Protestantisme 3

Darras tome 36 p. 21

 

9. La France est la fille aînée de l'Église; elle constitue un royaume très chrétien; pendant douze siècles, princes et sujets ont rivalisé de foi à Jésus-Christ et de zèle pieux envers le Saint-Siège. Une hérésie, façonnée à Gênes, estampillée à Bâle, est venue tout à coup renverser cet ordre traditionnel et allumer les feux de la sédition. Nous avons suivi le fil de la trame et découvert les fruits de ses conspirations. Pendant que le calvinisme paraissait prendre un grand essor, il provoquait une réaction. L'opinion publique l'abandonna, lorsque ses partisans, entraînés par leurs alliances avec quelques grands seigneurs, prirent les armes et commirent les violences inséparables de la guerre. Quelle est cette religion ? deman­dait-on. Où Jésus-Christ a-t-il recommandé le meurtre et le pillage? C'est surtout lorsqu'on se mit, à Paris, en état de défense contre les attaques de Condé, que toutes les corporations prirent une allure antiprotestante. Les hommes capables de porter les armes furent organisés militairement; les capitaines qui les commandaient de­vaient être catholiques. Les membres de l'Université, du Parle­ment, de la classe nombreuse des avocats, étaient obligés de signer une formule de foi, expression du plus pur catholicisme. Les Jésuites s'établirent en France sous l'influence de ces dispositions d'esprit. Les débuts furent assez humbles : ils rencontrèrent non seulement de l'opposition, mais une opiniâtre résistance. Bientôt ils acquirent la protection des catholiques zélés, surtout des gentils­hommes de la cour, qui ne se lassaient pas de les recommander « à cause de leur vie exemplaire, de la pureté de leur doctrine, grâce auxquelles on a dû de voir beaucoup d'apostats ramenés à la foi, et l'Orient et l'Occident reconnaître la face du Seigneur (1).» Le revirement d'opinion fut complet. En 1564, ils obtinrent le droit

------------------------------

(1) Manuscrits français de la bibliothèque de Berlin, n. 75.

========================================

 

p22     PONTIFICAT   DE  CLÉMENT   VIII  ET  DE  SES  PREDECESSEURS.

 

d'enseigner; Lyon leur ouvrit ses portes; Dieu leur donna des hommes de talent. Aux prédicateurs huguenots, ils opposèrent Edmond Auger, né en France, mais élevé par Ignace à Rome. Les protestants eux-mêmes ont dit de lui que « s'il n'avait pas été un catholique, il n'aurait jamais existé de plus grand orateur. » Ses sermons et ses écrits produisirent une impression extraordinaire. Les huguenots furent complètement vaincus, surtout à Lyon. Après Lyon, Toulouse et Bordeaux ouvrirent leurs collèges aux Jésuites. Partout où ils apparurent, le nombre des communiants s'accrut. En huit ans, le Catéchisme d'Auger, à Paris seulement, fut vendu à 38,000 exemplaires. Ce retour aux principes orthodoxes ne man­qua pas d'influer sur la cour, qui, après bien des hésitations, se déclarait, en 1568, pour les défenseurs de l'Église. Nous n'avons plus à raconter le va-et-vient de ses faiblesses, les vicissitudes de ses retours et de ses trahisons, ses crimes mêmes. Nous tenons sur­tout, après avoir marqué les actes de la société civile, à redire les actes glorieux des prêtres et surtout des Jésuites, instruments pro­videntiels de cette réaction partout victorieuse du protestantisme. La maison de Lorraine, on le présume, les protégea activement. Le cardinal de Guise fonda pour eux, en 1374, une académie à Pont-à-Mousson ; elle était fréquentée par les princes de la famille. Le duc érigea aussi un collège à Eu, en Normandie. Les Jésuites eurent beaucoup d'autres protecteurs. Tantôt c'était un cardinal, un évêque, un abbé; tantôt un prince, un haut fonctionnaire qui se chargeait des frais d'une nouvelle fondation. Ainsi s'établirent les collèges de Rouen, Verdun, Dijon, Bourges et Nevers. Les missions des Jésuites parcouraient le royaume dans tous les sens. Bientôt leur vinrent en auxiliaires les Capucins, établis d'abord à Meudon par le cardinal de Lorraine. En 1373, le chapitre général avait envoyé quelques frères au delà des monts pour sonder le terrain. A leur retour, ils promirent la plus riche récolte; le Pape n'hésita pas à lever toute restriction. En 1574, vint la première colonie; tous les membres étaient Italiens; ils furent d'autant mieux vus par Catherine de Médicis, qui leur fonda elle-même à Paris un couvent. En 1575, nous les voyons à Lyon. De ces foyers, ils se répandent à

========================================

 

p23 CHAP.   XVIII.     COUP  D'CEIL  RÉTROSPECTIF.

                                                      

Caen, à Rouen, à Verdun, à Toulouse et à Marseille; ils conver­tirent l'un des principaux personnages de l'époque, Henri de Joyeuse. Ce mouvement religieux provoqua bientôt des imitations. Jean de la Barrière, qui avait obtenu en commende l'abbaye de Feuillant, près Toulouse, de l'ordre de Cîteaux, se fit, en 1577, bénir comme abbé régulier et prit des novices avec lesquels il chercha non seulement à renouveler, mais à surpasser la sévérité de l'institut primitif. Ces moines ne sortaient jamais de leur cou­vent que pour aller prêcher; dans l'intérieur de la maison, ils ne portaient ni souliers ni coiffures; ils s'abstenaient non seulement de viande et de vin, mais de poisson et d'œufs (1). Cet institut fut bientôt confirmé par le Pape et se répandit dans tout le royaume. Une nouvelle ardeur s'était emparée du clergé séculier, qui s'occupa avec un zèle croissant du salut des âmes. Les évêques demandèrent, en 1570, non seulement l'acceptation du concile de Trente, mais la révocation du Concordat et le retour de l'Église à la plénitude du droit pontifical. Sans entrer dans les détails de cette rénovation spirituelle, il est certain qu'en 1580 on remarquait déjà un grand changement. L'énergie d'une impulsion nouvelle ravivait le catho­licisme. Un Vénitien assure que le nombre des protestants avait diminué de soixante-dix pour cent et que le peuple était devenu tout à fait catholique. Ce mouvement finit par amener Henri IV à capitulation; si le Navarrais ne l'avait pas trahi, la France serait restée pour un temps très chrétienne. Provisoirement, il faut tenir que cette France, jetée dans de fausses idées par la pragmatique de Bourges, par les doctrines avariées de Gerson, Almain, Major, était revenue à la plus pure orthodoxie. Les temps de la Ligue sont, en France, de beaux temps de foi; c'est par l'affirmation de la démocratie chrétienne que leur revient cette gloire; nous ne la verrons compromise que quand les rois, conspirant contre eux-mêmes, voudront rouvrir le puits de l'abîme.

 

10. En Angleterre, l'État s'identifia de plus en plus avec le calvi­nisme sous Elisabeth, mais le royaume était rempli de catholiques.  Non seulement la population irlandaise restait fidèlement attachée

------------------------

(l) Félibies, Hist. de Paris, t. II, p. 1158.

=========================================

 

p24      PONTIFICAT  DE  CLÉMENT   VIII   ET   DE   SES   PRÉDÉCESSEURS.

 

à l'ancienne croyance ; en Angleterre même, la moitié de la popu­lation à peu prés, sinon plus, était dévouée au catholicisme. Toute­fois, fait digne de remarque, les catholiques se soumirent, au moins en apparence, aux lois d'Elisabeth; leur soumission laisse sans excuse les férocités de cette reine sanguinaire. Leur situation fit concevoir, à Rome, les plus grandes espérances. On était per­suadé qu'il ne fallait qu'une occasion, un faible succès pour exciter à la résistance tous les catholiques de la Grande-Bretagne. Déjà saint Pie V avait manifesté le désir de verser son sang dans une expédition contre l'Angleterre. Grégoire XIII, qui n'abandonna pas cette pensée, songeait à employer les talents militaires de Don Juan d'Autriche. Pour divers motifs, ces projets échouèrent; Gré­goire XIII se rabattit alors sur l'Irlande. La nation irlandaise était la plus austère et la plus inébranlable dans sa foi ; elle était opprimée de la manière la plus violente, pillée, persécutée dans ses convictions religieuses par le gouvernement anglais; elle était donc toute disposée à combattre; il suffirait, pour l'arracher au joug, d'envoyer 3,000 hommes, chiffre suffisant pour un pays où il n'y avait pas de place capable d'opposer une longue résistance.

 

Grégoire XIII avait pensé confier cette aventureuse campagne à un réfugié anglais ; mais Stackler tourna bride et s'en alla périr en Afrique. A son défaut, un autre réfugié, Géraldin, débarqua en 15713 et prit le fort qui dominait le port de Smervic. Déjà le comte de Desmond avait pris les armes contre la reine, un mouvement général s'emparait de l'île, lorsque Géraldin fut tué dans une es­carmouche. Les Anglais prévalurent: « ils se vengèrent, dit Ranke, avec une cruauté effroyable ; les hommes et les femmes furent réunis et brûlés dans des granges, les enfants égorgés et tout Monmouth fut ravagé : la colonie protestante anglaise en pro­fita pour avancer des établissements dans les domaines dévastés »(1). En désespoir de cause, on dut se rabattre sur le plan de missions, conçu par Allen, exécuté surtout par Persons et Campian. Les Pays-Bas étaient, en partie, domptés ; en Allemagne, le catholi­cisme avait repris de grands territoires; en  France, la  situation

--------------

(1) Hist. de la papauté, t. II, p. 20i.

=========================================

 

p25 CHAP. XVIII.  — COUP d'ceil rétrospectif.      

 

permettait de hautes espérances. Sans doute, le centre de toute la puissance et de toute la politique protestante était en Angleterre ; les protestants de Néerlande et les huguenots de France possédaient, dans Elisabeth, leur principal appui. Mais, en Angleterre, la lutte intérieure entre les deux croyances avait commencé ; de nouveaux élèves des séminaires et un grand nombre de jésuites y arrivaient, entraînés par l'enthousiasme de la charité et par l'amour de la patrie. Elisabeth les reçut comme les eût accueillis Néron ; les prisons se remplirent, les exécutions se succédèrent; le catholicisme ne se créa des gages d'avenir que par le sang versé dans la persé­cution. Sixte-Quint prit une part active à ces malheurs de l'Angle­terre. Il est très vrai qu'il éprouvait une certaine estime pour la grandeur et le courage d'Elisabeth, il lui fit réellement faire un jour la proposition de rentrer dans le sein de l'Eglise catholique. Quand il eut perdu tout espoir, il songea à lui arracher son royaume par la force des armes. Elisabeth brava les princes catho­liques en leur jetant la tête de Marie Stuart. L'Armada invincible avait été en partie l'ouvrage du pontife romain : il fit éclater en plein consistoire ses plaintes énergiques contre la Jézabel d'Angle­terre. Le désastre de la flotte ne fit pas renoncer au projet primitif. Les catholiques furent avertis que Jules César et Henri VII, le grand-père d'Elisabeth avaient été malheureux dans leurs premières attaques contre l'Angleterre ; mais qu'enfin, ils étaient devenus les maîtres. Dieu retarde souvent la victoire de ceux qui lui sont fidèles; les enfants d'lsraël avaient été battus deux fois avec de grandes pertes dans la guerre contre la tribu de Benjamin, guerre entreprise pourtant sur l'ordre formel de Dieu ; c'est seulement après le troisième combat qu'ils remportèrent la victoire, alors la flamme dévorante ravagea les villes et les villages de la tribu de Benjamin, le tranchant de l'épée frappa les hommes et les bestiaux. « Que les Anglais songent, s'écriait Persons, et ne s'enorgueillissent pas du retard de leur châtiment. » Persons se trompait ; ce n'est pas aux soldats, c'est aux martyrs, comme Persons lui-même, que Dieu réservait la victoire. Dieu entendra un jour la voix du sang d'Abel, alors nous verrons la foi renaître et se dissoudre l'anglicanisme.

=========================================

 

p26     PONTIFICAT  DE  CLÉMENT  V11I  ET   DE   SES  PRÉDÉCESSEURS.

 

   11. C'est une époque remarquable celle dans laquelle le Saint-Siège, au nom de ses droits, l'hérésie, au nom de ses fureurs, veulent, l'un, relever son empire, l'autre pousser au mouvement de disso­lution. L'ancienne situation changeait à vue d'oeil. Auparavant, on cherchait à s'entendre; une réconciliation avait été tentée en Alle­magne, préparée en France, demandée dans les Pays-Bas ; pendant quelque temps, elle parut exécutable; il y avait dans quelques localités, une tolérance pratique. L'attaque se ranime bientôt avec plus de force et d'animosité. Les deux principes ennemis se provo­quèrent mutuellement pour ainsi dire dans tout le reste de l'Eu­rope ; il faut jeter un dernier coup d'œil sur cette situation, telle qu'elle se révélait en 1579. Les Jésuites avaient pénétré aussi en Pologne: des évêques cherchaient à se fortifier par leur accession. Le cardinal Hosius, évêque d'Ermeland, fonda pour eux, en 1569, un collège à Braunsberg ; ils s'établirent avec le secours des évêques, à Pultusk, à Posen; l'évêque Valérien de Vilna attacha la plus grande importance à prévenir, par l'érection d'un collège de jésuites près de son siège épiscopal, une université. Le prélat était déjà âgé et infirme ; il voulait honorer ses derniers jours par un service rendu à la religion: les premiers jésuites arrivèrent près de lui en 1570. Les protestants, on le devine, ne s'épargnèrent pas pour contrarier ces desseins. A la diète de 1573, ils firent passer une proposition en vertu de laquelle personne ne devait être con­trarié ou lésé pour ses croyances ; les évêques furent obligés de s'y conformer. En 1579, le payement de la dime au clergé fut totalement suspendu, et, suivant les déclarations du nonce, cette mesure en­traîna la ruine de 1200 paroisses. A la même époque, on formait un tribunal suprême, composé de laïques et de membres du clergé, pour décider les différends religieux. A Rome, on s'étonnait que le clergé polonais supportât cette institution, trop peu conforme à la constitution divine de l'Église. Les Polonais ont toujours trop cru à leur sagesse ; ils ont fini par en être les victimes (1).

 

   42. La lutte surgit en Suède avec autant de force qu'en Pologne,

-----------------------

(1) Sacciiini, Ilistoria  Soceltis Jesu. part.   II. Lib. VIII,  p. 114 ; part. III, Lib. YI, p.lO3-10S.

=========================================

 

p27 CHAP.   XVIII.     COUP  D OEIL KETROSPECTIF.     

 

mais cependant d'une manière particulière : elle atteignit immédia­tement la personne du prince, c'est pour elle que les combats furent livrés. On peut remarquer un mélange extraordinaire de pro­fondeur d'esprit et de volonté, de religion et de violence, dans tous les fils de Gustave Vara : « la couvée du roi Gustave », comme disaient les Suédois. Le plus instruit d'entre eux était Jean. Comme il était marié à une princesse catholique, Catherine Jagellon, qui partagea sa captivité, il apprit dans sa conversation avec des prêtres, à connaître la nature des différends ecclésiastiques. Jean aimait les livres : il étudia les Pères afin de se faire une idée nette de l'état primitif de la religion chrétienne, il s'occupait exclusive­ment des questions qui visaient à la conciliation religieuse. Lorsqu'il monta sur le trône, il se rapprocha de l'Église romaine, il publia une liturgie modelée sur celle du concile de Trente, dans laquelle les théologiens suédois trouvèrent, non seulement quelques usages, mais quelques doctrines de l'Église romaine. Comme il pensait avoir besoin de l'intervention du Pape, tant auprès des puissances catholiques en général, pour sa guerre contre la Russie, que parti­culièrement près de l'Espagne, pour l'héritage maternel de sa femme, il n'hésita point à envoyer, en ambassade à Rome, un grand de son royaume. Il permit même, en secret, à quelques jésuites néerlandais de venir à Stockholm et leur confia un établis­sement important d'instruction. Rome fonda sur cette démonstra­tion de brillantes espérances. Ce fut l'heure des grandes légations de Possevin : Jean se convertit. Mais les protestants ne restèrent pas inactifs : ils firent de la conversion du prince une affaire poli­tique ; en présence des menaces adressées à sa couronne, Jean laissa partir nonce et jésuites. Les grands seigneurs profitèrent de ce départ pour ramener à eux le faible roi ; la mort de la reine leur permit de reconquérir le pouvoir (1).

 

13. Les Jésuites pénétrèrent aussi en Suisse et là, comme ailleurs, furent des instruments bénis de rénovation orthodoxe. En 1574, sur

-----------------------

(1) Sàcchki, Hist. Part., IV, lib. VI, nos Gi-76 et lib. VII, no 83 et seq. ; Theiner, la Suède et le Sabtf-Siège, 3 vol. in-8 ; — Cretineau-Johj, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. II, ch. 5 et G.

==========================================

 

p28     PONTIFICAT   DE  CLÉï.IE>'T   VIII  ET   DE  SES   PRÉDÉCESSEURS.

 

l'invitation d'un colonel suisse, ils arrivaient à Lucerne ; ils reçurent des secours particulièrement de la famille Pfisser. Louis Pfisser, à lui seul, contribua pour 30,000 florins à la fondation du collège des Jésuites ; Grégoire XIII donna les moyens de se procurer une bibliothèque. Dans une lettre, les habitants de Lucerne, au comble de la joie, prièrent le général des Jésuites de ne plus leur enlever les membres de sa compagnie : « Il leur importe, avant tout, disent-ils, de voir leur jeunesse bien élevée, dans les bonnes sciences, particulièrement dans la piété et la vie chrétienne ; en retour, ils promettaient de n'épargner ni peine, ni travail, ni argent, pour être utiles à la société. Ils eurent bientôt occasion de prouver l'ardeur de leur zèle. La ville de Genève, placée sous la protection de Berne, cherchait à entraîner, dans cette alliance, Soleure et Fribourg. Soleure consentit : une ville catholique prit, sous sa protec­tion, le foyer du protestantisme occidental. Grégoire XIII, effrayé, employa tous les moyens de retenir Fribourg. Lucerne l'appuya et Fribourg, non content de renoncer à cette alliance ou les bons se pervertissent, appela les Jésuites et fonda un collège avec les dons du Pape. A cette époque se fit sentir l'influence des Borromée. Des capucins furent envoyés surtout dans les montagnes ; ils produisi­rent une grande impression. L'influence de la rénovation des mœurs se fit immédiatement sentir dans la politique. Pendant l'au­tomne de 1579, les cantons catholiques firent une alliance avec l'évêque de Bâle et promirent non seulement de se défendre, mais de ramener, autant qu'ils le pourraient, les novices protestants. Un nonce du Pape vint occuper dans ces contrées ; avec les religieux, c'était une nouvelle bénédiction du ciel. Les effets que produisit en Suisse l'établissement d'une nonciature permanente, sont prodi­gieux. Tout après, en 1586, les cantons catholiques entrèrent dans l'alliance borroméenne, par laquelle ils s'engagèrent pour toujours, eux et leur postérité, « à vivre et à mourir, dans la seule véritable et ancienne foi catholique, apostolique, romaine» (1) ; ils reçurent ensuite tous la communion de la main du nonce. Si le parti qui, en 1387, s'empara du pouvoir à Mulhausen avait embrassé réelle-

---------------------------

(1) Lauffer, Tableau de l'histoire helvétique, t. X, p. 331.

==========================================

 

p29 CHAP.   XV11Ï.      COUP   D'OEIL   RÉTllOSl'ECTIF.      

 

ment et à temps la foi catholique, il aurait été appuyé sans doute par les catholiques; déjà des conférences se tenaient à ce sujet dans la maison du nonce, à Lucerne; toutefois, ceux de Mulhausen réflé­chirent trop longtemps; les protestants, plus expéditifs, rétablirent, à leur profit, l'ancien gouvernement. Mais, dans le même moment, les trois villes frontières prirent, avec Zug, Lucerne, et Fribourg, un parti définitif. Le 12 mai 1587, après de longues négociations, elles conclurent une alliance avec l'Espagne ; elles promirent au roi, une alliance éternelle, lui permirent de faire des enrôlements dans leur pays et de passer, avec ses armées, à travers leurs montagnes ; Philippe, de son côté, leur fît d'importantes conces­sions. De part et d'autre, l'engagement avait pour objet l'appui mutuel de leurs forces, au cas où ils seraient impliqués, même contre les confédérés suisses, dans une guerre pour la religion catholique. L'intérêt religieux prévalait sur le sentiment national. La communauté de foi rapprochait les anciens Suisses de la mai­son d'Autriche.

 

14. C'était un bonheur qu'il ne se présentât aucune occasion de lutte. L'influence de ces traités ne se fit sentir qu'à Genève. Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, prince qui, pendant toute sa vie, fut dévoré d'une ambition inquiète, avait souvent manifesté le désir de s'emparer de Genève dont il avait été expulsé par les protestants ; ses projets avaient toujours échoué par la résistance des Suisses et des Français qui protégeaient les Genevois. Mais les relations avaient suivi, dans leurs modifications, le cours des événements. Dans l'été de 1588, sur les conseils du duc de Guise, Henri III pro­mit de ne plus empêcher une expédition contre Genève. Les can­tons catholiques de Suisse n'y mirent pas davantage opposition ; ils demandaient seulement que Genève ne subsistât plus comme ville forte et ne put plus, derrière ses remparts, leur expédier sa tyrannie. En conséquence, le duc se prépara à l'attaque. Les Gene­vois ne perdirent pas courage ; ils pénétrèrent même sur les terres de la Savoie ; mais Berne ne leur prêta qu'un secours équivoque. Les catholiques avaient noué des alliances jusqu'au sein de la ville calviniste ; il existait une fraction qui eût vu avec plaisir Genève

==========================================

 

p30      PONTIFICAT  DE  CLÉilENT   VIII   ET   DE  SES   PRÉDÉCESSEURS.

 

tomber au pouvoir du duc. De là vint que Charles-Emmanuel obtint promptement l'avantage. Le duc, qui ne possédait les comtés limi­trophes de la Suisse qu'à des conditions restrictives, saisit l'occa­sion d'en devenir maître absolu. Devenu maître, il expulsa les pro­testants qu'il avait dû tolérer jusqu'à ce jour et rendit tout le pays exclusivement catholique. Il lui avait été défendu de construire des forteresses dans cette partie de ses domaines ; il en érigea aussitôt dans les lieux où elles devaient lui servir, non seulement pour sa défense, mais pour tenir Genève en respect. Ainsi la Savoie, la Suisse, la Suède, la Pologne, l'Angleterre, la France, les Pays-Bas, l'Allemagne avaient vu reculer, parfois succomber le protes­tantisme. Aux coups des soldats, les missionnaires, les Jésuites surtout, avaient mêlé l'action de leur voix et les ressources de la grâce. Les âmes, un instant surprises, étaient revenues au giron de l'Eglise. Au foyer des consciences, comme sur le champ de bataille, sous la direction et l'impulsion du Saint-Siège, l'Église terminait le XVIe siècle, par l'éclat d'un vrai triomphe. — Nous devons raconter maintenant les péripéties de ce grand combat.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon