette troupe innocente se trouva l'enfant d'un verrier juif. Il reçut la communion avec ferveur, et resta comme les autres aux prières de l'action de grâces. De retour à la maison paternelle, le juif, qui s'y trouvait seul, lui demanda pourquoi il rentrait plus tard qu'à l'or­dinaire. L'enfant raconta ce qui venait de se passer. Dans sa fureur, ce père dénaturé le saisit, lui attacha les pieds et les mains, et le jeta dans le foyer incandescent de la verrerie. Le soir venu, la mère, ne trouvant point son fils, l'appelait avec des cris désespérés. Enfin une voix lui répondit de la fournaise; elle se pencha et aperçut l'enfant debout au milieu des flammes, plein de santé et de vie. On accourut en foule, on retira du brasier ce nou­vel Azarias, et comme on lui demandait qui l'avait ainsi préservé, il répondit : Je voyais une femme vêtue de pourpre jeter de l'eau sur les charbons ardents. Elle me donnait à manger quand j'avais faim. — L'empereur, informé du miracle, voulut être le parrain de cet enfant, qui reçut le baptême avec sa mère et devint lecteur. Le père refusa obstinément d'embrasser le christianisme et Justinien le fit empaler comme meurtrier de son fils 3. » Mennas fut

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1 Martyr, rom., 25 augnst.

2. Cette coutume subsistait encore au XIVe siècle dans l'église de Constantinople, et Nicéphore Calliste témoigne avoir souvent ainsi reçu l'eucharistie dans sa première enfance. (Nie. Call., llist. eccles., lib. XVII, cap. xxv; Pair, griec, tom. CXLVII, col. 279.)

3 Bolland., Act. S. Mennœ, 25 august.

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remplacé sur le siège de Constantinople par le prêtre Eutychius, qui devait continuer les exemples de vertu de son prédécesseur. Le nouveau patriarche fut sacré le jour de l'Epiphanie (6 jan­vier 533), et remit aussitôt entre les mains du pape une profession de foi explicite, où il jurait de vivre et de mourir dans la commu­nion du saint-siége. «Dans la communauté de sentiments qui règne entre nous, ajoutait Eutychius, il ne reste plus qu'à terminer l'af­faire des trois Chapitres. Nous prions donc votre béatitude de vou­loir bien présider le concile où cette question sera discutée. Là, en présence des saints évangiles, en toute gravité et mansuétude, d'un commun accord, les trois Chapitres seront l'objet d'un exa­men attentif. La décision sera prise en conformité avec l'enseigne­ment des quatre conciles œcuméniques. Ainsi, par la grâce de Dieu, la paix et la concorde renaîtront dans l'Église 1. » Dès le lendemain Vigilius répondait à ce message, en félicitant avec effusion le nouveau patriarche. « Nous sommes prêt, disait-il, à répondre aux voeux de votre fraternité. Sous notre présidence, la question des trois Chapitres sera examinée en concile, avec la ma­turité et la mansuétude qui conviennent au caractère sacerdotal. En présence d'une assemblée régulière, toutes les règles canoni­ques observées, les saints évangiles sous les yeux, nous ouvrirons les délibérations avec nos frères les évêques, et la sentence sera conforme à la doctrine des précédents conciles généraux, dont l'autorité doit demeurer inébranlable 2. » (7 janvier 533.)


§ V. IIe Concile de Constantiniple, Ve œcuménique.


  41. En acceptant la présidence du futur concile, Vigilius n'était pas sans inquiétudes. Cinq années de demi-captivité remplies de promesses toujours violées, de persécutions, de serments hypocrites, de perfidies, de trahisons, lui avaient appris à connaître le génie oriental. Il eût souhaité que le concile se tînt en Italie, ou du

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1 Epist. Eutychii ad Vigil.; Pair, lai., tom. LX1X, col. 64.—2. Vigil., Epist. ad Eutych.; Pair, lai., tom. cit.. col. 65.

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présider.

 

moins en Sicile, loin de la pression tyrannique de Byzance et des prélats de cour. « Là, disait-il, les évêques africains pourraient se rendre sans difficulté. Ceux des provinces occidentales s'y trouve­raient en nombre suffisant. Les deux langues, latine et grecque, compteraient un chiffre égal, et la décision ne serait pas livrée à un seul parti. » En effet, le pape songeait surtout à calmer les scrupules des évêques d'Occident, lesquels, dans l'affaire des trois Chapitres, ne voyaient qu'une manœuvre eutychéenne ten­dant à décréditer le concile de Chalcédoine. Justinien, réconcilié en apparence avec le souverain pontife, affectait d'entrer dans ces raisons. Mais il faisait remarquer que l'Italie et même la Sicile, alors occupées par les Goths, n'offraient aucune sécurité. Cette observation était juste et le pontife l'admit. Cependant il tint ferme dans la résolution de n'ouvrir le concile qu'autant que les évêques occidentaux y seraient en nombre à peu près égal à ceux d'Orient. A moins de démasquer trop ouvertement sa partialité, l'empereur ne pouvait refuser une proposition aussi équitable. De part et d'autre les choses furent donc ainsi convenues, et la fête de Pâques, qui cette année tombait le 20 avril, fut célébrée avec une magnificence inouïe par le pape en personne.


   42. Mais l'empereur, sans plus de délais et sans attendre les Occidentaux, fit ouvrir le concile le 4 mai 553, dans le secretarium (sacristie) de la basilique constantinienne. Cent cinquante-et-un évêques, à exception de cinq Africains, appartenant à l’église grecque, s'y trouvèrent réunis. La présidence fut donnée au patriarche Eutychius, et la première collatio ou conférence fut ouverte. Ni le pape, ni ses légats, ni aucun des douze ou quatorze évêques d'Italie alors a Constantinople, n'étaient présents. Le caractère d'œcuménicité manquait donc essentiellement à l'assemblée; c'est peut-être pour ce motif qu'au lieu de se réunir dans la basilique même de Sainte-

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1 Contrairement aux usages des précédents conciles, les réunions de celui-ci au lieu de s'appeler sessions portent dans les Actes le titre de Collationes (Conférences). Peut-être, en l'absence du souverain pontife et de ses légats, ne voulait-on point employer un terme exclusivement réservé aux conciles œcuméniques.

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Sophie, on s'était confiné dans le secretarium, et qu'on adopta le terme plus modeste de conférences et non de sessions. Quoi qu'il en soit, lorsque les pères eurent pris place, le diacre Diodore, primicier des notarii, se leva et dit : « L'illustre silentiaire Théodore, envoyé par le très-pieux et très-chrétien empereur, est à la porte du se­cretarium. Il demande à être introduit dans votre glorieuse as­semblée. — Le très-saint patriarche de Constantinople, Eutychius répondit : Qu'il entre. — On introduisit le dignitaire impérial. Le très-saint patriarche d'Alexandrie, Apollonius, lui demanda : Pour quel motif votre magnificence vient-elle au milieu de nous? — J'ap­porte, répondit Théodore, un message de notre maître, le très-pieux et très-chrétien empereur. — Il remit en même temps une lettre de Justinien dont le diacre Etienne, notaire et archiviste du concile (notarius et instrumentarius), donna immédiatement lecture. » La missive de Justinien était à la fois un ordre aux évêques de procé­der à l'examen des trois Chapitres, et un acte d'accusation contre le pape Vigilius. «Nos pères, les empereurs pieux et orthodoxes, disait Justinien, ont toujours pris soin d'éteindre à leur naissance les héré­sies et les schismes, en procurant la réunion des conciles qui les ont successivement anathématisés. A leur exemple, nous vous avons convoqués dans cette capitale pour condamner la doctrine impie des trois Chapitres. Le très-religieux Vigilius, pape de l'antique Rome, les a déjà par trois ou quatre fois frappés d'anathème. Son senti­ment sur ce point est donc manifeste. Il lui a donné récemment un nouvel éclat, d'abord par l'excommunication prononcée contre les diacres Rusticus et Sebastianus, puis par ses lettres à Valentinien de Tomi, et à Aurelianus, métropolitain d'Arles, la première église des Gaules. Vigilius avait dans le principe consenti à présider votre assemblée ; mais au dernier moment il s'y est refusé, malgré toutes nos prières et nos instances. Il s'est contenté de dire qu'il publie­rait plus tard son sentiment sur l'objet de la controverse. Son abstention ne doit nuire qu'à lui-même. Quand celui qui est inter­rogé sur sa foi diffère de répondre, il renonce implicitement au droit de confesser la vérité. En pareille matière, il n'y a ni premier ni second. Quiconque se montre le mieux disposé à répondre est

