LETTRE HUITIÈME (1)
Nébride demande à saint Augustin comment les puissances célestes peuvent nous envoyer pendant le sommeil des visions et des songes.
NÉBRIDE A AUGUSTIN.
Voulant en venir promptement au fait, je laisse de côté toute préface et tout exorde. Par quel moyen, mon cher Augustin, les puissances supérieures, je veux dire les puissances célestes peuvent‑elles, à leur gré nous envoyer des songes pendant notre sommeil ? Quel mode, dis‑je, quel artifice, quels secrets, quelles machines, quels instruments, quels philtres emploient‑elles pour cela? sont‑ce leurs propres pensées qui font impression sur notre âme, de manière à en éveiller de semblables en nous ? Ce qu'elles offrent et font voir à notre esprit ne serait‑il pas les images mêmes qui se forment dans leur corps ou leur imagination? Si c'est dans leur corps, nous avons donc au dedans de nous‑mêmes des yeux corporels pour voir pendant notre sommeil les images qui se sont formées dans le corps de ces puissances ? Si leur corps n'est pour rien en cela, si leur imagination seule enfante ces visions transmises à notre imagination, pourquoi, je vous prie, mon imagination ne peut‑elle pas forcer la vôtre à enfanter des visions que j'aurai déjà formées dans la mienne. Car certainement j'ai aussi une imagination capable de représenter ce que je veux; et cependant je ne puis vous envoyer aucun songe, et je vois que c'est notre corps lui‑même qui les produit en nous, car une fois qu'il a recu les impressions des divers mouvements de l'âme avec laquelle il est vrai il est uni, il les transmet à l'imagination par des moyens merveilleux. Souvent dans le sommeil, lorsque nous avons soif, nous rêvons que nous buvons, et quand nous avons faim, nous croyons manger. Nous éprouvons beaucoup d'autres effets semblables, qui, par je ne sais quel secret commerce, vont fantastiquement du corps à l'âme. Ne vous étonnez point si par suite de mon ignorance et de l'obscurité même de la matière, mes explications manquent d'élégance et de subtilité. Je compte sur vous pour les éclaircir autant que vous le pourrez.
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(1) Ecrite l'an 389, peu de temps apràs la précédente. ‑ Cette lettre était la 245e dans les éditions antérieures à l'édition des Bénédictins, et celle qui était la 8e se trouve maintenant la 27e.
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