Cardinal Robert Sarah et Nicolas Diat


Cardinal Robert Sarah et Nicolas Diat
Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Fayard, 2015 ; « Pluriel », 2016.
Nicolas Diat
L’homme qui ne voulait pas être pape, Albin Michel, 2014.

Pour Benoît XVI, grand ami de Dieu,
maître de silence et de prière.
Pour Mgr Raymond-Marie Tchidimbo,
ancien archevêque de Conakry,
prisonnier et victime d’une dictature sanglante.
Pour tous les chartreux inconnus
qui cherchent Dieu depuis près de mille ans.

« Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste
maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le
secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et
immuable, c’est-à-dire par Dieu lui-même. »
Blaise Pascal, Pensées
« O patois de mon village intérieur,
Doux parler de mes campagnes imaginaires,
Jargon riverain de mon fleuve invisible,
Langue de mon pays, de ma patrie spirituelle,
O verbe plus chéri que le français lui-même,
O mon silence ! Je te parle et te récite.
Je te chante mille fois pour la délectation de mon âme
Et je t’écoute retentir comme les orgues triomphales. »
Jean Mogin, Pâtures du silence

Préface
Lorsque j’ai lu, dans les années cinquante, les épîtres de saint Ignace
d’Antioche, j’ai été particulièrement frappé par un passage de sa lettre aux
Éphésiens : « Il est préférable de rester silencieux et d’être que de parler et de
n’être pas. Il est beau d’enseigner si l’on fait que ce que l’on dit. Il n’y a qu’un
seul Maître qui a dit et a fait, et les œuvres qu’il a faites dans le silence sont
dignes du Père. Celui qui possède vraiment la Parole de Jésus peut entendre Son
silence même, afin d’être parfait, afin d’œuvrer par Sa parole et être connu par le
seul fait de rester dans le silence » (15, 1-2).
Que signifie entendre le silence de Jésus et le reconnaître à son silence ? Les
Évangiles nous apprennent que Jésus a toujours vécu les nuits seul, « sur la
montagne », à prier en dialoguant avec son Père. Nous savons que sa parole
provient de cette permanence dans le silence et que c’est seulement dans ce
silence qu’elle pouvait donner du fruit. Il apparaît donc clairement que sa parole
ne peut être comprise de façon juste que si l’on pénètre dans son silence même ;
on ne peut apprendre à l’écouter qu’en demeurant dans ce silence.
Certes, pour interpréter les paroles de Jésus, il est indispensable d’avoir une
compétence linguistique qui nous apprend à comprendre le temps et le langage
de son époque. Mais, dans tous les cas, cela ne suffit pas pour saisir vraiment le
message du Seigneur dans toute sa profondeur. Celui qui, de nos jours, lit les
commentaires des Évangiles, toujours plus volumineux, est finalement déçu. Il
apprend beaucoup de choses utiles sur le passé, et découvre de nombreuses
hypothèses, lesquelles ne facilitent cependant en rien la compréhension du texte.
À la fin, on a la sensation qu’il manque quelque chose d’essentiel à cette
surabondance de mots : entrer dans le silence de Jésus d’où sa parole prend
naissance. Si nous ne réussissons pas à pénétrer dans ce silence, nous
n’écouterons sa parole que de façon superficielle et, en conséquence, nous ne la
comprendrons pas vraiment.
Toutes ces considérations ont de nouveau traversé mon âme à la lecture du
nouveau livre du cardinal Robert Sarah. Il nous enseigne le silence, et surtout à
rester en silence avec Jésus, à trouver le vrai silence intérieur. C’est justement
ainsi qu’il nous aide à comprendre d’une façon nouvelle la parole du Seigneur.
Naturellement, il ne nous parle que très peu de lui-même, mais, de temps en
temps, il nous permet de jeter un regard sur sa vie intérieure. À Nicolas Diat qui

lui demande : « Dans votre vie, avez-vous parfois considéré que les mots
devenaient trop encombrants, trop lourds, trop bruyants ? » il répond : « Dans
ma prière et dans ma vie intérieure, j’ai toujours éprouvé le besoin d’un silence
plus profond et plus complet [...] Les jours de solitude, de silence et de jeûne
absolu ont été d’un grand soutien. Ils ont été une grâce inouïe, une lente
purification et une rencontre personnelle avec Dieu [...] Les jours de solitude, de
silence et de jeûne, nourri par la seule Parole de Dieu, permettent à un homme
d’établir sa vie sur l’essentiel » (pensée 134). Dans ces lignes apparaît la source
de vie du cardinal, qui confère à sa parole une profondeur intérieure. C’est là le
fondement qui lui permet de reconnaître les dangers qui menacent de façon
continuelle la vie spirituelle, et en particulier celle des prêtres et des évêques, touchant ainsi l’Église elle-même, au sein de laquelle, à la Parole, se substitue trop souvent un verbiage où se dissout la grandeur de la Parole. Je voudrais citer une phrase qui, à elle seule, pourrait susciter un examen de conscience chez tous les évêques : « Il peut arriver qu’un prêtre bon et pieux, une fois élevé à la dignité épiscopale, tombe rapidement dans la médiocrité et le souci de réussir
dans les affaires du monde. Accablé sous le poids des fonctions dont il est
investi, agité par le souci de paraître, préoccupé de son pouvoir, de son autorité
et des nécessités matérielles de sa charge, il s’essouffle progressivement »
(pensée 15).
Le cardinal Sarah est un maître spirituel qui parle en se fondant sur une
profonde intimité avec le Seigneur dans le silence. Par cette unité avec Lui, il a
vraiment quelque chose à dire à chacun de nous.
Nous devons être reconnaissants au pape François d’avoir placé un tel maître
spirituel à la tête de la Congrégation responsable de la célébration de la liturgie
dans l’Église. La liturgie, comme l’interprétation des Saintes Écritures, nécessite une compétence spécifique. Il est également vrai, dans le domaine de la liturgie, que la connaissance du spécialiste peut négliger l’essentiel si elle n’est pas
fondée sur l’union profonde et intérieure avec l’Église orante, qui réapprend sans
cesse du Seigneur lui-même ce qu’est le culte. Avec le cardinal, un maître du
silence et de la prière intérieure, la liturgie est entre de bonnes mains.
BENOÎT XVI, pape émérite
Cité du Vatican, semaine de Pâques 2017

 

 

 

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