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le plus agréable à Dieu 1. Que le Seigneur vous conserve de longues années, saints et très-religieux pères. Donné à Constantinople, le IV des nones de mai, la dix-septième année de notre règne au­guste » (4 mai 553). Quand cette lecture fut terminée, les trois évêques Etienne, Georges et Damianus 2, représentants du pa­triarche de Jérusalem, dirent : Maintenant que l'illustre Théodore a rempli la mission du très-pieux empereur, il lui est loisible de se retirer. — Après le départ du silentiaire, le saint synode délibéra, et d'un commun avis adopta la résolution suivante : D'après la te­neur même du message impérial, il est constant que des commu­nications ont été échangées au sujet de ce présent concile avec le très-saint Vigilius, pape de l'antique Rome. Nous croyons qu'il est avant tout nécessaire d'en prendre connaissance et de donner lecture des pièces officielles qui y sont relatives. — Le notaire et archiviste Etienne lut donc d'abord la profession de foi adressée par le patriarche Eutychius au pape et la réponse de celui-ci 3. Après cette lecture, le saint synode délibéra de nouveau et dit :

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1 Singulière aberration du théologien couronné! Justinien, dans sa fou­gueuse impatience, effaçait de l'Évangile les divines paroles : Tu es Petrus et super hanc petram œdificabo Ecclesiam meam. La primauté apostolique appar­tenait selon lui au plus téméraire; elle passait à quiconque se mettait eu avant pour parler des matières de foi. A ce compte, l'indigne évêque de Césarée, Théodore Ascidas, eût réellement été le chef de l'Église universelle. On remarquera le silence absolu et par conséquent improbateur gardé par les pères au sujet de cette communication. Aucune parole de remerciement ne fut adressée au messager impérial, qui dut se retirer aussitôt après la lec­ture.

2. Étienne était évêque de Raphia, Georges de Tibériade, Damianus de Sosuza en Palestine. Eustocbius, successeur de Pierre de Jérusalem, n'avait pu se rendre au concile. Un schisme, provoqué par les dissensions des Protoctistes et des Isochristes (cf. n° 29 de ce chapitre), le retenait dans son diocèse. Il avait donné sa procuration aux trois évêques que nous venons de nommer. C'est ainsi qu'après le patriarche de Constantinople, président du concile, après le patriarche d'Alexandrie, Apollinaire, les trois représentants du patriarche de Jérusalem prennent la parole. Cet incident nous laisse supposer que dans les conciles des premiers siècles, on observait d'ordinaire le rang hiérarchique pour le tour de parole.

3 Nous avons donné l'analyse de ces deux pièces quelques pages plus haut, n° 40.

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Bien que, selon la teneur de la lettre impériale, des supplications aient été déjà adressées au pape de l'antique Rome, le très-reli­gieux Vigilius, pour le déterminer à se joindre à nous, il est de notre devoir de lui adresser directement nos prières, afin qu'il vienne, de concert avec nous, imposer la formule définitive de foi dans la question des trois Chapitres. — On choisit donc dix-neuf évêques, à la tête desquels furent placés les trois patriarches Eutychius de Constantinople, Apollinaire d'Alexandrie et Domninus de Théopolis (Antioche). Ils se rendirent près du bienheureux pape Vigilius. A leur retour, ils firent connaître le résultat de leur mission en ces termes : Introduits près du très-saint pape de l'antique Rome, nous avons prié sa béatitude de venir présider notre concile, ainsi qu'elle l'avait promis antérieurement. Nous lui avons donné communication de la lettre du sérénissime empereur, qui nous demande une décision sur l'affaire des trois Chapitres. Le très-bienheureux pape nous a répondu que, dans son état actuel d'infirmité, il lui était impossible de se rendre à nos vœux. Il nous a promis de nous faire connaître demain sa résolution définitive. En conséquence , nous devons proroger nos séances jusqu'à ce que le pape ait donné son avis 1. »

