LETTRE XIII (2)
La question de savoir, si l'âme outre le corps auquel elle est unie, n'en aurait pas quelque autre plus subtil, est inutile et il n'y a plus à y revenir.
AUGUSTIN A NÉBRIDE.
1 ‑ Je n'aime point à vous écrire des choses communes, et je ne puis vous en écrire de nouvelles. Les premières ne vous plaisent point, et le temps me manque pour m'occuper des secondes. Depuis que je vous ai quitté, je n'ai eu ni l'occasion ni le loisir de réfléchir et de penser à ce qui fait l'objet accoutumé de nos re-
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(1) Il manque ici 67 lignes dans le manuscrit du Vatican d'où cette lettre a été tirée.
(2) Ecrite sur la fin de l'année 389. ‑ Cette lettre était la 218e dans les éditions antérieures à l'édition des Bénédictins, et celle qui était la 13e se trouve maintenant la 68e.
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p269 SAINT AUGUSTIN A NÉBRIDE
cherches. Les nuits d'hiver sont bien longues, et quoique je ne les passe point tout entières à dormir, cependant à mes heures de loisir, je n'ai pas d'autres pensées que celles qui peuvent contribuer à mon repos et à mon loisir même. Que ferai‑je donc? resterai‑je muet avec vous? Garderai‑je le silence. Ce n'est ni ce que vous voulez, ni ce que je veux moi‑même. Voici donc ce que j'ai pu tirer de moi à la fin de cette nuit, et que j'ai fait écrire sous ma dictée.
2. Il est nécessaire que vous vous rappeliez la question que nous avons agitée si souvent ensemble, et qui dans l'embarras qu'elle nous causait nous tenait comme hors d'haleine. Il s'agissait de savoir si l'âme n'a point quelque corps ou une espèce de corps dont elle est inséparable et que quelques‑uns appellent son véhicule. Il est clair que ce corps, quelqu'il soit, s'il peut changer de place, n'est pas intelligible. Or, ce qui est inintelligible ne saurait se comprendre. Si ce qui échappe à l'intelligence, n'échappe pas aux sens , on peut du moins avec quelque vraisemblance l'apprécier et le connaître. Quant aux choses qui ne tombent ni sous l'intelligence ni sous les sens, il est illusoire et téméraire de vouloir s'en former une opinion. Telle est la question que nous discutons présentement, si tant est que notre discussion repose sur quelque chose. Laissons donc de côté je vous prie, une question aussi frivole, et avec l'aide de Dieu élevons-nous uniquement vers la suprême sérénité de sa nature souverainement vivante.
3. Quoique les corps, me direz‑vous peut‑être, ne puissent pas être perçus par l'intelligence, nous pouvons cependant acquérir la connaissance des choses qui appartiennent aux corps. Nous connaissons par exemple, qu'il y a des corps. C'est une chose que non‑seulement on ne saurait nier, mais qui fait plutôt partie des certitudes que des vraisemblances. Ainsi quoique les corps ne soient connus que d'une manière vraisemblable, il est cependant de toute certitude qu'il y a dans la nature des choses qu'on appelle des corps. Un corps sensible peut donc être un corps intelligible; autrement on ne pourrait pas le comprendre. Je ne sais quels sont ces corps, dont il est ici question, qui aideraient comme on le croit, l'âme à passer d'un lieu à un autre et qui non perceptibles à nos sens, le sont à des sens plus subtils et plus exquis que les nôtres. Cependant, de savoir si ces corps existent, c'est ce qui appartient à l'intelligence.
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p270 LETTRE QUATORZIÈME
4. Si vous parlez ainsi rappelez‑vous que ce que nous appelons comprendre s'opère en nous de deux manières; ou intérieurement par l'action de l'âme et de la raison, comme lorsque nous concevons l'existence de l'intelligence même, ou par l'avertissement des sens, lorsque nous comprenons qu'il y a des corps. Dans le premier cas, la connaissance se forme au fond de notre esprit à l'aide de la lumière divine qui s'applique à ce qui est au dedans; dans le second elle provient de cette même assistance céleste, qui nous éclaire sur ce qui vient du dehors et nous est affirmé par les sens. S'il en est ainsi, personne ne peut rien savoir de l'existence de ces corps avant que les sens lui en aient révélé quelque chose. Je ne sais si, parmi les êtres vivants, il s'en trouve dont les sens soient assez exquis pour cela, mais connaissant l'imperfection des nôtres, je crois avoir partaitement prouvé ce que j'avais commencé à vous dire plus haut, c'est qu'il nous est impossible de résoudre une pareille question. Pensez‑y souvent, et faites‑moi connaître le résultat de vos méditations.