Grégoire VII 21

Darras tome 21 p. 598

 

    37. La portée de ce message est telle que Fleury s'en montrait effrayé ; il imaginait pour en éluder les conséquences que le roi  Henri n'avait pas pesé la gravité de ce qu'on lui faisait dire. Ce-

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1. Grcg. MI. Epist. xxv, Lib. I, col. 509.

2.     Sepiirnus autistes Gregorius exstitit iste ;

huera gregis qu.-erens studuit regemque monere

Dulciter a taniis resipisceret ut malefactis.

Ad ciijus scripta rescnpsit rex bona dicta;

Cujus popa legens opices, gaudens ait esse

In cœlo cunctis de tuli go.udia justi;.

(Domnizo, Vita Mathild. cop.su, v. 10 18.)

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pendant à n'en juger que par l'analyse de Fleury lui-même, les aveux de Henri IV ne seraient guère compromettants. Le jeune roi «n'avait pas, comme il le devait, employé sa puissance contre les coupables, » c'est là un péché d'omission, peut-être même un acte d'indulgence fort excusable chez un prince de vingt-deux ans. « Il avait usurpé les biens ecclésiastiques; » ceci était grave, car le vol même, quand il se complique de sacrilège, n'en reste pas moins de­vant toutes les législations un crime aussi honteux pour un parti­culier que déshonorant pour un roi. Mais le voleur couronné se re­pentait; il offrait restitution, dès lors il avait droit au miséricor­dieux pardon du père des fidèles. Il avait vendu à des personnages indignes les églises, « c'est-à-dire les prélatures » ajoute aussitôt Fleury. Cette atténuation de l'historien gallican est un chef-d'œuvre dans le genre de la confession du lion si bien décrite par le fabu­liste. Avoir vendu à des indignes les églises avec charge d'âmes aurait constitué pour Henri IV un crime de simonie, mais il n'avait vendu que de simples prélatures, des titres honorifiques, titulum sine re ; il avait spéculé sur la vanité d'indignes personnages qui aimaient à se parer de riches costumes, d'insignes éblouissants. Si le procédé n'était pas fort correct, il ne constituait pas non plus une monstrueuse énormité. D'ailleurs Henri IV demandait au pape « son conseil et son secours pour réparer ces désordres et particu­lièrement pour apaiser le trouble de l'église de Milan dont il se re­connaissait la cause. » Voilà tous les aveux contenus, d'après Fleury, dans la lettre royale. Ni dans leur ensemble ni dans l'examen isolé de chacun d'eux on ne saurait trouver matière aux alarmes de l'historien qui cependaut les jugeait compromettants au premier chef et entraînant des conséquences dont le jeune roi n'avait point suffisamment pesé la gravité. C'est qu'en effet les aveux de Henri IV furent beaucoup plus étendus, son recours à l'autorité pontificale de Grégoire VII eut un caractère tout différent. Fleury, bien qu'il ne voulut pas le dire, le comprenait mieux sans doute que nous ne saurions le comprendre nous-même. La lettre de Henri IV était à la fois une confession et une déclaration de principes. Complète dans les aveux la confession embrassait les crimes commis dans

