Darras tome 22 p. 259
15. Un autre évêque apostat, Imbrico d'Augsbourg, se distingua également par un sacrilège que la justice divine ne tarda point à punir. « On se rappelle, dit Berthold, comment aux dernières fêtes de Pâques Imbrico avait prêté serment de fidélité au roi Rodolphe. Cet acte solennel ne l'avait point empêché de se porter l'un des premiers au devant de Henri IV dont il reconquit
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1. Berthold. Annal., col. 391.
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bientôt la faveur par les plus lâches adulations. Ce fut lui qui officia pontificalement à Ulm, le jour de la Pentecôte. Durant la messe, quand il fut arrivé à la communion, se retournant vers le roi il prit la parole et dans un discours plein d'éloges pour Henri déclara qu'il voulait par le jugement de l'eucharistie prouver à tout l'univers la justice de sa cause, l'illégitimité et la trahison de Rodolphe. Selon la formule usitée pour cette sorte de jugement de Dieu il ajouta en terminant : «Que le corps et le sang du Seigneur soient la garantie de mes affirmations. Aussi vrai que ce sacrement divin va opérer en moi pour le salut de mon corps et de mon âme, ainsi il est vrai que le roi Henri mon maître a été justement et légitimement rétabli sur le trône 1. » Et devant toute la foule cet audacieux apostat consomma sa communion indigne, «montrant, dit M. Villemain, plus de hardiesse que n'en avait eu Henri dans sa propre cause 2. » L'impression produite sur les assistants fut profonde et eut un immense retentissement dans toute l'Allemagne. « Le duc Welf de Bavière s'empressa, reprend Berthold, de mander le fait au seigneur pape, qui répondit sur-le-champ par des paroles prophétiques : « L'évêque d'Ausbourg ne goûtera pas le « pain fait avec le blé nouveau.» Or au moment où Grégoire VII faisait cette prédiction dans le courant du mois de juin 1077, on approchait de l'époque des moissons. Imbrico ne les vit même pas commencer. « Quelques jours après son sacrilège, disent les divers chroniqueurs, il fut atteint d'une maladie mortelle et expira le jour des calendes de juillet3 (1 Juillet 1077). » Les chanoines et le clergé d'Augsbourg délivrés par cette mort de la tyrannie d'un apostat élurent canoniquementpour évêque le prévôt de Saint-Maurice nommé Wigold, personnage aussi distingué par
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1. Berthold, foc. cit.
2. Hist. de Grégoire VII, tom. II, p. 175. On se rappelle que Henri à Canosse avait reculé devant une épreuve analogue. Les modernes historiens qui ont voulu révoquer en doute le récit de Lambert d'Hersfeld sur ce point n'ont pas remarqué que l'épisode d'Imbrico à Ulm confirme implicitement l'authenticité du fait de Canosse.
1. Berthold, col. 391. — Bernold. Chronie. Pair. Lat., tom. CXLVIII, col. 1376.
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la science que par la vertu. Mais Henri ne prétendait point abandonner ses antiques errements. II expulsa Wigold et pourvut du siège vacant un des chapelains de sa suite nommé Sigefrid, « moins pour régir l'église, dit l'annaliste, que pour continuer à porter à ses côtés la cuirasse militaire et l'aider dans sa guerre de rapine et de dévastation. Wigold banni de sa ville épiscopale se retira sous la protection de Rodolphe et fut sacré par son métropolitain légitime Sigefrid de Mayence, également chassé de son siège. Une investiture simoniaque du même genre eut lieu pour Aquilée, où le roi établit un autre de ses chapelains nommé Henri, chanoine d'Augsbourg, malgré l'élection canonique du clergé et du peuple dont les suffrages s'étaient portés sur l'archidiacre de leur église 1. »
16. Le règne de la simonie recommençait donc en Germanie à la grande joie des clérogames. Après les fêtes et les sacrilèges dont la ville d'Ulm venait d'être le théâtre, Henri se jeta sur la Bavière, « où il envahit, dit Berthold, tous les domaines du duc Welf, pilla les églises et en particulier celles du diocèse de Passaw, en haine du saint évêque Altmann. De toutes parts les hommes d'armes accouraient à cette expédition qui leur offrait la perspective d'un butin assuré sans risque d'aucun péril ; car à l'exception de l'archevêque de Saltzbourg saint Gébéhard, du comte Egbert et de saint Altmann, tous les seigneurs bavarois avaient embrassé la cause de Henri. Ce fut pour cette province un désastre épouvantable, reprend le chroniqueur. Aux horreurs de la dévastation se joignirent celles de la famine et de l'incendie. La récolte de cette année (1077) manqua presque totalement. Les habitants des campagnes livrés sans défense aux bandes de pillards qui formaient l'armée royale entassaient tous leurs meubles dans les églises, comptant sur le respect du droit d'asile. Mais Henri n'avait point de pareils scrupules; les églises étaient saccagées, profanées et la plupart du temps réduites en cendres 2. » Un cri de désespoir
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1. Cf. Berthold., col. 400 et 414. — Greg. VII. Epist. v et vi, lib. V.
2.Berthold, col. 396.
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s'éleva de toute cette malheureuse contrée, qui expiait si cruellement l'attachement qu'elle avait montré à Rodolphe. Des murmures s'élevaient contre le nouveau roi ; on l'accusait d'abandonner ses anciens alliés et de ne rien faire pour les défendre.
§ IV. Les deux rois en présence.
17. Rodolphe n'était cependant pas resté inactif. Durant les fêtes de la Pentecôte il avait tenu à Erfurth une diète des princes saxons et après avoir reçu d'eux le serment d'une inviolable fidélité il leur donna rendez-vous avec toutes leur troupes pour la fête des apôtres (29 juin 1077) à Mersebourg. Là se voyant entouré d'une nombreuse et vaillante armée, il tint de nouveau conseil avec les principaux chefs. « La paix règne dans toute la Saxe, dit-il, et l'ennemi n'a point encore osé franchir notre frontière. Mais nos alliés sont en ce moment victimes de ses fureurs; déjà on nous accuse d'ingratitude ou de lâcheté. Ce rôle convient-il à l'honneur des Saxons et à la dignité du roi qu'ils ont mis à leur tête 4 ? » La réponse à ces nobles paroles fut un cri de guerre et de vengeance. L'armée entra aussitôt en Bavière et vint au commencement du mois d'août mettre le siège devant Wurtzbourg. Les ducs Welf et Berthold avec cinq mille hommes recrutés en Souabe se mirent en route pour le rejoindre. Henri qui disposait d'une armée trois fois plus nombreuse se porta en avant dans l'espoir d'empêcher la jonction des troupes de Rodolphe avec celles de ses deux alliés. Mais la bravoure des Souabes commandés par Welf et Berthold compensa le désavantage du nombre ; ils se précipitèrent sur le camp retranché de Henri avec une ardeur telle que le roi crut prudent de s'enfuir. Il opéra sa retraite en silence durant la nuit; ses bandes de pillards se dispersèrent dans toutes les directions, et même rentra seul au galop de sen cheval, précédant
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1 Bruno Magdeburg., col. 5118.
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tous ses compagnons, dans la cité de Worms. «Il n'y eut pas jusqu'aux paysans eux-mêmes, dit l'annaliste, qui ne prodiguèrent les sarcasmes et les injures à la panique de ce roi éperdu 1. » Welf et Berthold l'ayant inutilement poursuivi durant cette nuit fameuse sans pouvoir retrouver ses traces, allèrent porter à Rodolphe la nouvelle de leur victoire. Quittant alors le siège de Wurtzbourg Rodolphe avec les renforts que ses deux alliés lui amenaient se dirigea à marches forcées vers le Necker, dans l'espoir de franchir ce fleuve sans obstacle et de surprendre Henri à Worms même, de l'autre côté du Rhin (fin septembre 1077).
