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CHAPITRE VIII.
De la captivité et de la délivrance du diable.
1. (( Après quoi, dit l'Apôtre, il doit être délié pour peu de temps. » (Apoc. xx, 3,) Si, pour le diable, c'est être lié et enfermé que de ne pouvoir séduire l’Église, sa délivrance sera donc de le pouvoir? Loin de nous cette pensée! Jamais il ne séduira l'Église élue et prédestinée avant la création du monde, l'Église dont il est dit :« Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; » (l. Tim. 11, 19) et cependant, à l'époque même de la délivrance du diable, cette Église sera, comme depuis son établissement, comme elle a été et comme elle sera toujours ici‑bas, dans ses enfants qui lui naissent sans interruption pour succéder à ceux qui meurent. Car, un peu plus loin, l'Apôtre dit que le diable, délivré de sa prison, séduira les nations de la terre et les entraînera dans la guerre contre l'Église; et que le nombre de ses ennemis égalera le sable de la mer. « Et ils s'élancèrent, dit‑il, sur
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toute l'étendue de la terre, et ils environnèrent le camp des saints et la Cité bien‑aimée : et Dieu fit descendre un feu du ciel, qui les dévora; et le diable, leur séducteur, fut jeté dans un étang de feu et de souffre, avec la bête et le faux prophète, et ils y seront tourmentés jour et nuit dans les siècles des siècles. » (Apoc. xx, 8.) Mais ce passage a rapport au jugement dernier, si je le cite, c'est afin que personne ne s'imagine, que, dans ce peu de temps où le diable sera déchaîne, il n'y aura plus d'Église sur terre, soit qu'il ne la trouve plus au jour de sa liberté, soit qu'il l'anéantisse par toutes sortes de persécutions. Ainsi donc, pour résumer tout le temps qu'embrasse ce livre, c'est‑à‑dire depuis le premier avènement du Christ jusqu'à la fin du siècle, époque du second avènement; la captivité du diable, pendant cette période que l'Apôtre exprime par mille ans, ne consiste pas dans son impuissance à séduire l'Église, puisqu'il ne saurait la séduire, même étant délié. Et cependant, si pour lui être lié, c'est ne pas avoir la puissance ou la permission de séduire, être délié, ne sera‑ce pas recouvrer cette puissance ou cette permission? A Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi ! La captivité du diable consiste à ne pas avoir la liberté d'exercer toutes les tentations dont il est capable, par force ou par ruse pour séduire les hommes, soit en les entraînant violemment à son parti, soit en les faisant tomber frauduleusement dans ses piéges. Si cette permission lui était donnée pendant un si long espace de temps et vu l'extrème infirmité d'un grand nombre, plusieurs seraient exposés à des épreuves que Dieu ne leur a pas réservées; de plus, il ferait perdre la foi aux fidèles, et il empêcherait les autres de l’embrasser. Afin qu'il n'en soit point ainsi, il est lié.
92. Mais il sera délié, quand il ne restera qu'un peu de temps. Car l'Écriture n'accorde que trois ans et six mois au démon et à ses suppôts pour l'exercice de toutes leurs violences; mais tels seront ceux qu'il doit combattre, que toute sa rage et toutes ses ruses ne pourront les faire succomber. Or, s'il n'était jamais délié, sa maligne puissance serait moins évidente ; la patience de la Cité sainte et fidèle, moins éprouvée; et tout le bien que Dieu par sa puissance sait tirer d'un si grand mal, moins sensible. Car, alors même qu'il est chassé du for intérieur qui croit en Dieu (1), il n'a pas
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(1) Saint Augustin fait ici allusion à ces paroles de l'Apôtre, aux Ephésiens :« Afin que se fortifie en vous, par l'Esprit de Dieu, l'homme intérieur, et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi.))
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perdu tout pouvoir de tenter les saints; afin que ses attaques extérieures multiplient leurs progrès dans la vertu; toutefois, il est lié dans ses partisans, de peur que le libre exercice de toute sa méchanceté sur cette foule d'infirmes qui doivent remplir l'Église, ne ruine la foi des fidèles, et ne détourne des voies de la piété ceux qui ne croient pas encore ; et il sera délié à la fin des temps, afin que la Cité de Dieu reconnaisse, à la gloire de son Rédempteur, devenu encore son protecteur et son libérateur, de quel terrible adversaire elle a triomphé. Et que sommes‑nous, en comparaison des saints et des fidèles d'alors, quand la liberté d'un tel ennemi est nécessaire à leur épreuve, tandi que nous avons tant de peines à le combattre, bien qu'il soit enchaîné ? Toutefois, même de notre temps, et cela ne saurait être douteux, il a été et il est encore plusieurs soldats du Christ, si prudents et si forts, que, fussent‑ils vivants au jour de la délivrance du diable, leur profonde sagesse déjouerait toutes ses perfidies et leur invincible patience resterait victorieuse de toutes ses attaques.
3. Or, cette captivité du démon ne remonte pas seulement à l'époque où l’Église, sortant de la terre de Judée, commença à se répandre de nations en nations; mais elle existe encore à présent, et elle existera jusqu’à la fin du siècle, heure de sa délivrance. Car, même maintenant, les hommes abjurent l’infidélité, où il les retenait, pour embrasser la foi, et jusqu'à la fin ils se convertiront ainsi; et le fort est lié à chaque recrue qui lui est enlevée comme un de ses vases; et cependant, l’abîme où il est enfermé, n'a pas été comblé par la mort des persécuteurs qui vivaient au début de sa captivité; mais d'autres leur ont succédé et leur succèderont jusqu'à la fin du siècle; ceux‑là ont de la haine pour les chrétiens, et, chaque jour, c'est en leurs cœurs aveugles, comme dans un profond abime, qu'ils renferment l'ennemi. Or, dans ces trois dernières années plus six mois, épôque, où, rendu à la liberté, il exercera toute sa fureur, quelques infidèles se convertiront‑ils encore à la foi? c'est une question. Comment, en effet, cette parole serait‑elle justifiée : « Qui peut entrer dans la maison du fort et lui enlever ses vases, s'il n'a auparavant lié le fort; » (Matt., xii, 29) si on lui enlève ses vases bien qu'il soit délié ? Ce texte semble nous forcer à croire qu'en ce peu de temps, personne ne viendra se joindre au peuple chrétien, mais que le diable fera la guerre à ceux qui se trouveront déjà chrétiens; parmi eux, si quelques‑uns sont vaincus et le suivent, c'est qu'ils n'étaient
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pas du nombre des enfants de Dieu prédestinés. Car ce n'est pas en vain que le même apôtre saint Jean, l'auteur de l'Apocalypse, a dit de plusieurs, dans ses épîtres : « Ils sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas avec nous; car, s'ils eussent été avec nous, ils y seraient certainement demeurés. » (1. Jean, 11, 19.) Mais qu'arrivera‑t‑il des petits‑enfants? Car il serait par trop extraordinaire qu'alors il n'y eût point d'enfants de chrétiens sans être baptisés, ou qu'il n'en naisse aucun dans ces jours, ou enfin auxquels les parents ne s'empresseraient pas de procurer la grâce de la régénération. Et, en ce cas, comment ces vases seraient‑ils enlevés au démon déchaîné, puisque personne ne peut entrer dans sa maison et lui enlever ses vases, s'il n'a été enchaîné auparavant? Croyons donc plutôt que, même alors, ni les apostasies, ni les conversions ne manqueront à l'Église, mais que les pères, pour le baptême de leurs enfants, et les nouveaux convertis, seront si remplis de force qu'ils triompheront de ce fort, même déchainé; c'est‑à‑dire que toutes ses ruses plus perfides, et tous ses eflorts plus violents que jamais, viendront se briser contre la vigilance de leur sagesse et la force de leur patience; ainsi, malgré sa liberté, ses vases lui seront ravis. Et néanmoins cette maxime de l'Évangile n’aura pas été vaine : « qui n'entre dans la maison du fort pour lui enlever ses vases, si auparavant le fort n'a été lié? » (Matth. xii, 29.) En effet, cet ordre a été observé, comme hommage à la vérité de la parole divine; le fort a d'abord été enchaîné, et, après lui avoir enlevé ses vases, l'Église, se répandant au loin et se rattachant dans toutes les nations et les forts et les faibles, s'est tellement multipliée que, sa foi affermie par l'accomplissement des promesses de Dieu, elle peut espérer désormals avoir assez de force pour enlever ses vases au démon, même délié. Car, s'il faut avouer que la charité d'un grand nombre doit se refroidir au spectacle de l'iniquité triomphante (Matth., xxiv, 12), et que, plusieurs dont les noms ne sont pas écrits au livre de vie, succomberont sous les persécutions violentes et les ruses inconnues jusqu'alors du diable déchainé; il faut croire aussi qu'il se trouvera en ce temps‑là des chrétiens fidèles, et que même plusieurs venus du dehors, aidés de la grâce de Dieu et de la considération des Ecritures qui prédisent la fin du monde dont ils sentiront déjà l'approche, seront plus disposés alors à croire ce qu'ils ne croyaient pas et plus forts pour vaincre le diable déchaîné. Ainsi, il n'au-
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rait été lié d'abord, que pour être dépouillé ensuite, soit enchaîné, soit libre; car, c’est à ce sujet qu'il a éte dit : « Qui entrera dans la maison du fort pour lui enlever ses vases, si d'abord il n'a été lié ? »
CHAPITRE IX.
Comment les saints régneront‑ils avec le Christ pendant mille ans; en quoi ce règne diffère‑t‑il du règne éternel?
Pendant les mille ans de l'enchaînement du diable, les saints règneront certainement avec le Christ, et il faut entendre ces mille ans du temps qui s'écoulera entre son premier et son second avénement. En effet, si, en outre de ce royaume, au sujet duquel le Christ dira à la fin du monde : « Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé, » (Matth. xxv, 34) les saints à qui il a dit: « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles, (Matth. xxviii, 20) ne régnaient déjà maintenant avec le Christ, quoique d'une manière moins parfaite, l'Église ne serait pas appelée son royaume, le royaume des cieux. N'est-ce pas dans le temps actuel que le royaume des cieux est enseigné à ce docteur dont j'ai parlé plus haut, et qui tira de son trésor des choses anciennes et nouvelles? (Matth. xiii, 52.) N'est-ce pas de l'Église que doit être séparée par les moissonneurs l'ivraie, que le père de famille a laissé croître avec le froment, jusqu'au temps de la moisson? C'est ce que le Sauveur explique en disant : « Le temps de la moisson, c'est la fin du monde; les moissonneurs sont les Anges. Comme donc on cueille l'ivraie et qu'on la jette au feu pour la consumer, il en arrivera de même a la fin du monde; le Fils de l'homme enverra ses Anges et ils enlèveront de ce royaume tous les scandales. » (Ibid. 39 et suiv.) Est‑il question de ce royaume où il n'y a pas de scandales? nullement. L'ivraie sera donc séparée de ce royaume qui est son église. Il dit encore : «Celui qui violera l'un de ces moindres commandements et qui apprendra aux hommes à les violer, sera regardé dans le royaume des cieux comme le dernier; mais celui qui les accomplira et les enseignera , sera grand dans le royaume des cieux. » (Matth. V, 19. Nous voyons par ces paroles que le Christ place dans le royaume des cieux et celui qui viole les préceptes qu'il enseigne, car violer c'est ne pas observer, ne pas faire, et celui qui les accomplit et les enseigne, avec cette différence toutefois, que celui‑là sera le dernier et celui‑ci plus élevé. Il ajoute aussitôt après : Je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens» (Ibid. 20) c'est‑à‑dire la justice de ceux qui n'obser-
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vent pas ce qu'ils enseignent, car il avait dit ailleurs, au sujet de ces hommes : « ils disent et ne font pas ce qu'ils disent; » (Matth. xxiii, 3) « Si donc votre justice ne surpasse leur justice,)) c'est‑à‑dire si, pour éviter de violer la loi, vous ne faites pas ce que vous enseignez, « vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. » Il faut donc établir une distinction entre le royaume des cieux, où se trouvent en même temps, et celui qui enfreint ce qu'il enseigne et celui qui l'observe, quoique l'un y soit plus petit et l'autre plus grand, et le royaume des cieux où n'est reçu que celui qui accomplit les préceptes. Par conséquent, le royaume dont ces deux hommes font partie, c'est l'Église, telle qu'elle est aujourd'hui; et le royaume où un seul est admis, c'est l'Église telle qu'elle sera un jour, quand les impies en seront retranchés. L'Église est donc, dès à présent, et le royaume du Christ et le royaume des cieux. C'est pourquoi ses saints règnent avec lui, même maintenant, d'une manière différente, il est vrai, qu'ils régneront un jour; mais l'ivraie ne règne pas avec le Christ, bien qu'elle croisse dans l'Église avec le froment. Car ceux‑là, régnant avec lui, font ce que dit l'Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus‑Christ, recherchez ce qui est dans le ciel, où Jésus‑christ est assis à la droite de Dieu; n'ayez de goût que pour les choses du ciel et non pour celles de la terre. » (Col. 111, 1 et2.) C'est encore de ces chrétiens qu'il a dit que leur conversation est dans les cieux. (Philip, 111, 20.) En effet, ceux‑là règnent avec lui qui vivent de telle façon dans son royaume qu'ils sont eux-mêmes son royaume. Mais comment seraient le royaume du Christ ceux qui, pour ne rien dire de plus, recherchent ici‑bas leurs intérêts et non ceux de Jésus‑Christ?
2. Voici ce que dit le livre de l'Apocalypse au sujet de ce royaume militant où nous luttons encore contre l'ennemi, tantôt vaincus par les vices, tantôt triomphants de leurs séductions jusqu'au moment où nous entrerons dans ce paisible royaume, où nous n'aurons plus à redouter d'attaquer; et comment il parle de cette première résurrection qui s'accomplit maintenant. Après avoir dit que le diable sera enchaîné pendant mille ans, et qu'il sera délié pendant un temps très‑court, l'apôtre saint Jean, résumant ce que fait l'Église, ou ce qui se passe dans son sein pendant ces mille ans, dit : «J'ai vu des trônes et des hommes qui y étaient assis et il leur fut donné le pouvoir de juger. » (Apoc. xx, 1.) Il ne faut pas imaginer que ces