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l'ordre politique et social aussi bien que dans l'ordre ecclésiastîqne religieux et moral. Tous les griefs articulés par les Saxons dans les conférences de Corvey et de Hartzbourg sont avoués implicitement dans la lettre du jeune roi. Les assassinats, les meurtres, les guerres injustes y sont confessés avec une litote plus facile à saisir dans le latin qu'à bien rendre en français : Gladium nec tamen in reos, ut justum fuit, judiciaria illum semper censura evaginavimus. A l'em­barras de la phrase on devine la honte de l'aveu : mais l'aveu y est. Ce ne sont point des péchés d'omission mais de véritables crimes, perpétrés le glaive à la main, que le jeune roi confesse ici. Ses dé­bordements de mœurs lui arrachent le cri de l'enfant prodigue : « J'ai péché contre le ciel et devant vous; je ne suis plus digne d'être appelé votre fils, et jam digni non sumus vocatione vestrae filiationis. Il ne s'agissait point de ces écarts passagers, dont l'inexpé­rience, la fougue des passions, l'ardeur de l'âge, sont trop souvent la cause et jusqu'à un certain point l'excuse. Henri IV se donne à lui-même la sinistre qualification dont les Saxons se montraient envers lui si justement prodigues : « Hélas ! s'écrie-t-il, criminel que je suis! Heu! criminosi nos ! » S'il rejette une part de responsa­bilité sur ses adulateurs et ses coupables conseillers, il ne dissimule pas qu'il a cédé à l'enivrement d'un pouvoir absolu et sans frein, potestativœ nostrœ et imperiosae potentiae. » C'est l'aveu général de tous ses crimes dans l'ordre politique et de tous ses excès dans l'or­dre moral. Au point de vue purement ecclésiastique il s'accuse de n'avoir pas « rendu au sacerdoce l'honneur légitime qui lui est dû et d'avoir attenté à ses droits : Sacerdotio, ut oportuit, per omnia jus et honorem non exhibuimus legitimum. » « Ce ne sont pas seulement les biens ecclésiastiques que j'ai envahis, dit-il, mais j'ai vendu aux indignes qui ont voulu les acheter, aux simoniaques, à des merce­naires qui entraient dans le bercail non par la porte mais par l'in­trusion, les églises elles-mêmes. Non solum enim nos res ecclesiasticas invasimus verum quoque indignis quibuslibet et simoniaco felle amaricatis et non per ostium sed aliunde ingredientibus ecclesias ipsas vendidimus. » Les « prélatures » imaginées par Pleury sont quelque peu ridicules quand on les met en face de ce texte où le roi s'accuse

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d'avoir vendu les églises elles-mêmes, c'est-à-dire les évêchés et les abbayes, à quiconque les voulait acheter, à des indignes c'est-à-dire à des laïques ou à des clercs scandaleux, mariés, simoniaques, les­quels entraient non par la porte mais par intrusion dans le bercail, c'est-à-dire exerçaient malgré leur indignité, leur simonie, leur in­trusion, les fonctions épiscopales ou abbatiales.

 

   38. La confession de Henri IV est donc aussi  complète qu'elle  pouvait l'être dans un message diplomatique. Elle constate par l'aveu même du coupable la réalité de ses crimes, de sa tyrannie, de ses monstrueux excès. Mais la déclaration de principes renfer­mée dans la lettre royale a une importance beaucoup plus considé­rable encore. Henri IV y reconnaît tout d'abord la parfaite légiti­mité de la promotion de Grégoire VII au souverain pontificat; d'avance il flétrit toute la série d'attentats que nous le verrons ac­cumuler pour faire déposer ce glorieux et immortel pontife : Domno papae Gregorio apostolica dignitate caelitus insignito. Si le ciel lui-même avait promu Grégoire VII comment le roi eut-il jamais l'au­dace de le déposer? A ce pontife élu du ciel, Henri IV jure la fidé­lité qu'un serviteur doit à son maître, debiti famulatus fidelissimam exhibitionem. En d'autres termes Henri reconnaît spontanément, li­brement, expressément la subordination de son pouvoir temporel à la puissance pontificale. C'est là sans doute ce qui épouvantait le regard perspicace de Fleury. Un tel langage dans la bouche du roi de Germanie sanctionnait la doctrine tant reprochée à Gré­goire VII et renversait toute la thèse gallicane. Henri IV se plaçait vis-à-vis du pape dans la situation non pas seulement d'un subor­donné à l'égard de son chef, d'un vassal à l'égard d'un suzerain, mais d'un serviteur à l'égard de son maître; il affirmait que cette situation était bien celle que réglaient de part et d'autre le devoir et le droit, debiti famulatus. Mais peut-être cette expression n'est-elle que de simple courtoisie. Le jeune roi lui donne quelques ligues plus loin son véritable sens. Il n'hésite pas à déclarer que toute la constitution sociale en vigueur de son temps repose sur le principe chrétien, sur le Christ lui-même sans lequel le pouvoir cesse d'être légitime, ut in Christo rite administrata subsistant, que dès lors la

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royauté et le sacerdoce doivent être indissolublement unis dans le Christ, Christi glutino; que cette union sous l'empire de la loi chré­tienne esi le seul, l'unique moyen, sic et non aliter, de maintenir l'ordre et la paix dans la chrétienté. » Evidemment Henri IV ne songeait point alors à la théorie moderne ou plutôt au vieux sys­tème du césarisme païen renouvelé de nos jours, en vertu duquel le pouvoir des rois serait absolu, indépendant, inamisible. Autre­ment il eût écrit à Grégoire VII; je n'ai point de confession à vous faire, mes sujets sont à moi, je les gouverne à ma guise. Qu'ils soient chrétiens s'ils le veulent : quant à moi je suis libre de l'être ou de ne l'être pas; je ne relève que de mon épée. Mais au con­traire Henri IV proclame hautement le devoir qui lui incombe en qualité de roi « de rendre au sacerdoce l'honneur qui lui appartient lé­gitimement, sacerdotio per omnia jus et honorem legitimum. Il s'ac­cuse d'avoir abusé du glaive royal pour les caprices de sa tyrannie et il supplie le pape de l'absoudre de ce crime dans l'espoir que l'absolution pontificale lui sera un titre de justification, sperantes de vobis in Domino ut apostolica vestra auctoritate justificari mereamur. Cette justification dont le jeune roi parle ici n'était pas la jus­tification au sens théologique qui rétablit une âme dans la paix avec Dieu 1; il s'agissait pour Henri IV d'apporter un titre de justi­fication à la diète synodale qui devait se réunir le 20 octobre sui­vant à Gerstungen pour discuter juridiquement les faits de la cause et prononcer sur la question de déchéance. Son attitude en face de cette éventualité menaçante mérite toute l'attention de l'historien. Le roi ne récuse ni la compétence ni l'autorité d'un pareil tribunal, il ne fait entendre aucune récrimination : il prend les devants, il avoue qu'il a besoin d'un titre de justification, il espère le mériter de l'au­torité apostolique et de la paternelle indulgence de Grégoire VII par la franchise de sa confession, peccata nostra priores vestrae indulgentissimae  paternitati nos accusando confitemur... sperantes... ut apostolica vestra auctoritate justificari mereamur. Henri IV reconnaît

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1 Pour cette sorte de justification, il eut fallu l'absolution sacramentelle donnée au roi par un confesseur légitimement approuvé et muni de pouvoirs suffisants.

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ainsi non pas seulement au pape mais à un concile le pouvoir juri­dique de juger et de déposer les rois. Quelle dut être la douleur de Fleury quand il rencontra cet aveu sur son chemin? On peut s'en faire l'idée par le soin avec lequel il cherchait à l'ensevelir dans un éternel silence. Les autres points touchés par la lettre royale peu­vent paraître secondaires après celui-là, mais ils ont aussi leur im­portance. Henri IV condamnait la simonie qu'il avait jusque-là pra­tiquée, il s'en remettait à la sentence du souverain pontife pour ré­former non pas seulement l'église de Milan mais toutes les autres, in primis pro ecclesia Mediolanensi... exinde ad exteras corrigendas auctoritatis vestrae sententia progrediatur. II reconnaissait que sans l'autorité du pape il ne pouvait personnellement rien pour cette réfor­me, absque vestra auctoritate ecclesias corrigere non possumus ; il sollici­tait les conseils et l'appui du pape non point seulement pour les matières ecclésiastiques, mais pour toutes les autres questions en gé­néral, super his, ut etiam de nostris omnibus, vestrum una consilium et auxilium obnixe quaerimus ; il promettait d'exécuter ponctuellement en toutes choses les ordres que lui donnerait le pontife, vestrum studiosissime praeceptum servaturi in omnibus, s'engageant à ne s'en écar­ter jamais, nos ergo vobis in omnibus non defuerimus ; en retour il implorait de la clémence pontificale un prompt et efficace appui, rogantes suppliciter paternitatem vestram ut nobis alacris adsit clementer in omnibus. Après cette lettre de Henri IV on n'a plus le droit de répé-ler la fameuse parole de Bossuet : « Le premier de tous les mortels qui imagina d'attribuer à l'église le pouvoir de déposer les rois fut Grégoire VII dans un concile tenu à Rome en 1076. » Dès l'an 1073 Henri IV lui-même reconnaissait formellement ce droit si menaçant pour lui-même. Toutes les indignations rétrospectives de l'école moderne ne peuvent rien contre ce fait. Les principes exposés dans la lettre royale étaient en vigueur dans toute la république chré­tienne. Durant la lutte furieuse qu'au mépris de ses engagements solennels le roi de Germanie engagera bientôt contre Grégoire VII

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1 Primas omnium quotquot extiierunt Gregorius VII anno ab incernatione 1070, quss nota temporis concilia III Romano prsefixa est, etc. (Bossuet. Defens. l'urs. I. Lib. I. sect. i, cap. vu, edit. Lâchât, Tom. XXI, p. 140.

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il ne rétractera cependant pas sa déclaration de principes. La royauté restera toujours pour lui un vicariat du Christ ayant be­soin de s'appuyer sur le vicariat parallèle du sacerdoce pontifical. Son premier acte sera de créer un antipape pour l'opposer au pape légitime, afin de conserver en apparence les règles fondamentales de la constitution politique du monde chrétien.

   39. Nous n'avons plus le texte de la réponse adressée par Grégoire VIIl à la lettre de Henri IV. Mais le chroniqueur Hugues de Flavigny nous en a conservé le sens et nous donne toute la série des négociations qui s'échangèrent à ce sujet entre Grégoire VII et le jeune roi. « Dès le temps où le très-glorieux pape, dit-il, n'était encore qu'archidiacre de la sainte église romaine, le bruit public apportait chaque jour le récit des sinistres et lamentables scandales donnés par le roi de Germanie. Or Hildebrand était sincèrement dé­voué à ce jeune prince sur qui il avait reporté l'affection qu'il avait toujours eue pour son père l'empereur Henri le Noir et sa mère l'impératrice Agnès. Il lui adressait dès lors et par lettres et par ambassadeurs les plus sages avis, l'exhortant à se convertir, à ne pas déshonorer le glorieux sang qui coulait dans ses veines, à se rendre digne de la couronne impériale qui lui était réservée. Eu montant sur le trône pontifical Grégoire VII redoubla d'instances et de prières, car le jeune roi avait lui-même mis le comble à ses ini­quités. Henri IV différait de jour en jour sa conversion; rejetant toutes les fautes passées sur la légèreté de l'âge et la fragilité de la jeunesse, et promettait de jour en jour un amendement sérieux et sincère. Toutefois ce n'étaient là que des paroles, et en réalité il voulait persévérer comme auparavant dans la voie du crime. Le très bienheureux pape prit alors le parti de citer au tribunal du saint siège les favoris dont les conseils avaient été jusque-là si funestes au jeune roi dont la vénale cupidité avait rempli les évêchés et les abbays de loups dévorants au lieu de pasteurs. Il lui recommandait de les envoyer à Rome pour y être jugés d'après les lois de l'église et soumis à la pénitence canonique. «Ceux qui manifesteront un sin­cère repentir, disait-il, seront admis à la pénitence, les autres se­ront retranchés de la communion au corps du Christ et de toute

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communication avec les fidèles. Ainsi, ajoutait le pape, vous serez soustrait à leur perverse influence et à leurs conseils désas­treux, puisque vous ne voudrez pas recevoir sous votre toit, ad­mettre à votre table et recevoir dans votre intimité des excommu­niés notoires. Mais dans l'intervalle les Saxons révoltés par la ty­rannie du roi entraînèrent avec eux toute la Germanie. Abandonné de tout et sur le point de perdre sa couronne Henri IV adressa au pape une lettre aussi humble que suppliante dans laquelle il té­moignait son repentir pour le passé, promettait de réformer sa vie, jurait d'obéir au pape et de l'aider à soumettre tous les rebelles. A la réception de cette lettre, le pontife fit partir pour la Germanie une légation composée des évêque Humbert de Preneste et Girald d'Ostie. Henri IV fit serment sur l'étole de ces légats d'accom­plir tous les engagements qu'il venait de contracter avec le pape 1.

 

40. Grégoire VII croyait-il alors à la sincérité du jeune roi? Nous ne saurions le dire, mais il agissait comme s'il n'en eût point douté, Dans une lettre écrite de Capoue le 24 septembre et adressée à Bruno évêque de Vérone il s'exprimait ainsi : « Vous nous deman­dez le pallium, en vertu du privilège dont jouit à ce sujet votre église épiscopale. Nous vous l'accorderons volontiers, mais à la condition que d'après la règle fixée par nos prédécesseurs vous viendrez le recevoir en personne. Vous pourrez dans ce voyage vous convaincre de l'intérêt sincère et de la vive affection que nous portons au roi. Nul plus que nous ne souhaite lui venir en aide, soit pour son salut devant Dieu soit pour sa prospérité selon le monde, pourvu que lui-même travaille à la gloire de Dieu, et abjurant les errements de sa jeunesse, imite les exemples des saints rois ses aïeux et ses prédécesseurs 2. » A Herlembald de Milan le pape mandait

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1.  Hugo Fiaviniac. Cfirom'c. Lib. II; Pair. Lai. Tom. CUV, col. 293. Epistotam
ci direxit supplicem et humililate plenam, pœnitentiam de perpetratis agens,
emendationem pollicens, et snam ei obedienliam et fidèle adjutorium contra rebel­
lantes promitiens.
Nous avons ainsi une nouvelle preuve d'authenticité de la
fameuse lettre de Henri IV à Grégoire VII.

2. Greg. Vil. Epist. xsiv, Lib. I, col. 303.

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sous la date du 27 septembre que les Normands jusque là disposés à s'unir dans une conjuration formidable contre l'église et la répu­blique cbrétienne, hésitaient devant les nouvelles résolutions du jeune roi. « Soyez vous mêmes, dit-il, pleins de confiance dans le Seigneur et dans la sainte église romaine votre mère; agissez vigoureusement, le Seigneur vous donnera force et victoire 1. » La nouvelle de la réconciliation du roi avec le saint-siége produisit à Milan une réaction favorable. Des familles entières abjuraient le schisme et se détachaient du sanguinaire Gothfred. Herlembald en informait le pape qui dans une lettre datée de Capoue le 7 octobre lui recommandait d'user de la plus grande bienveillance envers les coupables repentants. « Quant aux évêques qui s'obstinent dans le schisme et prétendent faire triompber par la force le parti de l'in­trus, ne craignez pas leur ligue. Le roi de Germanie, nous en avons l'assurance par des témoignages irrécusables, est résolu à nous don­ner pleine satisfaction dans les affaires ecclésiastiques et spéciale­ment en ce qui concerne l'église de Milan 2. » Le 11 octobre il te­nait le même langage à l'évêque élu d'Acqui, Albert qui lui deman­dait la confirmation de son pouvoir épiscopal : « Nous avons su, lui dit-il, que vous avez assisté au sacre de Gothfred, cet intrus trois fois excommunié ; c'était là vis à vis de vous un juste motif de suspicion. Depuis on nous a fait connaître vos légitimes motifs d'excuse et non seulement nous ne conservons plus à votre égard la moindre défiance, mais nous sommes heureux du zèle que vous déployez pour éteindre à Milan votre patrie le schisme qui désole cette église. Continuez donc armé du bouclier de la foi et du casque du salut, à défendre contre Simon le Mage le siège épiscopal du bienheureux Ambroise. Prêtez votre concours au chevalier du Christ Herlembald. Ensemble extirpez la simonie et rappeler à l'observa­tion du célibat ecclésiastique tous les clercs scandaleux. L'heure est venue où il vous faut donner comme un fils très-soumis cette consolation à la sainte église romaine votre mère et délivrer des chaînes de la mort tant d'esclaves des passions et de l'erreur 3. »

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1. Epist. xxv, col. 309. — 2. Ep. xxn, col. 310. — 3. Ep. xxvu, col. 311.

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   41. De Capoue où ses négociations avec les Normands le retinrent jusqu'au 15 novembre 1073,  Grégoire VII correspondait avec  le monde entier. Un dernier débris de l'église d'Afrique subsistait en­core après tant de révolutions et de ruines. Au milieu des Sarrasins maîtres de cette terre illustrée jadis par le génie et la gloire de Cyprien et du fils de sainte Monique, restaient deux évêques, l'un à Carthage, l'autre à Hippa dans le royaume actuel de Tunis. Cy­riaque évêque de Carthage s'était vu traîner par les clercs de son église au tribunal de l'émir nommé Thumim, et accusé devant ce prince musulman d'abus de pouvoir. Le prétendu excès de pouvoir commis par le vénérable évêque était le refus canonique de confé­rer l'ordination à des sujets indignes. L'invasion du laïcisme dans l'église avait pénétré jusqu'en Afrique et les mécontents trouvaient fort naturel d'appeler des décisions de leur évêque à un fils de l'Islam. C'était la doctrine de Byzance adoptée en Afrique, comme voulaient la faire prévaloir en Europe les successeurs dégénérés de Charlemagne. L'émir de Carthage, sans aucune prétention dogma­tique, résolut la question à coups de verges et fit flageller dans son prétoire le vénérable évêque. Grégoire VII écrivait à la date du 15 septembre à Cyriaque pour le féliciter d'avoir été jugé digne de souffrir pour le nom du Seigneur. « Ne vous découragez pas, lui dit-il, continuez à lutter contre l'ingratitude de chrétiens perfides et les persécutions des Sarrasins. Malgré la distance qui nous sépare soyons toujours présents en esprit l'un à l'autre, profitons de toutes les occasions favorables pour correspondre ensemble, échanger par lettres les consolations mutuelles dont nous avons besoin. Prions surtout le Dieu tout puissant de jeter enfin un regard favorable sur l'église d'Afrique, de l'arracher à un si cruel esclavage. Disons lui avec le Psalmiste : «Levez-vous, Seigneur, réveillez-vous aux cris de notre détresse, ne nous laissez pas périr pour jamais 1. » Le souffle des croisades se fait déjà sentir dans cette lettre à Cyriaque. II respire de même dans le rescrit pontifical que Grégoire VII adressait en même temps « au clergé et au peuple chrétieu de Carthage. »

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1. Grég. VII, Epist. xxiu, Lib. I, col. 387.

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Tout en flétrissant avec une vigueur apostolique leur ignoble con­duite, le saint pape ne néglige pas l'occasion de stimuler leurs espérances et de faire briller à leurs yeux la perspective d'un prochain secours. «Exposés chaque jour au glaive des Sarrasins, dit-il, ne tremblez pas. S'il vous faut encore souffrir pour le Christ, réjouissez vous dans l'attente de son règne glorieux. » Rappelez vous la parole infaillible de l'apôtre : « Le Dieu qui a ressuscité Jésus vous ressusci­tera vous-mêmes un jour 1. » Plus heureux que le métropolitain de Carthage l'évêque d'Hippa dans la province de Sétif avait un clergé docile. L'émir sarrasin Amazir se montrait bienveillant pour les chrétiens. En l'an 1076 ses ambassadeurs vinrent trouver Gré­goire Vil à Rome, lui remirent de riches présents et ce qui combla surtout de joie le cœur du saint pontife lui présentèrent un grand nombre d'esclaves européens que leur maître avait mis en liberté sans rançon pour témoigner son attachement au vicaire de Jésus-Christ. Cette députation lointaine avait pour chef un prêtre nommé Servandus élu canoniquement par le clergé et les fidèles d'Hippa pour remplacer leur évêque qui venait de mourir. Grégoire VII sacra de sa main l'évêque élu, et répondit à l'émir une lettre pleine de la plus ardente charité. « Vous avez, lui dit-il, par respect pour le bienheureux prince des apôtres et par amour pour nous, mis en li­berté les chrétiens détenus chez vous en esclaves, vous nous pro­mettez d'agir de même à l'avenir. C'est le Dieu créateur, source de tout bien, qui a inspiré à votre cœur cette résolution magnanime. Ce grand Dieu qui veut le salut de tous les hommes ne souhaite rien tant que de les voir exercer la charité les uns envers les autres. C'est l'hommage qu'il exige plus spécialement de nos deux nations, qui reconnaisssent sa puissance et l'adorent, bien qu'avec un culte différent. Il est donc entre nous le lien de l'affection et de la paix. Les nobles romains informés par nous de votre générosité admirent et célèbrent votre vertu. Deux des plus illustres patriciens, Albéric et Cencius, nos intimes amis, nourris avec nous dès leur adolescence dans le palais de Rome, veulent contracter avec vous une alliance.

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1. Epùt. un, col. 306. — Rom. vin, 11.

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Ils vous penvoient une ambassade chargée de vous exprimer leur admiration pour votre caractère et leur désir de vous être utiles en tout ce qui dépendra d'eux. Nous recommandons leurs envoyés à votre magnificence, la priant de les accueillir dans le même senti­ment de charité qui nous anime pour vous. Car Dieu sait que nous vous aimons dans la sincérité d'un cœur pur, désirant ardemment votre gloire en ce monde et votre salut en l'autre 1. » En même temps Grégoire chargeait le nouvel évêque Servandus d'un rescrit pour le métropolitain de Carthage. «Nous sommes vivement touché, disait-il à Cyriaque, de la détresse de l'église d'Afrique, on de nou­velles consécrations épiscopales sont devenues impossibles, faute des trois évêques consécrateurs et assistants dont la présence est exigée par les canons ; concertez vous avec votre collègue et frère Servandus et ensemble choisissez un sujet digne et capable; envoyez-le à Rome où nous le sacrerons de nos mains. Il retournera ensuite près de vous et vous pourrez dès lors pourvoir d'évêques les diverses chrétientés du pays 3. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon