LETTRE II(1)
Saint Augustin exprime à Zénobe son désir de terminer et de résoudre ensemble une question qu'ils avaient commencé à examiner.
AUGUSTIN A ZÉNOBE.
1. Nous reconnaissons lun et l'autre, si je ne me trompe, que tout ce qui peut être atteint par les sens ne peut un seul instant rester dans le même état, mais que tout cela s'écoule, se dissipe et n'a pas de durée permanente, ou, pour parler comme les Latins, n'existe pas nécessairement. Aussi, une philosophie véritable et céleste nous invite à réprimer et à éteindre le funeste amour de ces biens visibles, source de tant de peines , afin que notre esprit même, lorsqu'il est uni au corps, se porte tout entier et avec ardeur vers les choses immuables, dont l'attrait ne vient pas d'une beauté empruntée. Quoique mon esprit vous voie en lui‑même comme vous êtes simple et vrai, tel qu'on peut vous aimer sans crainte et sans inquiétude, nous vous l'avouons cependant, lorsque par le corps vous vous éloignez de nous, et qu'une certaine distance vous sépare de nous, nous recherchons cependant, nous désirons, autant qu'il est possible, vos entretiens et votre présence. Ce défaut, si je vous connais bien, vous l'aimez en nous : et quoique vous souhaitiez toute espèce de biens aux amis qui vous sont chers, vous craigne sans doute de les voir guéris de cette maladie. Si vous avez sur vous‑même un empire assez fort pour reconnaître que cette amitié est un piège, et pour vous moquer de ceux qui s'y laissent prendre, certes vous êtes plus grand et tout autre que nous. Pour moi, lorsque je regrette l'éloignement d'un ami, je veux qu'il
---------------------------
(1) Ecrite vers la fin de l'année 386. ‑ Cette lettre était la 214e dans les éditions antérieures à celle des Bénédicti ns, et celle qui était la 2o se trouve maintenant la 135e.
==============================
p247 SAINT AUGUSTIN A NÉBRIDE
regrette à son tour mon absence. Je prends garde néanmoins, autant que je le puis et je m'efforce de ne rien aimer qui puisse m'être ravi malgré moi. Mais quelle que soit votre manière de penser à cet égard, je vous engage, dans notre intérêt commun, à terminer la question que nous avons commencé à débattre. Je ne voudrais pas la terminer avec Alype, quand même il le voudrait; mais il ne le veut pas. Il ne veut pas pousser la complaisance jusqu'à s'unir à moi pour vous retenir par des entretiens littéraires, lorsque je ne sais quelle nécessité vous appelle ailleurs.