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paroles s'appliquent au jugement dernier; mais elles désignent les trônes des évêques et les évêques eux‑mêmes, à qui est confiée la charge de gouverner l'Église. Quant au pouvoir de juger qui leur est donné, il semble qu'on ne peut mieux l'entendre que de celui‑ci : « Ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel. » (Matth. xviii, 18.) C'est ce qui fait dire à l'Apôtre: «Pourquoi entreprendrais‑je de juger ceux qui sont hors de l'Église; n'est‑ce pas de ceux qui sont dans l'Église que vous avez droit de juger? » (I. Cor.V, 12.) « Je vois encore, dit saint Jean, les âmes de ceux qui ont versé leur sang pour rendre témoignage à Jésus et à la parole de Dieu. » (Apoc. xx, 4.) Il faut sous-entendre ici ce qu'il dit plus loin : « Ils ont régné avec Jésus pendant mille ans, » c'est‑à-dire les âmes des martyrs qui ne sont pas encore réunis à leurs corps. Car les âmes des justes qui sont morts, ne sont pas séparées de l'Église qui, même maintenant, est le royaume du Christ. Autrement, on n'en ferait pas mémoire à l'autel de Dieu, dans la communion du corps du Seigneur, et il ne servirait à rien dans le danger de mort de recourir à son baptême, de peur de quitter cette vie sans l'avoir reçu, ou à la réconciliation, s'il est arrivé qu'on soit séparé de ce même corps par la sentence qui condamne à la pénitence, ou par une conscience criminelle. Pourquoi, en effet, agit‑on ainsi, sinon parce que les fidèles, même après leur mort, ne laissent pas d’être ses membres? Et ces âmes, bien que séparées de leur corps, règnent toutefois avec le Christ pendant l'espace de mille ans. Aussi est‑il dit dans ce livre et ailleurs : « Heureux sont ceux qui meurent dans le Seigneur. Dès maintenant, dit l'Esprit, ils se seposeront de leurs travaux, car leurs oeuvres les suivront. » (Apoc. xiv, 13.) L'Église règne donc dès maintenant avec le Christ dans la personne de ceux qui vivent et qui sont morts; car, comme dit l'Apôtre : « Jésus‑Christ est mort afin d'avoir un empire souverain sur les vivants et sur les morts. » (Rom. xiv, 9.) Saint Jean, il est vrai, ne fait mention que des âmes des martyrs, parce que ceux‑là règnent principalement avec Jésus‑Christ après leur mort, qui ont combattu jusqu'à la fin de leur vie pour la vérité; cependant, en prenant la partie pour le tout, nous pouvons entendre que les autres morts appartiennent aussi à l'Église, qui est le royaume de Jésus‑Christ.
3. Quant à ce qui suit : « Et ceux qui n'ont point adoré la bête, ni son image, ni reçu son caractère sur leur front ou aux mains, » (Apoc. xx, 4) nous devons l'entendre des vivants et des morts. Bien que nous devions examiner avec
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soin quelle est cette bête, cependant, ce n'est pas s'éloigner de la rectitude de la foi, de penser que c'est la Cité impie et le peuple infidèle qui est opposé au peuple fidèle et à la Cité de Dieu. Mais son image me semble être l'hypocrisie de ceux qui semblent faire profession de la foi et qui vivent dans l'infidélité. Ils feignent, en effet, d'être ce qu'ils ne sont pas; et s'ils portent le nom de Chrétiens, ce n'est pois qu'ils en retracent le véritable portrait, mais seulement la trompeuse image. Cette bête, figure non‑seulement les ennemis déclarés du nom du Christ et de sa glorieuse Cité, mais encore l'ivraie qui, à la fin du monde, sera arrachée de l’Église, son royaume. Quels sont ceux qui n'adorent ni la bête, ni son image, sinon ceux qui, suivant la recommandation de saint Paul « ne sont point attachés à un même joug avec les infidèles? » (11. Cor. vi, 14.) Ils ne l'adorent pas, c'est‑à‑dire ils ne lui obéissent pas, ils ne lui sont pas soumis; ils n'ont pas reçu son caractère, c'est‑à‑dire la marque du crime, ni sur leur front, à cause de leur profession, ni dans leurs mains, à cause de leurs œuvres. Etrangers donc à tous ces maux, soit qu'ils vivent encore dans cette chair mortelle, soit qu'ils aient quitté cette vie, ils règnent déjà maintenant avec le Christ d'une manière propre à leur condition actuelle, pendant cet espace de temps qui est figuré par les mille ans.
4. « Les autres morts, dit encore saint Jean, ne sont point rentrés dans la vie, » (Apoc, xx, 5) car l'heure est venue que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et que ceux qui l'entendront vivront (Jean, v, 25); mais les autres morts ne vivront pas. Quant à ce qu'il ajoute : « Jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis, » il faut entendre qu'ils n'ont pas vécu lorsqu'ils devaient vivre, c'est‑à‑dire qu'ils n'ont pas passé de la mort à la vie. Aussi, quand viendra le jour de la résurrection des corps, ils sortiront de leurs sépulcres, non pour la vie, mais pour le jugement, c'est‑à‑dire pour la damnation, que l'on appelle la seconde mort. Car, jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis, quiconque n'aura pas vécu, c'est‑à‑dire quiconque, pendant ce temps où doit s'opérer la première résurrection, n'aura pas entendu la voix du Fils de Dieu et n'aura pas passé de la mort à la vie, au jour de la seconde résurrection, qui sera celle de la chair, il passera avec son corps dans la seconde mort. Saint Jean ajoute, en effet : « c'est la première résurrection. Heureux et saint est celui qui aura part à la première résurrection, » (Apoc. xx, 5 et 6) c'est‑à‑dire qui y participera. Or, celui‑là y par-
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ticipe qui, non‑seulement quitte la mort du péché, mais encore persévère dans cet état de résurrection. « La seconde mort, dit‑il, n'aura pas de pouvoir sur eux; » mais elle en aura sur ceux dont il a dit plus haut : « les autres morts ne sont pas rentrés dans la vie jusqu'à ce que mille ans soient accomplis; » parce que, dans cet espace de temps, quelle qu'ait été la durée de leur vie, ils n'auront pas quitte la mort où les retenait leur impiété, afin de participer à la première résurrection, afin aussi que la seconde mort n'ait pas de pouvoir sur eux.
CHAPITRE X.
Ce que l'on doit répondre à ceux qui pensent que la résurrection regarde seulement les corps et non les âmes.
Il en est qui pensent que les corps seuls ressuscitent et qui, pour cette raison, prétendent que cette première résurrection, dont parle saint Jean, doit s'entendre des corps. En effet, disent‑ils, se relever ne convient qu'à ee qui tombe; or, les corps tombent en mourant, car «on les appelle cadavres, du mot cadere, tomber. Donc, concluent‑ils, il ne peut y avoir de résurrection que pour les corps et non pour les âmes. Mais que répondront‑ils à l'Apôtre qui admet aussi une résurrection de l'âme ? Car ceux‑là étaient ressuscités selon l'homme intérieur et non pas selon l'extérieur, à qui il dit : « Si vous êtes ressuscité avec Jésus‑Christ, ne goûtez plus les choses du siècle. » (Col. 111, 1.) C'est dans le même sens qu'il dit ailleurs : « Afin que, comme Jésus‑Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire de son Père, nous marchions aussi dans une nouvelle vie. » (Rom. 6,4.) Et encore :« Levez‑vous, vous qui dormez, sortez d'entre les morts, et Jésus‑Christ vous éclairera. »( Ephés. V, 14.) Quant à la conclusion qu'ils tirent de ce principe : se relever n'appartient qu’à ce qui tombe, qu'il ne peut y avoir de résurrection que pour les corps et non pour les âmes, car c'est le propre de tomber, que ne vomprennent‑ils ces paroles : « Ne vous retirez pas de lui de peur de tomber; » (Rom. xiv, 4) « que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber? » (I. Cor. V, 18.) à mon avis, c'est l'âme et non le corps qui doit se précautionner contre cette chûte. Si donc, ce qui tombe peut se relever, il faut avouer que les âmes tombent aussi, et évidemment qu'elles se relèvent. Après avoir dit que : « la seconde mort n'a pas de pouvoir sur eux. » Saint Jean ajoute : «mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et ils règneront avec lui pendant mille ans. » (Apoc. xx, 6,)
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Ces paroles ne s'appliquent pas seulement aux évêques et aux prètres qui, à proprement parler, sont revêtus du sacerdoce de l'Église; mais de même que tous les Chrétiens sont ainsi appelés parce qu'ils ont reçu l'onction mystique du chrême, de même, tous sont appelés prêtres parce qu'ils sont les membres du prêtre par excellence, et l'apôtre saint Pierre appelle les fidèles le peuple saint, le sacerdoce royal. » (Pierre, ii, 9.) Nous voyons ici que saint Jean insinue, quoique brièvement et en passant, que le Christ est Dieu, quand il dit : « Prêtres de Dieu et du Christ, (1) c'est‑à‑dire du Père et du Fils, bien que, comme Fils de l'homme, à cause de la forme d'esclave qu'il avait prise, le Christ ait été en même temps prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech, comme je l'ai dit plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage.