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CHAPITRE IX
1 . Quelques décrets du premier concile de Milève. - 2. Maximien, évêque de Bagaï, renonce volontiers à son siège pour le bien de la paix et l'avantage de l'Eglise. Son frère Castor est pressé de lui succéder. - 3. Augustin et Jérôme s'écrivent vers la fin de cette même année. - 4. Ils s'écrivent de nouveau l'année suivante.
1. Cette même année, le 27 août, se tint un concile général d'Afrique à Milève, en Numidie. Nous avons vu que l'année précédente il s'était élevé, entre Xantippe et Victorin, une contestation au sujet de la dignité de primat; Xantippe s'en était déjà paré avant les fêtes de Pâques de cette même année; car, dans une lettre qu'Augustin lui avait écrite à cette époque, il lui donne ce titre. Or, cette contestation paraît avoir été le sujet de plusieurs canons, du concile de Milève, qui ont du rapport avec cette affaire. En effet, l'évêque Valentin demanda qu'il fût réglé que les évêques seraient placés d'après l'ordre de leur sacre, ce qui n'avait pas toujours été observé parmi les évêques. Aurèle approuva cette demande et, à la prière de Xantippe, le concile décida qu'il en serait ainsi, tout en réservant le droit des primats de Numidie et de Mauritanie, qui avaient peut-être le pas sur tous les autres évêques, même plus anciens. Nous voyons du moins assez souvent le primat de Numidie signer le premier après l'évêque de Carthage. On peut croire aussi, sans trop craindre de se tromper, que l'évêque de Cirta, ou Constantine, capitale de la Numidie, a revendiqué pour lui le premier rang, car, dans la signature d'une lettre, on lit les noms d'Alype et d'Augustin après celui de Fortunat (1). Or, on ne peut douter, croyons-nous, que ce Fortunat fût l'évêque de Cirta, qui était plus jeune qu'Augustin. Le même concile décréta aussi que quiconque avait rempli une seule fois l'office de lecteur dans une église, appartenait à cette église et ne pouvait plus passer à une autre église. La cause de ce décret fut probablement le démêlé qui s'éleva entre Augustin et Sévère (2) au sujet de Timothée, et que nous avons rapporté plus haut (3).
2. Le même concile résolut d'écrire à Maximien, évêque de Bagaï, et à son peuple : à l'un, pour l'engager à se démettre de l'épiscopat; à l'autre, pour lui dire de lui élire un successeur. Il y a une lettre d'Augustin qui, comme d'autres l'ont fait observer, s'accorde parfaitement avec ce canon (4), et dans laquelle on lit que Maximien, évêque de Vagina, et son frère Castor, abjurant l'hérésie de Donat, sont revenus dans le sein de l'Église. Mais la joie que leur retour avait causée à l'Église fut troublée par un scandale que la malice du diable suscita contre Maximien. Dieu apaisa si bien ce scandale, qu'il procura à l'Eglise une joie plus grande encore que le chagrin qu'elle en avait ressenti d'abord. En effet, Maximien comprenant qu'il ne pouvait garder sa dignité épiscopale, sans agiter l'Église par une division aussi triste que pernicieuse pour les membres du Christ, déclara qu'il renonçait à sa dignité, pour ne rechercher que les avantages de Jésus-Christ, non les siens, en disant qu'il avait quitté le parti des hérétiques par un sincère désir de paix et de charité, qu'il s'humiliait en toute vérité, et que l'édifice construit dans son âme par le Christ, était assez ferme pour supporter la tempête de cette tentation sans en être ébranlé. Après sa démission, Castor, son frère, fut élu à sa place, et, pour l'empêcher de se soustraire, par la fuite, à cette dignité, les habitants de Vagina reçurent l'ordre de le retenir de force. Alype et Augustin l'exhortèrent, par lettre, à accepter l'épiscopat de Maximien, qu'ils appellent leur fils et dont ils louent beaucoup la démission volontaire. Augustin l'avait certainement présente à l'esprit lorsqu'il parlait en ces termes aux donatistes : «Plusieurs hommes d'une sainte humilité, se démirent de l'épiscopat, à cause de quelques obstacles dont ils étaient émus, avec piété et religion, ils quittèrent leur charge, non seulement sans crime, mais encore à leur louange (5).» Nous
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(1) Lettre LIII. (2) Lettre LX1H. (3) Ibid., ch. vii. (4) Lettre LXIXé (5) Contre Cresc. Il, ch. ir.
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verrons à l'année 404 les cruautés étonnantes des donatistes envers Maximien de Bagaï ou Vagaï. Baronius pensa d'abord que ce dernier était le Maximien dont nous parlons; ensuite, il reconnut qu'il y avait plusieurs évêques de ce nom sur différents sièges; son dernier sentiment peut s'appuyer sur ce qu’Augustin, en rapportant la cause particulière de la haine que les donatistes ressentaient pour Maximien, le confesseur, ne dit pas cependant qu'il eût autrefois suivi le parti de ces hérétiques, ce qui, bien certainement, eût été plus que suffisant pour les exciter contre lui.
3. En cette même année 402, si nous ne nous trompons, Augustin écrivit à Jérôme pour lui demander de vouloir bien répondre à une lettre qu'il lui avait envoyée en 397. Cette lettre, contre le gré d'Augustin, avait couru longtemps en Italie, avant de parvenir à Jérôme; quoique Augustin ne combattît qu'en termes pleins d'amitié, l'opinion de Jérôme, sur le différend de Pierre et de Paul, on prétendit communément qu'il avait fait un livre contre lui et l'avait envoyé à Rome. Le saint prélat, qui ne savait d'où venait ce bruit, assure à Jérôme qu'il n'avait pas fait ce dont on l'accusait, et qu'il ne voulait en rien encourir son mécontentement, qu'il s'estimerait, au contraire, bien heureux de pouvoir vivre avec lui, ou du moins le consulter souvent par lettre. Un sous-diacre, nommé Astère, était sur le point de partir de la Palestine pour l'Afrique, lorsque cette lettre d'Augustin arriva à Jérôme. Celui-ci lui répondit donc aussitôt par ce sous-diacre, dans les termes de la plus vive amitié, tout en laissant voir quelque mécontentement au sujet de la lettre de 397, qu'il n'était pas encore parfaitement certain qu'elle fût d'Augustin. Aussi lui demande-t-il de le renseigner le plus tôt possible sur cela.
4. Ce dont Jérôme avait chargé Astère n'arriva que longtemps après en Afrique. Mais, pendant ce temps-là, Augustin avait écrit deux lettres à Jérôme : le temps nous a enlevé la première; quant à la seconde, qui commence ainsi: « Depuis que je vous ai écrit, » elle est placée parmi ses lettres de l'année 403 (5). Il la lui fit parvenir par le diacre Cyprien, avec une copie de ses deux premières lettres, parce qu'il ignorait si elles lui étaient parvenues. Dans celle-ci il dit impunément qu'il désapprouve le dessein de Jérôme, de traduire de l'hébreu en latin les Écritures sacrées. Il lui dit qu'il s'était élevé un certain tumulte dans une église d'Afrique, à l'occasion du mot « lierre, » dont il s'était servi dans un passage de Jonas, au lieu de « courge » que les Septante avaient employé. Jérôme répondit à la lettre d'Augustin, qui nous manque à présent, une lettre qui commence ainsi : « Vous m'écrivez souvent.» Il montre dans cette lettre un peu plus d'humeur que dans celle dont il avait chargé Astère, sans cependant cesser de lui donner des marques de son amitié. Quant aux livres d'Augustin, il dit qu'il n'a entre ses mains que ses Soliloques et quelques commentaires sur les psaumes. Mais qu'il nous suffise pour le moment d'avoir effleuré leur controverse, nous la reprendrons vers la fin de l'an 404.
CHAPITRE X
1. Les donatistes irrités par la prédication de la vérité, usent de violence en maintes circonstances.
2. Augustin échappe à un péril en se trompant de route. - 3. Plusieurs catholiques reçoivent le nom de Confesseurs à cause des violences qu'ils endurent de la part des donatistes. - 4. Les évêques catholiques provoquent publiquement les évêques donatistes à une conférence. - 5. Ceux-ci refusent par orgeuil. Augustin écrit aux laïques de leur secte.
1. Nous avons vu ailleurs (2) quelle était l'histoire des maximianistes, et de quel avantage elle est pour l'Église. Nous avons vu aussi les décrets rendus par le concile de Carthage en 401 pour rechercher les pièces autographes concernant cette affaire. Il voulut aussi que des évêques (3) fussent envoyés pour exhorter les donatistes à la paix : ces délégués devaient se servir surtout de cette histoire, dont la cer-
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(t) Lettre LXXII. (2) Liv. III, eh. ix, n. 1. (3) Code des Can. dAfrique. eh. LXIX.
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titude reposait sur les actes publics, pour convaincre ces hérétiques. Ils secondèrent merveilleusement les desseins du concile; car ils répandirent cette histoire partout, avec zèle et ardeur. L'affaire était si récente et si manifeste, que les donatistes ne trouvèrent absolument rien à répliquer. Aussi plusieurs d'entre eux, sous l'empire d'un repentir salutaire et n'osant nier un fait aussi évident, abjurèrent leur erreur. Les retours à l'Eglise étaient beaucoup plus fréquents qu'auparavant, surtout dans les endroits où la cruauté des circoncellions sévissait avec moins de licence. Mais la lumière de la vérité qui éclairait les uns, augmentait l'aveuglement des autres; car ceux qui se complaisaient dans les ténèbres du mensonge, ne pouvant supposer que tout moyen de défense leur fût enlevé (1) se mirent, dit Augustin, avec plus d'audace et plus souvent que jamais, à nous empêcher de prêcher la vérité et de confondre l'erreur, en recourant, contre nous, aux violences des circoncellions ameutés en foule et pleins de fureur (2). Les évêques catholiques ne demandaient pas autre chose que la liberté de prêcher la vérité (3), afin que ceux qui le voudraient, pussent l'embrasser librement et sans aucune contrainte. Mais les hérétiques enlevaient aux évêques cette liberté et l'effrayaient par leurs violences. « Cela même alluma tellement leur haine et leur fureur que, pour laisser parler Augustin, il n'y avait, dit-il, presque aucune de nos églises qui fût à l'abri de leurs embûches, de leurs violences et de leurs brigandages publics. Il n'y avait plus de sûreté sur les chemins pour ceux qui allaient prêcher la paix et l'union, confondre leur rage et leur folie, par la force de la vérité. Non seulement les laïques et les clercs mais les évêques même se trouvaient réduits à la dure condition de taire la vérité, ou d'essuyer tout ce que la rage pouvait inspirer à ces furieux. Si on taisait la vérité, on n'en était pas quitte pour ne ramener aucun des leurs ; il fallait encore se résoudre à voir séduire plusieurs des nôtres. Si on continuait de prêcher, les dangers auxquels s'exposaient par là ceux qui étaient déjà convertis et affermis dans la religion catholique, ôtait aux faibles le courage d'embrasser la vérité (4). » Cela fut cause que, comme nous le verrons, l'année suivante, les évêques implorèrent le secours de l'empereur. Mais l'année précédente, le saint prélat se plaignait en ces termes des actes de fureur de la même secte. « Les incursions violentes de vos circoncellions, dit-il, qui, réunis en troupes furibondes agissent, sous vos ordres, n'auraient-elles pas suffi pour nous expulser de nos champs même, si nous ne vous avions pour otages dans les villes, vous qui, par crainte ou par un reste de fureur, craignez les regards publics et le blâme des honnêtes gens (5)?»
2. Nous ne devons point passer sous silence le péril que courut ce saint évêque à peu près à cette époque lorsqu'on confia à plusieurs évêques et, certainement en première ligne, à Augustin, le soin de prêcher la concorde aux schismatiques. À la prière des peuples catholiques, il les visitait souvent pour les instruire et les confirmer dans leur foi. Les circoncellions en ayant eu connaissance, prirent des armes et dressèrent des embûches au charitable prélat. Comme ils l'attendaient un jour, ainsi pourvus d'armes, dans un endroit par lequel il devait passer, et tomber lui et ses compagnons de route, entre leurs mains, une merveilleuse permission de la Providence firent que, dans une bifurcation du chemin, le guide se trompa de route, en sorte qu'ils s'écartèrent du véritable chemin. S'étant égarés, ils arrivèrent au terme du voyage par une autre route, et évitèrent ainsi l'embûche de ces furieux. Quand ensuite ils eurent connaissance du projet des donatistes, ils bénirent leur heureuse erreur et rendirent grâce à Dieu d'avoir éloigné d'eux le péril. Mais les circoncellions, au contraire, tournèrent toute leur colère, avec leur cruauté habituelle, contre les laïques ou les clercs catholiques (6). De là il advint qu'après avoir pris des informations sur l'affaire, on dressa contre eux un acte public d'accusation
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(1) ConIre Cresc. liv. ci, XLV. (2) Coíitre Crese. H-. 11r, r), Ch. XLV. (3) Lettre cv, eli. ii, n. 3. (4) Lettre CLXXXV, eh. iv, n. 18. CO,it;,, 1,"letlì'" do P("1i1-3 liV- 11y C11. LXXVIII. (6) PO~,S., Ch. XII.
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3. Les clercs d'Hippone rapportant les actes commis par les circoncellions avant les édits d'Honorius et sans doute aussi avant le concile de cette année, disent (1) : « Ils ont tendu des embûches à nos évêques dans leurs voyages, et cruellement maltraité les clercs de notre parti, infligé d'affreux traitements même aux laïques, et incendié leurs maisons (2).» Puis ils rapportent l'histoire du prêtre Restitut, si célèbre, dans Augustin. Ce Restitut, qui avait été de la secte des donatistes, était prêtre de l'Église de Victoria dans le diocèse d'Hippone; pressé par l'évidence de la vérité, il avait embrassé l'unité catholique, tout à fait librement et sans y avoir été forcé par la moindre contrainte. À cette époque, les lois par lesquelles l'empereur Honorius avait ordonné aux donatistes, de renoncer à leurs erreurs, n'étaient pas encore portées. Comme ces hérétiques ne supportaient qu'avec colère le changement de Restitut, leurs clercs et les circoncellions, l'arrachèrent de sa maison, le tinrent pendant quelque temps dans un château fort du voisinage, et, en présence d'une multitude qui n’osait s'y opposer, l'accablèrent de coups de bâtons jusqu'à ce que leur fureur fût assouvie. Ensuite, ils le roulèrent dans un fossé plein de boue, puis le couvrirent d'une natte de jonc qu'on appelle Buda. Après l'avoir exposé ainsi pendant quelque temps à la douleur des uns et aux railleries des autres, ils l'emmenèrent dans un endroit dont l'accès était interdit à tous les catholiques et ne le relâchèrent que douze jours après. Ils ne l'eussent même probablement pas relâché si leur évêque d'Hippone n'eût craint qu'on ne le citât devant les juges pour cette affaire. Augustin ne voulut point se plaindre auprès de César de ces vexations et de tant d'autres par lesquelles les donatistes tourmentaient les catholiques de son diocèse. Il s'en plaignit seulement à Proculéien, et, dans la crainte qu'il ne feignît de les ignorer, il lui remit un acte authentique du fait en lui demandant la réparation d'une injure si sanglante. La réponse de Proculéien fut mise par écrit. Mais, quel en était le sens ; nous ne l'avons vu nulle part (3). Ce qui est certain c'est qu'il ne s'occupa pas de donner satisfaction aux griefs des catholiques, et, qui plus est, qu'il s'abstint même de faire des recherches. Cette raison ayant déterminé Augustin à recommencer le même acte, Proculéien déclara dans les registres qu'il ne dirait rien de plus. Plus tard, on pouvait voir les auteurs de ce crime au nombre des prêtres qui, chaque jour, menaçaient les catholiques et les tracassaient par toute espèce de moyens. En cette occasion, Restitut mérita le titre de confesseur et, dans une autre, celui même de martyr. Mais cela n'arriva que quelques années plus tard, comme nous le dirons en son lieu (4). Du reste nous ne savons pas clairement si on doit rapporter à cette époque les violences des donatistes dont Augustin fait mention en même temps que de Restitut. Un prêtre de Caspholia était revenu librement à l'unité catholique sans y être poussé par personne. Les donatistes le persécutèrent à tel point qu'ils l'eussent égorgé si Dieu n’eût permis l'arrivée de quelques personnes pour réprimer leurs violences. Martien aussi, prêtre ou évêque d'Urga, étant revenu à la communion catholique, fut contraint de fuir pour mettre ses jours en sûreté. Leurs clercs arrêtèrent son sous-diacre et l'accablèrent d'une grêle de pierres, et le laissèrent presque pour mort : leurs maisons furent rasées pour expier leur crime (5).
4. Parmi ceux que l'erreur des donatistes tenaient enlacés, beaucoup n'avaient point la méchanceté des circoncellions, beaucoup aussi n'étaient point d'un jugement assez fort pour embrasser la vérité sur-le-champ. Cependant, ils n'en étaient pas entièrement éloignés ; mais toutes les fois qu'ils se voyaient pressé par les catholiques (6), ils répétaient que c'étaient avec leurs évêques qu'on devait traiter ces choses (7), que, pour eux, ils désiraient qu'il y eût une conférence entre les deux partis, pour décider, après avoir pesé les raisons de part et d'autre, de quel côté était la vérité. Les orthodoxes les voyant dans cette disposition d'esprit, s'effor-
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(1) EpiSt. LXXXviii, n. 6. (2) Lettre LXXXVIII, n. 6. (3) Lettre LXXXVIii, n. 6-7. (4) Lettre cxxxiii, 11. 1.
(5,1 LeUre cv. (6) Contre Cresc. liv. III, eh. XLV. (7) Contre Crese. IiV. III, Ch. XLV.
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cèrent de se concerter à ce sujet, dans le concile général de Carthage, tenu dans la basilique du second quartier, le 25 août de l'année 403, et d'aviser aux moyens les plus favorables pour réussir. Parmi eux, on comptait surtout Alype, Augustin et Possidius. Dans ce concile, après l'examen des légats, on ne voit rien qui ne concerne les donatistes. On avait fait, la veille, un discours à leur sujet, et, d'un consentement unanime, il avait été décidé que chaque évêque, soit seul, soit accompagné de l'évêque voisin, irait sommer, au nom des magistrats et des anciens de l'endroit, l'évêque donatiste, de choisir, après en avoir conféré avec ses collègues, quelques sujets parmi eux, pour déterminer avec les catholiques l'époque et le lieu d'une discussion paisible, sur le schisme, pour faire enfin disparaître, à la satisfaction générale, le schisme pénible qui divisait tous les peuples. Les catholiques donnaient ainsi une preuve de leur amour de la paix et espéraient que, si les donatistes acceptaient l'entretien, on ne pourrait leur imputer leur erreur, mais que, s'ils le refusaient, ce serait la preuve qu'ils n'avaient pas confiance dans la justice de leur cause. Ce moyen pouvait admirablement servir à détacher les peuples de leurs erreurs. Afin qu'il fût plus facile aux évêques de suivre la même marche, Aurèle prescrivit une formule dont ils se serviraient pour aborder les hérétiques. Quand on en eut donné lecture, elle fut également approuvée de tous. Elle est insérée dans le concile où on la lit encore aujourd'hui. Il y a en tête une supplique pour être présentée au magistrat de chaque ville. L'évêque catholique qui y parle dit que cet ordre lui a été donné « par l'autorité de cette très-honorable assemblée: » Elle devait être insérée dans les actes. Le concile en décrétant qu'on enverrait aux juges ou aux gouverneurs des lettres qu'il désire signées, au nom du concile, par l'évêque de Carthage, n'a point d'autre but que d'obtenir ces ordres. On a encore la supplique présentée le 13 septembre 403 au proconsul d'Afrique Septimin, au nom du concile de Carthage. Les évêques y déclarent que bien qu'ils pussent réprimer la violence des donatistes par les lois portées contre eux à ce sujet, par les empereurs, comme eux-mêmes en ont usé pour réprimer les maximianistes, ils préféraient cependant les engager avec douceur à abandonner leur schisme ou, s'ils le croient possible, à le défendre, non pas avec la cruauté des circoncellions, mais par une discussion pacifique et légitime. Ils demandent, pour ce motif, qu'il leur soit permis de se rassembler, avec le concours des magistrats, selon qu'on le croirait urgent. Septimin fit aussitôt bon accueil à cette pétition. 5. Aussi les catholiques ne manquèrent-ils pas de convoquer les donatistes à ce sujet. Mais ceux-ci repoussèrent avec dénigrement et opiniâtreté cette entrevue. « Il serait long, dit Augustin, de rapporter en quelques termes, avec quelle ruse, quelle méchanceté, et quel fiel ils le firent.» Ils montraient ouvertement un orgueil insupportable, disant qu'ils ne pouvaient, sans déshonneur, entrer en conférence avec des pécheurs. La réponse pleine d'arrogance de Primien de Carthage en fait foi. En effet, pressé de venir en conférence, il répondit : "Il n’est pas digne des fils des martyrs de se réunir avec la race des traditeurs (1). » Il donna cette réponse par écrit au magistrat de Carthage, et, par l'entremise de son diacre, aux secrétaires, ou plutôt comme parle Augustin, il ordonna de consigner sa réponse dans les actes. Nous avons vu plus haut quelques paroles tirées de cet écrit que ce même Primien envoya aux autres évêques donatistes. Ces paroles se trouvaient dans ladite réponse. Nous avons dit aussi qu'il n'est point vraisemblable qu'Augustin ait prononcé son explication du Psaume XXXVI, peu de temps avant son retour à Hippone. Revenu dans son diocèse, il s'efforça d'obtenir une entrevue de Proculéien suivant le décret du synode (2). Celui-ci répondit qu'il convoquerait une assemblée de ses partisans pour voir en commun ce qu'il y avait à faire. Il est certain que cette assemblée eut lieu, mais dans le seul but
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(1) Apr4 la conf. eh. 1, (2) Lettre LXXXVIII
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de refuser la conférence; car Proculéien, pressé de nouveau de donner son sentiment, comme il l'avait promis, répondit de manière à ôter tout espoir de voir la conférence se réunir. Il est bien clair que la réponse de Proculéien exprimait le sentiment de l'assemblée. Augustin le montre assez clairement quand il dit: «Si les loups ont tenu conseil pour décider qu'ils ne répondraient pas aux pasteurs (1). » Ces paroles sont tirées de la lettre qu'il a écrite, sans doute à cette époque, à l'occasion du refus de la conférence par les donatistes. Il l'adressa à tous les partisans du schisme. Après leur avoir démontré, dans cette lettre, la vérité de l'Église catholique, d'abord par des passages tirés de l'Écriture sainte, ensuite par les trois sentences favorables à Cécilien, puis par les crimes (4) de leur martyr Optat, qu'ils n'avaient point retranché de leur communion, et enfin par l'histoire des maximianistes et l'indulgence avec laquelle ils avaient reçu Félicien de Mustis (il ne fait pas mention de Prétextat), avec tous ceux qu'il avaient baptisés hors de leur propre Église. Il prie les donatistes laïques de presser leurs évêques de résoudre ces difficultés, quoiqu'ils ne veulent point entrer en conférence avec les évêques catholiques et de voir, dans leur refus, une preuve évidente de la faiblesse de leur cause. Cette, lettre ne parle pas des lois d'Honorius.
CHAPITRE XI
1. Crispin, à qui l'on proposait une conférence, répond par des paroles amères et des injures. - 2. Les donatistes attaquent Possidius. - 3. Alors, le défenseur de l'Eglise fait condamner Crispin à l'amende des hérétiques; Possidius convainc Crispin d'hérésie. - 4. Plus tard, les catholiques lui obtiennent la rémission de cette peine. - 5. Le concile de Carthage envoie des délégués à l'Empereur pour lui demander des lois, mais modérées, contre les hérétiques. - 6. Théase et Evase sont délégués pour cela. - 7. Cruauté des donatistes envers Maximien. - 8. Ils attaqnent aussi l'évêque Serf.
1. Pour revenir à la conférence à laquelle les catholiques devaient inviter les donatistes; Possidius, évêque de Calame en fit faire la proposition à Crispin évêque donatiste de la même ville, qui était âgé et en grande estime auprès de ses coreligionnaires. Crispin répondit à cette proposition qu'il verrait avec ses collègues ce qu'il devait faire (2). Assez longtemps après, en l'an du Christ, 404 il fit à une nouvelle invitation cette réponse qu'on lit dans les actes : « Ne crains pas les paroles du pécheur » et encore : « Prends garde à ce que tu dis devant l'imprudent, de peur qu'après l'avoir entendu il ne rie de tes sages paroles (Prov., xiii, 9). » Enfin, voici ma réponse d'après la parole d'un patriarche: Que les impies s'éloignent de moi, je ne veux pas connaître leurs voies. » Cette réponse de Crispin fit rire les savants et les ignorants. Car, tout en se vantant de ne pas craindre les paroles du pécheur, il n'osait cependant lui répondre. On voyait clairement par là ce qu'il voulait; et il ne manquait pas de gens pour faire voir l'inutilité de cette réponse, et le tort qu'elle faisait à l'auteur de ces paroles si pleines de fiel. En même temps, tout le monde vit clairement par là que la science profonde que les donatistes attribuaient à Crispin et la maturité de l'âge ne pouvaient rien contre la vérité que défendait Possidius jeune encore et inexpérimenté comme il l'était.
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(1) Lettre LXXVI. (2) Ibid., iii.
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2. Ce moyen n'ayant pas réussi, il leur fallut procéder autrement; voici la manière qui leur sembla la meilleure. Quelques jours après, Possidius partit pour Calame pour visiter la terre de Figula qui dépendait de son diocèse, afin de confirmer, dans la foi, le petit nombre de catholiques qui s'y trouvaient, et d'engager les autres à embrasser l'unité s'ils le voulaient, d'enseigner à tous la doctrine de la paix qu'il avait apprise dans le monastère et parmi les clercs d'Augustin d'où on l'avait tiré pour être évêque. Les donatistes, sous la conduite d'un autre Crispin prêtre de l'évêque de Calame et son parent, à ce qu'on disait, s'embusquèrent sur la route avec des armes comme des voleurs. Possidius était sur le point de tomber dans leurs embûches lorsque, apprenant leur dessein, il passa d'un autre côté et se rendit dans un village nommé Livet, où Crispin n'oserait rien entreprendre contre lui, ou ne pourrait réussir s'il entreprenait quelque chose, ou du moins s'il essayait quoi que ce fût, il ne pourrait le nier. Il se met donc à entourer d'hommes armés, à accabler de tous côtés d'une grêle de pierres, à envelopper de flammes la maison où Possidius s'était enfermé, et à chercher à y pénétrer par tous les côtés. Ceux qui s'y trouvaient, en voyant le péril qui les menaçait tous, si l'attaque criminelle dirigée contre cette maison réussissait, se mirent, les uns à prier Crispin, qu'ils craignaient d'irriter par leur résistance, de cesser ses attaques, les autres à éteindre le feu mis au bas de la maison. Ils l'éteignirent jusqu’à trois fois, sans quoi Possidius eût été brûlé vif avec les siens dans la maison où ils étaient. Comme Crispin n'en continuait que plus ardent et plus inexorable que jamais son entreprise, la porte finit par céder sous les coups. Les assaillants se précipitent dans l'intérieur, massacrent les animaux qu'ils trouvent au rez-de-chaussée et font descendre des étages supérieurs l'évêque Possidius, qu'ils accablent de coups et d'injures. C'est alors que Crispin lui-même s'interposa pour empêcher qu'il fût maltraité davantage, comme s'il avait cédé aux prières qui lui étaient adressées par les autres assiégés, et paraissant, dans sa colère, avoir moins souci de leurs prières que de crainte de leur déposition, dans un tel forfait. Possidius rapporte ce fait comme s'il fût arrivé à un autre, et se contente de dire que les donatistes l'ayant attaqué dans le chemin, lui avaient volé ses chevaux et ses bagages, et l'avaient accablé de coups et d'injures.
3. « Puis, continue Augustin, quand on eut connaissance de ces faits à Calame, on attendait pour voir quel châtiment l'évêque Crispin infligerait pour cela à son prêtre. Il y eut même une protestation consignée dans les registres de la ville, qui devait l'obliger par crainte et par pudeur, à exercer la vindicte ecclésiastique. Il n'en tint aucun compte et les vôtres excitèrent un tel tumulte qu'on s'attendait à les voir fermer toutes les voies à la prédication de la vérité à laquelle il leur était impossible de répondre. » Mais pour empêcher ces violences d'arrêter le cours de la paix de l'Église, suivant la marche indiquée par les lois, il obtint (peut-être du proconsul de Numidie) que l'évêque Crispin serait condamné à dix livres d'or, c'est-à-dire à la même amende que les hérétiques. Théodose avait porté contre les hérétiques, le 15 juin 392, une loi par laquelle ceux qui se feraient hérétiques ou deviendraient clercs, étaient condamnés à payer dix livres d'or; elle frappait de la même amende, le maître d'une propriété servant à leurs assemblées du consentement du propriétaire; si c'était à son insu, ou si les propriétés appartenaient au fisc, c'était le fermier qui devait payer l'amende. Augustin fait mention de cette loi en plusieurs endroits (1); outre celle-là, il y en avait encore plusieurs autres que les catholiques pouvaient invoquer contre les hérétiques. Mais, quelque justes quelles furent, la douceur des catholiques était telle qu'ils n'y recouraient point et les laissaient dormir, si on peut parler ainsi, et n'en exigeaient point l'application. Rien n'excita plus les catholiques à les remettre en vigueur que la nécessité de repousser les violences des cir-
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(1) Contre Parm. I eh. 12.
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concellions. Ils en invoquèrent donc la force, d'abord pour refouler, s'il était possible, les entreprises tyranniques d'Optat le Gildonien (4); dans la suite, ils réclamèrent leur appui contre l'évêque Crispin (2), beaucoup moins pourtant, pour obtenir le châtiment des crimes commis par ces hommes violents, que pour donner eux-mêmes la preuve de leur douceur, et pour montrer que l'Église bien loin d'usurper un pouvoir tyrannique, comme le faisaient les circoncellions, ne voulait même point se servir de celui qu'elle tenait de l'autorité civile, ainsi que les Prophètes avaient annoncé qu'il en serait un jour. Crispin ne voulut point se soumettre au jugement qui le frappait; il se présenta devant le proconsul en prétendant qu'il n'était pas le moins du monde coupable du crime d'hérésie (3). Ce n'était point l'affaire du défenseur de l'Église qui n'était, croyons-nous, que simple laïque, de prouver le contraire. Il laissa ce soin à Possidius qui dut lutter contre Crispin et prouver qu'il était en effet un hérétique. S'il ne l'avait fait, il était à craindre que son impunité ne devînt une pierre d'achoppement pour les faibles et qu'il n'y eût un grand péril pour les fidèles ignorants qu'il ne fût point convaincu d'être un hérétique (4). Augustin, qui n'était pas éloigné, fit tout ce qu'il put pour amener les deux évêques de Calame à avoir une conférence ensemble. Ils en eurent en effet trois pendant lesquelles ils traitèrent de la différence des communions qui séparait les donatistes de l'Église catholique. Une foule de gens, à Carthage, et dans touf le reste de l'Afrique, attendait l'issue de cette lutte. Bref, il ne fut pas difficile à Possidius de convaincre Crispin d'hérésie et de le faire déclarer hérétique par le proconsul dans une sentence écrite.
4. Mais telle fut la douceur de Possidius, qu'il usa de tout son crédit auprès du proconsul, pour faire dispenser Crispin du payement de l'amende des dix livres d'or, ce qu'il finit en effet par obtenir (5). Quelque mitigé que fut ce jugement qui le condamnait, Crispin ne voulut point s'y soumettre, et porta l'excès de son mauvais vouloir jusqu'à en appeler à l'empereur même. On disait que cela déplaisait aux autres évêques donatistes et ce n'était pas sans raison, d'autant plus qu'il ne pouvait en résulter rien de bon pour eux. L'appel fut reçu et l'empereur répondit que les donatistes, en quelque lien qu'ils se trouvassent, devaient être frappés de l'amende de dix livres d'or selon la disposition des lois portées contre les hérétiques et qu'on devait leur appliquer. Bien plus, non seulement Crispin fut condamné à payer les dix livres d'or d'amende dont il avait été frappé par le premier juge, mais encore la sentence impériale condamna à une amende semblable le juge qui lui avait remis sa peine, et le ministère public, c'est-à-dire tous les gens de justice qui étaient intervenus dans cette affaire. Voilà comme Crispin aima mieux faire retomber le péril qui ne menaçait que lui d'abord et qu'il ne pouvait écarter de sa personne par aucun moyen, sur toute la secte des donatistes, que de sévir, au moins en le déposant, sur son prêtre qui s'était rendu coupable d'un pareil forfait (6). Néanmoins les Évêques catholiques, et surtout Augustin se mirent en devoir d'obtenir de l'empereur la remise de cette amende dont ils firent même décharger Crispin. Cette indulgence des Évêques ramena beaucoup d'égarés à l'Église. Mais Augustin remportait toujours la première palme, dans tout ce qui se faisait pour amener la conciliation des esprits et assurer la paix : en cela il ne cédait le premier rang à personne. C'est ainsi qu'il enrichissait tous les jours davantage la couronne de justice que Dieu lui réservait dans les cieux.
5. Après l'histoire de Crispin, Augustin place l'envoi à l'empereur des délégués du concile qui se tint à Carthage, le 26 juin 404, dans la basilique du second quartier. À cette époque, l'Église avait beaucoup à souffrir; car les donatistes qui ne pouvaient supporter de se voir si souvent invités à des conférences, sans avoir
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(1) Contre la leitre de Petil. liv. Il. (2) ibid., liv. 111. (3) PoSsiD., eh. xii, et Contre la lettre de Pétil. liv. III . (4) Ibid., liv. III, ch. xii. (5) Lettre cv, n. 4. et contre Creycon., liv, 111, ch. XLVIII, et POSS.,. ch. xii. (6) Ibid,, ch. xi,viii.
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jamais trouvé un mot de réponse à faire, entreprirent de s'en venger par des actes d'une cruauté inouïe. Cependant, il y en avait un certain nombre parmi eux qui avaient ces violences en horreur, et qui se croyaient exempts de toute faute, parce qu'ils les désavouaient. Les catholiques leur répondaient sur ce point, que s'ils croyaient pouvoir être innocents des crimes commis dans leur communion, il ne leur était point permis de dire que l'Église entière était souillée par les crimes faux ou véritables de Cécilien. Ce raisonnement en ébranlait un certain nombre, et en portait quelques-uns à renoncer au schisme et à s'exposer à tous les mauvais traitements qu'ils pouvaient craindre de la part des circoncellions. Mais la plupart de ceux qui avaient le désir de rentrer dans l'unité catholique, n'osaient braver la colère de ces hommes perdus, en voyant à quels affreux tourments ils avaient soumis quelques-uns de ceux qui avaient abandonné leur schisme. En de telles conjonctures, les évêques catholiques auraient fait preuve d'une indulgence coupable plutôt que d'une louable sagesse, s'ils avaient mieux aimé souffrir une pareille oppression que de recourir à l'assistance de l'empereur et d'invoquer son concours pour la défense de l'Église dont ils sont les enfants, afin que, sous son règne, il ne fût point permis aux méchants d'effrayer les faibles, et de les contraindre par la peur à ce qu'ils n'auraient jamais pu les amener par la conviction et le raisonnement. La plupart des évêques, surtout les plus avancés en âge, étaient d'avis de solliciter des lois pour contraindre les donatistes à embrasser la communion catholique. Ils citaient l'exemple de plusieurs villes et de plusieurs endroits que la crainte des lois des empereurs avait contraints à embrasser la foi catholique, que, dans la suite, ils avaient conservée avec la plus grande constance et la plus entière sincérité. Ils citaient, en particulier, la ville de Tagaste qui, après avoir été tout entière donatiste, avait renoncé à ses erreurs, sous l'impression de la crainte que lui inspiraient les lois des empereurs et qui depuis qu'elle avait « embrassé la foi, était animée contre les donatistes d’une aversion qu'on n'aurait jamais cru qu'elle en avait autrefois partagé les erreurs. On citait à dessein, à Augustin, l'exemple de sa ville natale, pour l'amener plus facilement au sentiment des autres; car, dans le principe, il n'était pas d'avis qu'on dût contraindre personne par la violence, à embrasser l'unité du Christ. Il pensait qu'on ne devait agir que par la discussion, le raisonnement et la persuasion, de peur que ceux qui étaient auparavant des hérétiques connus et déclarés ne fussent catholiques qu'en apparence dans l'Église. Mais, vaincu par les exemples qu'on lui citait et par les raisons qu'on lui donnait, il finit par se ranger à l'avis de ses collègues, tout en pensant toujours qu'il était préférable de recourir à des moyens plus doux. « Je croyais, ainsi que certains de mes frères, que quelle que fût la rage des donatistes, on ne devait point demander aux empereurs contre cette hérésie, des lois spéciales pour l'abolir, en édictant des peines contre tous ceux qui l'embrasseraient ; mais qu'il fallait se contenter d'en obtenir qui missent à couvert de la fureur de ces gens, ceux qui prêcheraient la vérité catholique et qui l'établiraient ou par leurs discours ou par la lecture des saintes Écritures. Il nous semblait que, pour atteindre ce but, il suffisait de confirmer les lois du pieux empereur Théodose, d'heureuse mémoire, contre toutes espèces d'hérétiques, frappant tous les évêques et clercs des communions hérétiques, en quelque lieu qu'ils soient d'une amende de dix livres d'or, et de déclarer qu'elles étaient aussi applicables aux donatistes quoiqu'ils prétendissent n'être pas des hérétiques. Notre pensée n'était pas néanmoins que tous les donatistes indifféremment dussent subir cette peine, mais seulement ceux des lieux où l'Église catholique aurait souffert quelque violence de leurs clercs, de leur circoncellions, ou de qui que ce fût de leur communion. Les magistrats, sur la plainte des catholiques maltraités, devaient soumettre leurs évêques et leurs autres ministres à l'amende. Car nous espérions que si cette crainte les retenait et ne leur permettait point d'oser se laisser aller à leurs précédents excès, chacun aurait
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une entière liberté d'enseigner ou d'embrasser la vérité catholique, et que personne n'y étant contraint et ne s'y rangeant que de son plein gré, nous n'aurions point de catholiques qui ne le fussent sincèrement et de bonne foi (1). » Dans ce concile, l'opinion des autres évêques l'emporta, et, on décréta, que des délégués iraient à la cour demander une loi en faveur de l'Église. Il existait une autre loi qui enlevait aux hérétiques la faculté de tester, de faire des donations, ou de recevoir quelque chose, même à titre de donation ou de testament. D'après cette loi qui manque aujourd'hui dans le code, l'empereur avait cassé, par un édit ou il parle de la fureur des circoncellions, le testament d'une femme donatiste. Le synode de Carthage résolut de demander à l'empereur la confirmation de cette loi, avec cette réserve toutefois, qu'elle ne serait appliquée que contre les obstinés partisans du schisme (2) ; quant à ceux qui reviendraient à l'Église, il leur serait permis de recevoir ce qui leur avait été donné avant qu'il fussent réconciliés, pourvu qu'ils fussent revenus à l'unité catholique, avant tout procès intenté au sujet des biens qu'ils revendiquaient. Car, alors ce serait plutôt un avantage terrestre que la crainte de Dieu qui les guiderait. Le concile crut à propos de demander que les magistrats des villes et ceux à qui appartenaient les propriétés voisines, défendissent l'Église contre la fureur des circoncellions, assez connue des empereurs et souvent condamnée par les lois ; et de demander la même chose aux préfets des provinces, en attendant que les délégués fussent de retour.
6. Les délégués étaient les évêques Théase et Evase. Dans la conférence de Carthage, il est fait mention d'un certain Théase évêque de Memblosica dans l'Afrique proconsulaire. Quant à Evase c'est peut-être le même que l'évêque d'Uzales qui parle de Théase dans une lettre à Augustin, l'appelle un vieillard et fait entendre qu'il vit dans un monastère (3). Pétilien se déchaîne contre eux en ces termes. « Ce sont ceux qu'ils envoient comme avant-coureurs et comme navigateurs ; ces messagers de leur fureur ont soif de sang, appellent les proscriptions, répandent partout la crainte, multiplient les périls et les misères dans les provinces. » Ces deux évêques obtinrent le titre de confesseurs à cause des persécutions qu'ils endurèrent pour la foi en 408. Nous avons encore aujourd'hui les ordres qu'ils avaient reçus du concile pour ce message, dans lesquels était indiqué, ce que, de l'avis unanime des pères, il fallait demander à l'empereur. Cependant, on leur laissait la liberté entière de demander en plus, tout ce qu'ils jugeraient à propos pour le bien de l'Église. Ils trouvèrent bon aussi de les recommander, par lettres, à l'évêque de Rome et à ceux des lieux où l'empereur pourrait alors se trouver. On leur confia encore d'autres lettres pour l'empereur et pour ses principaux ministres, demandant qu'il soit ajouté foi aux mandats du synode. Elles étaient signées par Aurèle seulement, au nom de tous les autres évêques. Ces lettres furent certainement dictées par Augustin, car Possidius les classe toutes les quatre parmi les lettres de ce prélat. Elles étaient adressées à l'évêque Innocent, aux empereurs, à Stilicon et aux préfets d'Italie. Mais il ne nous reste aucune de ces lettres. Nous avons vu plus haut les conseils donnés à l'Église d'Afrique par la douceur d'Augustin (4) : « Mais Dieu, dont la miséricorde prévenait nos propres désirs, sachant combien le remède amer mais salutaire de la terreur des lois était nécessaire à plusieurs esprits paresseux et opiniâtres, et qu'il y a une dureté qui résiste aux paroles et aux remontrances, mais dont un peu de sévérité vient à bout, ne permit pas que nos envoyés réussissent. Car l'empereur avait déjà reçu des plaintes graves de quelques évêques à qui les donatistes avaient fait de grands maux, jusqu'à les chasser de leurs Églises. Mais ce qui avait fait le plus d'impression et qui mettait nos députés hors d'état d'accomplir leur dessein, c'était l'assassinat horrible de Maximien, évêque catholique de Ba-
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(1) Lettre cLxxxv,'ch. vit, n. 25. (2) Code des Can. d'Afrique, can. xciii. (3) Conf., de Carth. 36, ch. CXLI. (4) Lettre CLXIXV, eh. xvi, n. 26.
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gai. Cet évêque s'était attiré la haine des donatistes pour s'être fait rendre, par un jugement contradictoire obtenu contre eux, une église dont ils s'étaient emparés par violence, bien qu'elle appartînt aux catholiques. Fort de son bon droit évident, il était en possession de cette église et, comme il était à l'autel, les donatistes se précipitèrent dans l'église avec un bruit terrible, et, pleins de fureur, ils le frappèrent cruellement avec les débris de l'autel qu'ils avaient brisé sur lui, car il s'était réfugié dessous. Quelques-uns le frappèrent à coups de bâton et de barres de fer, avec une telle cruauté qu'ils remplirent cet endroit de sang. Il avait reçu un coup de poignard dans l'aine d'où le sang coulait à flots : il en serait bientôt mort, si la miséricorde cachée de Dieu n'avait fait servir l'excès de leur cruauté à son bien ; car tandis qu'ils le traînaient par terre à demi mort, l'endroit de sa blessure, s'étant découvert, la poussière forma avec le sang comme un ciment qui en arrêta l'écoulement. Puis, comme les nôtres essayaient de l'emporter au chant des psaumes, lorsqu'ils le virent abandonné par ses cruels ennemis, ceux-ci, enflammés d'une nouvelle colère, l'arrachèrent de leurs mains après avoir maltraité et mis en fuite tous les catholiques présents, que leurs cruautés remplirent d'épouvante. Les donatistes, l'ayant ainsi arraché de leurs mains et maltraité de nouveau, le transportèrent au sommet d'une tour élevée et, le croyant mort, bien qu'il fut encore en vie, ils le précipitèrent en bas, pendant la nuit. Il tomba sur un tas de fumier qui amortit la violence de sa chute, mais il avait perdu connaissance et respirait à peine. Un pauvre qui passait par là, s'étant détourné vers cet endroit, pour satisfaire à un besoin naturel l'aperçut, il alla chercher sa femme qui était demeurée à l'écart; ils le reconnurent grâce à la lueur d'une lanterne que cette femme tenait. Ils l'emportèrent dans leur maison par un sentiment de pitié ou par une lueur d'espérance, pour le montrer aux nôtres soit qu'il fût vivant soit qu'il fût mort. Bref, à force de soins, son état désespéré s'améliora, et après un temps assez long, il guérit. La renommée l'avait fait passer pour mort dans les pays d'outre-mer et la scélératesse jointe à l'indignité inouïe de ce crime, avait frappé, d'une profonde horreur, tous ceux qui en eurent connaissance. Lorsqu'ensuite on le revit en vie et en santé, la profondeur et le nombre de ses cicatrices encore vives, firent voir que ce n'était pas sans raison qu'on l'avait cru mort. Ceux qui le revoyaient vivant pouvaient à peine en croire leurs yeux: on comprend que le bruit de sa mort ait pu se répandre. Il implora le secours de l'empereur chrétien, moins pour se venger que pour défendre l'église confiée à ses soins. S'il ne l'eût pas fait il n'eût pas tant montré une louable patience qu'une négligence coupable. On voit, par les paroles d'Augustin, qu'il alla trouver l'empereur à Rome (1) : les lois portées au mois de février 405 pour ce motif, furent rendues à Ravenne. Un an, même deux ans après, quand notre saint docteur écrivait contre Cresconius, cet évêque était encore vivant et son corps conservait les cicatrices de blessures plus nombreuses que ses membres. On ne trouve point son nom dans la conférence de Carthage, mais dans le martyrologe romain on le place au 3 octobre.
8. Arrivé à la cour, cet évêque y trouva un grand nombre de personnes qui s'y étaient réfugiées pour le même motif que lui, ou pour avoir été traitées par les donatistes, d'une façon qui nétait pas beaucoup moins cruelle. Parmi elles, était l'évêque de Tubursicabure, ou en un seul mot, Tubursicabure, qui semble avoir été une ville de l'Afrique proconsulaire. Cet évêque se nommait Serf ou Serf-Dieu. Il assista, en 411 (2), à la conférence de Carthage. Il réclamait un siège occupé par les donatistes, dont l'évêque, un certain Donat, s'était emparé, sans doute après la condamnation de Cyprien pour ses crimes. Pendant que ces deux évêques se disputaient ce siège et que les procureurs attendaient le rapport du proconsul, les donatistes se précipitèrent à l'improviste, les armes à
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(1) Lettre -LXKXVIII, n. 7, ~,2) C0,21, e Cresc. ili, eh. XLI11
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la main, sur Serf, dans la ville de Tubursicabure, et il eut grand'peine à s'échapper vivant de leurs mains (1). Son père, nommé Presbyter, homme respectable par son âge et ses mœurs, fut si vivement impressionné de ces violences, qu'il en mourut sept jours après. Nous dirons, à la date de l'année suivante, les lois que les donatistes, par leurs crimes sans nombre, contraignirent l'empereur à porter contre eux.