 

43. Dès ce moment on pouvait apprécier la sagesse avec laquelle Eutychius dirigeait cette assemblée dans les circonstances les plus délicates qui se soient peut-être jamais rencontrées. Malgré les récriminations de la lettre impériale, Eutychius ne veut rien faire sans l'avis du souverain pontife; il recourt à son autorité, il s'adresse respectueusement à sa personne, il attend sa détermi­nation. «Le VIII des ides de mai (8 mai 553), reprennent les actes, les pères se réunirent de nouveau dans le secretarium, et quand ils eurent pris place, l'archidiacre et primicier Diodore s'exprima en ces termes : Le saint synode n'a point oublié la promesse du très-bienheureux pape de l'antique Rome, lorsque, il y a deux jours, les patriarches de Constantinople, d'Alexandrie et d'Antioche, ac­compagnés de dix-sept évêques, sont allés prier sa béatitude de

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1. Labbe, Concil. Constantin., Collât. 1; tom. V, col. 416-429. XIV.

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vouloir bien faire connaître sa décision. — Après ces paroles de Diodore, l'assemblée fit la motion suivante : Pour procéder par ordre, il conviendrait de lire d'abord le procès-verbal de la pré­cédente séance.— On fit cette lecture ; puis l'archidiacre Diodore reprit : Le très-religieux synode prie les saints patriarches qui, depuis, sont retournés près du très-bienheureux pape Vigilius, de vouloir bien faire connaître à l'assemblée le résultat de leur mission. — Eutychius de Constantinople, se levant alors, dit : Selon la pro­messe que le très-bienheureux pape de l'antique Rome nous avait faite précédemment, nous nous sommes présentés avant-hier (6 mai) à son audience, le priant de venir présider notre réunion, afin de définir la question des trois Chapitres. Il a répondu qu'il lui était impossible de le faire en l'absence des évêques d'Occident; mais qu'il rédigerait par écrit sa sentence et qu'il la communiquerait au très-pieux empereur. — Nous insistâmes en disant : Votre béatitude se souvient qu'elle a daigné nous promettre par écrit de présider en personne le concile. Nous sommes unis de communion avec vous, il ne serait pas juste de différer davantage pour attendre les occidentaux. Dans les quatre précédents conciles œcuméniques, on comptait à peine deux ou trois évêques d'Occident. Aujour­d'hui votre béatitude est présente; dès maintenant, quelques évêques d'Italie, d'Afrique et d'Illyric sont arrivés. Rien ne s'op­pose donc à ce qu'il soit passé outre. Le très-pieux empereur exige que la cause soit promptement définie. Nous lui en avons tous fait la promesse. Si votre béatitude croit devoir persister dans son refus, nous n'en poursuivrons pas moins nos réunions. Il ne serait pas juste, en effet, de scandaliser le peuple fidèle et d'offenser l'empereur chrétien par de plus longs délais. —Le pape maintint sa première réponse, et nous prîmes congé, en le préve­nant que nous allions informer le très-pieux empereur du résultat de cette entrevue. Nous le fîmes en effet, et son auguste sérénité prit la résolution d'envoyer au bienheureux pape quelques-uns des dignitaires de la cour, avec un certain nombre d'évêques, pour re­nouveler les mêmes instances. — L'archidiacre Diodore, prenant ensuite la parole, dit : Selon l'intention qu'il avait manifestée, le

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p531 CHAP. VII. — 11° CONCILE DE COXSTAÎiTINOPLE Ve ŒCUMÉNIQUE.    

 

très-pieux empereur a député hier près du très-religieux pape les illustres patrices Pierre, Constantin, Liberius et Patricius, accom­pagnés de douze évêques. Les illustres patrices sont présents. Le saint synode les prie de rendre compte de leur mission. — Le questeur Constantin, l'un d'eux, se leva et dit : Précédemment déjà, le 1er jour de mai présent mois, je fus envoyé par le très-pieux empereur notre maître, avec les glorieux patrices Bélisaire, Cethegus et Rufin, près du très-bienheureux pape. Hier, j'y suis retourné avec les personnages illustres dont on vient de citer les noms. L'objet de notre mission était le même. Le très-pieux empe­reur priait le pape de présider l'assemblée, afin que l'affaire des trois Chapitres, discutée en commun, avec pleine et entière liberté des suffrages, reçût enfin une solution. Le pape a fait la réponse que vous connaissez, et de plus il nous a demandé quelque temps afin de rédiger sa décision doctrinale. Nous lui avons fait observer que déjà plusieurs fois, par écrit et verbalement, il avait condamné les trois Chapitres. Ce que désire le très-pieux empereur, ajoutâmes-nous, c'est votre présence au concile. Votre béatitude a déjà adressé plusieurs fois au très-pieux empereur la demande d'un délai suffi­sant pour rédiger une sentence. Sa majesté a répondu qu'elle vous laisserait non-seulement le temps que vous demandiez, mais un plus long encore, à la condition que vous vous joindriez aux très-bienheureux patriarches et aux révérendissimes évêques, pour dis­cuter en commun la question. Si votre béatitude, a dit l'empereur, persiste à vouloir nous faire connaître isolément sa décision, je n'en suis pas moins dans la nécessité de laisser délibérer les évêques convoqués expressément pour cet objet. Nous ne pouvons souffrir que la confusion et le désordre se perpétuent dans l'Église. Les héré­tiques vont sans cesse répétant que les évêques enseignent le nestorianisme. — Malgré toutes ces raisons, le très-bienheureux Vigilius a persisté dans son refus. Il a promis de nouveau de rédiger seul une décision, et de la transmettre au très-pieux empereur. » — Après la déposition du fonctionnaire impérial, on entendit celle des évêques qui l'avaient accompagné et qui reproduisirent les mêmes faits. « Les très-glorieux patrices se retirèrent alors, conti-

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p532 PONTIFICAT  DE   VIGILIUS   (537-535).

 

nuent les actes, et le saint synode délibéra. » L'absence des évêques occidentaux était le seul motif qui empêchait le pape de présider le concile. Or, il se trouvait à Constantinople, outre l'archevêque de Milan Dacius, sept évêques de la langue latine, un d'Afrique et les six autres d'Illyrie. Les pères convinrent de leur adresser à chacun individuellement une députalion pour les prier de se réunir à eux. Mais ils répondirent tous qu'ils ne viendraient qu'avec le pape : Papa non prœsente, non venio. Les envoyés rapportèrent suc­cessivement ces paroles à l'assemblée. « Le saint synode dit alors : Il nous semble que des évêques ne devraient pas refuser ainsi au très-pieux empereur le concours qu'il leur demande. L'apôtre saint Pierre a dit : Oportet nos paratos esse ad satisfactionem omni poscenti nos rationem de nostra salute 1. Quoi qu'il en soit, avec l'aide de Dieu, nous nous réunirons demain pour continuer notre œuvre 2. »


   44. Le lendemain, en effet (9 mai 553), la troisième conférenceeut lieu, mais uniquement pour donner lecture de la profession de foi par laquelle les pères reconnaissaient l'autorité des quatre con­ciles généraux et celle des docteurs de l'Église, en particulier saint Athanase, saint Hilaire, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Ambroise, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, saint Léon, saint Proclus. Après la formule du ser­ment, l'assemblée se prorogea de quelques jours, afin de se préparer à la discussion des trois Chapitres 3. Il était évident que le pape ne reviendrait point sur sa détermination. Il ne le devait ni ne le pouvait. Les évêques d'Occident, représentant une moitié du monde catholique, étaient absents. Dès le principe, ils avaient net­tement saisi l'intrigue des eutychéens qui voulaient, à propos des trois Chapitres dont personne ne songeait à défendre les erreurs, attaquer indirectement l'autorité du concile de Chalcédoine. Leur présence au concile n'était donc pas seulement une question de justice, mais une question de bonne foi. Justinien, après avoir promis de les attendre, exigeait maintenant qu'on se passât d'eux.

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1 I Pe.tr., m. — 2.Labbe, Concil., tom. V, col. 429434. — 3 Labbe, ibid., col. 434, 435.

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p533 CHAP. VII. — IIe CONCILE DE CONSTANTINOPLE Ve UECUJIÉXIQUE.    

 

   Le souverain pontife, père commun de la catholicité, gardien des droits de l'une et de l'autre Église, pouvait-il sacrifier les Latins aux Grecs, ou réciproquement? La réponse n'est pas douteuse. Il devait donc faire ce qu'il fit, et, là encore, « il usa, comme dit Bossuet, du plus sage conseil : Optimo usus est consilio.» De son côté, Eutychius, dirigeant une assemblée d'évêques dont le pape refusait la présidence, apporta dans l'accomplissement de sa difficile mis­sion une prudence et une modération admirables. Entre Justinien qui déclamait sans mesure contre le souverain pontife; entre les acéphales qui poursuivaient avec Théodore de Césarée, leur chef, une campagne savamment combinée entre les alarmes de l'Église latine et la précipitation des orientaux malheureusement trop ha­bitués à jouer avec les réunions synodales, le patriarche sut tenir le gouvernail d'une main ferme, et quand le concile eut terminé son œuvre, il se trouva qu'il avait jugé, prononcé, défini exacte­ment comme le pape Vigilius jugea, prononça et définit lui-même. Cette situation, à coup sûr l'une des plus intéressantes de l'histoire de l'Église, mérite d'être attentivement étudiée. Le pape, officiellement informé que le concile, pour obéir aux ordres de l'empereur, continuerait à se réunir, ne s'y opposa en aucune façon. Dès lors, il l'autorisait, mais avec la réserve expresse qu'en l'absence des évêques d'Occident l'assemblée synodale ne saurait avoir aucun caractère d'oécuménicité, ni par conséquent être pré­sidée par le successeur de saint Pierre, pontife suprême et de l'O­rient et de l'Occident. Tel est bien, en réalité, le sens dans lequel fut comprise l'abstention de Vigilius, puisque les pères de Constantinople, obligés de continuer leurs séances, ne prirent nulle part le titre de concile œcuménique. Les procès-verbaux de chaque séance en font foi. Ils commencent tous par ces paroles significa­tives : Considentibus in secretario venerabilibus episcopis hujus regiœ civitatis1. Nulle part on n'y trouve, comme à Chalcédoine, à Éphèse ou à Nicée, les paroles sacramentelles : ïuve).6oî«n; «Y1*; "'•*' o!.%GU|i£vix>j;o-jviôo-j : Conveniente sancta et œcumenica synodo2. Justi-

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i Labbe, Concil., tom. V, pag. 416. — 2 Labbe, Concil., tom. IV, pag. 77.

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p534 PONTIFICAT  DE   YIGILIUS   (537-533).

 

nien voulait avoir l'avis des évêques d'Orient; les évêques d'Orient le donnèrent; le pape n'y fit aucune difficulté; mais les évêques d'Orient ne pouvaient parler qu'au nom de leur église grecque : l'assentiment du pape et des évêques d'Occident était réservé. En sorte que, pendant toute sa durée, le concile n'était point œcumé­nique; ce titre et ce caractère ne lui furent attribués plus tard qu'après la confirmation implicite donnée à ses actes par le sou­verain pontife Vigilius.

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