LETTRE XVI (1)

LETTRE XVI (1)

 

Maxime grammairien de Madaure(2) cherche à défendre les Païens, en disant que sous divers noms, ils n'adorent qu'un seul Dieu. Il s'indigne qu'on préfère des hommes morts aux dieux des Gentils, et se moque de certains noms puniques, faisant, croyons‑nous, allusions aux Chrétiens à qui il reproche leur vénération pour les tombeaux des martyrs, et leur coutume de ne point admettre les profanes à la célébration de leurs mystères.

 

MAXIME A AUGUSTIN.

 

1 ‑ Comme je désire renouveler souvent le plaisir et la joie que me causent vos lettres, et que tout récemment encore vous m'avez attaqué par vos fines et agréables railleries, qui n'ont rien de blessant pour l'amitié, je ne puis résister au désir de vous rendre la pareille, de peur que vous ne preniez mon silence pour du dépit. Si vous trouvez que mon langage se ressent trop de ma vieillesse, veuillez cependant l'accueillir avec indulgence. Les Grecs appellent le mont Olympe la demeure des dieux. C'est

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(1) Ecrite l'an 390. ‑ Cette lettre était la 45e dans les éditions antérieures à l'édition des Bénédictins, et celle qui était la 16e se trouve maintenant la 74e.

 

(2) Madaure était une ville épiscopale de la province de Numidie, non loin de Tagaste. Maxime y enseignait la grammaire, et c'est peut‑être sous ce maître que saint Augustin fit ses études d'humanités; car notre saint fut envové fort jeune dans cette ville qui avait le titre de colonie. Les habitants de Madaure bien qu'attachés à l'idolàtrie avaient une grande vénération pour saint Augustin, qu'ils appelaient leur père, comme on le voit dans la lettre 232e.

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p275 MAXIME A SAINT AUGUSTIN.

 

une fable qu'on n'est pas obligé de croire, mais ce qu'il y a de certain et ce que nous voyons nous‑mêmes, c'est que la place publique de notre ville est habitée par des divinités dont nous éprouvons la salutaire assistance. Il n'y a qu'un seul Dieu suprême, sans commencement, sans progéniture, Père souverainement grand et magnifique de tout ce qui existe. Il n'est personne d'assez insensé et d'assez borné, pour ne pas reconnaître cette vérité. C'est ce Dieu dont nous invoquons sous différents noms la puissance répandue dans tout l'univers, sans que nous sachions quel est son véritable nom, car Dieu est un nom commun à toutes les religions. C'est toujours lui que nous adorons tout entier par des cultes divers, dans nos divinités qui en sont comme les membres.

 

  2. Mais je ne puis vous cacher qu'il règne parmi vous de grandes erreurs que je ne sau­rais supporter. Comment souffrir en effet qu'on préfère un Mygdon à Jupiter qui lance la foudre; une Sanaë à Junon, à Minerve, à Vénus, à Vesta, et (chose impie), l'archimartyr Nam­phanion (1) à tous les dieux immortels. Je vois encore parmi tous ces personnages figurer un Lucitas pour qui vous avez une égale vénéra­tion, ainsi que pour un grand nombre d'autres dont les noms sont en horreur aux dieux et aux hommes et qui ajoutant de nouveaux crimes à ceux que leur conscience leur reprochait déjà ont trouvé sous l'apparence d'une mort glorieuse une fin digne de leur vie. Et pourtant, s'il faut le dire, des insensés délaissent les temples des dieux et négligent les mânes de leurs ancêtres, pour visiter les tombeaux de ces hommes! Ainsi semble s'accomplir le vers prophétique du poëte indigné : « Rome dans les temples mêmes de ses dieux a juré par des ombres (Lucain). » Cela me rappelle cette bataille d'Actium où les monstres d'Egypte lançaient des traits impuissants contre les dieux des Romains.

 

3. Ce que je demanderais à un homme aussi sage que vous, ce serait de laisser de côté cette vigueur d'éloquence que tout le monde vous reconnaît, et tous ces arguments de Chrysippe et de dialectique dont les efforts ne prouvent rien de certain, pour m'exposer nettement quel est ce Dieu que vous autres chrétiens vous revendiquez comme appartenant à vous seuls, et que vous prétendez voir dans les lieux cachés. Pour nous, c'est en plein jour et aux yeux de

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(1) Namphanion, premier martyr d'Afrique, fut mis a mort à Madaure Le martyrologe romain en fait mention au 14 juillet.

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p276

 

tous que nous adorons nos dieux. Tous les mortels peuvent entendre les pieuses prières que nous leur adressons. Nous cherchons à nous les rendre favorables par de doux sacrifices ; et nous exposons ces actes à la vue et à l'approbation de tout le monde.

 

4. Mais faible vieillard je ne veux point prolonger plus longtemps cette lutte, et j'en reviens volontiers à cette pensée du poëte de Mantoue : « Chacun suit son plaisir (Virg.,Eglog., 3). » Du reste je ne doute pas, homme éminent, qui vous êtes séparé de ma religion, que si cette lettre vient à vous être dérobée, elle ne périsse dans les flammes ou de toute autre manière, mais le papier seul sera perdu, et non mes paroles qui resteront toujours dans le cœur des hommes vraiment religieux. Que les dieux vous conservent, ces dieux sous le nom desquels, nous tous mortels qui sommes sur la terre, nous honorons de mille manières différentes le Dieu unique, que d'un accord unanime nous reconnaissons et adorons comme le père commun de tous les hommes.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon