Constantin 6

Darras tome 9 p. 31

 

   11. « Cependant, dit M. de Broglie, malgré la popularité ancienne qui est à elle seule un respectable témoignage, malgré le charme que trouvera toujours dans une marque si sensible de la protection divine la foi même la plus éclairée, on a opposé au rapport d'Eusèbe des difficultés que la sincérité fait un devoir de constater, sinon d'admettre. Eusèbe, dit-on, est un écrivain flatteur, aussi peu scrupuleux qu'orthodoxe. On relève dans ses assertions des controverses et des incohérences. Ainsi il parle des enfants de l'empereur, qui n'avait encore â cette époque qu'un fils de son

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1. Nazar., Panegyricus Constantino dictus, cap. xv j Patrol. lat., tom. VIII, col. 592.

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premier mariage, puisque son premier enfant de sa femme Fausta ne naquit qu'en l'année 316. De plus, la vision en elle-même n'avait nul besoin d'être expliquée par un songe. La croix était devenue un symbole assez connu dans l'empire pour que le sens de l'apparition fût clair dès le premier moment. On croit donc reconnaître là deux versions mal combinées d'un même fait, et Lactance, autre contemporain, ne parle que d'un songe qu'il place à une époque postérieure de l'expédition, et qui décida seulement Cons-tantin à faire mettre le monogramme du Christ sur le bouclier de ses soldats. Quoi qu'il en soit, il demeure certain que Constantin fit à ce moment de sa vie, sinon une adhésion complète aux dogmes des chrétiens, au moins un appel et une invocation solennelle à leur Dieu. Sur ce point, le témoignage du consentement unanime est en faveur d'Eusèbe, et l'impression populaire qui rapporta toujours à ce moment suprême l'impulsion nouvelle de l'âme de Constantin, ne saurait s'être trompée. Jeune, ardent, con-fiant en lui-même, mais saisi de ce frémissement intérieur qui s'empare de l'âme à la veille d'une crise longtemps attendue, et en vue d'un bien longtemps convoité, il opposa le chiffre mystérieux du Christ à celui du sénat et du peuple, pour dominer une religion vieillie par le charme d'une plus jeune et plus frémissante. Il se recommanda au Dieu qui s'était montré puissant, à celui qui savait encore glorifier ses serviteurs et humilier ses ennemis1. » Tel est le résumé des objections présenté par M. de Broglie, qui d'ailleurs ne prend aucun parti et ne donne pas son sen-timent personnel sur la question. Nous allons donc examiner les difficultés opposées au récit d'Eusèbe. « C'est, dit-on, un écrivain flatteur, aussi peu scrupuleux qu'orthodoxe. On relève dans ses assertions des contradictions et des incohérences. Ainsi il parle des enfants de l'empereur qui n'avait encore à cette époque qu'un fils de son premier mariage, puisque son premier enfant de sa femme Fausta ne naquit qu'en l'année 316.1 » Nous admettons volontiers que, dans la querelle de l'Arianisme, Eusèbe s'est montré

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peu scrupuleux et visiblement partial. Il est certain que son penchant à l'hérésie l'entraîna dans les intrigues d'une adulation regrettable. Mais qu'a de commun la vision de la croix miraculeuse avec la question de l'Arianisme? Au moment où Eusèbe publiait son récit, Constantin était mort. Eusèbe n'avait donc plus à le flatter. En supposant qu'il eût une arrière-pensée de courtisan vis-à-vis des successeurs du héros, je demande ce que pouvait signifier l'insistance avec laquelle il eut répété par trois fois qu'une légende absurde, inconnue de tout le monde, un fait increvable, inouï et dont il n'aurait pas existé un seul témoin, lui avait été affirmé par Constantin lui-même et attesté sous la foi du serment. Singulière manière de faire sa cour aux descendants d'un grand homme, que de leur prouver l'étroitesse d'esprit et la crédulité avec laquelle leur père admettait des contes de bonne femme, des récits de visions imaginaires ! Il y aurait par trop de niaiserie à prendre un pareil biais pour flatter un prince. Plus on reconnaîtra qu'Eusèbe fut un flatteur aussi peu scrupuleux qu'orthodoxe, plus on rendra impossible le mensonge qu'on voudrait lui prêter en cette circonstance. Mais, dira-t-on, ses assertions ne sont pas exemptes de contradictions et d'incohérences. Ainsi il parle des fils de Constantin, comme s'il en eût existé plusieurs à l'époque de la prétendue vision miraculeuse. Or il est certain que Constantin n'avait encore à ce moment qu'un seul fils, Crispus, issu d'un premier mariage avec Minervina. — A l'objection ainsi présentée il n'y a qu'une réponse possible, et la voici. II est absolument faux qu'Eusèbe ait tenu le langage qu'on lui prête. Une lecture superficielle de cet auteur a pu seule donner lieu à une pareille méprise. Eusèbe, après avoir raconté la vision et le songe qui la suivit, ajoute que le lendemain des orfèvres, sur l'invitation du prince, exécutèrent le modèle en or et en diamants du Labarum 1, ou étendard Constanti-

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1. Tel est le nom adopté pour désigner l'étendard Constantinien. On a proposé pour ce vocable les étymologies les plus diverses. La plus vraisemblable est celle de du Cange. «Dans l'idiome germanique, dit-il, le mot Lab, ou Lap signifiait un voile ou tissu, et Bar ou Bare une hasta. » La réunion de ces deux termes formait donc une expression pittoresque qui donnait une idée exacte de l’étendard décrit par Eusèbe.

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nien. Eusèbe ouvre ensuite une parenthèse en ces termes : « J'ai eu depuis l'occasion de voir ce drapeau; voici sa forme exacte: "O Sri xaï *i|J-â; è^6a).(ioï{ itots <wvé67j 7:apa),aë£tv. ""Hv Se toiûSe ayr^om xatssxev .K?(i£vov. Suit alors la description la plus détaillée et la plus minutieuse de l'étendard, tel qu'Eusèbe l'avait vu flotter à la tête des légions, pendant les dernières années du règne de Constantin. En effet l'étendard Constantinien ne fit sa première apparition en Orient, et par conséquent Eusèbe de Cesarée ne put le voir qu'en 323, époque de la chute de Licinius. Or, à cette date, tous les fils de Constantin étaient nés depuis longtemps. Voilà pourquoi l'historien rappelle que, sur le voile brodé qui était suspendu à l'antenne transversale du Labarum, on avait coutume de placer l'image de Constantin et des Césars ses fils. Puis il ferme la parenthèse, et après cette description historique intercalée dans son récit, il re- vient à son sujet en ces termes : 'AW.à mOTa (uxpôv OaTtpov. Il est donc très-clair qu'Eusèbe n'est point responsable de la prétendue contradiction qui lui est reprochée. Il n'a jamais dit, ni prétendu dire que les Césars, fils de Constantin, fussent nés au moment de l'apparition. On me permettra de trouver que cette objection est par trop gratuite et vraiment indigne d'une controverse sérieuse. « Cependant, reprennent les critiques, n'est-il pas manifeste que la vision d'une croix lumineuse dans les airs n'avait nul besoin d'être expliquée par un songe? La croix était alors un symbole assez connu dans l'empire pour que le sens de l'apparition fût clair dès le premier moment. » Telle est la seconde incohérence relevée dans le récit d'Eusèbe. Il est certain que si à l'époque Constantinienne la croix eût été réellement un symbole aussi connu dans l'empire qu'il l'est aujourd'hui dans notre monde chrétien, l'objection aurait une ombre de valeur. Mais il n'en était point ainsi. Sous ce rapport, voici le dernier mot de la science archéologique : « Aucun monument de date fixe, dit M. de Rossi, ne présente avant le Ve siècle un seul exemple de croix, soit sous la forme dite immissa (barre transversale au tier) sous la forme grecque (barre transversale au milieu). A la date de l'an 370, une inscription relevée par Boldetti nous représente pour la première fois l'image de la croix dite en tau, T. C'est le plus ancien exemplaire connu de la croix sur les monuments publics des chrétiens. Les tombes

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des fidèles ne furent ornées de ce signe sacré que vers le milieu même du Ve siècle 1. » Il ne se peut rien souhaiter de plus concluant pour démontrer que la croix n'était point, à l'époque Constantinienne, un symbole connu de l'empire et caractérisant d'une manière notoire tout un système de religion et de culte. Nous avions déjà précédemment signalé cette particularité dans les divers emprunts faits par nous à l'archéologie des catacombes. La prétendue incohérence du récit d'Eusèbe n'existe donc pas. Mais, si l'on veut, faisons table rase de ces renseignements nouveaux et vraisemblablement inconnus aux critiques dont M. de Broglie a reproduit l'argumentation ; admettons que la croix, symbole mystérieux enveloppé dans la loi du secret qui régissait l'Église primitive, eût été connue de tout le monde Romain comme elle l'est aujourd'hui. Nous demanderons encore quelle incohérence pourrait être signalée entre l'apparition du phénomène céleste et la vision nocturne de Constantin. Une croix lumineuse brille dans les airs à la vue du prince et de son armée. Une inscription radieuse fait lire dans les régions éthérées ces trois mots grecs : "Ev touto vixa, In hoc vince. Or Constantin est païen; s'il connaît la croix, c'est comme un gibet ignominieux. Les chrétiens, il est vrai, prétendent que leur Dieu est mort sur cet instrument de torture. Mais quelle conclusion pratique se dégageait pour le prince ? Aucune. Il lui est commandé de vaincre par ce signe. Comment s'y prendre pour ajuster le sens de l'inscription à un ordre quelconque de bataille? Évidemment Constantin ne pouvait conjecturer au-delà de sa propre pensée? Sa perplexité est fort naturelle. Il n'y a donc aucune incohérence entre le récit de l'apparition publique et celui de la vision particulière. Ou plutôt il est manifeste que l'apparition publique toute seule n'eût rien produit. Le grand fait, l'événement décisif est ici la vision particulière où, pour la première fois, sans intermédiaire, sans ambiguïté, directement, os ad os, le Christ, Roi immortel des siècles, se manifeste au représentant des Césars, et lui révèle par sa présence miraculeuse le dessein providentiel dont. Tertullien, nous l'avons vu, ne soupçonnait pas la possibilité. Il

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1 M de Rossi; cité par M. Martigny, Dictionnaire des antiq. chrêt., pag. 125»

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fallait Jésus-Christ lui-même pour apprendre au monde qu'un César pouvait être chrétien. C'est là, disons-nous, le fait capital. Constantin le comprenait, il nous semble, avec toute son importance et sa majesté, quand il prenait la peine d'affirmer par serment à son futur biographe Eusèbe l'authenticité de ce merveil-leux récit. La critique moderne n'est donc point heureuse dans ses fins de non-recevoir. « On croit, continue-t-elle, reconnaître là deux versions mal combinées d'un même fait, et Lactance, autre contemporain, ne parle que d'un songe qu'il place à une époque postérieure de l'expédition et qui décida seulement Constantin à faire mettre le monogramme du Christ sur le bouclier de ses soldats. » Nous regrettons d'être obligé de signaler dans chacune des assertions de la critique des inexactitudes matérielles, qu'on devrait éviter dans une discussion de bonne foi. Il est faux que Lactance ait placé le récit de la vision de Constantin à une époque postérieure à celle qu'Eusèbe lui assigne lui-même. Vraiment on devrait lire les auteurs dont on parle avant de les citer, ne fut-ce que pour s'épargner le désagrément de dénaturer sans le vouloir leur témoignage, voici le chapitre entier de Lactance auquel on fait si injustement allusion : « La guerre civile commença, dit cet auteur. Maxence se tenait renfermé à Rome, parce qu'un oracle lui avait prédit une mort fatale, s'il se hasardait à franchir les portes de la ville. Ses lieutenants dirigeaient donc en son absence les armées d'Italie. Maxence avait la supériorité du nombre. Outre l'ancienne armée de Sévère et celle que Maximien-Hercule, son père, avait jadis recrutée, il avait grossi les rangs de ses soldats de nouvelles levées faites en Afrique et en Italie. On en vint aux mains. Les troupes de Maxence eurent d'abord quelques succès. Cependant Constantin, affermissant son courage et décidé à risquer le tout pour le tout, concentra son armée entière sous les murs de Rome, et vint asseoir son camp dans la région du Pont-Milvius (Ponte-Molle). On célébrait à Rome l'anniversaire solennel de l'avènement de Maxence. Les fêtes quinquennales données à cette occasion étaient arrivées à leurs derniers jours. Pendant son sommeil, Constantin fut averti d'avoir à faire graver le signe céleste sur les boucliers de

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ses soldats, et d'engager ensuite sans crainte la bataille. Il le fit avec une docilité exemplaire. Chaque guerrier fut muni de ce symbole divin, qui n'était autre que le monogramme du Christ. L'armée ainsi pourvue de ce gage de victoire se rangea en bataille pendant que l'ennemi, traversant le pont, venait s'adosser à la rive gauche du Tibre. Maxence n'avait point jugé à propos de quitter Rome. Le combat s'engagea de part et d'autre avec une égale vigueur et demeura longtemps incertain. Cependant, une émeute éclata à l'intérieur de la ville. On entoura Maxence, on lui reprocha de n'être pas avec les combattants. Son abstention fut traitée de trahison ouverte. En ce moment, le peuple réuni au cirque pour les fêtes quinquennales s'écria : On ne vaincra pas Constantin ! Maxence éperdu manda à la hâte quelques sénateurs dévoués à sa cause, et se fit apporter les Livres Sibyllins; on consulta cet oracle et la réponse fut celle-ci : En ce jour, l'ennemi du peuple Romain doit périr. Maxence interpréta à son avantage cette parole ambiguë. Dans l'espérance d'une victoire, il franchit le Tibre et rejoignit l'armée. Le pont fut coupé derrière lui. A l'arrivée de Maxence, la lutte redoubla d'ardeur, mais la main de Dieu éclata visible-ment. L'armée du tyran fut mise en déroute. Maxence lui-même, contraint de fuir, se précipita vers le pont rompu. Une multitude immense en encombrait déjà l'abord. Maxence, pressé par la foule des fuyards, fut précipité dans le fleuve. La guerre était terminée. Sénat et peuple reçurent Constantin avec un enthousiasme indescriptible. » Tel est le récit de Lactance. La vision miraculeuse de Constantin y est indiquée très-visiblement comme antérieure à la bataille du Pont-Milvius. Eusèbe dit exactement la même chose, et prend soin d'avertir qu'il « a oublié le nom du lieu où se trouvait l'armée à l'époque de l'apparition de la croix lumineuse. » Il est donc impossible de voir une contradiction entre les deux récits, ni par conséquent une trace posthume de concordance entre deux versions mal combinées. Quant au fond même de la question, bien que Lactance ne parle point explicitement de l'apparition publique, il y fait cependant une allusion fort reconnaissable. Voici son texte : Commonitus est in quiete Constantinus ut cœleste signum Dei notaret in

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sentis atque ita prœlium committeret. Pourquoi ce nom de « signe céleste de Dieu » donné ici à la croix, sans autre explication, sinon parce que réellement la croix avait précédemment apparu dans le ciel? Lactance, qui écrivait son traité. De mortibus persecutorum du vivant même de Constantin, n'a point jugé à propos d'insister plus en détail sur des faits qui étaient alors de notoriété publique. Il se contentait de les rappeler brièvement à l’esprit du lecteur. Il n'y a donc, on le voit, ni contradictions, incohérence dans son récit, pas plus que dans celui d'Eusèbe. Et quand on leur adjoint le témoignage du rhéteur païen Nazarius, on est forcé de convenir qu'une apparition publique et miraculeuse précéda très-certainement la conversion de Constantin et sa dernière lutte contre Maxence.

 

   12. Reste maintenant à dire le dernier mot sur ce phénomène que le rationalisme a mis tant d'ardeur à combattre. On a compris qu'il était difficile de rayer de l'histoire les témoignages précis, concordants, authentiques, que nous venons d'entendre. Après tout, Constantin n'était point un imposteur, et, il faudrait lui attribuer ce caractère pour être en droit de révoquer en doute la vérité d'un fait attesté par lui à diverses reprises sous la foi du serment. Eusèbe, de son côté, n'avait aucun intérêt à ce mensonge. Lactance et Nazarius pas davantage. On a donc imaginé un système qui ménage leur bonne foi et concilie tous les scrupules. Constantin, disait-on, vit très-réellement une croix lumineuse dans les airs. Toute son armée put la contempler avec lui : mais il n'y a rien là de surnaturel. Le phénomène, qu'on prit alors pour un prodige est d'un ordre purement naturel. Il se produisit en vue de l'armée impériale une simple parhélie, c'est-à-dire un météore, assez rare d'ailleurs, qui consiste dans la réflexion des rayons lumineux sur une nuée, ou sur une masse vaporeuse répandue dans l'atmosphère. Cette explication fut donnée pour la première fois par Fabricius. C'est donc à lui qu'il faut renvoyer l'honneur de l'invention. Ni sous le rapport astronomique, ni au point de vue de l'histoire, cette théorie ne supporte l'examen. La parhélie, en effet, n'est pas seulement une réverbération des rayons réfractés sur un nuage.  C'est la reproduction simultanée de plusieurs soleils à

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divers points de l'horizon. Qu'a de commun une croix lumineuse avec un globe solaire ? Le terme de parhélie, dont se servait Fabricius, est donc impropre. Il devait dire mirage. Or, en admettant que le fait raconté par Eusèbe fut de cette nature, nous demanderons comment la reproduction dans les airs, par un effet de mirage, d'une croix dressée pour quelque criminel, ou pour quelque martyr, à plusieurs centaines de lieues de là, aurait pu être accompagnée de l'inscription grecque Ev touto vixa vixa, Ces onze lettres de l’alphabet hellénique où avaient-elles pu se trouver, pour être reproduites naturellement par la réverbération atmosphérique? On ne sortira pas de cette difficulté en recourant à une hallucination, ou à une erreur d'optique. Ce qui s'est le mieux conservé dans les souvenirs traditionnels du monde, c'est la devise Constantinienne 'Ev touto vixa; In hoc signo vince. Or nulle part l'histoire ne montre cette inscription usitée ou connue avant l'apparition miraculeuse. Par conséquent le mirage est impossible. Il faut donc en dernière analyse le reconnaître. Le surnaturel est ici constant. Le Dieu qui était intervenu par des prodiges dans tout le cours de l'histoire hé-braïque, le Dieu qui s'était manifesté dans son incarnation par des miracles, ce même Dieu prend enfin possession de l'Empire romain, après trois siècles de persécutions sanglantes, après que le courage des martyrs, prodige non moins étonnant que tous les autres, avait résisté à tontes les puissances dn monde.

 

   13. Tel était donc le grand événement qui avait transformé le cœur du fils de Constance-Chlore et de sainte Hélène, quand, vainqueur de Maxence, il fit son entrée triomphale dans Rome. Easèbe nous peint le catéchuménat du héros. Constantin s'était immédiatement entouré de ministres de Jésus-Christ. L'évêque de Corduba (Cordoue), le grand Osius, fut celui qui paraît avoir eu l'honneur de présider à l'instruction chrétienne de l'empereur. C'est du moins ce qui semble résulter du témoignage de l'auteur païen Zozime.  « Un hiérophante, venu d'Ibérie à Rome, dit-il, eut un grand crédit dans le palais impérial et s'empara de l'esprit des princesses. Il en vint à dominer Constantin lui-même 1. » Lactance,

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1. Zozimus, Hist., iib. II.

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le Cicéron chrétien, fut nommé précepteur du César Crispus. Nous avons déjà parlé des relations de Constantin avec le pape saint Melchiade, et nous les verrons se continuer avec saint Sylvestre I. Enfin la transformation chrétienne de Constantin le Grand, inscrite sur la pierre des monuments élevés en son honneur à cette époque, s'affirma d'une manière plus solennelle encore par un ensemble de lois qui tranchent avec toute la jurisprudence des empereurs idolâtres. Voici ce que, le 21 mars 315, Constantin écrivait à Eumelius, un des gouverneurs de province : «Désormais, les condamnés aux mines ne seront plus marqués sur le front. La face humaine, créée à l'image de la beauté divine, ne doit point être ainsi déshonorée1. «Dans le même temps, il mandait au vicaire du prétoire, Ablavius : « Il est temps d'arrêter la barbarie des pères dénaturés qui donnent la mort à leurs enfants. Promulguez dans toutes les villes d'Italie une loi qui mette fin à ces horreurs. S'il se trouve des parents dans l'indigence qui ne puissent nourrir, vêtir et élever leurs enfants, qu'on prenne tout ce qui sera nécessaire sur le trésor public, ou sur mon domaine privé que je mets tout entier à votre disposition pour cet objet 2. » Au préfet de Rome Basses, Constantin écrit : «Désormais le maître qui aura mis volontairement à mort son esclave, sera coupable d'homicide et poursuivi comme tel3. » Dans un décret ad Populum, l'empereur chrétien s'exprime ainsi: «Jusqu'à ce jour on prononçait l'empri-sionnement, la peine de la flagellation ou divers autres supplices, au gré des juges, contre les débiteurs insolvables. Or la prison, les peines afflictives, doivent être réservées pour les criminels, non pour des négociants malheureux. A l'avenir, le débiteur de mau-vaise foi ne sera astreint qu'à la custodia militaris et travaillera pour le compte de ses créanciers jusqu'à l'extinction de sa dette 4. » Les pauvres deviennent l'objet de toute la sollicitude impériale. « J'apprends, écrivait Constantin, que dans mes provinces il se trouve des malheureux qui manquent de nourriture et d'abri. Il en est qui se voient réduits à la cruelle extrémité de vendre ou d'enga-

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1. Constant. Décret., Pat>: /o(., tom. VIII, col. 119. — 2.., col. 181 —3. Ibid., 161. —4. Ibid., 189.

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ger leurs enfants. Je veux qu'on s'informe de la situation des indigents. Ceux qui n'auront aucune ressource, ceux qui se trouveraient dans l'embarras pour élever leurs enfants seront secourus sur les fonds du trésor. Tous les proconsuls , préfets et gouverneurs sont autorisés à puiser pour cela dans les caisses du fisc et dans les greniers publics. Nous ne pouvons souffrir qu'on meure de faim sous notre règne1. » Un autre édit supprimait les combats de gladiateurs. « Il ne convient pas, disait l'empereur, que le sang humain soit versé en pleine paix, comme un passe-temps à l'usage des oisifs. Tous les criminels qui avaient été réservés, selon la législation ancienne, pour les combats de gladiateurs, seront envoyés aux mines. Ils subiront ainsi leur peine sans effusion de sang 2. » Un décret solennel portait cette autre prescription : « Si, dans toute l'étendue de l'Empire romain, il se rencontre un homme qui, après la promulgation de la présente loi, ose mutiler son semblable pour en faire un eunuque, cet homme sera puni. Si c'est un maître qui agit de la sorte sur son esclave, ce dernier sera affranchi et les biens du maître confisqués 3. » Une autre loi, dont le texte ne nous a pas été conservé, abolissait le supplice de la croix jusque-là usité pour les criminels. A partir du règne de Constantin le Grand, le gibet transversal auquel on attachait les condamnés à mort disparut de la liste officielle de la géhenne publique, pour devenir l'emblème de l'honneur 4. Nous n'insistons pas sur les caractères de charité et de foi chrétiennes qui distinguent éminemment ces diverses ordonnances. Il suffit de les parcourir pour se rendre compte des atrocités que le paganisme autorisait et des salutaires réformes que l'esprit évangélique apportait au monde. La civilisation dont notre Europe est si fière date du jour où Constantin le Grand se fit l'humble catéchumène de l'Église. C'est là le fait capital qui domine l'histoire de notre continent,

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