Darras tome 25 p. 479
72. Cette lettre du pseudo-empereur fut la dernière qu'il écrivit. Le faux pénitent de Canosse était contraint, comme par une sorte de réparation providentielle, de recourir pour sa défense à l'autorite du pape que depuis quarante ans il s'efforçait de détruire. Il osait, lui l'homme de toutes les impiétés, de tous les sacrilèges, de toutes les apostasies, faire appel à la Trinité divine, à la vierge Marie, à tous les saints. « Mais, dit le cardinal Baronius, les puissances célestes dont il invoquait hypocritement le patronage répondirent à son appel par une soudaine et foudroyante vengeance5. » — « Quelques jours après la réception de ce message au camp royal, disent le Annales d'Hildesheim, arrivèrent Erchembald, le camérier très-fidèle de l'ex-empereur, et l'évêque
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1 Baron., Aimai. Ëccles., ann. 1106. 5 Vita Henrici ap. Urstit., loc. cit.
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Burchard de Munster qu'on savait retenu depuis longtemps en captivité à Liège. Ils venaient annoncer au jeune roi la mort presque subite de son père; ils lui apportaient son diadème et son épée. Avant de rendre le dernier soupir, HenrilV, en les chargeant de cette mission suprême, leur avait recommandé de transmettre à son fils les derniers vœux d'un père mourant. Il implorait pour tous ceux qui lui étaient restés fidèles dans ses infortunes pardon et grâce ; il demandait pour lui-même d'être enseveli à Spire dans le tombeau de ses aïeux1. » L'auteur de la Vita Henrici est le seul chroniqueur contemporain qui nous ait conservé quelques détails sur la mort presque subite du césar son maître. Nous les reproduisons tels qu'il les a écrits, laissant au lecteur le soin de faire lui-même la part de l'exagération inspirée par un dévouement et une douleur sincères peut-être, mais certainement aveugles. «Dès la première atteinte du mal, dit l'auteur anonyme, l'empereur en comprit l'irremédiable gra-vité. Ne pleurons point sa morl,car elle fut précédée d'une bonne vie. Il avait toujours gardé la rectitude de la foi, la fermeté de l'espérance. A ses derniers moments, dans l'amère componction de son cœur, il ne rougit point de faire la confession publique de ses fautes, puis, dans toute la ferveur et l'avidité de son âme, il reçut le viatique céleste du corps du Seigneur. 0 Henri, mon empereur ! vous êtes maintenant au rang des bienheureux. Maintenant vous régnez au ciel. La couronne que vous portez, désormais votre héritier ne peut vous la ravir, ni vos ennemis l'arracher à votre front. Mais quel deuil autour du cercueil impérial ! Les princes éclataient en sanglots, la multitude en lamentations; partout des gémissements, des pleurs, des cris de désespoir. Les veuves et les orphelins, les pauvres dont il était le père se pressaient à ses funérailles, ils fondaient en larmes, ils couvraient de baisers des mains qui les avaient comblés de largesses ; on dut les arracher de force à ces dépouilles augustes dont ils ne voulaient pas se séparer. Mais ils ne quittèrent point le tombeau, ils y passèrent la nuit en larmes et en prières,
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1Imperator Henricus exhxredllalui imperio et inreconcilialus apostolicœ sedi Vil Idw> Awjusti L<>odii morilur. (Sigebert. Gemblac, Chronic, Pair, lai., t. CLX, col. 234, note 280.)
