Angleterre 25

Darras tome 24 p. 412

 

41. Henri Beau-Clerc savait parfaitement cette théologie catho­lique, dont la lettre pontificale lui rappelait les principes fonda­mentaux; mais les investitures étaient une source si féconde de profits pour le trésor royal que, malgré tous ses engagements contraires, il était résolu à les maintenir. Anselme fut mandé à la cour pour y entendre discuter le rescrit apostolique. « Arrivés à Londres (octobre 1101), dit Eadmer, nous trouvâmes le jeune roi complètement sous la domination de son frère Courte-Heuse et des conseillers normands. Ceux-ci, exaspérés contre Anselme dont l'influence, disaient-ils, avait fait perdre au duc de Norman-

-----------------

1 Paschal. Il, Epist. XL1X; Pair, lat., t. CLXIII, col. 70. — M. de Rémusat fait de cette admirable lettre une analyse qui reflète si parfaitement l'igno­rance théologique et les préjugés de nos modernes hommes d'État, que nous croyons devoir la mettre sous les yeux des lecteurs. « Pascal II, dans un langage modéré et bienveillant, dit-il, y maintenait strictement les droits contestés. Cette lettre mérite d'être lue; elle est un des nombreux exemples de la manière singulière et détournée dont se traitaient les questions qui intéressaient l'Église. L'Église se croyait, et sans doute elle se croit encore obligée de rattacher au texte et à la pensée du christianisme, qui n'a traité que de dogme et de morale, les principes et les droits qu'elle soutient pour protéger, comme institution et comme pouvoir, son existence sociale. De là un style de chancellerie plus mystique que diplomatique, mais toujours remarquable par un mélange d'habileté et d'onction qui annonce un pouvoir spirituel, je veux dire un pouvoir qui ne procède point par la force. » (M. de Rémusat, Saint Anselme de Cantorbéry, p. 297.) Les hommes d'État se ren­contrent fréquemment de nos jours, où l'on en essaie tant. Il n'est personne qui n'ait eu l'occasion d'en entretenir au moins un, une fois dans sa vie. Ils sont fort étonnés quand on leur parle de l'Église, dont ils ignorent absolument la constitution divine et les règles fondamentales. Dès qu'on entre avec eux dans cet ordre d'idées, auquel ils ne comprennent absolument rien, ils répondent invariablement par le mot de M. de Rémusat : « Ceci est du mys­ticisme. La science politique n'a rien à y voir. » Finiront-ils un jour par sentir la vérité du mot de Talleyrand, qui répétait sans cesse aux diplomates en herbe : « Avant tout, messieurs, apprenez la théologie? »

=========================================

 

p413  CHAP.   III.     SAINT  ANSELME   ET  HENRI   I. 

 

die leur maître la couronne d'Angleterre, se vengeaient en poussant Henri à une rupture avec le saint archevêque. » Nous croirions volontiers que, plus habile que les Normands eux-mêmes, Beau-Clerc affectait de se laisser inspirer par eux; mais qu'il agissait réellement selon le programme primitivement tracé par le comte de Meulan, programme dont Ordéric Vital nous a révélé l'hypocrite perfidie et dont Eadmer ne semble pas avoir eu connaissance. « Le roi, continue l'hagiographe, posa immédia­tement à Anselme l'alternative ou de lui prêter serment d'hom­mage-lige avec promesse de sacrer tous les évêques et abbés qui auraient reçu l'investiture royale, ou de quitter sur-le-champ ses états. A cette injonction brutale, Anselme répondit : « Je vous ai déjà fait connaître les canons décrétés par le dernier concile romain auquel j'assistais en personne ; je vous ai également communiqué les instructions positives et précises que je tiens du siège apostolique. Si je consentais à autoriser les investitures, je tomberais moi-même sous l'excommunication qui les frappe. J'ai promulgué cette sentence d'excommunication dans le royaume. Que deviendrait, je vous le demande, mon autorité spirituelle, si en me conformant à vos vues politiques, je me dénonçais à tous les fidèles comme excommunié? Les personnages que vous avez envoyés à Rome sont d'accord avec les nonces du saint-siége pour affirmer que le pape, conformément aux règles canoniques, a refusé, ainsi qui le prouvent d'ailleurs ses lettres, d'accorder la dispense exceptionnelle que vous lui demandiez. Je ne puis donc, sans trahir mon devoir et ma conscience, vous suivre dans la voie où vous voulez entrer. —Que m'importe tout cela? s'écria Henri. Je prétends conserver les usages des rois mes prédécesseurs. Qui­conque me refuse l'hommage-lige n'a pas droit de rester dans mon royaume. — Je sais ce que signifient ces paroles, répondit Anselme : ce n'est pas la première fois que je les entends. Mais cette fois je ne quitterai pas le sol de l'Angleterre. Je vais retour­ner à mon église de Cantorbéry; j'y attendrai, en continuant les fonctions de mon ministère, que la violence vienne m'en arra­cher. » Durant cette conférence dont je ne rapporte que les traits

========================================

 

p414         FONTIFICAT  DE   B.   PASCAL  II   (1099-1118).

 

les  plus  saillants,   ajoute Eadmer, les princes et les évêques, fidèles à leurs habitudes de servilisme, prirent tous parti contre leur primat. Ils rivalisaient de zèle pour enflammer encore le courroux du jeune monarque et l'engager à retirer son obédience au pontife romain. Anselme revint donc à Cantorbéry, plus résolu que jamais à se dévouer au service de Dieu pour le salut des âmes, mais profondément affligé de la nouvelle persécution qui

allait frapper l'église d'Angleterre 1. »

 

   42. La lutte recommençait donc sur le même terrain où Guillaume le Roux l'avait précédemment engagée avec une fureur si persévérante. Henri Beau-Clerc se promettait de la soutenir avec non moins d'opiniâtreté dans le fond, mais avec une courtoisie parfaite dans la forme. Il se persuadait que les caresses réussiraient mieux contre l'Eglise que la tyrannie ouverte. « Quelques semaines après, notre retour à Cantorbéry (probablement vers l'époque des fêtes de Noël de l'an 1101), reprend Eadmer, pendant que le bienheureux archevêque, insen­sible à ses injures personnelles, ne songeait qu'aux désastres qui menaçaient de nouveau la sainte Église, il reçut une lettre fort amicale dans laquelle le roi l'assurait de ses intentions pacifiques et le priait de se rendre à Winchester où il tenait sa cour, afin de concerter ensemble sur de nouvelles bases les mesures propres à rétablir la concorde entre le sacerdoce et la royauté. «Peut-être, dit Anselme en lisant ce message, la grâce de Dieu aura-t-elle touché le cœur du monarque. » Et il partit aussitôt pour Win­chester. Les princes et les évêques y étaient déjà réunis. Ils firent connaître à Anselme le moyen auquel, d'accord avec le roi, ils se proposaient de recourir pour terminer le différend. Des ambas­sadeurs de la couronne, choisis au sein de l'épiscopat, seraient envoyés au pape Pascal II pour lui faire connaître la véritable situation de l'Angleterre. Ils auraient ordre de déclarer respec­tueusement que si le poniife n'adoucissait point en faveur de la Grande-Bretagne la  rigueur des   sentences  portées contre les

-------------

1. Eadmer, Histor. Novor., 1. III; Pair, lat., t. CLIX, col. 432.

==========================================

 

p415 CHAP.   III.      SAINT ANSELME  ET HENRI  I. 

 

investitures, le roi se verrait contraint de renoncer à son obé­dience, de bannir une seconde fois le primat de Cantorbéry et de retirer à l'église Romaine le tribut du denier de Saint-Pierre. On supplia Anselme de vouloir bien lui-même adresser au pape une députation analogue. A ces conditions, une nouvelle trêve serait conclue, et les choses resteraient en l'état jusqu'au retour des envoyés. L'archevêque consentit à cet arrangement provi­soire, qui avait l'avantage d'assurer une paix de quelques mois. Il choisit pour ses délégués à Rome le fidèle Baudoin de l'abbaye du Bec, et un autre religieux du monastère de Cantorbéry, nommé Alexandre. D'après les instructions qu'il leur donna, ils devaient non point solliciter du pape la mitigation des décrets si justes et si nécessaires portés contre les investitures, mais le mettre en garde contre les exagérations et les menaces intéressées que ne manqueraient pas de faire entendre les envoyés royaux. Ils devaient en outre prendre note exacte de tous les détails de la négociation et conserver par écrit le texte de la réponse définitive du souverain pontife, afin d'être en mesure, le cas échéant, d'op­poser un témoignage juridique aux rapports dénaturés ou travestis que les ambassadeurs du roi pourraient être tentés de faire pré­valoir à leur retour en Angleterre1. De son côté, le roi choisit pour délégués les trois évêques Gérard de Héréford, naguère transféré au siège métropolitain d'Yorck, mais n'ayant pas encore reçu le pallium ; Herbert de Norvûch; Robert de Chester. Le premier avait à obtenir du souverain pontife la confirmation de sa translation récente; le second à revendiquer un droit de juridiction episcopale sur le monastère de Saint-Edmond, situé dans son diocèse près de Suffolk, mais jouissant d'un privilège d'immunité apostolique délivré en 1071 par le pape Alexandre II. L'un et l'autre se pourvurent de grosses sommes d'argent pour mieux appuyer leurs prétentions, dit malignement Eadmer. Ils se

----------

1 Anselme, dans la lettre que les deux fidèles religieux devaient remettre de sa part au souverain pontife, tenait en substance le même langage. (S. Anselm., Epist. slvii et xlviii, 1. III; Patr. lat., t. CLIX, col. 78-79.)

=========================================

 

p416 PONTIFICAT  DU   B.   PASCAL  II  (1099-1118).

 

mirent en route dans les premiers mois de l'an 1102 1. » La lettre royale qu'ils portaient à Pascal II était conçue en ces termes: «Je me suis vivement félicité de votre promotion au siège de la sainte église de Rome, souhaitant que les liens d'amitié qui unissaient mon père à vos prédécesseurs subsistent entre nous. Aussi, pour que les gages de bienveillance et d'affection commencent à se montrer de mon côté, je vous envoie le tribut que saint Pierre tenait des anciens rois d'Angleterre; je veux que vous ayez de mon temps les mêmes honneurs et la même obédience que vos prédé­cesseurs avaient en ce royaume au temps de mon père, mais à la condition qne les pouvoirs, droits et privilèges dont mon père jouissait comme souverain de la Grande-Bretagne, me soient à moi-même confirmés et maintenus. Je tiens en effet à informer votre sainteté que, moi vivant et Dieu aidant, les prérogatives et coutumes du royaume ne subiront aucune atteinte. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, j'avais la faiblesse de tolérer un tel empiétement, tous mes barons et mon peuple entier se soulèveraient. Daignez donc, très-aimé père, après meilleure délibération, user de bien­veillance à mon égard et ne point me mettre, à mon grand regret, dans la nécessité de vous retirer mon obédience2.»

 

43. Le voyage des trois évêques ambassadeurs et des deux moines délégués par le primat de Cantorbéry se fit de conserve. Il n'eût été marqué par aucun incident, sans une imprudence de Herbert de Nomieh. « Les voyageurs étant arrivés en Bourgogne, dit Eadmer, il prit fantaisie à l'évêque de Norwich de se séparer de ses compagnons, et de traverser isolément avec sa suite personnelle la province de Lyon. Mais il ne tarda point à s'en repentir. Le comte Guy, personnage très-puissant et fort redouté dans cette contrée, viro prœpotente ac fero, le fit prisonnier. Vous-êtes, lui dit-il, un évêque anglais. Vous allez à Rome calomnier le seigneur Anselme primat de Cantorbéry, et ourdir de nouvelles trames contre cet homme de Dieu. Je ne vous

------------

1  Eadmer, Histor. Novor., 1. III, tora. cit., col. 433.

2  Broinpton, Chronic. rer. Anglic. Script., s, p. 999.

=========================================

 

p417 CHAP.   III.     SAINT  ANSELME   ET   HENRI   I. 

 

laisserait point passer 1. » Herbert protesta que tels n'étaient ni ses intentions ni le but de son voyage ; mais Guy ne voulut rien entendre. L'évêque captif redoubla ses dénégations sans le moindre succès. Enfin le noble Burgonde lui proposa de jurer sur les reliques des saints et par le salut de son âme que d'au­cune façon, sous quelque prétexte que ce fût, il ne ferait sciem­ment aucune démarche préjudiciable à l'honneur du vénérable Anselme ou contraire à ses desseins. » L'évêque de Nonvich prêta le serment et fut remis en liberté. Échappé à ce péril, mais crai­gnant d'en trouver d'autres du même genre en achevant de tra­verser la province de Lyon, Herbert supplia le comte de lui fournir une escorte, offrant bien à contre-cœur quarante marcs d'argent pour la rémunération de ce service. Il avait compté sur ce trésor pour se faire à Rome des protecteurs qui lui obtiendraient gain de cause dans sa revendication contre l'abbaye de Saint-Edmond de Suffolck. Ce fut le noble Burgonde qui en profita. Après cette mésaventure, Herbert rejoignit en toute hâte ses com­pagnons de voyage et ne s'en sépara plus2. Ils arrivèrent à Rome vers le mois d'avril 1102, quelques semaines après le concile tenu au Latran dans le milieu du carême3. « Admis à l'au­dience pontificale, reprend Eadmer, les trois évêques exposèrent l'objet de leur mission, et se prosternant devant le pape, ils le con­jurèrent de prévenir par une mesure de paternelle indulgence les dangers qui menaçaient l'église d'Angleterre. Pascal II écouta leur requête sans répondre un seul mot, mais son visage et ses gestes manifestaient à la fois la surprise et le mécontentement. Comme il persistait à garder le silence, les ambassadeurs royaux

----------

1  Nous ne savons à quelle famille appartenait le comte Guy, ce « puissant et redouté » champion de saint Anselme, dont il avait sans doute eu l'occa­sion de faire la connaissance durant le séjour de l'illustre primat à Lyon. Si l'évêque de Norwich ne se fut point séparé de ses compagnons de route, le moine Baudoin, qui avait habité la province de Lyon avec Anselme et qui devait être lui-même connu de Guy, eût facilement éclairci le mal-
eutendu.

2  Eadmer, Hist. Nov., loc. cit., col. 433.

3  Cf. § v de ce présent chapitre.

==========================================

 

p418 PONTIFICAT DU B.   PASCAL II (1099-1118).

 

continuèrent à le supplier d'adoucir en faveur de la Grande-Bre­tagne la rigueur des sentences portées contre les investitures. Il s'agit là pour vous-même, très-saint père, dirent-ils en ter­minant, d'un intérêt des plus considérables, et vous ferez bien d'y songer, suis rébus praecavere. — A ces mots, ne pouvant plus contenir sa juste indignation : S'agirait-il de ma tête, s'écria le pape, je ne la rachèterais point à ce prix! Jamais les menaces d'un homme ne me feront transgresser les décrets et les constitutions des saints pères. — Cette énergique déclaration mit fin à l'audience. Par ordre du pontife, deux lettres apostoliques, desti­nées l'une au roi Henri, l'autre à l'archevêque Anselme, furent remises la première aux évêques ambassadeurs, la seconde aux deux moines délégués par le primat. Elles étaient identiques pour le fond et maintenaient dans toute sa rigueur la prohibition des investitures 1. » Quant à la requête personnelle de Girard, nou­veau métropolitain d'York, qui sollicitait le pallium, comme elle avait été recommandée au pape par saint Anselme lui-même dans une lettre spéciale 2, elle fut admise. Mais la réclamation anti­canonique de Herbert de Norwicb. contre le monastère de Saint-Edmond fut repoussée.

 

   44. « Les ambassadeurs ne furent de retour en Angleterre qu'au mois de septembre, reprend Eadmer. Le roi convoqua aussitôt à Londres tous les princes et évêques pour une assemblée générale qui se tint à la fête de saint Michel (29 septembre 1102). Anselme s y rendit. Le jour même de son arrivée, Henri lui fit dire de se conformer aux usages anglais et de prêter entre ses mains le serment d'hommage-lige, sinon d'avoir à sortir sur le champ du royaume. « Que le roi veuille d'abord, répondit Anselme , donner connaissance des lettres qu'il vient de recevoir du pape. Après quoi, si je le puis sans forfaire à l'honneur et à l'obéissance que je dois au siège aposto­lique, je m'efforcerai de lui complaire. » A cette réponse, Henri s'écria :  Mais lui  aussi, il a reçu des lettres du pape. Qu'il

---------------

1 Eadmer, Histor. Novor., 1. III, loo. cit., col. 434.

2. S/Anselm. Cantuar., Epist. xlviii, 1. III; Pair, lat., t. CLIX, col. 79.

==========================================

 

p419 CHAP.   III.     SAINT   ANSELME   ET   HENRI   I.

 

les fasse connaître. Quant aux miennes, qu'il sache bien que cette fois on ne les verra pas. » — A son tour, l'archevêque répliqua aux intermédiaires : « Puisque le roi ne veut point cette fois don­ner connaissance de ses lettres, j'attendrai qu'il lui plaise de les notifier en une autre occasion, afin de savoir quelle ligne de con­duite le pape nous a tracée. » Ce calme de l'archevêque dépita le roi. En recevant de la bouche des négociateurs cette réponse si pleine de finesse et de logique, Henri laissa échapper son secret. « Il ne s'agit point, dit-il, et ne s'agira jamais entre lui et moi de lettres quelconques. Qu'il dise nettement et sans ambages si, oui ou non, il veut m'obéir. » A ce ton courroucé, à ces réticences singu­lières, on comprit que les lettres de Pascal II au roi ne contenaient rien de favorable au rétablissement des investitures. Autrement Henri eût été le premier à les publier, en dépit d'Anselme, jusque sur les toits. Plus il s'obstinait à les tenir secrètes, plus il donnait à entendre qu'elles n'étaient pas conformes à ses vues. Anselme lut alors et fit lire à tous ceux qui voulurent en prendre connaissance celles qui lui avaient été personnellement adressées par le souverain pontife 1. » Elles portaient la date du XVII des calendes de mai (15 avril 1102). « Grâces soient rendues au Dieu tout-puissaut qui maintient en votre personne la dignité épiscopale! disait le pape. Jeté au milieu d'une nation barbare, ni la violence des tyrans, ni la faveur des puissants du siècle, ni le fer ni le feu, ne peuvent arrêter sur vos lèvres la prédication de la vérité. Continuez, nous vous en prions, d'agir comme vous le faites, de parler comme vous parlez. Le principe de nos discours, «le Verbe de Dieu qui était dès le principe » ne vous fera pas défaut, et nous-même nous ne défail­lerons point en lui, « qui est la force et la sagesse de Dieu même2.» Nous avons la même foi que nos pères, dans l'union du même Esprit-Saint, et «parce que nous croyons, nous parlons3. » — « Le Verbe de Dieu ne saurait être enchaîné 4. » Cependant le monde nous abreuve d'humiliations. Mais du sein de nos abaissements et de notre détresse, notre âme s'élève dans la contemplation de «la

-----------

1 Eadmer, Hist. Nov., col. 434. — 2. Joan., I, 1. — I Cor., I, 24. — 3. Ps. cxv, 10. — 4. II Timoth., n, 9.

=========================================

 

p420         PONTIFICAT  DU  B.   PASCAL  II  (1099-1118).

 

vérité qui est de Dieu 1, » à mesure que nous sommes témoin des mensonges des hommes. Dans un synode tenu naguère au Latran, nous avons confirmé les décrets des Pères et renouvelé la sen­tence d'excommunication contre tout clerc qui ferait hommage-lige aux mains d'un laïque, ou qui en recevrait l'investiture d'évêchés et autres hénéfices ecclésiastiques. Ces abus sont la véritable racine de la perversité simoniaque. Des clercs ambi­tieux, aussi insensés que cupides, ne reculent devant aucune infamie pour capter la faveur des princes, afin d'en obtenir les honneurs et les dignités de l'Église. Oubliant que Jésus-Christ lui-même a dit : « Je suis la porte2, » ils prétendent s'introduire par effraction dans le bercail3. Votre éminente sagesse, vénérable frère, connaît et respecte la vraie doctrine. En votre qualité de primat d'Angle­terre, vous n'épargnez rien pour la faire prévaloir. Nous vous confirmons dans la plénitude et l'intégrité de votre juridiction primatiale, telle que l'ont exercée vos prédécesseurs. De plus, et comme prérogative personnelle, tant que la divine miséricorde conservera au royaume de la Grande-Bretagne le trésor de sainteté et de science qu'il possède en votre fraternité, nous vous déclarons exempt de toute autre autorité spirituelle que de la nôtre, sans que même un légat apostolique puisse vous citer à son tribunal4. »

 

   45. Rien n'était plus clair que ces paroles officielles de Pascal II. Il ne semblait pas facile de les interpréter dans le sens d'une autorisation quelconque, exceptionnellement accordée à l'Angle- terre, pour conserver l'usage des investitures. Mais rien n'est impossible au génie du servilisme. «Les trois évêques ambassadeurs se présentèrent devant l'assemblée, dit l'hagiographe, et sous la foi du serment ils attestèrent que le pape leur avait octroyé de vive voix ce qu'il refusait si péremptoirement dans ses lettres. Le rescrit adressé au roi contient les mêmes prohibitions que la lettre destinée au primat, dirent-ils. Mais dans un entretien particu­lier, le souverain pontife nous a chargés d'assurer le roi que, tant

-------

1 Rom., xv, 8. — 2. Joann., x, 7.

3. Nous avons cité intégralement (n° 21 de ce présent chapitre) cette première partie de la lettre pontificale dont nous ne reproduisons ici qu'une analyse. 4. Paschal. II, Epistol. lxxiii; Patr. lat., t. CLXIII, col 91.

==========================================

 

p421 CHAP.   III.     SAINT  ANSELME  ET  HENRI  I.    

 

qu'il observerait les règles de la religion et de la justice, il pourrait comme par le passé conférer les investitures ecclésiastiques sans encourir l'excommunication, pourvu cependant qu'il ne remît le bâton pastoral qu'à des sujets pieux et dignes. Le pape, ajoutaient-ils, n'a point voulu nous donner cette dispense par écrit. Il s'est contenté de nous l'accorder verbalement, dans la crainte que le fait arrivât à la connaissance des autres princes de l'Europe, les­quels ne manqueraient pas, au mépris du saint-siége, de s'arroger un pouvoir semblable 1.» Le subterfuge était habile. Les trois évêques courtisans soutinrent effrontément leur version men­songère. Elle avait l'avantage d'annuler du même coup aussi bien la lettre pontificale adressée au primat, que celle dont le roi n'avait pas voulu jusque-là communiquer le texte. Après l'expli­cation inattendue des évêques parjures, Henri ne fit plus aucune difficulté de le rendre public. Voici la teneur de cet autre rescrit, où l'on retrouve toute la mansuétude et la fermeté apostolique de Pascal II, « Nous rendons grâces au Roi des rois, disait-il, de vous avoir maintenu sur le trône par sa miséricorde2. Il a voulu conserver à l'Angleterre un monarque digne du nom de chrétien. Dès votre avènement au pouvoir, vous avez rompu avec l'impiété de votre malheureux frère, châtié d'une façon si terrible par la justice de Dieu. Nous avons la confiance que vous persévérerez dans la voie de la justice ; que jamais vous n'écouterez les funestes conseils qui attirent la malédiction divine sur la tête des rois, en les poussant à s'arroger le privilège des investitures ecclésias­tiques. Écartez loin de vous les adulateurs qui tiennent un lan­gage empoisonné. Votre règne ne peut être prospère, votre pouvoir s'affermir, votre grandeur et vos richesses s'accroître, qu'autant que Dieu vous sera propice. Si vous offensez ce Maître tout-puissant, ni le nombre ni la valeur de vos soldats, ni le con­seil de vos princes, ni la force de leurs armes, ni l'influence de vos richesses et des leurs ne sauront vous garantir de sa ven-

-----------

1  Eadmer, Histor. Nov., 1. III; Pair, lat., t. CLIX, col. 435.

2  C'était une allusion au danger que la descente armée de Robert Courle-Heuse en Angleterre avait fait courir à la monarchie naissante.

==========================================

 

422 PONTIFICAT  DU  B.   PASCAL  II  (1099-H18).

 

geance. Travaillez donc pour la gloire de ce grand Dieu et pour l'indépendance de son Église. A cette condition, vous trouverez en nous un appui solide, un concours fidèle. Jamais rien ne rompra notre amitié et notre alliance, si vous renoncez à l'abus des investitures; si vous rendez à la sainte Eglise l'honneur qui lui est dû, la liberté qu'elle a reçue de Jésus-Christ son divin fondateur. C'est par le jugement du Saint-Esprit que le siège apostolique et les conciles ont défendu aux rois, aux princes, à un laïque quelconque, de conférer les investitures ecclésiastiques. Nous maintenons cet interdit. N'est-il pas manifeste que la sainte Eglise, mère com­mune de tous les fidèles, ne saurait être réduite en servitude par ses propres enfants? N'est-ce pas un monstrueux sacrilège de lui imposer des pasteurs qu'elle n'a point choisis, ou qu'elle repousse? L'Eglise est l'épouse immaculée de Jésus-Christ, son roi et notre Seigneur. Puisse ce Roi divin guider votre puissance dans les sen­tiers de la justice, afin qu'après avoir régné glorieusement ici-bas, vous puissiez être admis au royaume éternel. Amen 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon