Darras tome 25 p. 509
11. Le pape Pascal II approuvait la conduite de l'illustre primat, et travaillait énergiquement à lui rouvrir par un acte de vigueur apostolique les portes de l'Angleterre. On en acquit bientôt la preuve, dans trois lettres successives qui eurent un retentissement immense. La première adressée au comte Robert de Meulan, le principal conseiller du roi anglais, dont la situation équivalait à celle d'un premier ministre de la Grande-Bretagne, était conçue en ces termes : « Pascal évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son cher fils Robert comte de Meulan, salut et bénédiction apostolique. — Nous avions en vous pleine confiance; nous étions persuadé que votre concours pour le service de Dieu et du bienheureux Pierre, chef de l'Église, ne nous ferait jamais défaut. Deux lettres que vous nous avez successivement adressées nous en donnaient l'assurance. Mais des témoins exactement renseignés nous apprennent que vos actes sont fort loin de s'accorder avec vos paroles. On nous dit que vous seul, ou du moins vous plus obstinément que tous les autres, vous
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1 S. Anselia. Episi. m, ic; Pair, lat., t. CLIX, col. 127.
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prenez l'initiative d'entraîner le roi d'Angleterre dans la lutte qu'il soutient contre l'Eglise romaine, à propos des investitures. S'il en était ainsi, nous en serions d'autant plus affligé que vous êtes arrivé à l'âge où l'homme doit se souvenir qu'il est temps de songer à sa conversion. Naguère en vous trouvant docile à la voix de l'Église , nous vous offrions l'indulgence pour le passé, la rémission de vos fautes et la grâce du Seigneur. Maintenant rebelle à nos exhortations et complice d'attentats si criminels contre l'Église, c'est de la colère de ce grand Dieu que nous vous menaçons, vous notifiant que nous sommes résolu, sans attendre davantage, à vous frapper du glaive spirituel 1. » L'effet suivit de près la menace. Dans le synode annuel, tenu suivant l'usage durant la première semaine de carême (26 février — 4 mars 1105) à la basilique du Latran, une sentence d'excommunication fut prononcée contre Robert de Meulan et contre tous les évêques anglais qui tenaient leurs sièges de l'investiture royale. Le pape en informait aussitôt saint Anselme par la lettre suivante : « Toute l'Église est atteinte par la persécution dont vous êtes l'innocente victime. C'est le mot de l'apôtre: « Si l'un des membres souffre, tous les autres partagent sa souffrance5.» Quelle que soit la distance qui nous sépare, nous sommes tous présents les uns aux autres dans l'unité de Jésus-Christ notre chef. Les injures, les outrages qui vous sont prodigués, je les ressens aussi vivement que s'ils s'adressaient à moi-même. Ce qui m'afflige surtout, c'est qu'on vous ait fermé les portes du royaume d'Angleterre. En l'absence de leur pasteur, les brebis sont la proie des loups dévorants. Aussi n'épargnons-nous rien pour amener le plus promptement possible votre retour sur votre siège primatial. Dans le récent concile tenu au Latran, après mûre délibération, de l'avis unanime de tous nos frères et coévêques, on a décidé de prononcer l'excommunication contre les conseillers du roi d'Angleterre qui encouragent ce prince dans sa résistance sacrilège, et contre les titulaires qui ont accepté les dignités ecclésiastiques conférées par la voie criminelle des investitures. Par le jugement del'Esprit-Saint, en vertu de notre autorité aposto-
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1 Pascal II, Epist. cxly; Pair, lat., tom. cvliii, col. 154.
2 I Cor. xii, 26.
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lique, nous avons promulgué cette sentence contre Robert de Meulan et ses complices, ainsi que contre les titulaires pourvus par investiture royale. Par le jugement de l'Esprit-Saint, nous maintenons cette sentence et la confirmons. Quant à celle que le roi lui-même a encourue, nous avons sursis à sa promulgation, pour attendre l'arrivée des ambassadeurs qu'il nous envoie à ce sujet et qu'il nous annonce pour les prochaines fêtes de Pâques (9 avril 1105)1. » En même temps, le pape notifiait à Gérard, archevêque d'York, la condamnation portée contre Robert de Meulan et contre les prélats qui avaient reçu l'investiture royale. En le chargeant de la fulminer en Angleterre, il lui adressait sur sa faiblesse antérieure et sa déplorable connivence une lettre pleine de sévérité. La voici : « Pascal évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Gérard évêque d'York. — La longanimité du siège apostolique sait user de patience envers des fils coupables, dans l'espoir de les ramener doucement au devoir. L'Église romaine en a usé de la sorte à votre égard ; mais vous avez dédaigné ses maternels avertissements; vous n'avez point réformé votre conduite. Vous n'ignorez pas que si nous avons consenti à votre promotion au siége d'York, ce fut uniquement parce que vous promettiez de seconder énergiquement notre frère Anselme de Cantorbéry dans ses efforts pour le rétablissement de la discipline ecclésiastique en Angleterre. Mais bientôt, oubliant ce que vous deviez à notre mansuétude, infidèle à votre serment et à vos devoirs, non-seulement vous ne vous êtes point opposé aux injustices du roi, mais vous avez été l'un des premiers à rechercher les faveurs de ce prince. Cependant nous voulons bien encore user vis-à-vis de vous d'indulgence, mais à la condition que cette fois, mettant un terme à ces agissements, vous briserez avec les fautes du passé et nous donnerez pleine et entière satisfaction. Sachez donc qu'au nom de l'Esprit-Saint dans le concile tenu par nous au commencement du carême dernier, le comte de Meulan et les autres conseillers qui engagent le roi à maintenir le criminel abus des investitures, ont été frappés d'excommunication, ainsi que les titulaires promus par cette voie sacrilège aux dignités ecclésiastiques. Nous vous enjoignons
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1. Pascal II, Epist. CXLIV, loc. cit., col. 154.
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de publier cette sentence en Angleterre. Le roi n'y a point été compris; on a sursis à l'examen de sa cause pour attendre les ambassadeurs qu'il a promis de nous envoyer à ce sujet et qui ont dû quitter l'Angleterre à l'époque des dernières fêtes de Pâques1. » snuiAûseï-
12. Ces mesures énergiques de Pascal II n'allaient pas tarder à changer la situation d'Anselme. Soit que le roi anglais prolongeât sa résistancc, soit qu'il se décidât enfin à renoncer à son prétendu droit d'investiture, dans l'un et l'autre cas, la position de l'archevêque de Cantorhéry allait être nettement tranchée. Elle prendrait le caractère d'une persécution ouverte, d'un exil officiel, si Henri I s'obstinait dans le schisme; si au contraire il se réconciliait avec le saint-siége, le retour du primat en Angleterre était assuré. La solution ne pouvait plus longtemps se faire attendre. Anselme le comprit. « Après s'être concerté avec son illustre ami Hugues de Lyon, il résolut, dit Éadmer, de se rapprocher des côtes de la Grande-Bretagne, pour être plus à portée de suivre les événements. Prenant donc congé de l'archevêque, cet hôte fidèle qu'il ne devait plus revoir sur la terre, il quitta Lyon à la fin de mai 1105, « et passa en France s, » où les rois Philippe I et Louis le Gros l'avaient invité à deux reprises différentes en termes pleins de bienveillance et de respect3. « L'intention de notre bienheureux père, reprend l'historiographe, était de répondre à cette auguste invitation par une visite aux deux rois. Il se proposait aussi de consacrer quelques jours au vénérable archevêque de Reims, Manassès, qui lui avait aussi adressé, soit par lettres, soit par des envoyés spéciaux, les plus instantes prières à ce sujet. Mais en arrivant à la Charité-sur-Loire, prieuré de l'abbaye de Cluny, il apprit que la comtesse Adèle, fille de Guillaume le Conquérant et sœur du roi Henri I, était gravement malade dans son château de Blois. Cette circonstance lui fit changer tout son itinéraire. Jaloux de témoigner son attachement pour la famille royale d'Angleterre, en même temps que sa recon-
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1 Pascal II, Epist. cxlvi, tom. cit., col 155.
2 Franciom peliiurus. On sait que Lyon
faisait partie du territoire de l'ancien
royaume de Burgondie, et n'était pas encore compris dans les limites de la
France proprement dite.
3 S. Anselm. Cantuar. Epislol. îv, 50 et 51 ; Pair, lat., tom. CLIS. col. 2Î0.
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ticulière pour une princesse qui l'avait soutenu libéralement dans ses deux exils et qui le consultait comme l'oracle de Dieu lui-même sur toutes ses affaires spirituelles et temporelles; il se fut amèrement reproché de ne pas lui donner cette dernière marque d'affection. Nous prîmes donc en toute hâte le chemin de Blois. A notre arrivée, tout danger avait disparu; la comtesse était en voie de rétablissement ; elle exigea que l'homme de Dieu demeurât quelque temps avec elle. Anselme lui fit connaître les récents décrets pontificaux lancés contre les conseillers du roi son frère, et contre les évêques anglais qui avaient reçu l'investiture royale. Il ne lui dissimula pas que Henri lui-même était menacé d'une sentence nominative d'excommunication, et ajouta : « Si le pape venait à la prononcer, mon devoir, comme primat, serait d'en faire la promulgation dans le royaume. » Adèle, effrayée pour son frère de ces terribles confidences, supplia Anselme d'intervenir pour empêcher un tel éclat, et de travailler à la réconciliation du monarque anglais avec le souverain pontife .»
13. « Sur les entrefaites, continue Éadmer, on apprit que le roi Henri venait de débarquer avec une armée en Normandie, l'intention d'enlever cette province à son frère le duc Robert Courte-Heuse. Ce héros, tant admiré sur les champs de bataille de la Syrie et de la Palestine, n'avait aucune des qualités d'un administrateur. Par la mobilité et l'inconséquence de son caractère, non moins que par sa légèreté et son amour des plaisirs, il s'était aliéné le cœur de ses sujets. Presque toute la noblesse normande l'abandonna pour se ranger sous les drapeaux du roi. Celui-ci d'ailleurs apportait d'Angleterre des monceaux d'argent et d'or; les seigneurs normands ne résistèrent point à la tentation d'en avoir une part. On vit alors une défection comme il ne s'en produisit jamais. Courte-Heuse ne trouva presque pas un seul défenseur; les grandes cités, les forteresses, les moindres bourgades se disputaient l'honneur de se rendre au roi. La comtesse Adèle crut le moment favorable pour entamer des négociations avec Henri. Afin d'être plus à portée de les commencer, elledétermina Anselme à la suivre à Chartres, d'où elle
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1 Eadmer., llistor. iVovor., Patr- lai., tom. CL1X, col. 45t.
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expédia au roi anglais un message pressant pour l'engager à profiter de la présence de l'archevêque et à se réconcilier avec le souverain pontife. » Sur le point d'achever la conquête de la Normandie et de déposséder son propre frère , Henri comprenait qu'au point de vue politique il était de la plus haute importance de reconquérir les sympathies de l'Église et la faveur du saint-siége. « Aussi, ajoute le chroniqueur, au reçu du message de la comtesse Adèle, ayant pris l'avis de ses conseillers, il s'empressa de répondre à sa sœur, la priant de lui ménager une entrevue avec Anselme, promettant de se prêter à toutes les mesures de pacification qui seraient jugées nécessaires. Le rendez-vous fut fixé au château de l'Aigle, où l'archevêque, la comtesse et le roi se trouvèrent réunis le 21 juillet 1103. Henri manifesta la joie la plus vive en revoyant Anselme. Il commença par lever le séquestre mis sur les revenus de l'église de Canlorbéry et lui en rendit l'administration, l'assurant que désormais aucun nuage ne subsistait plus entre eux. Il le pria ensuite de retourner sur-le-champ en Angleterre et l'autorisa à refuser sa communion à tous les titulaires investis par autorité royale. Mais ce n'était là qu'un expédient provisoire. Tant que le roi ne prenait pas l'engagement formel de renoncer pour l'avenir au droit d'investiture, il ne satisfaisait pas aux conditions posées par le pape. Anselme refusa donc de retourner en Angleterre tant que ce point capital n'aurait pas été réglé. Le roi proposa alors d'en référer encore une fois au pape. Guillaume de Warlewast et le moine Baudoin reprirentvdoncvle cheminvde Rome,vle premier au nom du monarque anglais, le second au nom du primat de Cantorhéry. Il fut convenu qu'Anselme attendrait en France le retour des envoyés. On espérait qu'ils feraient assez de diligence pour que le primat de Cantorbéry, muni des nouvelles instructions de Pascal II, pût présider les prochaines fêtes de Noël (25 décembre 1103) à la cour d'Angleterre. Le bruit de cette heureuse négociation se répandit promptement en France, en Normandie et dans toute la Grande-Bretagne. Ce fut commeun rayon de soleil brillant, après tantd'annéss d'oppression, au regard des catholiques fidèles. Le roi prit congé du saint archevêque, en lui prodiguant les témoignages de la plus
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filiale tendresse et retourna dans ses états, pendant qu'Anselme se retira à l'abbaye du Bec pour y attendre les instructions définitives que Pascal II devait remettre à Guillaume de Warlewast et au moine Baudoin de Tournay1. »
14. Mais les événements n'allèrent pas aussi vite que les espérances. De retour en Angleterre, Henri ne se pressa point de faire partir pour Rome son ambassadeur Guillaume de Warlewast. Les fêtes de Noël de l'an 1103 se passèrent sans que ce personnage eût encore reçu ses instructions. Anselme demeuré à l'abbaye du Bec écrivit plusieurs lettres au roi pour lui rappeler ses engagements. « On commençait à désespérer du succès, dit un auteur contemporain, et à craindre un nouveau triomphe du démon, qui voulait l'anéantissement complet de la religion chrétienne dans le royaume de la Grande-Bretagne 2. » Le vrai motif de ces lenteurs inexplicables nous est révélé par Eadmer. « Le roi, dit-il, avait besoin d'argent pour venir l'année suivante terminer la conquête encore inachevée de la Normandie. Afin de s'en procurer, il eut recours à toutes les extorsions imaginables, et fit peser sur tous ses sujets l'oppression la plus violente. Le clergé eut particulièrement à souffrir de ses rigueurs. Sous prétexte de rétablir la discipline canonique, Henri inventa des taxes pécuniaires dont il frappait les coupables au profit de sa caisse militaire. Ainsi, dans le concile de 1102 présidé à Londres par Anselme 3, la clérogamie avait été absolument interdite sous peine de déposition à tous les chanoines et prêtres d'Angleterre. Ce décret avait alors récu sa pleine exécution. Mais, durant le nouvel exil du saint archevêque, plusieurs de ceux qui s'étaient d'abord soumis à la loi, étaient revenus à leurs scandaleux errements 4. Le roi prétendit qu'il lui appartenait de les punir;
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1 Eadmer., Hillor. Novor., loc. cit., col. 452.
2 Ces paroles sont tirées d'une lettre
adressée vers cette époque à saint Anselme par un correspondant anglais, dont
Eadmer ne fait pas connaître le nom.
Cf. Ilisror. Nov. loc. cit., col. 433.
3. Cf. tom. XXIV de cette Histoire, p. 430.
4 Nous devons citer ici le texte latin d'Eadmer pour rectifier la fausse inter-prétation que M. de Hémusat en a donnée : «In concilio Londoniensi, societas mulierum, ut in superioribusdiximus, omnibus presbyteris et canouicis Augli.e
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il les fit citer à son tribunal et leurs biens furent confisqués. Cependant, comme le plus grand nombre des prêtres étaient restés fidèles à leur devoir sacerdotal, l'impôt ne rendit pas ce que le fisc s'en était promis. On cessa donc de distinguer entre les innocents et les coupables; tous furent uniformément soumis à une taxe personnelle si exorbitante, que dans les campagnes les curés furent réduits à la dernière misère. Ceux qui, faute de ressources, ne pouvaient payer la somme exigée étaient traînés en prison et soumis aux traitements les plus rigoureux. On vit un jour une procession de deux cents prêtres, pieds nus, revêtus de leurs aubes et autres ornements sacerdotaux, traverser les rues de Londres, se dirigeant vers le palais du roi. Arrivés à la porte, ils imploraient d'une voix entrecoupée de sanglots la miséricorde du prince. Sans daigner ni les recevoir, ni leur transmettre la moindre réponse, Henri les fit chasser comme des mendiants. Les malheureux, dans une confusion indicible, allèrent supplier la reine Mathilde d'intercéder en leur faveur. On dit que la pieuse reine, en les recevant, ne put retenir ses larmes. Mais la terreur que lui inspirait son époux était telle, qu'elle n'osa point hasarder près de lui son intervention 1. » La politique cupide de Henri I allait jusqu'à la férocité. Pour grossir ses trésors, il n'eût reculé devant aucun crime. « Cependant, ajoute le chroniqueur, on ne trouvera peut-être pas fort extraordinaires ces actes de barbarie, car enfin, il s'en était vu de semblables, non-seulement sous le roi Henri, mais sous son frère Guillaume, pour ne rien dire de leur père, ut de patre taceam2.» Contre de tels abus de la force brutale, les opprimés ne pouvaient compter sur d'autre défense que celle que pouvait leur fournir l'autorilé spirituelle du saint-siége et du primat de Cantorbéry. Le plus
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interdicta erat, ipsumque interdictum, Anselmo exsulante, retentis vel certe resumptis mulieribus, a pluribus eorum violatum fuerat. Hoc ergo peccatuni rex impunitum esse non sustinens, suos ministros eos implacilare, et pecunias eorum pro hujus peccati expiationc prsecepit accipere. » M. de Rémusat tire de ce texte la conclusion que la clérogamie était soumise à une taxe au moyen de laquelle les coupables achelaieut l'impunité, et il traduit ainsi : «Aux termes des canons du dernier concile, les prêtres qui avaient des femmes devaient payer l'amende. » —1. Eadmer., Bistor. Xovor., loc. cit., col. 457. 2 Eadmer., Histor. ii'ov., loc. cit., col. 457.
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bel hommage rendu à la fermeté inflexible du caractère de saint Anselme, c'est la précaution prise par le roi Henri ! de procéder à ces extorsions en l'absence du grand archevêque, et de les consommer toutes avant de laisser partir pour Rome les deux ambassadeurs désignés.Tel fut, en effet, le motif des lenteurs, en apparence inexplicables, qui retardèrent le départ de Guillaume de War-lewast, retenu par son maître en Angleterre. L'exil d'Anselme se prolongea donc encore plus de six mois, que l'illustre docteur passa tantôt à Reims chez l'archevêque Manassès II, tantôt à sa chère abbaye du Bec.
15. Quand les coffres du futur conquérant de la Normandie furent suffisamment pleins, il expédia enfin Guillaume de Warlewast, qui passa le détroit et vint, au commencement de l’an 110b, prendre au monastère du Bec le fidèle représentant d'Anselme, Baudoin de Tournay, pour se rendre avec lui en Italie. Nous avons encore la lettre que le moine Baudoin fut chargé par Anselme de remettre au pape. Elle était conçue en ces termes : « Un court exposé des précédents suffira pour faire connaître à votre celsitude l'état où se trouvent maintenant les négociations entamées entre le roi d'Angleterre et moi. Je laisse à l'ambassadeur de ce prince et à mon représentant le soin d'ajouter les détails complémentaires. Après qu'un décret de votre autorité apostolique eût interdit l'entrée de l'Église au comte de Meulan et aux autres conseillers qui entretenaient le roi dans sa résolution de maintenir les investitures, je me rapprochai de la Normandie, où Henri I arriva bientôt lui-même. Grâce à l'intervention de la comtesse de Blois et de Chartres, sœur du roi, fille très-fidèle de l'Église de Dieu et très-dévouée au saint-siége, une conférence eut lieu entre le monarque et moi, et produisit un rapprochement de bon augure. Le roi me restitua tout d'abord les biens de l'archevêché de Cantorbéry, dont il m'avait dépouillé. Quant aux points sur lesquels nous restions en dissentiment, savoir : les investitures ecclésiastiques et le serment d'hommage-lige exigé des prélats, abus que le concile romain a proscrits absolument l'un et l'autre, le roi promit d'en référer au siège apostolique par un ambassadeur qu'il devait envoyer à Rome avant les
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Dernières fêtes de Noël. Je ne crus pas devoir refuser cette proposition pas plus que la restitution des biens de mon église métropolitaine. L'ambassadeur du roi exposera donc à votre sainteté ce que sur ces deux points son maître consent à céder, et ce qu'il prétend retenir. Votre décision tranchera la difficulté. C'est ce qui fait que, de mon côté, je vous envoie mon représentant qui apprendra de votre bouche les termes de la convention à intervenir et me transmettra fidèlement vos ordres. Dans votre dernière lettre au comte de Meulan, vous lui disiez que s'il consentait à se soumettre aux décrets apostoliques et à travailler dans le sens de la liberté de l'Église, vous lui rendriez vos bonnes grâces, j'ai cru devoir lever l'excommunication lancée contre ce personnage, revenu aujourd'hui à résipiscence et qui s'emploie de tout son pouvoir à l'œuvre de la réconciliation. Il me reste à implorer votre miséricorde en faveur de mon révérendissime père l'archevêque de Rouen (Guillaume Bonne-Ame). Prosterné en esprit à vos pieds, je vous supplie de prêter une oreille favorable à la requête qu'il vous a fait parvenir par des envoyés spéciaux. Daignez avoir égard à ses humbles prières et accordez-lui la faveur de votre indulgence apostolique 1. Que le Seigneur Dieu tout-puissant vous conserve en toute prospérité pour le plus grand bien de la sainte Église. Amen 2.