LETTRE XV (1)
Saint Augustin promet à Romanien (2) de lui envoyer le livre qu'il a écrit sur la vraie religion, et l'exhorte à occuper utilement son loisir.
AUGUSTIN A ROMANIEN.
1. Si cette lettre vous fait voir que je suis pauvre en papier, elle ne vous prouvera pas que je suis plus riche en parchemin. Je me suis servi des tablettes d'ivoire que j'avais, pour écrire à votre oncle. Vous m'excuserez donc de vous adresser ces lignes sur ce morceau de parchemin. Je ne pouvais point différer de dire à votre oncle ce que je lui ai écrit, et je ne pouvais me résoudre à ne pas vous écrire aussi. Si vous avez des tablettes qui m'appartiennent, veuillez me les renvoyer car j'en ai grand besoin. J'ai écrit sur la religion catholique, autant que le Seigneur a daigné m'inspirer, un livre que je veux vous envoyer avant mon arrivée, si toutefois le papier ne me manque pas. Il faudra donc vous contenter d'une écriture telle que la permet ce qui sort de la boutique de Majorin(3). Des ouvrages dont vous me parlez, je ne me rappelle que les livres de l'Orateur. Mais je n'ai pu à ce sujet vous répondre autre chose que de vous engager à choisir vous‑même ceux qui vous conviendraient, et je suis toujours du même avis. Que puis‑je faire de plus, n'étant point près de vous?
2. Vous m'avez fait bien plaisir en m'invitant, dans votre dernière lettre, à venir partager votre joie domestique. Mais voulez‑vous que j'ignore ce qu'il faut penser de « la surface d'une mer tranquille et des vagues en repos ?»
(1) Ecrite l'an 390. ‑ Cette lettre était la 113e dans les éditions antérieures à l'édition des Bénédictins et celle qui était la 15e se trouve maintenant la 73e.
(2) Romanier était de Tagaste comme saint Augustin dont il était, dès la plus tendre jeunesse, l'ami et le confident intime. Il avait été entrainé dans les erreurs des Manichéens par saint Augustin, qui l'en retira ensuite, et composa pour lui le livre De la vraie religion. C'est ce même Romanien que saint Augustin, dans la lettre 27e, recommande particulièrement à la sollicitude de saint Paulin.
(3) Les anciennes éditions donnent ex officina meorum, sept manuscrits portent ex officina majorini. Nous avons adopté ce texte, quoique les Bénédictins paraissent vouloir le corrige en changeant la ponctuation, et en écrivant ex officina majorum codicibus
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p274 LETTRE SEIZIÈME.
(Enéid., V). Vous ne le voulez certainement point, et vous ne l'ignorez pas vous‑même. Si vos loisirs vous permettent d'élever votre esprit vers de meilleures pensées, profitez de ce bienfait divin. Lorsqu'un pareil bonheur nous arrive, ce n'est pas à nous qu'il faut en savoir gré, mais à ceux qui nous le procurent ; parce qu'une administration juste et charitable des biens temporels accompagnée de calme et de paix, peut nous faire mériter les biens éternels, si les richesses que nous possédons ne nous possèdent pas, si leur accroissement n'est pas pour nous un sujet d'embarras, si lorsque nous croyons les maîtriser, elles ne sont pas maitresses de nous‑mêmes. La Vérité ne nous dit‑elle pas de sa propre bouche : " Si vous n'avez pas été fidèles dans ce qui n'est point à vous, qui vous donnera ce qui vous appartient (Luc, xvi, 12). » Dégageons‑nous donc du soin des choses changeantes et périssables pour chercher les biens durables et solides. Elevons‑nous au‑dessus des richesses de la terre. Si l'abeille a des ailes, c'est pour échapper à l'abondance de son miel où elle resterait attachée et trouverait la mort.