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n'interrompant leurs lamentations que pour se raconter les traits de charité, les œuvres de miséricorde du défunt empereur1. » En regard de cette sorte d'acte de canonisation schismatique dressé par l'anonyme, il convient de placer les paroles suivantes de Sigebert de Gemblours: «L'empereur Henri lV mourut à Liége, Ie7août 1106, déposé du trône impérial et non réconcilié avec le siège apostolique. Ses funérailles furent entourées de toute la pompe et de tous les honneurs royaux: plaise à Dieu qu'il en fût digne! Il fut inhumé dans la cathédrale de Saint-Lambert, par l'évêque de Liège, resté toujours et en toutes choses son partisan fidèle3. » Ainsi ce fut des mains d'Otbert, le schismatique intrus de Liège, qu'à son lit de mort Henri IV reçut les sacrements. En présence de cet apostat, il fit la confession de ses fautes, sans accuser vraisemblablement la plus grave de toutes, sa persécution contre le saint-siége et contre l'Église catholique. L'impérial excommunié mourut sans autre absolution que celle d'un pseudo-évêque créé par lui, excommunié comme lui, et qui jusqu'au dernier moment dut l'entretenir dans ses sentiments de haine contre le vicaire de Jésus-Christ. Terrible mort d'un prince frappé par la justice divine à l'âge de cinquante-quatre ans, huit mois et vingt-six jours2 ! Il avait crée à son usage une pseudo-église gouvernée par six antipapes de son choix, administrée par des hommes d'armes qu'il transformait en évêques, par des prêtres schismatiques, simoniaques et clérogames. A l'heure de la mort, à cet instant suprême où peut-être la vérité qu'il avait persécutée toute sa vie lui apparut comme une lueur vengeresse, il ne trouva d'autres consolateurs et d'autres conseillers que les complices sacrilèges de ses profanations et de ses attentats. Il aurait pu cependant recourir au ministère d'un évêque catholique, Bur-chard de Munster, qu'il détenait alors dans un cachot, quem vinctum tunce tenebat, et qu'il fit appeler pour lui confier une mission suprême près du jeune roi. Le prisonnier du césar persécuteur
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1 Vlta lionne. IV, ap. Urstit. loc. cit.
2 « Huniatus sicut regem decebat si apud Deum meruisset, apud Sanctum Lambertum Leodio, houoriflce, ab episcopo qui seinper sibi fidelis in omnibus. » [Annal. Hildesheim., Patr. lat., tom. CXLI,coI. 595.)—3 On se rappelle que Henri IV êtaitné le 10 novembre 1051. (Cf. tom. XXI de cette Histoire, p. 225.)
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aurait pu devenir le confesseur in extremis du césar pénitent. Il aurait pu recevoir son abjuration et le rétablir dans le sein de la communion catholique ; mais il n'en fut rien. Henri IV mourut comme il avait vécu, sans être réconcilié avec le siège apostolique, inreconcilialus sedi uposlolicœ1.
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1. Au XVIe siècle, les protestants d'Allemagne, dont Henri IV avait été le précurseur couronné, n'épargnèrent rien pour réhabiliter sa mémoire. Ils lui créèrent une légende rétrospective et ne craignirent pas de publier les récits romanesques, inventés par eux dans ce but, sous le nom et comme sous le couvert d'auteurs contemporains. C'est ainsi qu'interpolant le Chronicon Slavicum du prêtre Helmold (H30-H80), le protestant Reinescius (Reineck), dans une édition falsifiée de cet ouvrage et continuée jusqu'à l'an 1449, imagine un dernier combat absolument apocryphe où Henri IV, « vaincu et fait prisonnier par son fils, aurait été livré à la dérision et aux outrages de la populace, privé de tout secours divin et humain, réduit à une telle misère qu'après avoir imploré inutilement de la charité de l'évêque de Spire Gébhard une simple prébende, il dut vendre ses chaussures pour se procurer un morceau de pain. Ce qui lui aurait fait dire, à l'article de la mort, en envoyant son épée à son fils: « S'il m'eût laissé autre chose, il recevrait davantage. » — «Rursus tamen instauratum est prœlium, et ceesar senior victus, conclusus et comprebensus, ludibrio babitus, atque omni ope bumana fuit destitutus.Prœbcndam a Gebehardo Spirensi episcopo petiit, quam tamen ideo quod excommunicatus esset non obtinuit. Quantas autem contu-melias, quantave opprobria vir iste maguificus in illis diebus pertulerit, sicut relatu difficile, ita auditu lameutabile est. Ad tantam paupertatem devenit, quod ocreas pro pane exposuit, et ipso filio gladium baereditavit, dicens : Si mihi plus dimisisscs, plus tibi misissem. » (Helmold., 1. I, cap. xxxm, edit. Reineccii.) Ces calomnies répétées jusqu'au commencement de ce siècle sont aujourd'hui abaudonnées par tous les auteurs sérieux. Nous devons rendre cette justice à M. Zeller que dans son ouvrage : L'Empire germanique et l'Église au moyen âge, Paris, I876, il ne fait pas même mention de ces fabuleuses légendes. Mais une littérature malsaine continue à les exploiter en haine des papes et à les répandre dans les masses. Voici en effet ce qu'on peut lire dans une de ces publications populaires : «L'histoire affirmera toujours que Grégoire VII fut un bourreau et Heuri IV une victime innocente. Autant la vie de celui-ci est admirable par sa fermeté, attendrissante par ses malheurs si peu mérités; autant la vie de celui-là est révoltante par son arbitraire, son ambition et ses nombreuses injustices. Pascal, un des dignes successeurs de Grégoire VII, incapable de soutenir avantageusement la lutte, sema la discorde et la révolte jusque dans la famille de l'empereur, et déliant son fils Henri de ses serments d'obéissance, il força ce père infortuné à remettre lui-même les insignes de la royauté entre les mains de son enfant rebelle. Affaissé sous le poids des années (il n'avait que cinquante-quatre ans) et plus encore de ses longs malheurs, nouveau Louis le Débonnaire sans en avoir nullement la faiblesse, Henri IV se réfugia à Liège où, tombé dans le dénûment le plus complet, il fut réduit à men-
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73. « La nouvelle de sa mort, dit Ekkéard d'Urauge, causa dans le camp royal une impression d’autant plus vive qu elle était plus inattendue. Elle y fut accueillie comme le signal de la délivrance. C’est pitié pourtant qu’ un personnage d’un si grand nom, d’une telle dignité, de tant d'intelligence, un homme qui dans la chrétienté avait tenu un tel rang et régné si longtemps sur le monde, n'ait mérité d'aucun catholique un de ces regrets, une de ces larmes qu'on ne refuse pas au plus humble des fidèles de Jésus-Christ! De tous les cœurs, de toutes les lèvres, dans la chrétienté entière un hymne d'allégresse et d'actions de grâces monta vers le le Seigneur. Le peuple d'Israël ne célébra point avec plus d'enthousiasme la chute du Pharaon englouti dans les eaux de la mer Rouge. Jamais Rome n'applaudit avec plus de transport aux triomphes d'Octavien ni d'aucun de ses augustes. « Le frein dont le tyran avait bâillonné les peuples de la terre 1 » était brisé ; un joyeux cantique, comme ceux qu'on chante aux solennités les plus saintes, retentit dans toute la catholicité. Telle fut la mort de Henri, quatrième du nom, décoré par ses partisans du titre d'empereur des Romains, mais flétri du titre d'apostat par les catholiques, c'est-à-dire par tous ceux qui avaient, suivant la loi chrétienne, conservé fidélité et obéissance au bienheureux Pierre et à ses successeurs. Pour eux, il n'était, et avec raison, qu'un pirate, un corsaire couronné, un hérésiarque, un persécuteur qui s'acharnait encore plus à perdre les âmes qu'à tuer les corps. Non content des crimes déjà connus et usités, il en inventait et en pratiquait de nouveaux, d'inouïs, tels que les siècles précédents n'en virent jamais et qui défient l'imagination de l'avenir. Si quelqu'un des chroniqueurs qui se donnent pour mission de transmettre à la postérité l'histoire des empereurs et des rois juge à propos de raconter le dé-
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dier une place de lecteur. Un empereur d'Allemagne, une place de lecteur dans une église qu'il avait fondée ! Mais les prêtres, ces hommes aux entrailles si tendres, la lui refusèrent, sans doute pour le récompenser de l'avoir fait élever, et aussi, je pense, afin de se conformer au premier précepte de l'Evangile qui nous commande d'aimer notre prochain comme nous-même! Grâce à leur charité tout apostolique, ce prince qui avait porté trois couronnes, remporté plus de cinquante victoires, mourut de faim et de misère sur les marches d'une église qu'il avait lui-même fondée. »— 1. Isaï., xxx, 29.
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tail de ses forfaits, je lui cède ce rôle d'autant plus volontiers, qu'à mon avis, il est préférable d'ensevelir dans un silence éternel des excès indignes de toute mémoire. Ce que je veux dire, c'est que nul homme en nos jours ne réunit à un plus haut degré tous les avantages propres à relever la majesté impériale: naissance, génie, force et audace, taille superbe, élégance incomparable. Et d'un prince doué de toutes ces qualités, les passions et les vices ont fait un monstre dans l'ordre moral! Qu'il nous soit donc permis de rappeler cet exemple aux princes et aux rois qui seraient tentés d'abuser de leur puissance. Que le sort de ce tyran les retienne sur la voie de l'abîme; qu'ils ne se laissent pas séduire par les tentations d'un pouvoir mal acquis, mais plutôt qu'ils en voient la funeste origine et les terribles conséquences ; qu'ils s'appliquent à extirper tous les germes du mal, au lieu de songer à en recueillir les fruits de malédiction et de mort. C'est une folie de croire qu'on pourra guérir à coups de sabre une blessure gangrenée, ou qu'on réussira à servir à la fois le Dieu de l'Évangile et l'idole de Mammon. C'est une épouvantable folie de se promettre la conquête des dignités apostoliques comme la récompense d'une ambition simoniaque et sacrilège, de se frayer par l'apostasie un chemin aux honneurs de la hiérarchie sacrée. Ceci s'adresse à l'heure présente1. Quant au passé, rendons grâces au Dieu tout-puissant, qui, par la chute de Henri IV, donna à son Église une tardive mais éclatante victoire. C'était la cinquantième année des exactions du nouveau Nabuchodonosor ; le ciel l'avait choisie pour l'année jubilaire du catholicisme. Un nouveau Julien faisait la guerre au Christ ; le Galiléen lui creusa une tombe. Aman nouveau, le jour de sa mort marqua la délivrance du peuple d'Israël 2. »
74. Pendant que les catholiques portaient sur Henri IV ce jugement que l’histoire a ratifié, le peuple de Liège cherchait à faire du pseudo-empereur un saint d'une nouvelle espèce. La lutte continua donc sur son cerceuil. « Le jeune roi, disent les Annales
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1 Ces paroles semblent se rapporter à l'époque où le jeune roi Henri V, devenu à son tour persécuteur, fit asseoir, comme nous le verrons bientôt, un nouvel antipape sur la chaire de saint Pierre.
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d'Hildesheim, consulta les princes au sujet du désir exprimé par son père mourant d'être transféré à Spire, pour y reposer à la cathédrale, sous le dôme de Sainte-Marie, dans le sépulcre de ses aïeux. La réponse fut qu'à moins de tomber lui-même sous le coup de l'excommunication, le roi non-seulement ne pouvait pas se prêter à l'exécution de ce vœu, mais qu'il ne devait même pas permettre que le corps restât dans la cathédrale de Liège, où l'intrus Otbert l'avait provisoirement déposé. Il fallait donc le transporter d'abord dans un lieu non consacré 1, puis recourir à l'autorité du pape 2 3pour solliciter la levée posthume du ban d'anathème et d'excommunication. « En conséquence, pendant qu'une députation royale se rendait à Rome, l'archevêque Henri de Magdebourg, accompagné d'un certain nombre d'évêques orthodoxes partit pour Liège, où il fit connaître la décision du roi et des princes, déclarant qu'en vertu des lois canoniques la cathédrale de Saint-Lambert serait frappée d'interdit, si l'on y conservait le corps du césar excommunié. Otbert et les prélats schismastiques ne firent aucune opposition à ces mesures. Leurs convictions avaient changé avec la fortune. Ils s'empressèrent de faire acte de soumission à la double autorité du roi et du saint-siége; ils acceptèrent la pénitence qui leur fut imposée par l'archevêque de Magdebourg en attendant que le pape daignât, s'il le jugeait à propos, les réintégrer dans leurs offices et dignités. «Le cercueil de Henri IV fut donc tiré du caveau de la cathé-
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1 M. de Montalembert fait ici une observation que nous sommes heureux de mettre sous les yeux du lecteur. « Ce refus de sépulture, dit-il, a été un sujet de grandes déclamations pour tous les écrivains protestants et philosophiques. Il n'en était pas moins obligatoire, à moins que l'Église ne voulût reconnaître que l'excommunication était une formalité dérisoire et que tous les hommes n'étaient pas égaux devant Dieu, » [Moines d'Occid., toin. VII, p. 379, not. 2.) Il faut remarquer d'ailleurs qu'on ne prétendait point refuser une sépulture décente au souverain mort sous le lien d'anathème, pourvu que ce ne fût point dans un lieu consacré.
2 Le Rituel Romain a conservé jusqu'ici les
cérémonies qui s'observent pour la réhabilitation posthume d'un chrétien mort excommunié, lorsque l'autorité
ecclésiastique, admettant la probabilité d'un repentir in extremis, accorde
cette indulgence exceptionnelle. Le pseudo-empereur n'était point dans ce cas, et le
pape refusa fort sagement l'autorisation qu'on lui demandait.
3 Annal. Hildesheùn., Pair, lat-, tom. CXLI, col. 595.
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drale de Liège, dit la chronique de Sigebert de Gemblours, et transporté, le XIX des calendes de septembre (14 août 1106), hors des murs de la ville, dans une église récemment bâtie sur le mont Cornillon et non encore consacrée. Mais neuf jours après, la multitude en armes vint l'enlever pour le reporter à la cathédrale, avec toutes les démonstrations d'un attachement fanatique. Malgré la résistance de l'évêque et des chanoines, le peuple fît psalmodier par quelques pauvres clercs, payés pour cet office, les vigiles des morts, et passa toute la nuit dans l'église, veillant, le glaive à la main, autour de ces dépouilles qu'il regardait comme des reliques. Sa ferveur pour le nouvel objet de son culte allait si loin, que chacun se croyait sanctifié pour avoir vu seulement le cercueil. Les uns creusaient avec les mains et les ongles la terre où il avait séjourné, la semaient dans leurs champs ou l'emportaient dans leurs demeures comme un gage de bénédiction. D'autres plaçaient sur le cercueil des vases remplis de blé, pour mêler ce grain à celui des semailles qui commençaient en cette saison de l'année, persuadés qu'ils assuraient ainsi l'abondance de la prochaine récolte1. » Cette exaltation superstitieuse des esprits finit enfin par se calmer, sous l'influence de conseils plus sages. « Le corps du pseudo-empereur fut transporté d'abord dans une chapelle déserte, au milieu d'une des îles de la Meuse. Il y resta quelques semaines sous la garde d'un moine, récemment revenu d'un pèlerinage à Jérusalem, qui ne cessa jour et nuit de réciter la psalmodie sur ces dépouilles abandonnées. Enfin le III des nones de novembre (3 novembre 1406), par ordre du jeune roi, le chambellan Erchembald avec quelques autres des anciens serviteurs de Henri IV, amenèrent ses dépouilles à Spire. Là encore le peuple leur fit une ovation et les escorta en chantant les matines des morts vers la cathédrale de Sainte-Marie, où la multitude voulait les introduire de vive force. Mais le courageux évoque Gébéhard se présenta au seuil de la basilique. Il prononça une sentence d'interdit contre un certain nombre de clercs qui s'étaient associés à cette manifestation tumultueuse. Le cortège n'entra point dans l'enceinte sacrée et le cercueil de l'excommunié, déposé dans un
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1Sigebert. Gemblac, Ckronic, Pair, lat., tom. CLX, col. 254, not. 280.
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sarcophage de pierre, 1 fut inhumé sous le porche de l'église 2. » Il y resta cinq années, jusqu'en 1111. A cette époque, Henri V, do-venu à son tour, comme nous le verrons, un ardent persécuteur de l'Église, avait rompu avec l'autorité légitime de Pascal II et créé un nouvel antipape, Maurice Burdin. Celui-ci inaugura son intrusion par un acte qui relevait la mémoire du pseudo-empereur de tout lien d'excommunication et d'anathème. Gébhard, le catholique évêque de Spire, mort l'année précédente, avait été remplacé par un schismatique et césarien, nommé Bruno. Dans ces circonstances, Henri V fit procéder avec une pompe extraordinaire aux funérailles définitives du Néron de la Germanie. Le sarcophage, exhumé du porche de l'église, fut déposé sous le dôme de la cathédrale de Spire dans le caveau impérial. Le parjure Henri V ménageait ce dernier triomphe à un père qu'il avait de son vivant détrôné sous prétexte de schisme. Étranges et sacrilèges revirements qui préparaient dès le XIIe siècle la grande apostasie de l'Allemagne, accomplie au XVIe sous l'influence du protestantisme !
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1 In sarcophago lapideo. Ekkeard. Uraug.,
Chronic. Pair, lai., tom. CLII,
col. 1011.
2 Annal. Bildesheim., Pair, lai., toni. CXLI, col. 593.