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I) Se réclamant du message d'amour du Nouveau Testament, une tendance se fait jour de plus en plus, qui voudrait réduire
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p203 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
totalement le culte chrétien à l'amour fraternel, à la solidarité humaine (Mitrnenschlichkeit), et qui ne veut plus admettre aucun amour ou culte direct de Dieu : l'on n'accepte plus que la ligne horizontale et l'on refuse la ligne verticale de la relation directe à Dieu.
En partant de ce que nous avons dit, on n'aura sans doute pas de mal à voir pourquoi cette conception, qui paraît à première vue si sympathique, passe en fait à côté, non seulement de la réalité chrétienne, mais encore de la véritable réalité humaine.
Un amour fraternel qui voudrait se suffire à lui‑même serait en fin de compte de l'égoïsme, de l'affirmation de soi sous sa forme extrême. Il refuse ses possibilités ultimes d'ouverture, de détachement, de désintéressement, s'il n'accepte pas que cet amour a lui‑même besoin d'être racheté par celui qui seul a réellement assez aimé.
En dépit des meilleures intentions, il fait finalement du tort au prochain et à lui‑même, car l'homme ne trouve pas son accomplissement dans les simples relations de la solidarité humaine; il ne le trouve que dans la communion de l'amour désintéressé pour Dieu même.
La gratuité de la simple adoration constitue la plus haute possibilité de l'homme, c'est là seulement qu'il atteint sa véritable et définitive libération.
2) Une question toujours à nouveau soulevée, en particulier par les dévotions traditionnelles à la croix, est celle du rapport qui existe en fait entre le sacrifice (donc l'adoration) et la souffrance.
D'après les réflexions qui viennent d'être faites, le sacrifice chrétien n'est pas autre chose que l'exode du “pour », consistant à sortir de soi, accompli fondamentalement dans l'homme qui est tout entier exode, dépassement de soi dans l'amour.
Le principe constitutif du culte chrétien est donc ce mouvement d'exode, avec son orientation, double et unique à la fois, vers Dieu et vers le prochain. En introduisant l'être de l'homme auprès de Dieu, le Christ l'introduit à son salut.
L'événement de la croix est pain de vie “pour la multitude » (Lc 22, 19), parce que le Crucifié a remodelé le corps de l'humanité pour lui donner la forme du “oui » de l'adoration. Il est pleinement “anthropocentrique », pleinement ordonné à l'homme, parce qu'il a été radicalement théocentrique, en livrant le Moi, et de ce fait l'être de l'homme, à Dieu.
Or, dans la mesure où cet exode de l'amour est l' “ex‑stase” de l'homme hors de lui‑même, une extase où il se trouve tendu en avant infiniment au‑delà de lui-même et comme écartelé, attiré bien au‑delà de ses apparentes possi-
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bilités de développement, dans cette mesure‑là l'adoration (le sacrifice) est en même temps croix, souffrance du déchirement, mort du grain de blé, qui ne peut porter du fruit qu'en passant par la mort.
Mais l'on voit en même temps par là que cet élément de la souffrance est secondaire, et découle d'une réalité première qui seule lui donne un sens. Le principe constitutif du sacrifice n'est pas la destruction, mais l'amour.
C'est seulement dans la mesure où cet amour brise, ouvre, crucifie, déchire, que la souffrance fait partie du sacrifice comme forme de l'amour dans un monde marqué par la mort et l'égoïsme.