La Ligue 3

Darras tome 35 p. 444

 

        40. Tout espoir de conciliation était perdu. On se prépara à la guerre, avec une certaine lenteur. Les catholiques étaient arrêtés par le respect pour le pouvoir royal; le roi était enrayé par la vénération que lui commandaient et le respect de la foi et le respect de la loi. A certain point délicat, il y a, dans les con­sciences une timidité invincible qui prévient les excès et prépare les retours. Henri III met Paris en état de défense ; il destitue les officiers de la garde bourgeoise et en met d'autres à leur place. Des armées, commandées par divers chefs, évoluent dans les campagnes ; l'année royale remporte quelques succès partiels. La plupart des villes se prononcent pour la Ligue ; le duc de Guise avance sur Paris avec 12.000 hommes. De part et d'autre, on se mesure du regard ; on veut négocier encore. Le 9 juin, les chefs catholiques, publièrent une requête et dernière résolution, pour montrer clairement que leur intention n'était autre que l'honneur de Dieu et l'extinction des hérésies. Dans cet écrit, ils demandaient que le roi défendît l'exercice de toute autre religion que la catholique ; déclarât les hérétiques privés de toutes charges et dignités ; qu'il fit enregistrer cet édit au Parlement et s'engageât à l'observer; qu'il retirât aux protestants leurs villes de sûreté ou les contraignit à se rendre. « Pour montrer qu'il n'étaient mus par aucun senti­ment de haine ou d'ambition, les princes et seigneurs de l'union étaient prêts à donner leur démission de tous les gouvernements et de toutes les charges qu'ils possédaient. » De son côté, le roi de Navarre s'adressait aux puissances étrangères pour obtenir de l'argent et des hommes. Aux Français, il adressait un manifeste pour se défendre, au surplus, fort maladroitement. Henri savait se battre, mais il ne savait pas mentir. On l'accusait d'hérésie, il en faisait profession ; on l'accusait de double apostasie, il confessait avoir pratiqué les devoirs d'une  religion à laquelle il ne croyait

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pas ; on l'accusait de révolte et il se disait résolu à garder les villes de sûreté. Comme s'il eût senti que son mémoire justificatif n'était qu'une confession sans grâce, il provoquait le duc de Guise à un duel et réduisait à une très petite question de personne l'avenir religieux d'un pays. Henri III, pris entre deux feux, n'ayant plus que le choix des humiliations, signa, le 7 juillet, la traité de Ne­mours. Ce traité portait : qu'il n'y aurait désormais en France, qu'une seule religion ; que les ministres huguenots sortiraient du royaume dans un mois et dans six mois tous ceux qui ne vou­draient pas revenir à la religion catholique ; que tout hérétique, pour la seule raison d'hérésie, serait incapable de posséder aucune charge, dignité ou bénéfice ; que les chambres mi-parties seraient supprimées; que le roi autoriserait ce traité par un édit irrévo­cable, et que lui, son conseil et tous les membres du royaume le confirmeraient par leur serment; que Ledit serait enregistré au Parlement et exécuté sans délai; qu'on retirerait aux huguenots les villes cédées; que tout ce qui avait été entrepris par la Ligue serait ratifié par le roi. Quand le roi de Navarre lut ce traité, la moitié de sa moustache blanchit instantanément. Henri III n'en eut guère moins de dépit; cependant il fit enregistrer l’édit au Parlement. Dans sa duplicité, il ne désespérait pas encore d'échapper aux con­séquences. Pour traîner les choses en longupur, il envoya des députés près du Béarnais afin de le presser de se convertir. Pour empêcher la guerre en paraissant s'y hâter, il demanda, aux prin­cipaux personnages, l'argent nécessaire, mais en termes qui de­vaient amener un refus. La ville de Paris lui alloua, sans mar­chander, 200.000 écus ; le Béarnais rejeta les offres de conversion ; sa vertu s'accommodait, encore mieux de la liberté de faire que de la liberté de penser. Les événements prenaient, à l'intérieur, un aspect de plus en plus embarrassant pour l'autorité royale.

 

41. Le trailé de Nemours ne pouvait aboutir qu'à une soumission immédiate ou à la guerre. Les protestants paraissaient perdus ; le roi  de Navarre les rassura par sa fermeté.  Excommunié par le Pape, qui soutenait la Ligue sans trop l'aimer, il en appelle à un concile libre et, par une démarche trop hardie, fait afficher son

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appel jusqu'aux portes du Vatican. L'Allemagne lui envoie des secours ; le maréchal de Montmorency, gouverneur du Languedoc, se prononce en sa faveur. La France est en proie à la dissette. « Le blé étant devenu sans prix, les gens de campagne furent obligés de se nourrir de glands de chênes, de racines sauvages, de fougères, du marc el des pépins de raisins séchés au four, qu'ils faisaient moudre pour en faire du pain (1).

 

Alors éclate la guerre des trois Henri: Guise, Navarre et France. Les hostilités sont un instant interrompues par la paix de Saint-Bris en 1580, et en 1587 par la mort de Marie Stuart. Le roi confie une armée au duc de Joyeuse, favori dont les vices étaient couverts par de brillants dehors, pris maladroitement pour de la magnifi­cence. « Tandis que ce jeune voluptueux, dit Ragon, s'avance vers les provinces méridionales pour livrer bataille aux durs guerriers du roi de Navarre, Henri III,  comme si le royaume n'était pas désolé par la guerre civile, se livre plus que jamais à ses frivoles et ruineux caprices. L'argent qu'il extorque à ses peuples par une perpétuelle création de taxes nouvelles et dès longtemps si pesantes, qu'en 1578 les députés des États de Bourgogne lui ont demandé s'il ferait que désormais l'année eût deux étés et deux automnes, deux moissons et deux vendanges, il le gaspille  en  futiles dépenses, recherchant à grands frais,  pour les découper et les coller aux murailles comme un enfant, les peintures dont on ornait les livres de prières avant l'usage de l'impression, et perdant en quelques mois plus de cent mille écus d'or à acheter de petits chiens ou d'autres animaux de fantaisie, pour lesquels il tient à ses gages une multitude de domestiques uniquement employés à soigner ces ridi­cules objets de sa royale prédilection. Cependant Joyeuse rencontre Henri de Bourbon dans la plaine de Coutras. Avant l'action, le roi de Navarre, s'adressant aux chefs qui l'environnent, les prend à témoin des efforts qu'il a faits pour prévenir cette fatale journée. Périssent, s'écrie-t-il,  les auteurs de celle guerre, el que le sang qui va couler retombe sur leurs têtes ! Puis, se tournant vers le prince

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(1) Mémoires de Gamon. Les mémoires du P. de l'Estoile racontent des traits qui font frémir.

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de Condé et le comte de Soissons, ses cousins, il leur parle ainsi : Pour vous, je ne vous dis autre chose, sinon que vous êtes du sang de Bourbon, et vive Dieu! je vous ferai voir que je suis votre ainé. Et nous, répondent les princes, que nous sommes de bons cadets. Tout à coup, au tumulte d'un camp succède un religieux silence ; le roi tombe à genoux avec toute l'armée ; il adresse sa prière à l'arbitre des combats. Ils ont peur, dit Joyeuse en contemplant de l'autre rive ces soldats agenouillés. Ne vous y trompez pas, lui répond un de ses officiers, quand les huguenots font cette mine, ils ont envie de se bien battre. Chantant, comme le présage du succès, ce psaume de Marot :

La voici, l'heureuse journée,

Où Dieu couronne ses élus,

 

ils se relèvent et fondent sur l'ennemi. En moins d'une heure, la déroute des catholiques est complète ; et, ce qui fait surtout la joie du roi de Navarre, c'est que le plus beau triomphe ne lui coûte que cinq officiers et vingt soldats. Il a préparé la victoire par sa prudence ; il l'a décidée par sa valeur (1); il s'en montre digne par sa modération et son humanité. Il prend soin des blessés, renvoie les prisonniers sans rançon, fait rendre les honneurs funèbres au duc de Joyeuse, victime nouvelle que le fanatisme s'est immolée par un meurtre commis de sang-froid après le combat. Cette vic­toire était la première que, depuis vingt-cinq ans de guerre civile, les protestants eussent remportée en bataille rangée. Cependant tout entière et éclatante qu'elle était, ils n'en tirèrent que peu de fruit. Soit que Bourbon ait cédé au désir frivole d'aller déposer ses trophées aux pieds de la comtesse de Guiche, soit qu'il ait été forcé à l'inaction par la retraite momentanée de la plupart des gentils­hommes qui servaient sous lui volontairement et qui, voisins de leurs foyers et de leurs familles, se laissèrent aller à la douceur de les revoir au sortir d'une bataille glorieuse, il interrompit le cours

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(1) Quelques généraux s'étant mis devant lui afin de le préserver : Ne m'offus­quez pas, leur dit-il, je veux paraître. Il se battit seul à seul avec Château-Renard, cornette d'une compagnie de gendarmes, et le fit prisonnier en lui criant : Rends-toi, Philistin.

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de ses succès et se replia vers les provinces méridionales, où bientôt après il eut la douleur d'apprendre la mort du prince de Condé, empoisonné à Saint-Jean-d'Angely(l).

   42. Une armée allemande, appelée par les huguenots, venait à leur secours ; elle avait déjà franchi les provinces de l'Est et mar­chait à toute hâte pour aller se joindre aux troupes du Béarnais. Le duc de Guise se mit à leur poursuite et en tailla en pièces plu­sieurs corps à Auneau et à Vimory dans le Gätinais. Les débris de cette armée, poursuivis par Henri III, qui s'était enfin décidé à prendre le commandement des troupes, achetèrent, par une capi­tulation, la permission de retourner dans leur pays. Le roi, glo­rieux comme sont tous les hommes de néant, se hâta de venir triompher, dans Paris, de la fuite de ces étrangers. Mais le peuple, peu en goût pour ce fanfaron, affecta de n'attribuer la victoire qu'au duc de Guise; ses dernières victoires avaient redoublé, en sa faveur, l'enthousiasme populaire. « Saül a tué mille ennemis, mais David en a tué dix mille : » Tel était le texte que commen­taient les prédicateurs, tel était le cri de la multitude. Si vif était l'entraînement des esprits que la Sorbonne avait pris une délibé­ration portant : Qu'on pouvait ôter le gouvernement aux princes qu'on ne trouvait pas tels qu'il fallait, comme l'administration au tuteur qu'on avait pour suspect. L'autorité dont jouissait à juste titre la docte compagnie, donnait une haute importance à cette décision. La doctrine est juste : les rois sont constitués pour les peuples et non les peuples pour les rois ; le salut du peuple est la loi suprême ; la déposition d'un prince incapable ou indigne n'est pas, en soi, chose plus surprenante que l'enterrement d'un prince-mort ; le point difficile et délicat, c'est de savoir au juste pourquoi et comment, et à quel moment précis on peut licitement déposer un prince. Le roi conçut, de cet acte, la plus vive colère ; mais ce n'était que la colère de l'impuissance. En présence de l'unanimité populaire, le petit groupe des partisans du roi crut utile de recourir à l'arme de la lâcheté méchante, au pamphlet. On vit paraître suc­cessivement le Pot-Pourri des affaires de France, l’Oisonnerie du

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(1) Hist. cjén. des temps modernes, t. II, p. 203.

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cardinal de Bourbon, la Grande Cacade de Guise, l’Arl de ne pas croire en Dieu, Nouveaux secrets pour tirer argent du peuple sans qu'il s'en sente, la Confrérie des marmitons de la Ligue, les Ser­mons d'un curé recueillis par un crocheteur. Cependant, les chefs de la Ligue se réunissaient à Nancy, en janvier 1588, et délibé­raient sur les moyens de consolider la Ligue. Il fut convenu de présenter une requête au roi pour le prier de se déclarer sincère­ment chef de la sainte Union ; d'éloigner de son conseil et de sa cour les personnes favorables à l'hérésie, de recevoir le concile de Trente, d'user de la police conlre ies mauvaises doctrines, de donner aux chefs de la Ligue des charges importantes et des places de sûreté. Le roi ne pouvait plus rien attendre ni des ligueurs, ni des huguenots ; également suspect aux deux partis, il dut songer à pourvoir lui-même et lui seul à sa propre défense.

 

   43.   On devrait s'attendre à quelque résolution héroïque ;  Henri fit tout le contraire. D'abord, il fit à son mignon, Joyeuse, de scandaleuses funérailles. Ensuite il fit, de l'autre mignon, d'Épernon, un grand amiral de France, gouverneur de Normandie, sans doule pour s'amuser ensemble à faire voguer des sabots sur l'eau. Pendant le carnaval, il courait les rues, insultant les femmes et les filles. Par contre, il enjoignait à la duchesse de Guise de quitter Paris ; la duchesse se contentait de railler, en montrant les ciseaux d'or qui devaient donner la troisième couronne à frère Henri de Valois. De leur côté, les Parisiens se montraient rie plus en plus attachés à la religion. A Paris, la municipalité était ainsi consti­tuée : le prévôt des marchands, quatre échevins, le procureur du roi, le greffier et le receveur composaient le bureau de ville. A ce bureau étaient adjoints vingt-six conseillers et dix sergents ou huissiers. Paris, en outre, était divisé on seize quartiers ; à la tête de chacun il y avait un officier. Chaque quartier se subdivisait lui-même en quatre sections ou miquartaineries, qui formaient quatre autres sections ou dixaineries. En sorte que Paris, outre son bureau central, comptait 46 quarteniers, 64 cinquanteniers et 236 dixainiers. Par ce réseau administratif, il pouvait se mouvoir à son gré, en un clin d'œil.

