8. On cite parmi les donatistes qui abjurèrent leurs erreurs un certain Gabinus qui se distingue des autres par son rang illustre (4). En 414, il n'y avait presque plus de donatistes à Alger qui ne fussent rentrés dans le sein de l'Église catholique, quoique quelques-uns d'entre eux ne connussent pas la vérité tout entière (5). Il n'était guère possible que dans tant de convertis, quelques-uns n'eussent été séduits par la nouveauté; mais ceux-ci se guérissaient peu à peu de leur infirmité, et si quelques hypocrites s'y mêlaient, ils ne devaient pas empêcher de chercher à rassembler ceux qui étaient sincères (6). Il reste encore, parmi les sermons de saint Augustin, un discours au peuple commençant par ces mots: « Rendez grâces à Dieu, mes frères, et félicitez votre frère (7). » Son titre et son style permettent de croire qu'il est d'Augustin qui l'aurait fait au nom de ce donatiste qui rendait grâces à Dieu, de l'avoir délivré de l'erreur. Ce sermon est porté comme ayant été prononcé le jour des vigiles de saint Maximien ou Maximin, c'est-à-dire, si nous ne nous trompons, pendant un nocturne de l'office d'un martyr africain dont le nom seul nous est connu, mais dont l'histoire n'est pas parvenue jusqu'à nous. C'est ainsi qu'il indique le psaume CLXII pour les matines de l'office de saint Cyprien, sans dire s'il parle de l'évêque de Carthage. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce sermon fut composé peu de temps après la fin de l'année 414. Sa lettre à Honorat sur le même sujet fut écrite en 412 (8). Il lui fait part du zèle avec lequel le peuple l'écoute et assure qu'il ne peut lui-même égaler cette ardeur; et enfin il se
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(1) La même, n. 10. (2) SIrM. CCCLIX, n. 8. (3) Contre Gaudentius, 1, n. 33. (4) La même ' n. 12, 13, 43. (5) Des actes avec Emérite, n. 2. (6) Conrre Gaudentius, I, n. 27. (7) SerM. k~CCLX. (8) Lettre cxL, n. 15
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plaint agréablement de la violence que lui font les fidèles (1). Au nombre de ceux que Dieu tira du milieu de ses serviteurs et fit entrer dans la salle des noces, se place la jeune vierge Félicie que Dieu ne voulut point voir perdre dans le schisme le fruit d'une virginité sans tache. Saint Augustin dans la suite regarda cette jeune vierge qui, selon toutes les apparences, était de son diocèse, comme une fille particulièrement chère, comme un membre honorable du corps de Jésus-Christ, comme un sanctuaire vivifié par la présence de l'Esprit-Saint. Il lui écrivit une lettre qui nous est parvenue et dans laquelle il la console d'un scandale qui l'avait désolée et l'engage à se reposer en Dieu, non sur les hommes, et à continuer son zèle pour l'Eglise dans le sein de laquelle elle s'est retirée. Il la prie aussi de lui faire connaître ses impressions sur sa lettre, afin qu'il puisse lui récrire, lui assurant qu'en tout cela il n'est conduit que par son zèle et sa sollicitude pour le salut de son âme (2). Augustin, revenu à Hippone après la conférence, en fit lire les actes au peuple. C'est peut-être de ces actes qu'il parle dans un sermon prononcé au milieu de l'été, peu de temps après la conférence, et dans lequel, après avoir rapporté quelqu'une des choses que l'on y avait traitées, il ajoute: «D'ailleurs, vous pourrez le lire dans les actes mêmes. » Dans ce sermon, il s'élève avec force contre les donatistes.
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(1) Discours sur les PSaUMeg LXXII, n. 34. (2) Lettre CCVIII.
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LIVRE SEPTIÈME
LUTTES DE SAINT AUGUSTIN CONTRE LES ENNEMIS DE LA GRACE, DE 411 A 419.
CHAPITRE PREMIER
1. Pélage commence à répandre son hérésie. - 2. Son disciple Célestin est condamné par le concile de Carthage. - 3. Augustin attaque les pélagiens, et écrit à Marcellin les deux livres sur le baptême des enfants. - 4. Il y joint une lettre ou un 3e livre, suite des précédents contre les Pélagiens. - 5. Livre au même Marcellin appelé de l'Esprit et de la Lettre. - 6. Il fait à Carthage un sermon au peuple contre l'erreur des pélagiens. - 7. Il écrit à Pélage. - 8. Dans une lettre à Anastase, il démontre la nécessité de la grâce pour l'accomplissement de la loi. - 9. Dans une réponse à Honorat il discute sur la grâce du Nouveau Testament.
1. Après un espace d'environ 105 ans, la lutte avec les donatistes, qui agita si profondément l'Église d'Afrique, était enfin heureusement terminée, lorsqu'on vit surgir la question du pélagianisme, qui devait être pour l'Église entière bien plus périlleuse par son importance, et plus funeste par sa durée. Mais, si dans les nombreux combats qu'il avait livrés aux donatistes, Augustin avait remporté la victoire et affermi l'œuvre de la grande unité catholique, dès le jour où il commença à s'opposer aux ennemis de la grâce, l'armée des défenseurs de la vérité fut assurée de son triomphe (1). Tout le monde sait que ces troupes ennemies de la grâce de Dieu, qui s'efforcèrent de détruire les fondements de la foi chrétienne, tiraient le nom de pélagiens de Pélage, leur chef et leur guide (2). Ce Pélage était né d'une famille pauvre dans l’ile de Bretagne, d'où lui vint le surnom de Breton. Il suivit d'abord la règle de la vie monastique et jouit quelque temps d'une grande renommée de sainteté. Il puisa l'essence de sa doctrine dans les anciens philosophes, surtout dans Origène (3), et à Rome même, où il vécut très-longtemps, et la répandit tantôt dans des écrits, tantôt dans des discours et des entretiens privés ; mais toujours avec crainte, évitant, autant que possible, d'attirer l'attention (4). C'est pendant ce séjour à Rome que son nom parvint, environné de gloire, aux oreilles d'Augustin; mais bientôt le bruit se répandit que Pélage attaquait la grâce divine, qu'en entendant un évêque citer les paroles du grand docteur : «Donnez-nous, Seigneur, la force d'accomplir vos ordres, et ordonnez ce que vous voudrez,» il s'était élevé avec force contre cette vérité, et était presque entré en lutte contre celui qui la lui avait rappelée. Plus tard le novateur passa en Afrique, et fut reçu vers l'an 410 dans la ville même d'Hippone, pendant l'absence d'Augustin. Rien cependant ne transpira de son hérésie; il quitta ce séjour plus vite qu'on ne pensait, et lorsque l'année suivante Augustin, au milieu des immenses occu-
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~i~ Prop. con. Coli. n. 2. (2) Lettre et-xy-vi, n. 3-4. (3) Lettre CLXXV111, n. 2. GLII, n. 21. CLXXV, n- 6- (4) I)U pèc~é originel. n. 24.
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pations que lui donnait la conférence des catholiques avec les donatistes, eut l'occasion de le rencontrer plusieurs fois à Carthage, Pélage se hâta de repasser en Italie (1).
2. Mais, pendant ce temps, ceux qui se proclamaient ses disciples, répandaient en Afrique les dogmes de la nouvelle hérésie (2). Or, parmi ces sectaires qui jetaient partout où ils pouvaient les semences de la nouvelle erreur, se faisait remarquer entre tous un certain Célestius, qui, dans l'Église de Carthage, s'était élevé par des intrigues jusqu'à la dignité du sacerdoce. Mais il ne tarda pas à se démasquer dans des discussions contre la grâce du Christ, et les catholiques, poussés par l'amour de la véritable foi, le citèrent au jugement de l'évêque. Aurèlius tint à Carthage avec ses collègues un concile, peut-être au commencement de l'année 412, mais certainement 5 ans environ avant le synode de Carthage, tenu l'an 416 contre Pélage et le même Célestius (3). Deux libelles furent présentés au concile, renfermant les accusations portées contre Célestius, et le diacre Paulin était l'accusateur. Augustin rapporte un passage de ce concile, où il raconte que Célestius ne voulut point condamner ceux qui disent : « Que le péché d'Adam n'a atteint que lui seul, et non tout le genre humain ; et que les enfants, en naissant, sont dans l'état où était Adam avant sa prévarication (4). » Mais ne pouvant tenir contre les vrais mérites du Christ, puisqu'il fallait leur appliquer aussi les mérites de la rédemption (1), il dut avouer, dans un petit livre, qu'on devait baptiser les jeunes enfants, puisqu'il fallait aussi leur expliquer les mérites de la rédemption (6). Il ne confessait pas, sans doute, qu'Adam leur transmettait le péché (7). Mais «sans vouloir s'exprimer plus clairement sur le péché originel, dit le saint docteur, il ne s'avançait pas peu par ce mot de rédemption. De quoi, en effet, pouvait-on les racheter, sinon du pouvoir du démon auquel ils ne pouvaient être soumis que par les liens du péché originel? Et à quel prix sont-ils rachetés, si ce n'est par le sang du Christ, dont il est si clairement écrit qu'il fût répandu par la rémission du péché (8) ? » Outre ces deux chefs d'accusation, il est dit dans les actes du synode de Diospolis que Célestius fut convaincu devant le concile de Carthage d'enseigner : « Qu'Adam. était sorti mortel des mains du Créateur, et que, innocent ou coupable, il devait goûter la mort; que la voie du salut était la même dans l'Évangile que dans la loi ancienne; qu'avant le Christ il y avait eu des hommes exempts du péché; et enfin que le genre humain ne ressusciterait pas plus par la résurrection du Christ, qu'il n'avait trouvé la cause de sa mort dans la mort ou les prévarications d'Adam. » C'est Augustin qui nous rapporte ces pernicieuses doctrines, non pas comme les ayant entendues dans le concile même, auquel il n'avait pas été présent, mais comme les ayant recueillies dans les actes qui avaient été dressés. Étant venu à Carthage, il n'eut pas de peine à convaincre le malheureux sectaire, mais il ne put le conserver à la vérité. Célestius avoua ses croyances, entendit la condamnation de ses dogmes, fut frappé d'excommunication, sentence digne de sa perversité, et, déclaré infâme aux yeux de toute l'Église, il quitta la terre d'Afrique (9).
3. Ceux qui avaient donné dans l'erreur de Pélage étaient certainement peu nombreux en Afrique. Effrayés de la condamnation de Célestius, ils n'osaient que murmurer dans l'ombre contre la foi si bien établie de l'Église (10). Néanmoins le saint évêque résolut d'attaquer énergiquement cette nouvelle hérésie, qu'il jugeait si justement pernicieuse et impie; toutefois, il ne le fit d'abord que dans ses sermons et dans ses entretiens, lorsqu'il en sentait le besoin et l'utilité (11). Mais bientôt la nécessité le força à la combattre par écrit. Marcellin, le même prélat qui avait été le rapporteur du concile de Carthage, se sentant im-
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(1) Des_ actes de Pelag. n. 46. (2) Idem., (3) Lettre CLXxv, n. 1. (4) Du péché orig. n. 2-3. (5) Contre Jul., liv. iii, n. 9. (6) Deg niérites de8 pécheurs, liv. i, n. 62, Lettre CLVIT, rI. 22, Du péché orig. n. 21. (7) Des mérilee des pécliews. liv. ii, n. 58. Du péché orig. 21. (8) Leth-e CLVIi, n. 22. (9) OnosE., apologie. (10) Lettre CLVII, n. 22. (11) Retract., liv. Il, ch. xxxiii.
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puissant à réfuter les novateurs qui chaque jour suscitaient des discussions regrettables, envoya leurs questions à Augustin, le priant de ne pas différer à lui en donner la solution (1). Il lui demandait d'abord d'expliquer la doctrine sur le baptême des enfants, car les pélagiens prétendaient : « Qu'Adam, alors même qu'il n'eût point péché, serait mort; et que sa faute ne passait point à ses descendants (2). » Ils avouaient, sans doute, écrit Marcellin, que les péchés étaient effacés par le baptême, «mais il ne s'agissait d'après eux que des fautes personnelles commises depuis la naissance. » Ils donnaient en outre une nouvelle signification à la grande parole de saint Paul : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme et la mort par le péché, » et ils s'efforçaient de persuader aux fidèles « que, dans cette vie, il existe, il y a eu, il y aura toujours des hommes exempts de la loi du péché (3).» À cette époque, le saint docteur était accablé de soins et de soucis, par suite des affaires que les pécheurs, les donatistes, sans doute, lui suscitaient, et il attribuait ces maux de l'Eglise, tant était grande son humilité, au châtiment dû à ses fautes (4). Il ne put cependant point se résoudre à ne point satisfaire le désir si louable d'un homme, auquel le liait une étroite et sainte amitié. Outre ce qu'il devait à l'Église du Christ, sa charité inquiète ne pouvait garder le silence, alors qu'il voyait des ignorants jetés dans le trouble par les assertions obstinées et déjà répandues de ces novateurs (5) et surtout quand ces hommes coupables répandaient le venin de leur doctrine en public et en particulier, non seulement de vive voix, mais même dans des livres, d'autant plus dangereux qu'ils étaient écrits avec une malice et un artifice étonnants (6). Parmi les ouvrages qu'il composa pour réfuter les pélagiens et expliquer les questions de Marcellin, il y a deux livres indiqués dans ses Rétractations sous le titre La rémission et Le châtiment des Péchés (7), et ailleurs sous celui de : Baptême des enfants; c'est ainsi que les nomme saint Jérôme (8). Dans le premier, il démontre que la mort de l'homme vient du châtiment dû au péché d'Adam, péché qui frappe toute sa race, et que les enfants doivent être baptisés pour obtenir la rémission du péché originel. Dans le deuxième, il enseigne que l'homme, dans cette vie, pourrait sans doute, par la grâce de Dieu et son libre arbitre, rester sans péché; mais qu'en réalité, il n'en est aucun qui consente à tout ce que la loi exige, soit que le bien lui soit caché, soit qu'il ne trouve aucun attrait à l'accomplir, et qu'excepté le Christ médiateur, il n'existe, il n'y a eu, il n'y aura jamais personne exempt de tout péché. Dans ce deuxième livre, il ne parle qu'en mots couverts du livre présenté au concile de Carthage, où Célestius avoue qu'une rédemption est nécessaire aux enfants (9). Mais dans ses Rétractations, il confesse hautement qu'il n'écrivit ces livres qu'après le concile de Carthage, où ce sectaire fut condamné (10), c'est-à-dire l'an 412, et s'il croit devoir taire le nom des ennemis de la vérité, ce n'est que pour les convaincre plus facilement par sa réserve même. C'est dans cet ouvrage que nous voyons Augustin faire mention d'un de ces fous qui servent de jouet aux autres et que l'on nomme bouffons. « Un de ces fous, dit-il, était si chrétien, que supportant avec une patience et une simplicité extraordinaires toutes les injures qu'on lui faisait, ne pouvait entendre injurier le Christ ou la religion à laquelle il appartenait, au point qu'il voulait lapider ceux qui blasphémaient, pour le provoquer et ses maîtres eux-mêmes n'obtenaient point grâce à ses yeux. De tels hommes, ajouta le saint docteur, sont destinés et créés pour faire comprendre à ceux qui le peuvent, que la grâce de Dieu et l'Esprit, qui souffle où il veut, ne descend pas toujours dans les fils de la miséricorde, mais anime les fils de l'enfer, afin que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (11). Ce fou, ajoute-t-il, n'est-il pas
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(1) Des actes de Pélaq, n. 25. (2) Des mérites des pécheurs. liv. III,n. 5. (3) Ibid., liv. i, n. 62. (4) Des chatiments dûs aux péch. liv. iii ' n. 1. (5) Ibi.*d., liv. 1, n. 1. (6) Des actes de Pél. n. 25. (7) Poss., vie d'Auy. n. 21. (8) Retract., liv. II, ch. Xxxiii. (9) Contre Pél. dialogue, III, ch. vi. (10) Des chàtiments du péché. liv. ir, n. 58. (11) Rétract., liv. il, ch. xxxiii. Des mérites des péch. liv. i, 11. 32.
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en effet au-dessus de bien des hommes très instruits dans la grâce du Christ? »
4. Ces livres terminés et envoyés à Marcellin, il est vraisemblable que le saint évêque partit à Carthage. Car il écrit à ce même prélat: «Je ne me souviens plus pourquoi vous m’avez renvoyé les livres Du baptême des enfants, que j'avais envoyés à Votre Grandeur, si ce n'est peut-être afin que je les corrigeasse. C'est ce que je voulais faire, les ayant trouvés pleins de fautes; mais j'ai été si accablé d'affaires, que je ne l'ai point encore fait (1). » Peu de jours après, l'exposition de Pélage sur les épîtres de Paul tomba entre ses mains. Il y trouva une argumentation contre le péché originel qu'il n'avait point réfutée; car il ne lui était point venu à la pensée que quoi qu'on pût croire, on dise de pareilles erreurs (2). Aussi, jugeant qu'il ne pouvait rien ajouter à ses deux premiers livres, il écrivit à ce sujet à Marcellin une lettre particulière, qu'il ajouta à son ouvrage comme un troisième livre (3). À cette époque Marcellin se trouvait à Carthage (4). Pélage protestait ne pas attaquer personnellement la foi de l'Église, mais simplement rapporter les objections de quelques autres; mais, lorsqu'il eut levé le drapeau de l'hérésie, il soutint ces mêmes objections avec une opiniâtreté sans égale (5). Et à Rome, où ses sentiments étaient connus, personne ne doutait qu'il ne se servît de ce moyen pour insinuer ses erreurs (6). Néanmoins, Augustin voulant encore user de modération avec lui, suivit, pour le réfuter, la méthode dont il s'était servi lui-même; et, comme un grand nombre de fidèles prônaient la pureté de ses mœurs, il n'hésita pas à le traiter avec beaucoup de déférence. Ainsi s'explique la lettre à Marcellin qu'il acheva à Carthage pour compléter ses deux premiers écrits, à l'époque même où il lui envoyait les actes du concile contre les donatistes.
5. Dans son deuxième livre, il avait enseigné, avons-nous dit, qu'il pouvait y avoir un homme sans péché, s'il le, voulait, avec le secours de Dieu, mais que cependant il n'y en avait eu aucun, excepté le Christ. Marcellin lui objectant qu'il était difficile d'admettre une semblable doctrine qui n'avait pour elle aucun exemple, Augustin répondit par le livre De l'esprit et de la lettre, dans lequel expliquant la question, il saisit l’occasion d'attaquer les pélagiens sur le secours de la grâce divine. « Dieu, disait-il, nous aide dans l'accomplissement du bien, non pas parce qu'il nous a donné une loi remplie de bons et saints préceptes, mais parce qu'il secourt notre propre volonté par le don de la grâce : sans cet appui, la doctrine de la loi serait une lettre morte, parce qu'elle condamnerait plutôt les prévaricateurs qu'elle ne justifierait les impies (7). » Dans cet ouvrage, il lutte contre les ennemis de la grâce, qui justifie l'impie, autant que Dieu lui en a donné la force (8). Mais il garde une telle modération, qu'il ne nomme encore aucun de ses adversaires.
6. Plein d'un immense désir de rappeler ces hommes de l’erreur, le saint docteur était si indulgent qu'il ordonnait de les supporter patiemment, alors même qu'en discutant ils regardaient les défenseurs de l'antique foi comme des hérétiques et des novateurs. « C'est peu, dit-il, pour ces hommes de discuter et de soutenir je ne sais quelles nouveautés impies : ils s'efforcent encore de nous convaincre d'enseigner de nouvelles doctrines (9). » Ainsi parlait-il au peuple de Carthage dans le sermon que, vers l'an 413, peu de temps après avoir écrit ses livres à Marcellin, il prononça devant l'évêque Aurélien, le 5 des calendes de Juin, jour anniversaire du martyr Guddeus, dans la basilique des majeurs. Après avoir traité longuement la question du baptême, il cite en premier lieu les autorités divines, puis, tenant dans ses mains la lettre du glorieux martyr Cyprien adressée à Fidus, expliquant des paroles du saint à ce sujet, pour arracher du cœur de quelques-uns leur funeste erreur, le pieux évêque termine sa discussion en ces termes : « Obtenons donc
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(1) Lettre cxxxix, n. 3. (2) Des chatiments des péchpu'",Ç. liv. Il,, il - 1. (3) Rétract., liv. II, ch. xxxiiI. (4) Des chaliments des péch. liv. 111, n. 10. iv. 11, eh. xxxvil. (9) Serni., ccxcv, n. 19. II, Ch. xxxvii. De l'esprit et de la Jet r(e5 nRétlrac(t8., liv. Il Rétract, eh , 1 . xxx,11. (6) DU Péché ong. n. 24. (7) Retract., liv.
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de nos frères, s'il est possible, de ne plus nous appeler à l'avenir hérétiques ; nous pourrions, si nous le voulions, donner ce nom à ceux qui soutiennent des hérésies, et cependant nous ne le faisons point. Que notre mère, la sainte Église les porte dans ses pieuses entrailles pour les guérir, qu'elle les supporte pour les instruire, afin de ne point les pleurer après leur mort. Mais pourquoi vont-ils si loin ? Pourquoi demander de nous une si grande patience pour les supporter? Ah ! qu'ils n'abusent point de cette patience de l'Église, mais plutôt qu'ils se corrigent. Nous les exhortons en amis, et nous ne les attaquons point en ennemis. Qu'ils nous décrient, nous y consentons : mais, du moins, qu'ils ne décrient point les canons, ni la vérité; qu'ils ne s'élèvent pas contre la sainte Église, qui travaille chaque jour à la rémission de la faute originelle pour les enfants. Là est la vérité. Et si l'on peut tolérer l'erreur dans celui qui se trompe en discutant sur des sujets peu approfondis, et que l'autorité de l'Église n'a point encore définis, cette erreur ne doit point aller jusqu'à détruire le fondement de l'Église. Si l'on ne peut pas nous faire un crime de cette patience, craignons que notre négligence ne soit coupable devant Dieu. Que cela suffise à votre Charité. Allez donc à ces hommes, vous qui les connaissez; soyez leurs amis et leurs pères ; soyez avec eux doux, aimants, patients : que notre piété fasse tout ce qui est possible, mais plus tard gardons-nous d'aimer l'impiété (1). »
7. Saint Augustin alla plus loin : il répondit à une lettre que Pélage lui avait envoyée. Tout en n'acceptant qu'avec réserve ses louanges, il le traite cependant avec tant d'honneur, que celui-ci, au synode de Diospolis, lut sa réponse, pour repousser, par le témoignage d'un si grand homme, le crime d'hérésie dont on l'accusait. Elle était conçue en ces termes : « Augustin au très-cher seigneur et frère Pélage, salut en N.-S. - Je vous suis fort obligé de ce que vous avez bien voulu me donner la joie de recevoir votre lettre et m'assurer de votre santé. Je prie Dieu, mon très-cher seigneur et frère si désiré, de vous donner des biens qui vous rendent bon pour toujours, et qui vous fassent mériter de vivre éternellement avec lui. Pour moi, quoique je ne puisse reconnaître les choses dont vous me louez, je ne puis m'empêcher de vous savoir gré de l'affection que vous me témoignez, et qui vous fait me juger si avantageusement. Priez plutôt le Seigneur de me rendre tel que vous me croyez déjà. » Et plus loin, il ajoute : « Je prie Dieu, mon très-cher seigneur et frère si désiré, qu'il lui plaise de vous rendre agréable à ses yeux (12». » Évidemment, dans ce mot de « frère désiré, » nous ne devons voir qu'un ardent désir du saint prélat d'avoir un entretien avec Pélage, car il avait entendu dire qu'il discutait ouvertement contre la grâce qui nous justifie, toutes les fois que l’on venait à en parler; mais le sectaire se faisait fort de chaque parole pour repousser le crime d'hérésie qu'on lui imputait ; car, sans offense pour sa personne, il lui était recommandé simplement de bien juger de la grâce de Dieu. Et voilà pourquoi, sans doute, Augustin se repentit plus tard d'avoir agrandi le mal, en craignant, dans l'excès de sa charité, de le combattre ouvertement.
8. Plus tard, il écrivit à Anastase (3) contre la nouvelle doctrine une autre lettre, dans laquelle, après avoir dit que ce n'est pas la foi ni la crainte servile, mais la grâce et la charité libre qui accomplissent la justice dans nos âmes, il déclare à l'évêque qu'il a l'intention de s'adresser à ces hommes seulement, qui, présumant trop de la volonté humaine, pensent que, la loi une fois donnée, ils peuvent par eux-mêmes la remplir. Cette lettre où il tait encore le nom de ses adversaires, était écrite certainement avant l'année 416, époque où déjà il n'hésitait plus à citer le nom de Pélage. Cet Anastase, au milieu des troubles et des malheurs qui soulevèrent le monde à cette époque, avait été placé en Espagne, aussi Augustin lui demande-t-il dans quel état sont les choses, et si Dieu a daigné lui accorder quelques moments de repos ;
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(1) S-m-, ceXeiv, n. 20. (2) L CUM CXLVI. (3) De3 '~c1es do PeMag. n. 50-52.
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il l'exhorte, en même temps, à se placer, par la charité, au-dessus des adversités du monde, et de demander avec instance cette vertu à Dieu, qui seul peut la donner. Le saint évêque avait reçu d'Anastase une lettre à laquelle il avoue ne point savoir s'il a répondu ou non ; tant, à cette époque, il était accablé de soins et de soucis.
9. Enfin, pendant qu'Augustin écrivait a Marcellin la lettre rapportée plus haut (1), pour compléter ses livres sur le Baptême, il avait dans les mains une lettre d'Honorat, aux demandes duquel il désirait surtout répondre (2). «La charité, lui dit-il, est comme une mère tendre qui ne songe qu'à conserver et à secourir ses enfants; obéissant à la grandeur du besoin plutôt qu'à son amour, elle préfère les plus faibles aux plus forts, non pas qu'elle méprise ceux-ci, mais parce qu'elle a confiance dans leur force, et qu'elle veut la communiquer à ceux qui sont faibles (3). Honorat, encore au nombre des catéchumènes (4), avait écrit de Carthage à Augustin, son ami, et lui avait proposé des questions à expliquer. Augustin était alors très occupé contre les donatistes : mais il jugea opportun de saisir l'occasion qui lui était offerte de combattre les pélagiens. Aussi, aux cinq questions proposées par Honorat, il en ajoute une sixième sur la grâce du Nouveau Testament, qu'il discuta avec une attention et un soin tout particuliers : il y rapporta toutes les autres, et il y joignit l'explication du psaume XXI, dont le commencement comprenait une des questions posées (5). Cet ouvrage, qu'il compte parmi ses livres (6), et qu'il dit, avec raison, assez étendu (7), n'est regardé aujourd'hui que comme faisant partie de ses lettres, et, bien qu'il semble lui subordonner son opuscule sur l'Esprit et la Lettre, nous ne pouvons douter qu'il ne l'ait écrit longtemps après.
CHAPITRE II
1. Augustin écrit après la conférence (de Carthage) aux donatistes laïques. - 2. Un rescrit de l'Empereur Honorius condamne les donatistes. - 3. Leur rage. - 4. Ils assassinent Restitutus. - 5. Efforts d'Augustin pour empêcher la condamnation à mort des coupables. - 6. Il s'occupe à apaiser les violences des schismatiques dans le diocèse d'Hippone et dans le reste de la Numidie. - 7. Il écrit différents opuscules.
1. Dans la lettre à Marcellin, où Augustin dit s'occuper de la réponse à faire à Honorat, il joint la conférence de Carthage qu'il avait rédigée en abrégé, ainsi qu'une lettre faite peu auparavant sur cette conférence pour les donatistes. Déjà plus haut nous avons parlé de cet abrégé de la conférence : quant à la lettre écrite alors aux laïques donatistes, ce ne peut être évidemment que le livre intitulé : Aux donatistes après la conférence (8), où le saint homme ne parle en effet en aucune façon de leurs évêques. Dans cet ouvrage, traité avec soin et avec grande attention, il renverse les calomnies et les chimères sur lesquelles s'appuyaient les donatistes pour ne pas obéir au jugement de Marcellin. Puis il traite la même question, mais beaucoup plus brièvement dans une autre lettre qu'il publie de nouveau, dit-il, de concert avec le synode de Cirta (9) : lettre rapportée au 18 des calendes de juillet de l'année 412. C'est pourquoi si la lettre aux donatistes après la conférence précède cette dernière, comme ce mot, « de nouveau, » semble l'indiquer; il faut la placer, avec tous les écrits de cette époque, avant le mois de juillet de l'année 412; et, comme tous ces ouvrages suivirent la condamnation de Célestius, prononcée l'an 411, nous croyons pouvoir fixer leur date du commencement de l'an 412 jusqu'environ le mois de juin. D'un autre côté, dans ce livre, Augustin déclare ouvertement que l'on a ordonné aux catholiques de réprimer l'impuis-
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(1) Lettre cxcx[x, n. 3. (2) Lettre CXL, Rétr(1ct.~ li,. 1,~ Ch. xxxvI. (3) Lettre cxxxix, n. 3. (4) Lettre CXL, n. 48. (5) Rétraci., liv. II, ch. xxxvi. (6) Ibid., et Lettre cxxxix, n. 3. (7) Lettre CXL, n. 85. (8) Rétract., liv. 11, ch. XL. (9) Ibid.,
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sance et les injures des donatistes par l'autorité des lois : que cependant il ne fallait pas les frapper de supplices cruels, mais bien de peines légères (1). Donc on peut dire qu’Augustin écrivit ce livre après la loi portée le 3 des calendes de février l'an 412 (2).
2. Marcellin, sans aucun doute, et comme il en avait reçu l'ordre, avait annoncé à l'empereur le succès de la conférence ; d'un autre côté, les donatistes en avaient appelé de la sentence de Marcellin et Honorius devait parler. Possidius nous apprend qu'il répondit à leur appel et qu'il les condamna justement comme hérétiques (3). On ne peut même douter que la loi dont nous parlons fût rendue à ce sujet (4); mais elle n'est, autant que l'on peut en juger par des conjectures, qu'une partie de la loi totale, puisqu'elle révoque tout ce qui avait été concédé aux donatistes l'an 409, et que par contre, elle renouvelle tout ce qui a été décrété contre eux. Elle décrète en outre que tout donatiste qui refuserait de revenir à la communion catholique, tant évêques et clercs, que laïques et circumcellions, serait frappé, chacun selon sa dignité, d'une amende pécuniaire, payable par les femmes comme par les maris : et que quiconque après cette amende ne se repentirait point, serait dépouillé de tous ses biens : la même amende était infligée à ceux qui les cachaient et les voudraient soustraire au châtiment. Les esclaves et les colons devaient être contraints à abjurer le schisme par un châtiment corporel ; et leurs maîtres, bien que catholiques, étaient frappés d'une amende, s'ils négligeaient de le leur faire subir : quant aux évêques et autres clercs qui persisteraient dans leur révolte, on devait tous les chasser de l'Afrique entière; pour les disperser dans l'empire, et leurs églises ou autres lieux de réunion avec toutes leurs dépendances étaient confisquées au profit des évêques catholiques d'après le décret rendu à ce sujet l'an 405, ou du moins proposé dans la loi portée le 8 des calendes de décembre, 407. Là était le point principal des vives et ardentes récriminations des donatistes, assurés, disaient-ils, que les persécutions et les poursuites des catholiques n'avaient d'autre mobile que celui de les dépouiller de leurs biens (5). Augustin, en différents endroits, repousse cette injuste accusation, et montre qu'ils l'invoquaient avant la conférence, contre les prélats catholiques, afin d'alléger en quelque sorte leur douleur, dans le déclin de leur secte qu'ils voyaient diminuer de jour en jour. « Voilà, disaient-ils, où était le bien fonds, donné par Guius Seius, à l'Église que gouvernait Faustin (6), (leur évêque à Hippone). Mais le saint prélat démontre en maint endroit toute l'injustice de ces plaintes, et l'équité qui règne dans l'édit de l'empereur. Après les avoir réduits au silence, il fait au nom de l'Église entière cette solennelle déclaration: «Lorsqu'à la faveur des lois que les empereurs fidèles à Jésus-Christ, ont faites pour vous faire revenir de votre impiété, on envahit vos possessions, sachez que nous désapprouvons une pareille conduite. Et nous condamnons de même tous ceux que l'avarice plutôt que la justice porte à vous enlever le bien des pauvres, ou les lieux de vos assemblées, bien que vous ne possédiez cependant que sous le nom d'Église, et qui ne pouvaient appartenir qu'à la véritable église du Christ. Mais vous pouvez à peine nous prouver ces sortes de traitements ; et alors même que vous les prouveriez, nous en supportons les auteurs quand nous ne pouvons ni les corriger, ni les punir ; la paille ne nous fera pas sortir de l'aire du Seigneur (7). » Il ajoute à ce même sujet : « Nous sommes pauvres avec les pauvres, ajoute-t-il plus bas, et ces biens sont à eux comme à nous, du moment qu'ils sont catholiques. Si nous avons suffisamment de quoi nous entretenir, ces biens-là ne sont point à nous, mais aux pauvres; pour nous, nous n'en sommes que les administrateurs, et nous ne pourrions nous en attribuer la propriété, sans une usurpation coupable. » Dans un autre endroit encore, il se justifie auprès du
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(1) Aux donatistes après la Conf. n. 21. (2) Code de Théod. des hérétiq(uey ' loi 52. (3) Poss., vie d'Aug. eh. xiii. ~4)Code de Théod, des hérétiques. loi 51, (5) Lettre CLXXXV, n. 35. 6) 66 traité sur eEvang. de Jean. n, 25 7) Lettre xciii, n. 50.
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peuple confié à ses soins : «Vous savez, mes frères, dit-il, que ces villes ne sont point à Augustin : si vous l'ignorez, si vous pensez que je me délecte dans leur possession, Dieu, qui connaît le sentiment de mon âme, y lit ce que je souffre; il a connu mes gémissements, s'il a daigné m'accorder quelque trait de ressemblance avec la colombe (1). » Et joignant l'exemple à ces paroles, le saint docteur s'opposait au zèle des orthodoxes qui voulaient dépouiller les schismatiques et leur disait que c'était la charité et non l'avarice qui devait dicter leur conduite. Aussi, dès qu'un de leurs évêques revenait à l'Église, on lui restituait aussitôt tous ses biens, son argent, ses vêtements, ses vases, ses champs et ses maisons (2). Le nouvel éclat que venait de recevoir la foi catholique des actes de la conférence et de leur confirmation par la puissance impériale ne tarda pas à ramener dans le sein de l'Église un grand nombre d'évêques donatistes avec leur clergé et leurs fidèles, et telle fut la sincérité de leur conversion qu'ils supportèrent courageusement la persécution, la mutilation et la mort même, de la part de ceux qui s'obstinèrent dans l'erreur (3). Dieu, en effet, ne permit pas que tous se convertissent. Bien plus, l'obstination de quelques-uns alla si loin, qu'ils proclamèrent que rien ne pourrait les détacher du schisme, quand bien même on leur démontrerait la vérité de la foi catholique et la perversité des donatistes (4) Dans leurs évêques, les uns prirent la fuite (5) ; les autres, s'étant cachés, furent découverts, comme Émérite de Césarée. Mais les catholiques le renvoyèrent sain et sauf, lorsqu'en l'année 418, il vint les trouver pour avoir avec eux une conférence (6). Beaucoup d'autres, d'un nom moins connu, purent se retirer impunément, quoiqu'ils annonçassent bien haut, qu'aucun de ceux qui étaient tombés entre les mains des catholiques, n'avait échappé à la mort. Ils se plaignaient d'être les victimes d'une cruauté jusqu'alors sans égale, et de n'avoir plus ni retraite ni asile (7). Et cependant, ils ne cessaient de réunir des conciliabules et de remplacer des prélats qui s'étaient eux-mêmes brûlés, disaient-ils. Plus de trente évêques même purent se réunir avec Pétilien avant l'année 420, dans un synode, où ils décrétèrent que les évêques et les prêtres, entraînés par la violence dans la communion catholique, pouvaient obtenir le pardon de leur faute, et être réintégrés dans leurs honneurs, s'ils n'avaient point célébré les saints mystères et annoncé publiquement au peuple la parole de Dieu (8). C'était saper le fondement de leur secte. Toutefois, malgré les efforts des catholiques pour ramener à l'unité les schismatiques, il y eut un grand nombre de ces derniers qui refusèrent non seulement de participer au banquet du salut éternel et de la sainte unité de l'Église, mais encore qui sévirent cruellement contre les catholiques (9), et surtout contre les évêques 10) et tout le clergé (11). Des édifices sacrés, occupés par eux à Carthage, avaient été livrés aux catholiques : Ils devinrent bientôt après la proie des flammes, et il n'est point douteux que la haine n'ait poussé ces hérétiques à y mettre eux-mêmes le feu. Une troupe de circoncellions attaqua Rogat, établi autrefois par eux, évêque des Assuritains, mais qui ensuite avait échappé aux flots de l'erreur, lui coupa la langue et une main; et le saint prélat vivait encore ainsi mutilé après l'année 418 (12). Semblables à «des frénétiques, » privés de raison, dit Augustin dans son sermon sur la charité et sur l'unité prononcé peu après la conférence, « ils errent, furieux et insensés, ils courent en armes, ne cherchent qu'à massacrer ou à aveugler des victimes. Ne nous a-t-on pas encore rapporté de nouveaux excès de leur part ? n'ont-ils pas coupé la langue à un de nos prêtres ? Et cependant à l'égard de ces misérables sans raison : il faut pratiquer la charité; oui, il faut aimer ces frénétiques (13). »
4. Rien n'eut plus de retentissement, à cette
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(1) Leltre CLXXXV, 11. 35. (2) 60 Traité sur lEvang. de Jean. n. 25.. (3) Contre Gaudens. liv. r, n. 50-51. (4 vie d'Aug. ch xiii. (5) Lettre cxxxix, n. 1. ffl) Contre Gaudens. liv. 1, n. 19. (7) Ibid., n. 41. (8) Lettre ) Pogg*
(9) [bid., n. 48. (tO) Lettre cLxxxv, n. 47.
( 13) Serm, CC.CLlx, n. 8. n.30. ('11) Contre Gadens,]iL. 1, n. 7. (12.) Des disc. avec Ernérite. n. 9.
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époque, que la cruauté exercée contre Restitut et Innocent, prêtres catholiques d'Hippone la Royale (1). Nous avons déjà fait mention des vexations endurées par le premier. Pour embrasser la vérité que Dieu lui-même avait révélée, il avait quitté leur parti. Les circoncellions, ainsi que les prêtres donatistes, s'étant emparés par ruse de sa personne, non seulement n'écoutèrent point les paroles qu'il leur adressa pour les exhorter à se convertir, mais encore croisant leurs glaives sur sa gorge, ils lui arrachèrent la vie par une mort violente .(2) Le prêtre Innocent, lui aussi, était coupable du même zèle; aussi ces mêmes circoncellions sans doute voulurent-ils lui donner part à la même couronne. Ils l'arrachèrent de force de sa demeure, lui crevèrent un oeil, dit Augustin, et, après lui avoir coupé un doigt à coups de pierres, ils le mutilèrent affreusement (3), Donat tenait le premier rang parmi ces brigands et ces sicaires. Autrefois enfant de l'Église, il s'était souillé par un second baptême, s'était laissé nommer diacre par les donatistes, et sa fureur était telle qu'on pouvait s'en servir à bon droit pour les entreprises les plus audacieuses et les plus flétrissantes (4).