Daras tome 27
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p417 LIVRE XII. ‑ CHAPITRE II
LIVRE DOUZIÈME
Après avoir commencé par établir une distinction entre la science et la sagesse, saint Augustin montre dans ce qu'on entend proprement par science une sorte de trinité d'un ordre inférieur, sans doute, mais propre à la science; bien qu'elle se rapporte déjà à l'homme intérieur, cependant on ne doit point encore la regarder ni l’appeler image de Dieu.
CHAPITRE PREMIER.
De l'homme extérieur et de l'homme intérieur.
1. Voyons maintenant où se trouve une sorte de démarcation entre l'homme extérieur et l'homme intérieur. Tout ce que nous avons dans l'âme de commun avec la bête est rapporté, avec juste raison, à l'homme extérieur. En effet, tout l'homme extérieur ne se trouve point uniquement dans le corps, mais il faut y ajouter encore une certaine vie vivifiant l'ensemble du corps et tous les sens dont l'homme est pourvu pour sentir les choses extérieures; quand les images de ces choses que les sens ont perçes et qui sont fixées dans la mémoire, repassent devant nos yeux par le souvenir, ce qui a lieu alors se rapporte encore à l'homme extérieur. Or, dans toutes ces choses, nous ne différons des animaux que parce que par la forme de notre corps, nous ne sommes point penchés vers la terre, mais nous nous tenons droits. Par là celui qui nous a faits nous avertit de ne point ressembler aux animaux, par la meilleure partie de nous‑mêmes, je veux dire, par notre âme, quand nous en différons tellement par le port de notre corps; et de ne point jeter notre âme dans les ehoses même sublimes du corps, attendu que rechercher le repos de la volonté dans ces choses, c'est encore abaisser l'âme. Mais comme le corps est naturellement élevé vers les choses élevées parmi les corps, je veux dire vers les choses célestes, ainsi l'âme qui est une substance spirituelle doit s'élever vers les choses élevées parmi les choses spirituelles, non point par un mouvement d'orgueil, mais un pieux sentiment de justice.
CHAPITRE II
De tous les êtres animés, l’homme seul percoit les raisons éternelles des objets corporels.
2. Les bêtes peuvent aussi percevoir par les sens du corps les objets corporels placés hors d'eux, se les rappeler après les avoir fixés dans leur mémoire, et, parmi eux, rechercher ceux qui leur plaisent et fuir ceux qui leur déplaisent ;
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quant à les noter, les retenir non‑seulement après les avoir trouvés dans la nature, mais encore après les avoir à dessein confiés à la mémoire, les y imprimer de nouveau par la pensée et le souvenir quand ils tombent dans l'oubli, en sorte que de même que la pensée se forme de ce que la mémoire porte dans son sein, ainsi ce qui se trouve déjà gravé dans la mémoire s'y fortifie par la pensée; composer aussi et considérer des visions feintes en prenant ici et là et en cousant ensemble en quelque sorte des souvenirs puisés à cette source, de la même manière que dans ces sortes de conceptions, le vraisemblable se distingue du vrai, non-seulement en choses spirituelles, mais aussi en choses corporelles; tout cela, dis‑je, et tout ce qui est du même genre, bien que se trouvant et se passant dans les choses sensibles et dans celles que l’âme en tire par le moyen des sens du corps, n'est pourtant point étranger à la raison, ni commun aux bêtes et aux hommes. Mais il est d'une raison plus élevée de juger de ces choses corporelles selon des raisons incorporelles et éternelles. Si ces raisons n'étaient point au‑dessus de l'âme de l'homme, elles ne seraient certainement point immuables, et s'il ne s'y ajoutait quelque chose de nous, nous ne pourrions point juger des choses corporelles d'après elles. Or, nous jugeons des choses corporelles d'après le rapport des dimensions et des figures, rapport que l'esprit sait immuable.
CHAPITRE III.
C'est dans un seul et même esprit que se trouvent la raison supérieure faite pour la contemplation et la raison inférieure faite pour l'action.
3. Quant à ce quelque chose de nous qui se trouve dans l'action des choses corporelles et temporelles dont nous avons à traiter, et qui est tel qu'il ne nous est point commun avec les bêtes, c'est assurément quelque chose de raisonnable, mais appartenant à cette substance raisonnable de notre esprit par laquelle nous sommes placés sous la vérité intelligible et immuable, comme produits et destinés pour faire et gouverner les choses inférieures. Car de même que dans tous les animaux, il ne s'est point trouvé pour l'homme d'autre aide semblable à lui, que celui qui ayant été tiré de lui lui fut donné pour femme; ainsi notre esprit par lequel nous discutons la vérité d'en haut et intérieure, n'a pour l'usage des choses corporelles, en ce qui est de la nature humaine, aucun aide semblable à lui dans les parties de l'âme que nous avons de communes avec les bêtes. Aussi ce quelque chose de raisonnable qui est en nous et qui n'est point séparé pour
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faire divorce avec l'unité, mais qui est comme dérivé pour venir en aide de la société, se partage pour l'accomplissement de son œuvre. Et de même qu'il n'y a plus qu'une seule chair formée de deux chairs dans l'union de l'homme et de la femme, ainsi n'y a‑t‑il qu'une seule nature de l'esprit qui embrasse soit notre intelligence et notre action, soit notre conseil et notre exécution, soit notre raison et notre appétit raisonnable, soit ce qu'on pourrait désigner d'une manière plus précise, d'une tout autre manière; en sorte que de même que de l'homme et de la femme il a été dit: « Ils seront deux en une seule chair, » (Gen., II, 24) ainsi il puisse être dit également des deux fonctions de l'âme dont nous parlons : elles sont deux dans une seule âme.
CHAPITRE IV.
La trinité et l’image de Dieu ne se trouvent que dans cette effigie de l’âme qui a rapport à la contemplation des choses éternelles.
4. Quand nous parlons de la nature de l'esprit humain, nous ne parlons que d'une seule chose, et nous n'en faisons deux choses, pour les deux fonctions dont j'ai parlé plus haut, que par les offices qu'elle remplit. Aussi lorsque nous cherchons la trinité en elle, c'est dans l'âme tout entière que nous la cherchons, sans séparer son action raisonnable dans les choses temporelles de sa contemplation des choses éternelles, de manière à chercher un troisième terme pour compléter la trinité. Mais il faut trouver la trinité dans la nature tout entière de l'âme, de manière que si l'action des choses temporelles, pour laquelle il faille un aide qui ne puisse se trouver que dans une sorte de dérivé de l'âme propre à administrer ces choses inférieures, fait défaut, nulle part on ne puisse trouver une trinité dans une âme divisée, et, supposé déjà fait le partage dont nous avons parlé, qu'on ne trouve non‑seulement la trinité, mais encore l'image de Dieu dans ce quelque chose qui a rapport à la contemplation des choses éternelles. Pour ce qui est de la partie de l'âme dérivée dans l'action des choses temporelles, quand même on pourrait y trouver une trinité, on ne saurait du moins y trouver une image de Dieu.
CHAPITRE V.
Il y a une opinion qui trouve une image de la Trinite dans l'union de l'homme et de la femme et dans le fruit de cette union.
5. Aussi ceux qui pensent qu'on peut trouver une trinité image de Dieu en trois personnes pour ce qui a rapport à la nature humaine, dans l'union de l'homme et de la femme et dans le fruit qui naît de cette union, ne me semblent pas avoir une pensée acceptable. Dans cette
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opinion, l'homme rappellerait la personne du Père, ce qui sort de lui pour naître rappellerait la personne du Fils, la femme rappellerait ainsi la troisième personne, celle du Saint-Esprit, attendu qu'elle procède de l'homme dont elle n'est ni le fils ni la fille (Gen., II, 2‑9), et que de sa conception naît le fruit de leur union. Or, le Seigneur a dit en parlant du Saint‑Esprit, qu'il procède du Père, et cependant il n'est point le Fils. Dans cette opinion erronée, il n'y a qu'une chose de présentée d'une manière acceptable, c'est que, par l'origine de la femme, quand elle a été faite, il est assez clairement démontré selon la foi de la sainte Ecriture, que tout ce qui vient d'une personne et fait une autre personne ne peut point être appelé fils, puisque c'est de la personne de l'homme que vient celle de la femme, et que pourtant la femme n'est point appelée fille de l'homme. Le reste est tellement absurde, et même tellement faux, qu'il est de la plus grande facilité de le réfuter. En effet, je ne veux point faire ressortir ce qu'il y a de choquant dans la pensée qui fait du Saint‑Esprit la mère du Fils de Dieu et l'épouse du Père; car on pourrait peut‑être répondre que cette idée ne présente quelque chose de choquant que dans les choses charnelles où il ne s'agit que de çonceptions et d'enfantements charnels. Il est vrai que ces pensées peuvent être fort chastes elles-mêmes pour les âmes pures à qui tout est pur (Tit., I, 15), tandis que pour les hommes impurs et infidèles dont l'âme et la conscience sont souillées, il y a une telle impureté en toutes choses, que plusieurs parmi eux sont choqués à la pensée d'un Christ né d'une vierge selon la chair. Mais dans les choses spirituelles et élevées, où il n'y a rien de corruptible et d'altérable, rien de né dans le temps, ni de formé d'un être informe, s'il arrive qu'on parle de quelque chose de semblable, à l'image de quoi les créatures inférieures ont pu être faites, bien qu'à une distance très‑considérable, cela ne doit point troubler la pureté et la prudence de qui que ce soit au point de le faire tomber dans une pernicieuse erreur, sous prétexte d'éviter une vaine horreur. Il faut s'habituer dans les choses corporelles à si bien retrouver la trace des choses spirituelles, que lorsqu'on se met ensuite à monter de nouveau, sous la conduite de la raison, pour arriver jusqu'à l'immuable vérité par qui toutes ces choses ont été faites, on n'y traine point avec soi, jusque vers ces hauteurs, ce qu'on méprise dans les bas fonds des choses corporelles. Et, en effet, on n'a point rougi de prendre la sagesse pour épouse quoique le nom d'épouse rappelle à la pensée le souvenir d'un commerce corruptible dans la procréation des
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enfants, peut‑être bien après tout, la sagesse est‑elle femme elle‑même par le sexe, puisque tant en grec qu'en latin, elle a un nom du genre féminin.
CHAPITRE VI.
Pourquoi doit‑on rejeter cette opinion ?
6. Nous ne faisons donc point difficulté d'accepter cette opinion, parce que nous n'osons penser que la sainte, inviolable et immuable charité, qui tire son être de Dieu, bien qu'elle ne le tire pas à la manière dont un fils le tire de son père, est l'épouse de Dieu le Père, pour enfanter le Verbe par qui tout a été fait; mais nous la rejetons, parce que la divine Ecriture nous en montre la fausseté avec évidence. En effet, Dieu a dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » (Gen., I, 26.) Un peu plus loin il est dit : « Et Dieu fit l'homme à l'image de Dieu. » (Ibid., 27.) Certainement le mot «notre » qui ne s'emploie que pour un pluriel, ne serait point exact, si l'homme n'était fait qu'à l'image de l'une des personnes divines, soit du Père, soit du Fils, soit du Saint‑Esprit; mais comme il était fait à l'image de la Trinité, il est dit : « A notre image. » Mais de peur qu'on ne pensât qu'il fallait croire trois dieux, tandis que la même Trinité ne fait qu'un seul et même Dieu, il est dit: « Et Dieu fit l'homme à l'image de Dieu, » comme s'il était dit : il le fit à son image.
7. Car, dans les saintes lettres, ces manières de parler sont usitées, et quelques auteurs, tout en professant la foi catholique, les entendent avec si peu de soin et de réflexion qu'ils prennent ces paroles : « Dieu fit l'homme à l'image de Dieu, » comme s'il y avait: Le Père fit à l'image du Fils. Ils veulent ainsi prouver que le Fils est également appelé Dieu dans les Ecritures saintes, comme s'il manquait d'autres textes très‑vrais et très‑clairs où le Fils non‑seulement est appelé Dieu, mais encore vrai Dieu. Et en voulant par ce texte résoudre une autre difficulté, ils s'embarrassent tellement eux‑mêmes qu'ils ne peuvent plus se dégager. En effet, si le Père a fait l'homme à l'image du Fils, en sorte que l'homme ne soit point l'image du Père, mais seulement du Fils, le Fils n'est donc point semblable au Père. Mais si la foi et la piété enseignent, comme elles le font en effet, que le Fils est semblable au Père d'une égalité d'essence, il s'ensuit nécessairement que ce qui est fait à l'image du Fils l’est également à celle du Père. D'ailleurs, si ce n'est point à son image mais à celle du Fils, que le Père a fait l'homme, pourquoi ne dit‑il point: « Faisons l'homme à votre image et à votre
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ressemblance, » mais, «à notre ressemblance,» si ce n'est parce que c'était l'image de la Trinité qui s'opérait dans l'homme, en sorte que l'homme fût l'image du seul vrai Dieu, puisque la Trinité même n'est autre chose que le seul vrai Dieu? Il y a des locutions pareilles en quantité innombrable dans les Ecritures, mais il suffira de celles que nous allons citer. Il est dit dans les Psaumes: «Le salut vient du Seigneur; c'est vous, mon Dieu, qui bénissez votre peuple; » (Ps. III, 9) comme si ces paroles ne s'adressaient point au Seigneur, mais à un autre Dieu que celui de qui il était dit : « Le salut vient du Seigneur. » Ailleurs encore on lit: « C'est par vous que je serai délivré de la tentation et c'est par mon Dieu que, plein d'espérance, je passerai à travers le mur, » (Ps. XVII, 30) comme si c'était à un autre que le prophète eût dit : « C'est par vous que je serai délivré de la tentation. » Dans un autre endroit il est dit : « Les peuples tomberont à vos pieds, car vos flèches sont dans le cœur des ennemis du Roi; » (Ps. XLIV, 6) c'est comme s'il y avait, dans le cœur de vos ennemis. En effet, celui à qui il disait : « Les peuples tomberont à vos pieds, » c'est Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, le même qu'il voulait faire entendre par ces mots : « dans le cœur des ennemis du Roi.» Ces locutions sont plus rares dans les écrits du Nouveau Testament. Cependant l’Apôtre, dans son Epître aux Romains, dit : «Touchant son Fils qui lui est né, selon la chair, du sang de David, qui a été prédestiné pour être Fils de Dieu par sa puissance, selon l'Esprit de sanctification et par la résurrection des morts de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ,» (Rom., I, 3) et s'exprime là comme s'il avait parlé d'un autre plus haut. Qu'est‑ce en effet que ce Fils de Dieu prédestiné par la résurrection des morts de Jésus‑Christ, sinon ce même Jésus‑Christ prédestiné pour être le Fils de Dieu par sa puissance? Par conséquent, de même que dans cet endroit quand nous entendons ces mots: «Le Fils de Dieu par la vertu de Jésus‑Christ, » ou ceux‑ci : « Le Fils de Dieu selon l'esprit de sanctification de Jésus‑Christ, » ou enfin ceux‑ci : « Le Fils de Dieu par la résurrection des morts de Jésus‑Christ, » quand il aurait pu dire, d'une manière plus usitée, par sa vertu, ou selon l'Esprit de sanctification, ou par la résurrection de ses morts, ou par sa résurrection à lui; nous ne sommes point forcés de croire qu'il s'agit d'une autre personne, mais que c'est de la même personne, c'est‑à‑dire de la personne de Jésus‑Christ Notre‑Seigneur, la Fils de Dieu, qu'il est question. De même quand nous entendons ces mots: « Dieu a fait l'homme à l'image de Dieu, » (Gen., I, 27) bien que l'auteur sacré aurait pu dire, dans une manière de parler plus usitée, à son image, cependant nous ne sommes point forcés de penser qu'il s'agit d'une autre personne de la Trinité, mais bien
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qu’il n'est question que de la Trinité même qui est un seul Dieu et à l'image de qui l'homme a été créé.
8. Puisqu'il en est ainsi, si nous prenons cette même image de la Trinité, non dans un seul homme, mais dans trois hommes qui seraient le père, la mère et le fils, il s'ensuit que l'homme n'a point été fait à l'image de Dieu avant qu'il eût une femme et que, par leur union, ils se fussent donné un fils, puisqu'il n’y eut trinité qu'à ce moment‑là. Peut‑être dira‑t‑on : Il y avait déjà trinité alors, attendu que si ce n'était point encore dans sa propre forme que la femme existait, cependant déjà par la nature de son origine elle était dans le côté de l'homme, et le fils se trouvait dans ses organes génitaux. Pourquoi donc après avoir dit : « Dieu fit l'homme à l'image de Dieu, » (Gen., I, 27) l'Ecriture poursuit‑elle en ces, termes: « Dieu le fit, et il les fit mâle et femelle, et il les bénit? » Ou bien pourquoi parle‑t‑elle ainsi, s'il faut admettre cette distinction dans ces paroles : «Et Dieu fit l'homme, » puis ajouter ensuite : « Il le fit à l'image de Dieu, » et y revenir une troisième fois en disant: «Il les fit mâle et femelle, » car il y en a qui ont craint de dire : Il le fit mâle et femelle, de peur de donner à entendre quelque chose de monstrueux, tel que les êtres qu'on appelle hermaphrodites, bien qu'on eût pu comprendre sans se tromper qu'il était question de l'un et de l'autre, au singulier, dans le même sens qu'il a été dit : «Ils seront deux dans une seule chair. » Pourquoi donc, comme j'avais commencé à le dire, l'Ecriture, en parlant de la nature de l'homme faite à l'image de Dieu, ne fait‑elle mention que du mâle et de la femelle? Car pour compléter l'image de la Trinité, elle aurait dû ajouter le fils, bien qu'à cette époque, il ne se trouvât encore que dans les organes génitaux de son père, de même que la femme n'existait encore que dans son côté. Est‑ce que par hasard la femme était déjà faite, et l'Ecriture avait‑elle embrassé dans une courte expression ce qu'elle devait expliquer avec plus de soin en disant plus tard comment il avait été fait; et n'aurait‑elle point pu parler du fils parce qu'il n'était pas encore né; comme si le Saint‑Esprit n'avait pu embrasser cela dans la même expression, quitte pour dire plus loin que le fils était né, de même qu'il raconta, en son lieu, après coup, comment la femme avait été tirée du côté de l'homme, ce qui ne l'a point empêché de la nommer à sa place.
CHAPITRE VII.
Comment l'homme est l'image de Dieu.
9. Nous ne devons donc point entendre que l'homme a été fait à l'image de la souveraine Trinité, c'est‑à‑dire à l'image de Dieu, en ce
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sens que cette image se trouve dans trois hommes, d'autant plus que l'Apôtre nous dit que c'est l'homme qui est fait à l'image de Dieu, et que c'est pour cela qu'il lui défend de se voiler la tête, ce qu'il prescrit au contraire de faire à la femme, en s'exprimant ainsi: «Pour ce qui est de l'homme il ne doit point se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu; au lieu que la femme est la gloire de l'homme. » (1 Cor., XI, 7.) Que dirons‑nous à cela? Si la femme concourt pour sa part à faire l'image de la Trinité, comment se fait‑il qu'après qu'elle a été tirée de son côté, l'homme soit encore appelé l'image de Dieu? Ou bien si la personne de l'homme en trois personnes peut être appelée pour cela l'image de Dieu, comme cela a lieu dans la suprême Trinité elle‑même où chaque personne est Dieu ; pourquoi la femme n'est‑elle point aussi l'image de Dieu? car c'est parce qu'elle ne l'est pas qu'il lui est ordonné de se voiler la tête, chose qu'il est défendu à l'homme de faire, parce qu'il est l'image de Dieu.
10. Mais il faut voir comment ce que dit l'Apôtre que l'homme, non la femme, est l'image de Dieu, n'est point en contradiction avec ce qui est écrit dans la Genèse : « Dieu fit l'homme, il le fit à l'image de Dieu, il les fit mâle et femelle, et il les bénit. » (Gen., I, 27.) C'est la nature humaine même qu'elle dit faite à l'image de Dieu; or, cette nature comprend les deux sexes, et elle ne sépare point la femme de l'idée qu'elle veut qu'on ait de l'image de Dieu. En effet, après avoir dit que Dieu fit l'homme à l’image de Dieu elle dit : « Il le fit mâle et femelle, » ou selon une autre vision : « il les fit mâle et femelle.» Comment donc avons‑nous entendu dire à l'Apôtre que c'est l'homme qui est l'image de Dieu, d'où vient qu'il est défendu à l'homme de se couvrir la tête, non point à la femme, à qui au contraire cela est prescrit? (I Cor., XI, 7.) On ne peut, je crois, l'expliquer que de la manière que j'ai déjà dite, en parlant de la nature de l'âme humaine; c'est‑à‑dire en ce sens que c'est la femme avec l'homme qui est l'image de Dieu, en sorte que c’est la substance humaine en son entier qui serait cette image. Mais en tant qu'elle est considérée comme un aide pour l'homme, elle n'est plus l'image de Dieu, attendu que ce côté‑là n'appartient qu'à elle; mais pour ce qui est de l'homme seul, il est l'image de Dieu aussi pleine et entière qu'il est un lui‑même uni à la femme. Comme je l'ai déjà dit de la nature de l'âme humaine, si elle contemple tout entière la vérité, elle est l'image de Dieu; mais quand il y en a une partie de distraite et de dérivée, par une certaine attention, vers l'action des choses temporelles, bien que par le côté où elle voit et consulte la vérité, elle soit l'image de Dieu, cependant par le côté où elle s'applique à l'action des choses inférieures, elle n'est point
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l’image de Dieu. Aussi comme plus elle s'étend vers ce qui est éternel, plus elle se forme, par suite de cela, à l'image de Dieu, on ne doit rien faire pour la retenir, pour l'empêcher de tendre de ce côté et la forcer à modérer son élan; voilà pourquoi l'homme ne doit point se couvrir la tête. Mais comme dans l'action de la raison qui s'occupe des choses corporelles et temporelles, il y a un grand danger pour l'âme de descendre trop bas, elle doit avoir une puissance sur sa tête; c'est ce qu'indique le voile qui signifie qu'elle doit être contenue. Ce sens pieux et sacré est agréable aux saints anges. Quant à Dieu, il ne voit point les choses dans le temps, et il ne se produit rien de nouveau en lui par la vision ou par la science, quand il se fait quelque chose dans le temps et d'une manière qui passe, comme sont affectés les sens charnels des animaux et des hommes, et même les sens célestes des anges.
11. En effet, en faisant si clairement la distinction des deux sexes, mâle et femelle, l'apôtre saint Paul a voulu nous présenter la figure mystérieuse de quelque chose de plus caché, comme on peut le comprendre à ce qu'il dit dans un autre endroit, qu'une vraie veuve est désolée quand elle se trouve sans enfants et petits enfants, et que néanmoins elle doit espérer dans le Seigneur et persévérer dans la prière le jour et la nuit (I Tim., V, 5); il montre par là que la femme qui a été séduite et est tombée dans la prévarication, se sauve néanmoins par les enfants qu'elle met au monde, «pourvu, ajoute‑t‑il, qu'ils demeurent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté, et dans une vie bien réglée, » (1 Tim., II, 15) comme si une bonne veuve pouvait avoir quelque chose à craindre soit pour n'avoir point eu d'enfants, soit parce que les enfants qu'elle a eus n'ont point voulu persévérer dans le bien. Mais comme ce qu'on entend par bonnes oeuvres sont comme les enfants de notre vie, dans le sens du mot vie, tel qu'on l'entend, quand on demande au sujet de quelqu'un quelle a été sa vie, c'est‑à‑dire comment il s'est acquitté des choses du temps, et que les Grecs appellent bione, non pas dzoène, et que ces bonnes oeuvres se rencontrent surtout dans ce qu'on entend par oeuvres de miséricorde, oeuvres qui ne servent de rien soit aux paiens, soit aux Juifs qui ne croient point dans le Christ, non plus qu’aux hérétiques et aux schismatiques en qui ne se trouvent ni la foi, ni la charité, ni la sanctification qui ne va point sans la sobriété, on voit manifestement ce que l'Apôtre a voulu faire entendre. Aussi si on ne prend dans un sens figuré et mystique et si on ne rapporte à quelque mystère caché ce qu'il dit de l'obligation pour la femme de se voiler la tête, son langage est vain.
12. D'ailleurs, non‑seulement la raison appuyée sur la plus exacte vérité, mais encore
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l'autorité de l’Apôtre même, nous apprend que ce n'est point quant à la forme de son corps que l'homme a été fait à l'image de Dieu, mais quant à son âme raisonnable. C'est en effet une pensée vaine et honteuse, que de penser que Dieu est renfermé et circonscrit dans des lignes de membres corporels. Or, est‑ce que le même Apôtre ne dit pas : « Renouvelez‑vous dans l'intérieur de votre âme, et revêtez‑vous de l'homme nouveau qui a été créé selon Dieu? » (Ephés., IV, 23) et ailleurs, en termes plus clairs encore : « Dépouillant le vieil homme avec ses œuvres revêtez‑vous de l'homme nouveau qui, par la connaissance de Dieu, se renouvelle selon l'image de celui qui l'a créé.» (Col., 111, 9, 10.) Si donc nous nous renouvelons dans l'intérieur de notre âme, et que l'homme qui se renouvelle par la connaissance de Dieu selon l'image de celui qui l'a créé est un homme nouveau, on ne peut douter que ce n'est point selon le corps, ni selon une partie quelconque du corps, mais selon l'âme raisonnable où peut exister la connaissance de Dieu, que l'homme a été fait à l'image de celui qui l'a créé. C'est dans ce renouvellement aussi que nous devenons enfants de Dieu par le baptême du Christ et que revêtant l'homme nouveau , c'est le Christ que nous revêtons par la foi. Et qui donc priverait les femmes de ce partage quand elles sont avec nous cohéritières de la grâce, et que, dans un autre endroit, le même Apôtre nous dit : « Puisque vous êtes tous enfants de Dieu, par la foi en Jésus‑Christ, car vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez été revêtus du Christ. Et il n'y a plus maintenant ni de juif, ni de gentil, ni d'esclave ni de libre, ni d'homme ni de femme, mais vous n'êtes tous qu'un en Jésus‑Christ? » (Gal., III, 26, 29.) Est‑ce que les femmes fidèles auraient perdu leur sexe? Mais comme les hommes sont renouvelés à l'image de Dieu dans cette partie d'eux‑mêmes qui n'a point de sexe, l'homme est de même fait à l'image de Dieu dans cette partie de son être qui n'a point de sexe, c'est‑à‑dire dans le fond de son âme. Pourquoi donc l'homme ne doit‑il point se voiler la tête, attendu qu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis que la femme doit se voiler, attendu qu'elle n’est que la gloire de l'homme, comme si la femme ne se renouvelait point aussi dans l'intérieur de son âme, quand l'homme se renouvelle par la connaissance de Dieu, selon l'image de celui qui l'a créé? Mais comme c'est par le sexe du corps qu'elle diffère de l'homme, l'Apôtre a pu avec raison figurer par ce voile corporel cette partie de la raison qui se plie au gouvernement des choses temporelles, en sorte qu'elle ne demeurerait point l'image de Dieu, si ce n'est dans cette partie par laquelle l'âme humaine s'attache
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à la considération et à l'étude des raisons éternelles, partie qu'il est manifeste que non‑seulement les hommes, mais aussi les femmes possèdent.
13. Ainsi c'est dans leurs âmes que se trouve leur commune nature, et c'est dans leurs corps qu'est figurée la distribution de l'âme même qui n'est qu'une.