18. Quelle que fût sa diligence, il arriva trop tard. Malgré les railleries que les paysans n'avaient pas ménagées à Henri lors de son entrée à Worms, les citoyens de cette ville lui étaient restés fidèles. « Leur milice composée de marchands, dit avec dédain Brnno de Magdebourg, se montra fière de combattre sous les étendards de l'ex-roi 2 » Le Necker encaissé dans des rochers à pic et d'un cours torrentueux ne présentait que deux passages guéables. Les bourgeois de Worms allèrent en toute hâte les occuper, pendant que Henri rassemblait au-delà du Rhin tout ce qu'il put trouver de défenseurs. Cette manœuvre arrêta la marche de Rodolphe et bientôt les deux rois rivaux, chacun à la tête de son armée, se virent en face l'un de l'autre séparés par le fleuve, barrière étroite mais des deux côtés infranchissable. « Vingt fois, dit Berthold, on vit Rodolphe debout sur un rocher provoquer le roi Henri et apostropher les chefs ennemis postés sur l'autre rive. Tantôt il leur demandait de lui laisser le gué libre pour aller sur leur terrain les combattre, ou bien il offrait de se retirer lui-même en arrière et de leur céder sur son bord la place d'un champ de bataille ; tantôt il proposait à Henri de vider la querelle à eux seuls en champ clos. Henri faisait la sourde oreille, continue le chroniqueur et ne donnait aucune réponse. Un matin, pour mieux prouver la sincérité de ses propositions, Rodolphe se
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1. Berthold, col. 397.
2. Bi\:n. Magdeburg., col. 555.
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retira avec toute son armée à une distance de deux milles, laissant à son adversaire le passage libre. Henri n'osa point tenter l'aventure et resta obstinément sur l'autre rive. Le lendemain Rodolphe réoccupa ses premières positions, déterminé à forcer lui-même le passage. Mais soit lâcheté, soit conscience de l'injustice manifeste de leur cause, les seigneurs du parti de Henri ne voulaient pas plus que leur maître affronter les hasards d'une bataille. Ils entrèrent en pourparlers avec les ducs Welf et Berthold pour négocier une trêve durant laquelle tous les grands du royaume, sous la présidence des légats apostoliques et en l'absence des deux compétiteurs, prononceraient un jugement définitif. C'était le seul moyen de terminer la querelle sans effusion de sang et en conformité avec les instructions tant de fois réitérées de Grégoire VII. Il fut convenu que tous prendraient parti contre celui des deux rois qui, méconnaissant le vœu général n'obéirait point à la sentence rendue. L'archevêque de Trêves Udo et l'évêque de Metz Hérimann, négociateurs accrédités par Henri, firent serment en son nom entre les mains du cardinal légat ; de son côté Rodolphe prit le même engagement; tous deux jurèrent de respecter la trêve et de ne mettre aucun obstacle à la réunion de la future diète 1. » « La paix ainsi conclue, dit Bruno de Magdebourg, les Saxons se retirèrent glorieusement avec leur roi et durant le reste de cette année (1077) ils ne furent plus ni attaqués ni agresseurs 2. »
19. Fidèle à son serment, Rodolphe de retour en Saxe ne songea qu'à la pacification du pays. « Juge impartial et équitable, dit Berthold, il parcourait les provinces, corrigeant les abus, rétablissant le régne des lois, faisant partout bénir son administration. La mansuétude n'excluait pas chez lui la fermeté ; il sut faire rentrer dans le devoir quelques seigneurs de Westphalie et de Thuringe qui cherchaient à se soustraire à sa royale domination 3. » Les préoccupations de Henri étaient fort différentes. A peine
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1.Berthold. Constant., col. 393-399.
2.Brun., col. 555.
3. Berthold. Constant., col. 402.
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délivré, par la trêve qu'il venait artificieusement de conclure, des terreurs que l'armée saxonne lui avait inspirées, il recommença ses brigandages dans la Thurgovie, la Souabe et la Franconie. « On eut beaucoup de peine, dit le chroniqueur, à l'empêcher de massacrer tous les princes qui manifestaient l'intention de se rendre à la diète indiquée. Il céda pourtant aux instances de ses conseillers, lesquels lui représentaient qu'un pareil attentat rendrait impossible son rétablissement sur le trône. La diète n'en fut pas moins impossible, aucun des seigneurs germains n'osant affronter la colère du tyran. Les campagnes désarmées que parcourait Henri offraient le spectacle d'un immense et perpétuel incendie. Un jour il fit brûler vifs tous les habitants d'un village qui s'étaient réfugiés dans l'église. Le duc Berthold, du haut de la forteresse de Lindberg où il s'était retiré, voyant la dévastation des plaines incendiées et des villes en cendres, conçut un chagrin si profond qu'il mourut de désespoir. Gébéhard de Saltzbourg, cette colonne inébranlable de la sainte Eglise, dit le chroniqueur, essaya de faire entendre au roi furieux le langage de la vérité et de la justice. Mais il faillit payer de sa vie cet acte de courage. Dépouillé de tout ce qu'il possédait, séparé de ses compagnons, il n'eut que le temps de s'enfuir et de regagner nuitamment les frontières de la Saxe. Chose horrible à constater, l'instigateur de tant de cruautés, de sacrilèges et de brigandages était un évêque, le simoniaque Werner de Strasbourg. Le casque en tête, la cuirasse sur la poitrine et l'épée à la main, dit Berthold, il chevauchait le premier à travers les campagnes dévastées, donnant l'exemple du pillage et de l'incendie. Un soir, rentrant au camp après une de ces barbares expéditions, comme il se mettait au lit, il fut frappé d'un coup d'apoplexie foudroyante et expira soudain. Cette mort sans repentir, sans confession ni sacrements, épouvanta ses compagnons tant de fois témoins des scandales de sa vie. Le malheureux entretenait publiquement une femme mariée qu'un de ses hommes d'armes lui avait cédée à prix d'argent. Excommunié depuis longtemps pour ce crime par le pape, il n'avait pas un seul instant tenu compte de l'anathème pontifical, croyant peut-être que sa signature apposée à l'acte schis-
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matique de Worms en le chargeant d'un nouveau parjure l'excusait des précédents. Comme jadis Paul de Samosate, Werner pour ne pas encourir de ses clercs le reproche d'incontinence avait contraint les chanoines et tous les prêtres de son église à prendre femme. La main de Dieu frappa ce favori de Henri IV. Le corps de Werner fut reporté à Strasbourg pendant que son âme était ensevelie en enfer1.» Cette catastrophe n'arrêta point le roi dans sa carrière de crimes, il continua à promener la terreur dans les provinces rhénanes, «justifiant ainsi, dit M.Villemain, les anathèmes de Rome2. » Les Saxons indignement trompés par ses nouvelles perfidies eurent de nouveau recours à Grégoire VII. « Rodolphe envoya une relation détaillée de tout ce qui s'était passé au seigneur apostolique, dit Berthold, lui demandant à la fois conseil et appui3.»
§ V. Retour de Grégoire VII à Rome.
20. Le grand pontife n'était plus à Canosse. La longue captivité qui l'avait retenu dans les états de la comtesse Mathilde avait pris fin, grâce sans doute aux efforts et au dévouement de l'illustre héroïne. En effet les schismatiques lombards, dignes alliés de Henri IV, n'épargnèrent rien pour empêcher le retour du pape à Rome. La ville éternelle avait alors pour préfet un véritable soldat chrétien, tout dévoué à l'autorité du saint-siége et à la personne de Grégoire VII. Cencius le Bon, ainsi qu'on le surnommait pour le distinguer du scélérat son homonyme dont nous avons précédemment raconté les attentats et la mort impénitente, était à Rome ce que saint Herlembald avait été à Milan, l'épée de l'Église, le défenseur
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1. Berthold. Constant., col. 400-402. La Gallia christiana indique la mort de Werner de Strasbourg en l'an 1080. C'est une erreur que rectifie avec l'autorité d'un contemporain le témoignage de Berthold.
2.Hist. de Greg. VU, tom. II, p. 194.
3.Col. 402.
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de la vertu, la terreur des simoniaques et des clérogames. La vie de ce preux chevalier fut celle d'un saint, sa mort fut celle d'un martyr. Gouverneur de Rome depuis plus de quinze ans, il avait mérité de Pierre Damien cet éloge qu'on ne savait ce qu'il fallait le plus admirer en lui « du préfet de la république ou du disciple des apôtres, du juge séculier ou du docteur de la foi1. » Comme Herlembald, il s'était senti attiré vers la vie religieuse ; comme lui il sacrifia son inclination et ses goûts pour se dévouer aux luttes de la vie active. « Un jour, dit Berthold, il vint s'agenouiller aux pieds de Grégoire VII, fit une confession générale de tous ses péchés et déclara sa volonté de quitter le monde pour aller dans un monastère travailler à sa perfection. Mais le seigneur apostolique lui enjoignit en vertu de la sainte obéissance de rester sur la brèche comme le soldat de Dieu, et de continuer en qualité de préfet de Rome à défendre Jésus-Christ et son Église contre tant d'ennemis conjurés. Cencius se résigna non sans regret, il eut bientôt l'occasion de déployer son zèle contre le meurtrier son homonyme et la bande de scélérats qui arrêtèrent le pape durant la nuit de Noël de l'an 1075. L'homme de Dieu put comprendre alors qu'il servait plus utilement l'Église à la tête des milices du siècle que dans la solitude d'un cloître. Sa vigilance contre les hérétiques était de tous les instants, son bras faisait trembler les factieux, mais le peuple bénissait son administration, l'impartialité de ses sentences et surtout son inépuisable charité. Comme Grégoire VII il avait reçu le don des larmes, passait les nuits en oraison, pleurant sous l'abondance des communications célestes. Veuf de bonne heure, il n'avait jamais voulu se remarier. Les pauvres étaient sa famille; à le voir humble, hospitalier, affable, patient, on l'eût pris pour un religieux forcé de vivre dans le monde ; il réalisa vraiment la parole de l'apôtre et fut militant non selon la chair mais en sa chair2. » La haine des schismatiques contre le chevalier chrétien ulla jusqu'à l'assassinat. Ils tramèrent un complot pour se débar-
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1. S. Petr. Damian. Epist. i et 11, lib. VIII, Patr. Lat., tom. CXL1V, col. 461. 2. Berthold. Constant., col. 406.
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p268 PONTIFICAT DE GKEG01RE VII (1073-Î0S5).
rasser de l'héroïque préfet et soulever la ville de Rome contre l'autorité pontificale. Vers le mois de juillet 10771, Cencius le Bon fut poignardé par le patricien Etienne, frère de Cencius le Scélérat. Les sicaires avaient compté se rendre ainsi maîtres de la ville, mais le peuple romain se souleva contre eux dans un transport d'indignation et de fureur irrésistible. Etienne après son forfait s'était retiré dans sa forteresse (probablement le château Saint-Ange); la multitude l'en arracha de vive force; lui coupa la tête et les mains, hideux trophées qui furent plantés au bout d'une pique sur la place Saint-Pierre, pendant que le cadavre mutilé était livré aux flammes 2. « Cependant les citoyens romains et les princes de la ville, dit Berthold, organisèrent les funérailles du bienheureux martyr Cencius avec une pompe magnifique. Sur le passage du cortège les pleurs et les sanglots éclataient ; l'office fut célébré selon le rit romain dans la basilique de Saint-Pierre et le corps fut déposé dans une tombe de marbre sous le portique appelé Paradis, où de nombreux miracles continuent chaque jour à attester la sainteté de l'homme de Dieu 3»
21. Si les schismatiques lombards poursuivaient jusqu'au milieu de Rome et malgré l'attachement du peuple romain pour Grégoire VII leurs attentats contre l'autorité du grand pontife, on comprend qu'ils dussent redoubler d'efforts pour l'empêcher de rentrer lui-même dans la ville éternelle. On peut suivre à la trace les embûches qu'ils dressaient sur sa route, les conjurations qu'ils tramaient contre lui, dans les quelques lettres écrites durant le voyage du pontife et conservées au Registrum. Le doge de Venise Dominique Silvio, jusque-là fidèle observateur des sentences pon-
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1. AEstivo tempore, dit Berthold. Par conséquent le meurtre fut commis avant le retour du pape à Rome, qui n'eut lieu, d'après le Regestum, que vers le XVI des calendes d'octobre, c'est-à-dire le 16 septembre suivant. C'est donc à tort que M. Villemain, plaçant la mort de Cencius au mois de janvier 1078, fait présider ses funérailles par Grégoire VII en personne. (Cf. Hist. de Grèg, VU, tom. II, p. 198 )
2.Coder. Vatican., ap. Watterich, tom. I, p. 333. 3. Berthold. Const., col. 406.
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tificales, avait changé de conduite et noué des communications avec les sectaires partisans de Henri. Le 9 juin dans un rescrit daté de Carpineta Grégoire VII lui parlait en ces termes : « Vous ne sauriez avoir perdu le souvenir des marques d'affection et d'honneur que le saint-siége depuis tant d'années a prodiguées au peuple de Venise. Pour ce qui me concerne en particulier, ma conscience m'est témoin de l'amour que je lui ai toujours porté, bénissant Dieu d'avoir fait prospérer une nation qui conservait avec sa filiale obéissance à la sainte église romaine, mère et maîtresse de toutes les autres, la noble liberté des anciens Romains ses ancêtres. Quelle n'est donc pas notre douleur en vous voyant aujourd'hui outrager et l'Eglise et la majesté du Dieu tout-puissant, abandonner la rectitude de la foi et la sainteté de la discipline pour embrasser les erreurs et les désordres de quelques excommuniés, ministres ou plutôt esclaves de Satan ! Dans ce péril de vos âmes, je vous envoie en qualité de légat notre cher fils Grégoire, diacre de la sainte église romaine, avec les pouvoirs nécessaires pour vous relever de l'excommunication que vous avez encourue et vous rétablir au sein de l'unité catholique 1. » Ainsi c'était par des prêtres ou des évêques excommuniés, c'est-à-dire par des cléro-games et des simoniaques, ce véritables ministres de Satan » et esclaves des passions les plus honteuses, que les schismatiques lombards exerçaient leur propagande contre l'autorité du saint siège. En passant à Florence, le 11 août suivant, Grégoire VII fulminait une sentence d'interdit contre les chanoines de Saint-Martin de Lucques, simoniaques obstinés qui avaient chassé saint Anselme leur évêque 2. Dans la province de Sienne où le grand pape arrivait vers le commencement de septembre 3, il trouvait la cité de Volaterra divisée en deux factions pour le choix d'un évêque, les schismatiques voulant imposer de force sur le siège vacant une des créatures du roi Henri4.
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1. S. Greg. VII. Epist. xxvn, lib. IV, Patr. Lat. tom. CXLVIU. col. 483. 2. Ibid. Epist. i, lib. V, col. 487. 3. Ibid. Epist. n, col. 487. 4. Ibid. Epist. m, col. 488.