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Par un retour subit d'activité, dont il était facile de deviner le but, le roi avait ordonné de tenir les archers au service, de lever des troupes, d'avertir les gouverneurs et d'appeler les Suisses au secours. Aussitôt les Seize organisent dans Paris un soulèvement contre le roi et appellent à leur secours le duc de Guise. Le roi en­voie, au duc, l'ordre de rester ; contrairement à l'ordre royal, il entre à Paris. Le peuple court au-devant de lui et reçoit avec trans­port le destructeur des Allemands, le fléau de l'hérésie, le Mac­chabée de la France, le juste qui vient confondre la cour d'Hérode. Le roi, dont le retour triomphant de Guise augmente la frayeur, hâte l'arrivée de quatre mille soldats, qui entrent, le 12 mai, sous la conduite du maréchal de Biron. Aussitôt l'alarme est donnée, les bourgeois s'assemblent en armes. Alors arriva ce qui s'est ré­pété si souvent depuis dans les révolutions. Les soldats n'osent pas tirer sur le peuple, qui, dans sa fureur, pourrait les écharper. La multitude les fait reculer sans combat, les enveloppe, les désarme, dresse partout des barricades et cerne le roi au Louvre. Cependant Guise n'a point quitté son hôtel ; il sort quand le désordre est au comble, apaise le peuple et renvoie les soldats. Henri quitte furti­vement Paris et se retire à Chartres. Guise exerce alors un pou­voir en déshérence, fait élire des magistrats, s'empare de l'arsenal et de la Bastille, et, pour donner un caractère légal au soulève­ment, s'efforce de mettre le Parlement dans ses intérêts. La plu­part des magistrats gagnés aux doctrines césariennes, peu soucieux de la religion et des intérêts populaires résistent, Achille de Harlay, le confond par ces paroles: C'est grand pitié quand le valet chasse le maître. Au reste, mon âme est à Dieu, ma foi à mon roi, mon corps entre les mains des méchants ; ils en feront ce qu'ils voudront. Vous me parlez d'assembler le Parlement mais quand la majesté du prince est violée, le magistrat n'a plus d'autorité. Guise est ébranlé de cette résistance ; ses hésitations refroidissent la multitude. Bientôt les Parisiens, soit repentir de leur excès, soit crainte des vengeances du roi, ne songent plus qu'à le fléchir. Ils ont recours à l'interven­tion de ces confréries dont le monarque fait ses délices. Une pro­cession de pénitents va le trouver jusqu'à Chartres. Le roi les reçoit

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avec dédain. Aux pénitents succède une ambassade du Parlement qui sollicite la grâce du peuple. Henri montre d'abord quelque fer­meté, et enfin accorde tout ce que souhaitent les ligueurs. Par l’édit d'union, signé à Rouen, le roi se déclare de nouveau chef de la Li­gue, approuve ou pardonne toutes les entreprises de cette associa­tion, lui livre un grand nombre de villes, nomme le duc de Guise généralissisme des armées du royaume, et s'engage à convoquer les États généraux à Blois, pour délibérer sur tous les articles pro­posés par les chefs de la Ligue dans la requête de Nancy.

 

44. Le roi s'était encore une fois rendu, mais par ruse, et avec l'arrière-pensée de se tirer d'embarras par le crime. Les États gé­néraux furent convoqués à Blois et s'assemblèrent le 4 octobre 1389. «Dès que le roy, dit Palma Cayet, vit que les princes de la Ligue continuaient leurs intelligences et associations, il avait résolu de s'assurer du duc de Guise ; il avait demandé conseil à plusieurs comme il devait s'y comporter; aucuns lui conseillèrent que l'em­prisonnement était le plus dur ; autres lui disent que morta la bestia morto il velino... Mais surtout on lui disoit qu'il se devait sou­venir que, l'an 1384, il avait fait tuer tous les lions et bestes farou­ches qu'il faisoit nourrir au Louvre, pour avoir eu une vision qu'ils le dévoroient, qu'il se souvinst et qu'il lui avoit semblé avoir reçu plus de mal d'un lion le plus furieux de la troupe ; que ceste vision se debvoit point autrement s'expliquer, sinon que c'estoit la Ligue qui, depuis l'an 1383, ayant pris les armes, vouloit abattre son authorité royale, et que le jeune lyon représentait le chef de la Li­gue. » (1) Ces imputations des courtisans sont des calomnies. Le duc de Guise ne songeait point à perdre le roi et n'y pouvait son­ger, par la raison qu'il se fût perdu lui-même ; du reste, sans tou­cher à sa personne, il était facile de détruire son influence par un bon gouvernement Villeroy, contemporain de l'événement, le juge bien : « Les peuples, dit cet homme d'État, ne l'aymoint que pour ce qu'ils aspiraient, par son moyen, estre des livrés des hérétiques, et soulagez plus tôt que par celuy du roy ; il ne fallait pour chan­ger les affections du peuple que faire mieux que luy en l'un et en

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(1) Chronologie novennaire de Palma Cayet.

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l'autre. Voilà comment j'eusse voulu faire mourir M. de Guise ; c'étoit le moyen de relever l'authorité du roi ». (1) A l'ouverture de l'assemblée, Henri III se montra fidèle à ses habitudes: «Le roy, dit encore Palma Cayet, désirant faire cognoistre à tous les députés, quel avoit esté toujours son zèle à la religion catholique romaine, leur commanda de se préparer à la sainte communion par trois jours de jeûne entier. Sa majesté reçut le Saint-Sacre­ment dans l'église Saint-Sauveur et le cardinal de Bourbon com­munia tous les députés au couvent des Jacobins. » Au sortir de la table sainte le roi se résout au meurtre. De fidèles sujets le dé­tournent de ce dessein honteux. Le brave Crillon, pour sauver l'honneur de son maître, propose de se battre en duel avec Guise et promet de le tuer. Le maréchal d'Aumont, plus juste, ose ne point désespérer du pouvoir des lois: il offre d'arrêter le duc et conseille de lui faire un procès. Henri persiste dans son dessein criminel; il choisit lui-même les meurtriers, distribue les poignards et le 23 décembre, le duc est percé de coups, au moment où il se rend au conseil du roi. Guise avait négligé, jusqu'à l'affectation, le soin de sa sécurité. De tous côtés on l'avait averti du sort qui l'at­tendait; il refusait d'y croire, non par estime pour le roi, mais par pitié : il ne lui croyait pas assez de fermeté même pour ordonner un assassinat. Ainsi mourut Henri le Balafré, le héros de la Ligue, le défenseur de la foi et des lois du royaume, le représentant des in­térêts populaires, l'adversaire contraint d'un roi misérable, dont le trépas eût été injuste, même s'il fût tombé sous le glaive de la jus­tice politique. Vaillant capitaine, seigneur magnifique et libéral, politique habile, porté par de nombreux partisans dans la noblesse, dans le clergé et dans le peuple, il fut, en France, l'un des sauveurs de l'Église. Le lendemain de sa mort, on massacrait son frère le cardinal de Guise ; un prince de l'Église était assassiné par le roi de France, à deux pas de la Chambre où délibéraient les représentants de la nation. Le cardinal de Bourbon et les princi­paux ligueurs furent arrêtés. Le colonel Alphonse Corse, depuis maréchal d'Ornano, partit pour Lyon avec mission d'assassiner

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 (1) Mémoires d'État de Villeroy.

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Mayenne. On se croirait chez les Caraïbs. Mayenne prévenu de la fin tragique de ses frères, avait gagné son gouvernement de Bour­gogne. Ce roi, qui se défiait de la politique tortueuse de sa mère, ne l'avait point consultée sur cet assassinat ; quand il lui en fit part, la vieille politique lui dit : « C'est bien coupé, maintenant il faut coudre. » Quinze jours après mourait Catherine de Médicis, princesse qui eut quelques qualités brillantes, de l'esprit, de la beauté, d'élégantes manières, et cet amour des arts héréditaires dans sa maison ; du reste, véritable Italienne de l'école de Machia­vel, sans foi et sans scrupule, astucieuse et dissimulée, ambitieuse et cruelle, régnant par la perfidie, par l'immoralité, par le crime, trompant tous les partis pour les dominer, s'entourant d'un sérail-de courtisanes pour amorcer une jeunesse libertine, dépravant même ses fils pour les énerver, et les maîtriser, menant de front le plaisir et le meurtre, égorgeant le demi-quart d'une ville au sortir d'une noce et d'une fête : femme voluptueuse et atroce, le fléau de sa famille et du royaume, et toutefois à la lin, tellement perdue dans l'abîme où elle avait plongé la France, qu'on s'aperçut à peine de sa mort.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon