Voltaire 1

Darras tome 39 p. 70


 III. VOLTAIRE ET L'ENCYCLOPÉDIE

 

   50. Le XVIIIe siècle lorsqu'on l'analyse avec exactitude, se décom­pose ainsi : Dans l'ordre philosophique, il s'appuie sur le rationa­lisme ; dans l'ordre religieux, sur le naturalisme ; dans l'ordre moral, sur le sensualisme ; et, dans l'ordre social, il vise au répu­blicanisme. Par ces quatre déviations, ce siècle tend à se séparer de l'ordre religieux et social fondé sur le christianisme, afin d'éta­blir un ordre religieux et social fondé sur la raison humaine. Or, l'armée philosophique se divise en quatre corps, dont chacun est chargé d'accomplir, sur un point particulier, l'œuvre de destruc­tion et l'essai de reconstruction : les encyclopédistes, les économistes, les francs-maçons et les patriotes. Le général en chef, Voltaire,

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combat tour à tour avec ces différents corps, sans appartenir exclu­sivement à aucun. « Les encyclopédistes, dit Bachaumont, en per­fectionnant la métaphysique, moyen le plus propre à dissiper les ténèbres dont la théologie l'avait enveloppée, ont détruit le fana­tisme et la superstition. A ceux-ci ont succédé les économistes: s'occupant essentiellement de la morale et de la politique pratique, ils ont cherché à rendre les peuples plus heureux, en appliquant l'homme à l'étude de la nature, mère de toutes les jouissances.» Aux économistes et aux encyclopédistes prêtent main-forte les sociétés secrètes, principalement la franc-maçonnerie, en vue sur­tout de détruire la religion chrétienne et l'Église catholique, d'abord en abattant ses soldats d'avant-garde, les jésuites. Enfin, continue Bachaumont, des temps de trouble et d'oppression ont enfanté des patriotes qui, remontant à la source des lois et à la constitution des gouvernements, ont démontré les obligations réciproques des sujets et des souverains, approfondi l'histoire et fixé les grands principes de l'administration.» (1) Ce langage anodin renferme un sens caché. Voici l'interprétation, vraiment prophétique, qu'en donnait l'avocat général Séguier, dans son réquisitoire contre le Système de la nature arracher de du baron d'Holbach. «L'impiété, dit ce magistrat, ne borne pas ses projets d'innovation à dominer sur les esprits et à nos cœurs tout sentiment de la Divinité : son génie inquiet, entre­prenant, ennemi de toute dépendance, aspire à bouleverser toutes les institutions politiques. Ses vœux ne seront remplis que lorsqu'elle aura détruit cette inégalité nécessaire de rang et de condition, lorsqu'elle aura avili la majesté des rois, rendu leur autorité pré­caire et subordonnée aux caprices d'une foule aveugle, et lorsque enfin, à la faveur de ces étranges fondements, elle aura précipité le monde entier dans l'anarchie, et dans tous les maux qui en sont inséparables. (2) » Nous allons passer en revue l'armée soi-disant philosophique, biographier ses hommes, dresser le bilan de leurs doctrines, et apprécier, dans son ensemble, cette entreprise de démolition.

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(1)Bacuaumoxt, Mémoires, p. 1. Ed. de 178Ï.

(2)Arrêté du Parlement, 1750 .

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   51. L'homme en qui se personnifia le plus cette œuvre infernale, fut Voltaire. François-Marie Arouet, dit Voltaire, naquit à Paris le 20 février 1694 et ne fut baptisé qu'en novembre suivant, sans doute, pour que dès son entrée en ce monde, il appartint d'abord exclu­sivement au diable. Son grand-père, colporteur en Poitou, était venu s'établir à Paris et exerçait, dans la rue Saint-Denis, la pro­fession de marchand drapier ; le fils fut notaire au Châtelet, puis receveur des épices, amendes et vacations; il épousa une Marguerite Daumart, dont le fils dit qu'elle n'était pas une vierge et c'est de cette femme que naquit Voltaire. Dans cette famille, entre un père trop occupé et une mère plus que légère, l'enfant ne trouva ni bons con­seils, ni bons exemples. Parrain, peut-être père de l'enfant, l'abbé de Châteauneuf, un des pourris de ce temps, se chargea de son éducation ; il lui apprit à lire dans les Contes de La Fontaine, sur les genoux d'une vieille courtisane incrédule, Ninon de Lenclos, amie intime d'ailleurs de la femme d'Arouet. Ninon s'affola du filleul de l'abbé, et légua définitivement à son favori, une bibliothèque, composée de livres impies et orduriers, annotés de sa main, sans compter mille écus qu'elle lui donna pour compléter la collection. Les pères jésuites avaient alors la direction du collège Louis-le-Grand. Beaucoup moins pour arracher son fils à l'influence immo­rale de Châteauneuf et de mademoiselle de Lenclos que pour lui procurer dans l'avenir des protections puissantes, le receveur des épices le plaça comme pensionnaire, à l'âge de dix ans, dans ce collège aristocratique, où l'on élevait les enfants de haute noblesse et les héritiers des ducs et pairs. Arouet y resta sept années et y obtint de grands triomphes classiques. On reconnut en lui une intelligence exceptionnelle, mais entachée d'une perversité inouïe et d'un dédain caractérisé par tout ce qui tenait à l'enseignement religieux. Les Pères Tournemine, Le Jay et Porée, ses professeurs ne devinant pas la double empreinte de scepticisme et de libertinage qu'avait reçue fatalement, dès son aurore, cet esprit vif et prime-saulier, se demandèrent plus d'une fois avec épouvante, si le génie du mal avait fait élection de domicile dans le cœur et dans le cer­veau de cet élève. Châteauneuf ne se contenta pas de le corrompre,

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il lui enseigna l'art de vérifier : il lui donna pour modèles, non seulement les Contes de La Fontaine, mais encore une espèce d'épo­pée exécrable, la Moïsiade, où le législateur des Hébreux est taxé d'imposture et couvert d'opprobre. Arouet en débitait des tirades à ses condisciples ; l'écho en vint à l'oreille de ses maîtres. « Malheu­reux, dit le P. Lejay, tu seras un jour le coryphée du déisme en France. — Tu n'es qu'un animal de gloire, ajouta son confesseur ; la soif de la célébrité te dévore et tous les moyens te seront bons pour y arriver. » Arouet, pour désarmer ses maîtres, se prit à rimer en l'honneur de Ste-Geneviève et du vrai Dieu. Quand il sortit du collège, on lui donna, pour note caractéristique : « Puer ingeniosus sed insignis nebulo : enfant d'esprit, mais insigne vaurien. » Au sortir du collège, Arouet ne resta pas longtemps à la maison paternelle. Son père voulait lui donner un état, le jeune homme n'aimait que l'indépendance et les vers. Il y avait alors, à Paris, certain café de la Croix de Malte, hanté par les beaux esprits cor­rompus de l'époque et une sorte de société maçonnique anticipée, qu'on nommait le Temple ; c'est là qu'Arouet prit ses grades en philosophie. Un déluge de pièces antichrétiennes et de strophes licencieuses, dues à la plume d'Arouet, inonde les petits soupers de cette troupe cynique. Tout jeune encore, il courait déjà les femmes et buvait jusqu'à s'enivrer. Diverses escapades le firent chasser de la maison paternelle. Envoyé comme page en Hollande, il y noua des intrigues avec une Pimpette et se fit chasser de Hollande. Une satire imprimée contre Louis XIV le fit mettre à la Bastille en 1717 ; il publiait en même temps un opuscule où il tournait la religion en ridicule. En 1723, étant tombé malade chez le président de Maisons, il se confessa au curé de la paroisse. Dès 1718, il avait fait jouer son Œdipe et travaillait à la Henride. De nouvelles escapades le firent bientôt exiler de Paris, remettre à la Bastille et chasser de France. A trente-deux ans, il se rendit à Londres et acheva de s'y corrompre dans la société des rationalistes anglais. En 1729, il ren­tre en cachette ; lui-même va nous expliquer son genre de vie. «Avant que je puisse me cacher à Paris, écrit-il à Thieriot, je resterai une douzaine de jours dans l'un des villages voisins de la

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capitale: il est vraisemblable que ce sera Saint-Germain, et je compte y être avant le 15. C'est pourquoi, si vous m'aimez, prépa­rez-vous à venir m'y trouver au premier appel. » Effectivement il loue deux modestes chambres chez un perruquier de Saint-Germain, se fait appeler Sanson, et ne donne son adresse qu'aux gens dont il est sûr. Le 25 mars, il offre à Thieriot « une chair frugale et un mauvais lit » dans « la baraque » du perruquier ; puis il se hasarde, le 29, a venir à Paris, ayant soin de ne pas rester deux jours de suite dans le même domicile, et logeant, tantôt chez du Breuil, au cloître Saint-Merry ; tantôt chez Mayenville, conseiller clerc, qu'il a connu jadis à l'étude de maître Alain ; tantôt chez la baronne de Fontaine-Martel. Enfin il obtient la permission de rester à Paris, se fait rendre ses pensions et ses arrérages de rentes. Il ne faudrait pas croire, au reste, qu'il ne s'occupait que de vers ou de prose ; il s'occupait aussi beaucoup d'argent, dont il eut toujours un féroce appétit. A la loterie, il gagne le gros lot. Un jour, il vole a Nancy pour souscrire, sous un faux nom, cinquante actions d'une entre­prise commerciale. Au retour, il fait acheter sur les côtes d'Afrique d'immenses provisions de blé, qu'il revend, à Marseille, sous le couvert d'un nommé Demoulin, à cent pour cent de bénéfice. En même temps, il s'associe à une maison de Cadix, qui fait les expor­tations pour le Nouveau-Monde, avec chargement au retour. Les résultats, de ce côté, sont encore plus favorables. Ce n'est pas tout. Le gouvernement, dont les coffres sont vides, organise une nouvelle loterie, non plus pour l'Hôtel-de-Ville, mais pour lui-même. Voltaire prend six cents billets à lui seul, et, si ce n'est plus le calcul, c'est une chance incroyable qui, cette fois, lui vient en aide. Ayant alors de très grandes sommes à sa disposition, il obtient des frères Paris de se mettre de moitié avec eux dans la fourniture des vivres pour les armées d'Italie et de Flandre. On liquide après la paix, et il reçoit en solde, pour la seule armée d'Italie, une somme de huit cent mille livres. Les gains sont aussi avantageux pour l'armée de Flandre. Tel est le détail authentique des spéculations de cet hon­nête philosophe. En moins de deux ans, de mai 1729 à novembre 1730, il a réalisé plus de trois millions.

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   En 1733 paraissent les Lettres philosophiques. Les bons amis de Londres durent être dans le ravissement. Il est impossible de déployer contre la religion chrétienne une haine plus aveugle et plus atroce. Paralogismes flagrants, infidélités historiques perpé­tuelles, épigrammes tenant lieu d'argumentation, rage forcenée contre le catholicisme, voilà ce qu'on y trouve, de la première page à la dernière. L'auteur y préconise les sectes les plus bizarres, les cultes les plus monstrueux. Sa scélératesse évoque les divinités du paganisme les plus corrompues, et leur accorde l'encens qu'il refuse au Christ. A la suite des diatribes irréligieuses, venaient trois lettres sur l'Angleterre, trois satires du gouvernement français par éloge ou par comparaison, — car c'est de Voltaire que date ce patriotisme de nouvelle espèce, consistant à mettre son pays au-dessous de tous les pays rivaux. Voltaire est décrété de prise de corps ; croyant voir toute la maréchaussée de France à ses trousses, il s'enfuit au château de Cirey, près des frontières de Lorraine et y vit maritalement avec la marquise du Châtelet. En même temps, il s'occupe de poésie, de philosophie et de physique ; il commence son poème abominable contre Jeanne d'Arc. Ni la physique, ni la poésie ne mirent la philosophie dans ce faux ménage ; il y eut des scènes violentes ; enfin Voltaire, agacé ici, menacé de plus loin, s'enfuit en Belgique et en Hollande. En 1740, Voltaire faisait le voyage de Berlin ; il ne devait s'y fixer qu'après la mort de sa con­cubine, mécontent, disait-il, de la France qui ne rendait pas assez d'hommages à ses mérites. Toute sa vie, dit Picot, il s'est plaint de persécution. Ce langage était devenu chez lui une espèce d'habi­tude et un moyen d'exciter l'intérêt. Il est bien évident pourtant qu'il n'eut tenu qu'à lui d'être tranquille. Il aurait joui à la fois de plus d'honneur et de repos en n'attaquant point journellement les institutions de son pays, et en gardant, soit dans ses conversations, soit dans ses écrits, les égards qu'il devait aux personnes et aux choses. Mais cette âme vive et ardente était entraînée par un besoin impérieux d'agitation et de renommée. D'ailleurs à quoi se bornait cette persécution sur laquelle il revient si souvent dans sa Corres­pondance ? Il entra à l'Académie, il jouit paisiblement de la fortune

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qu'il avait acquise, il sortit de France de son plein gré, et y rentra non moins librement. Il ne fut gêné ni dans sa correspondance, ni dans sa vie intérieure, trouva le moyen de publier et de répandre tous les écrits qu'il voulut mettre au jour, et finit par venir recueil­lir à Paris des honneurs et des applaudissements excessifs. Si c'est là de la persécution, il n'est personne qui ne consentit à en essuyer de pareilles. (1) » Quoi qu'il en soit il quitta la France en 1730, pour aller demeurer auprès du roi de Prusse, qui lui donna mille louis pour son voyage. Le philosophe désintéressé en demandait autant pour madame Denis, sa nièce, et fut très piqué du refus qu'il essuya. Pour le consoler, on le fit chambellan avec 2000 livres de pension. Il passa trois ans à Berlin, avec quelques alter­natives de brouilleries et de raccommodement, et s'y fortifia mani­festement dans ses dispositions irréligieuses par la fréquentation d'une société où l'on affichait le mépris de la religion. Le roi avait rassemblé autour de lui ceux à qui leurs opinions et leur zèle avaient attiré quelques disgrâces en France, d'Argens, LaMettrie, Toussaint, de Prades. D'ailleurs il savait s'en servir. Lorsque le roi de Prusse méditait quelque mauvais coup, il déchaînait, contre la cause qu'il voulait trahir, la plume de ses philosophes ; il leur payait des pen­sions, mais il exigeait des services, souvent, hélas ! contre la France. Malgré les avantages qu'il en tirait, Frédéric ne s'accommoda pas longtemps de Voltaire ; ces deux bandits se séparèrent, le roi fit même bâtonner, à Francfort, le philosophe.

 

   A son retour, ne pouvant rentrer en France, Arouet passa quel­que temps en Alsace et en Lorraine, et finit par se fixer auprès de Genève. La maison des Délices, puis celle de Ferney dans le pays de Gex, devinrent sa résidence. C'est à Ferney que fut composé ce grand nombre d'écrits qui ont signalé la fin de la carrière du phi­losophe. La plus grande faute dans laquelle Voltaire ait eu le malheur de tomber, dit Palissot, fut d'accepter le titre de chef de parti, et ce fut d'Alembert qui l'y précipita. Sa correspondance en est une preuve convaincante, et l'on y remarquera que l'époque où Voltaire perdit le plus de ses qualités morales, fut précisément

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(1) Mémores, t. V, p.  10.

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celle où il donna toute sa confiance à ce tartuffe de la philoso­phie. » On a prétendu qu'il eût été plus sage au gouvernement de faire venir Voltaire à Paris, où l'on aurait pu contenir plus aisé­ment sa fougue, et réprimer ses écarts. Il est possible qu'en effet l'éloignement et la solitude aient contribué à exalter le zèle anti­chrétien de Voltaire. Mais le gouvernement avait encore bien des moyens s'il l'eût voulu sérieusement, pour arrêter, quoique de loin, la manie irréligieuse et le cynisme frondeur du vieillard. On savait très bien qu'il était l'auteur de tant d'écrits et de pamphlets contre la religion. Ainsi, si on ne lui imposa point silence, ce fut par une suite de l'esprit d'insouciance et de faiblesse qui prévalait alors dans le ministère. Quand il vit qu'on fermait les yeux sur sa hardiesse et sa licence, il redoubla comme on devait s'y attendre, de zèle, d'audace et de vigueur. Sa correspondance seule en offrirait
des exemples multipliés. Elle devint, vers 1760, amère et provo­cante. Il excitait sans relâche ses amis à terrasser la superstition. Il mit le plus grand zèle à soutenir l’Encyclopédie, et travailla lui-même à ce vaste dictionnaire. Il avait toujours sur le métier plu­sieurs ouvrages de genres différents, et en accumula plus en dix ans qu'il n'en avait composés jusque-là dans sa longue carrière. Ces écrits tendaient tous au même but ; pamphlets, facéties, ro­mans, pièces de théâtre, écrits philosophiques, histoires, tout était empreint du même cachet, tout était rédigé dans le même esprit. Nous ne donnerons point la liste de ces productions, les ayant déjà citées et appréciées pour la plupart. L'auteur y reproduit sous toutes les formes les mêmes arguments et surtout les mêmes plai­santeries. Un ton caustique, une ironie et une malignité continuelles forment le fond de ceux même qui, par leur nature eussent dût être les plus sérieux. C'est bien pis encore dans les facéties. La dérision et le sarcasme y sont portés à un excès, qui nous paraît exclure la gaieté, et ne pas annoncer même toujours de l'esprit. On ne voit rien de très ingénieux et de très délicats dans ces traits qui décèlent une haine profonde et peu difficile dans le choix de ses moyens. Que dirons-nous de ces suppositions de noms, par lesquelles il prêtait ses productions à des morts ou à des êtres

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inconnus? « Voltaire, dit Lacretelle, se fit une triste nécessité, ou un jeu plus triste encore, de ces suppositions de noms et de faits, de ces ruses et de ces déguisements qui embarrassent l'esprit dans de honteuses combinaisons, qui rendent une doctrine suspecte par le manège clandestin avec lequel on la propage, qui ôteraient à la vérité ses deux plus beaux attributs, la candeur et le courage, et qui semblent si loin du philosophe qu'ils sont même importuns à la pensée de l'honnête homme. »

 

   Le petit-fils du drapier de la rue Saint-Denis, devenu grand sei­gneur par les pensions que lui servaient les souverains, par ses basses lésineries sur ses libraires et par la vente de ses livres, lais­sait donc éclater toute sa haine contre le christianisme. En 1760, à soixante-six ans, il adopta dans ses lettres, l'horrible  formu­le :   Ecr.  l'inf.,   c'est-à-dire :  Ecrasez  l'infâme, écrasez   Jésus-Christ ; il signait encore Christmoque. Sous sa présidence hono­raire se forma une société secrète de philosophes pour la propaga­tion  des livres impies et immoraux. Loménie de Brienne fit les affaires de la philosophie en réformant les monastères. Voltaire aidait à tout par ses conseils, par ses ouvrages, et, pour ne point trahir les secrets, par ses communions sacrilèges. Voltaire eut le chagrin dans ses dernières années, de voir son crédit diminuer dans son parti. Déjà on ne le trouvait plus assez exalté. On lui reprochait de caresser trop les grands et les rois, et de croire à l'existence de Dieu. Une école d'athées et de républicains s'était formée parmi des hommes qu'il regardait comme ses disciples. Le chef de cette nouvelle école était Diderot, athée décidé. Grimm un de ses admi­rateurs, dit dans sa Correspondance, que « l'humeur de Voltaire contre le Système de la nature vient de ce qu'il a peur que cet ouvrage ne renverse son rituel, et que le patriarche ne s'en aille au diable avec lui. » En 1778 il obtint la permission de revenir à Paris, y tomba presqu'aussitôt malade, se confessa et rétracta ce qu'il avait écrit contre la religion. Un mieux sensible lui permit de sortir ; il fut couronné au théâtre, aggrégé à une loge de Francs-maçons, et eut à   l'Académie les honneurs d'une séance. Le héros de ces ovations ne tarda pas à retomber malade

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et plus sérieusement. Le curé de Saint-Sulpice et l'abbé Gauthier se présentèrent avec une rétractation plus explicite que la première ; mais le malade avait perdu connaissance ; les deux prêtres se reti­rèrent. Alors entra Tronchin médecin de Voltaire qui vit le vieux moribond dans des agitations affreuses criant qu'il était abandonné de Dieu et des hommes, et dévorant ses excréments. « Je voudrais, ajoutait-il que tous ceux qui ont été séduits par les livres de Vol­taire, eussent été témoins de sa mort ; il n'est pas possible de tenir contre un pareil spectacle. » Voltaire mourut à quatre-vingt-quatre ans le 30 mai 1778. L'autorité ecclésiastique ayant refusé à son cadavre les honneurs de la sépulture, l'abbé Mignot neveu du phi­losophe alla l'inhumer furtivement dans son abbaye de Scellières au diocèse de Troyes.

 

   52. Tel fut Voltaire. De tous les faits de sa vie, dit un de ses biographes, et d'après ses propres aveux, on doit conclure qu'Arouet Voltaire fut homme immoral, fils ingrat, mauvais citoyen, ami faux, envieux, adulateur, intéressé, intrigant, vindicatif, calomnia­teur, ambitieux de places, d'honneurs et de dignités, hypocrite, avare, intolérant, méchant, inhumain, violent, despote. Prouver quelques-uns de ces reproches n'est pas ici hors de propos. Voltaire méprise sa famille dont il quitte le nom et ne rappelle jamais les membres. Voltaire méprise sa patrie en reniant positivement son titre de français ; en se disant prussien avec Frédéric, russe avec Catherine II; en appelant les Français des Welches, un peuple sot, lâche et volage, les excréments de l'univers, enfin en applaudis­sant à leurs défaites ainsi qu'au partage de la Pologne. Voltaire méprise son siècle qu'il appelle la chiasse du genre humain ; et dans son siècle il méprise particulièrement le peuple qu'il nomme une canaille apte à porter tous les jougs et indigne des lumières de la philosophie. Ce patron malvenu des démocrates s'était fait gen­tilhomme ; il s'appela M. de Voltaire et fut chambellan de deux rois. On sait sa haine pour la religion, ses attaques ordurières contre ses défenseurs et son projet de renverser avec six hommes de talent ce qu'ont établi douze faquins c'est-à-dire les douze apôtres. Voltaire est le Luther du philosophisme. Comme écrivain, Voltaire représente le

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philosophisme dans son œuvre de destruction religieuse et cette destruction, il l'opère par le sarcasme et la calomnie. On ne trouve du reste en lui ni philosophie positive, ni vues générales sur l'his­toire, ni érudition historique, ni connaissance des sciences et des langues. Son mérite se réduit à être un littérateur qui brille dans tous les genres ; encore est-il nul dans l'ode, généralement froid dans l'épopée et le drame, superficiel dans la comédie, supérieur seulement dans la poésie légère et le récit. De ces nombreux ouvrages, nous citerons : Essai sur les mœurs des nations œuvre sans valeur qu'il prétendait opposer au Discours sur l'Histoire uni­verselle ; la Pucelle livre infâme ou il tourne en dérision dans la personne de Jeanne d'Arc, la virginité, le patriotisme et le martyre ; des Pièces fugitives comme Candide et le Testament du curé Meslier ou il accumule toutes les impiétés et toutes les ordures imaginables ; des parodies des livres saints ; enfin un théâtre ou il exalte les sen­timents républicains, prêche le suicide, le régicide et le mépris du christianisme.

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