Darras tome 21 p433
§ V. LA SIMONIE A MILAN ET A FLORENCE.
41. Dans l'Italie septentrionale, la lutte contre la simonie et les clercs scandaleux, si courageusement soutenue jusqu'alors par le saint diacre Ariald et le prêtre Landulf, chefs de la Pataria, reprit après le concile de Mantoue une ardeur nouvelle. « Les trafiquants de bénéfices les capitanei et les vavasseurs milanais, dit Bonizo, furieux de voir tarir la source de leurs richesses sacrilèges, prirent les armes et se
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1. Alexandr. II. Epist. ci. Patr. Lat. Tom. CXLVI, col. 1386.
2. Ibid. Epist. en, col. 1387. — » Ibid. Epist. cm.
3. Bonizo. Ad amie. Lib. \'lj Patr. Lat. Tom. CL, col. 832.
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ruèrent avec une impitoyable férocité sur les catholiques qui refusaient la communion des prêtres mariés 1. » En ce moment le chevalier Herlembald, frère de Landulf 2, revenait d'un pèlerinage à Jérusalem. Sur le tombeau de Jésus-Christ, il avait consacré son épée au service de l'Église et juré de défendre au prix de son sang la cause du Dieu qui avait voulu mourir pour lui. De retour à Milan, il eut sous les yeux le spectacle des massacres organisés contre les chrétiens fidèles. Une circonstance plus particulière le toucha jusqu'aux fibres du cœur. La fiancée qui lui avait engagé sa foi venait de se marier à un prêtre 3. La pensée de renoncer au monde et d'achever ses jours dans un monastère de Camaldules fut la première qui s'empara d'Herlembald, si profondément outragé dans sa foi de chrétien et dans son honneur de chevalier. Mais Ariald le détermina à continuer sa mission de soldat de Jésus-Christ. « Vous servirez plus utilement l'Église sous la cuirasse militaire, lui dit-il, que sous le froc du moine. L'heure du combat est venue. Au moment où les hérétiques égorgent nos frères, vous siérait-il de déposer l'épée que Dieu a remise entre vos mains? » C'était une véritable croisade que voulait organiser le bienheureux diacre; les catholiques se trouvaient en effet dans les conditions de légitime défense. Toutefois Ariald ne prétendait point décider la question sans recourir à l'autorité du saint-siège. « Bien que dans une assemblée générale de fidèles, dit l'hagiographe, l'urgente nécessité de se défendre eût été proclamée par toutes les voix, il eut assez d'empire sur les esprits pour obtenir un délai jusqu'à la sentence du vicaire de Jésus-Christ. Il partit donc pour Rome avec Herlembald et quelques compagnons dévoués. La voie royale (via regalis) était gardée par les soldats ennemis. Les pèlerins durent prendre des chemins de traverse, s'arrêtant la nuit dans les monastères, passant quelquefois des journées entières cachés dans les forêts, pour échapper à la vigilance des
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1. Patr. Lat. Tom. CL. col. 831.
2. On croit que le prêtre Landulf mourut vers cette époque, peut-être même avant le retour du chevalier Herlembald son frère.
2. Pertz. Monurn. German. kist. Tom. X, p. 83.
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capitanei. » Parvenus à Rome après tant de dangers et de fatigues, ils furent reçus en audience par le pape et le collège des cardinaux. « Retournez à Milan, leur dit Alexandre II, et s'il le faut, mourez en combattant pour la cause de Jésus-Christ et la défense des opprimés. » Il remit alors à Herlembald un étendard de soie et d'or portant l'effigie des saints apôtres Pierre et Paul. « Ce drapeau ajouta-t-il, vous protégera dans la mêlée, et mettra en fuite les ennemis du nom chrétien. « La prédiction du saint pape s'accomplit, reprend le chroniqueur. Durant les dix-huit années qu'Herlembald porta l'étendard de saint Pierre, il ne fut pas une seule fois vaincu 1. Rentré à Milan, le chevalier chrétien organisa la résistance à main armée. Les capitanei et vavasseurs défaits dans une bataille sanglante déposèrent les armes; les décrets contre les simoniaques et les clercs scandaleux furent remis en vigueur; la vita communis, ce joug si exécré des prêtres milanais, redevint obligatoire dans la cité de saint Ambroise (10G5), Herlembald sous la cuirasse du chevalier donnait lui-même l'exemple des plus sublimes vertus. « Ce héros, dit encore le chroniqueur, avait trouvé le secret d'allier l'austérité d'un ermite à la splendeur d'un chef d'armée. Je l'ai vu, retiré sous sa tente, déposer sa brillante armure, se couvrir d'une robe de laine, se prosterner devant les pauvres, leur laver les pieds et les servir. »
42. De tels exemples d'humilité, de mortification et de foi chrétienne eurent un immense retentissement. La victoire de la ligue catholique à Milan permit au pape Alexandre II de poursuivre son œuvre de réforme disciplinaire. Au mois d'avril 1065 dans un synode romain tenu au Latran, il proscrivit une nouvelle erreur qui se répandait alors dans les provinces de Toscane et à laquelle on donna le nom d'hérésie des «Incestueux 2. » On appelait ainsi ceux qui, pour favoriser les mariages au degré de consanguinité défendu par les lois canoniques, se refusaient à compter les degrés d'après les règles de l'Eglise, et voulaient conserver la coutume des lois
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1 Act. SS. Ariald. et Herlembald. cap. îv. Bolland. 27 Jun. p. 2S0. Cf. Pair. Lat. Tom. CXLIII, col. 1456.
2. Ale.xandr. II. Epht. xcu; Patr. Lat. Toin. CXLYI, col. 1379.
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romaines, qui ne mettaient les frères et les sœurs qu'au second degré. « C'est avec raison, disait Pierre Damien, que nous les nommons Incestueux, puisque, par leur doctrine relâchée, ils autorisent les unions illégitimes, véritables incestes anathématisés par «l'église 1. » La récente découverte des Institutes de Justinien par Lanfranc avait indirectement donné lieu à cette erreur. Les lois romaines plaçaient les frères et sœurs au second degré seulement de consanguinité. Avec une telle législation, étant donné l'incroyable débordement de mœurs qui régnait dans la société du XIe siècle, on fût vite revenu au cynisme des Ptolémées qui avaient établi pour loi dynastique le mariage des souverains avec leurs propres sœurs. Dans son décret contre les nouveaux légistes, Alexandre II s'exprimait en ces termes : « De toutes parts on signale à notre siège apostolique une monstrueuse erreur, mise en avant par des jurisconsultes aussi impies que téméraires, au sujet de la méthode à suivre pour fixer les degrés de consanguinité. Au mépris des lois de l'Église et des règles canoniques qui placent les frères et sœurs au premier degré, ceux-ci ne les mettent qu'au second, et ils s'appuient sur le texte de l'empereur Justinien dans la loi de successionibus consanguineorum. Dans notre synode réuni avec l'aide de Dieu au Latran, nous avons fait étudier cette question par nos frères les évêques et par les magistrats des diverses provinces d'Italie. L'examen approfondi des lois civiles et canoniques a mis en pleine lumière les véritables motifs de la divergence que présentent les unes et les autres, relativement à la manière de compter les degrés de consanguinité. La loi de Justinien, comme son titre l'indique, se rapporte exclusivement aux successions ; dès lors elle devait placer les frères et sœurs au premier degré relativement à l'héritage paternel. Mais les lois canoniques ne s'occupent des degrés de parenté qu'en vue des mariages, dans le but de fixer exactement la limite ou les unions deviennent permises entre chrétiens. L'arbre généalogique devra donc continuer à être dressé en
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1 S. Petr. Damian. De parenteUe gradibus ; Patr. Lat. T. CXLV. col. 191.
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la forme que les saints pères ont établie et que la tradition constante de l'Église a consacrée1.»
43. Le concile romain de 1065 eut à s'occuper d'une question beaucoup plus retentissante, qui agitait depuis trois ans la ville de Florence. Le siége épiscopal y était occupé par un titulaire notoirement simoniaque, Pierre de Pavie, dont le père se vantait publiquement d'avoir acheté la nomination au prix de trois mille livres d'or versées entre les mains des avides conseillers du jeune roi Henri IV. Saint Jean Gualbert et ses moines refusèrent la communion de l'évêque simoniaque; le peuple fidèle les imita. Mais Pierre de Pavie était soutenu par les seigneurs et chevaliers laïques ; le duc Godefroi de Lorraine lui-même se déclara en sa faveur. La lutte sortit bientôt du terrain théologique et prit les proportions d'une persécution effroyable. Un monastère camaldule du titre de Saint-Salvius, voisin de Florence et fondé par Jean Gualbert, fut envahi par les troupes de l'évêque. « Les frères, dit l'hagiographe, étaient réunis dans l'église, chantant l'office de la nuit, quand les soldats entrèrent le sabre nu à la main et égorgèrent ces douces brebis du Christ. Les religieux se laissèrent martyriser sans quitter leurs sièges. Les meurtriers renversèrent alors les autels, pillèrent les vases sacrés, les ornements, les livres précieux, tout l'ameublement, et quand il ne resta de l'abbaye que les murs dénudés, ils y mirent le feu. » Ils croyaient que Jean Gualbert était au nombre de leurs victimes, mais l'homme de Dieu avait quitté la veille le monastère de Saint-Salvius pour se rendre dans celui de Vallombreuse. Un cri d'horreur retentit à Florence, à la nouvelle du massacre et de l'incendie perpétrés par les soldats de l'évêque (1063). Le peuple en foule courut au monastère ruiné. Les restes sanglants des martyrs devinrent l'objet de la vénération publique. On releva l'abbaye, l'église, les autels ; toutes les mains s'employèrent à cette œuvre de pieuse restauration. Le bienheureux Jean Gualbert revint de Vallombreuse avec d'autres religieux, prendre possession du nouvel édifice. Cependant une députatiou du
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1. Àlexmdr. II. /oc. cit.
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clergé catholique s'était rendue à Rome pour solliciter l'intervention du saint-siége contre l'évêque persécuteur (10G4). Alexandre II délégua saint Pierre Damien, qui partit immédiatement pour Florence avec la mission de calmer les esprits jusqu'à ce que la cause de Pierre de Pavie pût être canoniquement jugée dans un synode. Mais l'effervescence était telle que l'illustre cardinal échoua dans toutes ses tentatives. Les religieux et le clergé fidèle exaspérés par la sanglante persécution de Pierre de Pavie ne voulaient accorder aucun délai. Ils regardaient comme nuls et invalides les sacrements conférés par les prêtres restés dans la communion de l'évêque simoniaque, et dans l'impossibilité où l'on se trouvait alors, en raison du schisme de Cadaloüs, de réunir un synode, ils en appelaient à l'épreuve du feu. Pierre Damien de retour à Rome adressa aux Florentins un traité théologique où il démontrait la validité des sacrements conférés par des ministres indignes 1. La thèse était irréprochable, mais les violences de Pierre de Pavie et de ses fauteurs lui faisaient perdre, au point de vue pratique, son opportunité. Les choses furent poussées, à tel point que pour éviter la mort dont ils étaient menacés, l'archiprêtre de Florence ainsi qu'une multitude de clercs et de pieux laïques quittèrent la ville et vinrent se réfugier au monastère de Settimo près de saint Jean Gualbert. Une nouvelle députation se présenta au concile romain de 1065 et posa au pape l'alternative ou de déposer sur-le-champ l'évêque simoniaque ou d'autoriser l'épreuve par le feu. Or, Pierre de Pavie s'était bien gardé de comparaître au synode de Latran, il était donc impossible de le déposer sans l'entendre. D'un autre côté le saint-siége avait depuis longtemps interdit les épreuves judiciaires couuues sous le nom de «Jugements de Dieu. » Le souverain pontife ne pouvant donc accorder l'autorisation qu'on lui demandait renvoya une seconde fois les députés avec injonction de patienter encore. Le ciel en décida autrement.
44. Quelques mois après, Alexandre II recevait la lettre suivante : « Au révérendissime pontife du siège apostolique et pape universel
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1 S. Petr. Damian. De sacram. per improb. administrât. opusc. m; Patr. Lat. Tom. CXLV,' col. 524.
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le clergé et le peuple florentin, hommage de sincère dévotion. Votre paternité a su tous nos désastres et l'odieuse persécution que nous avons subie. Le Seigneur a daigné enfin par un prodige éclatant faire triompher la justice et confondre l'impiété. Un jour, les clercs et le peuple de Florence se présentèrent devant Pierre de Pavie, le persécuteur intrus qui se disait notre évêque, et lui reprochèrent sa cruauté envers les catholiques. « Si vous croyez avoir pour vous le droit, lui dirent-ils, consentez à comparaître au tribunal du saint-siège, ou du moins acceptez l'épreuve par le feu à laquelle s'offrent les moines de Jean Gualbert. » Cette double proposition fut rejetée et l'intrus continua ses violences. Le samedi de la quinquagésime(1066) il fit expulser par le préfet de la ville tous les clercs qui refusaient de lui prêter serment d'obéissance. Ces généreux confesseurs s'étaient groupés dans l'église de saint Pierre, espérant y être en sûreté sous le droit d'asile. Mais les soldats sans respect pour l'immunité ecclésiastique pénétrèrent dans l'enceinte sacrée et emmenèrent leurs victimes chargées de fers. A ce lamentable spectacle, hommes, femmes, enfants accoururent, éclatant en lamentations. Ceux des clercs qui avaient accepté la communion de l'intrus durent se barricader eux-mêmes dans leurs églises pour se défendre contre la vengeance populaire. Le son des cloches, la psalmodie, la célébration de la messe cessèrent dans toute la cité. On entendait partout retentir des vocifératious menaçantes contre les hérétiques fauteurs de Pierre de Pavie. Le dimanche se passa de la sorte dans un tumulte et une anxiété inexprimables. Captifs dans leurs églises, les prêtres et les clercs du parti simoniaque finirent par entamer des négociations. Ils envoyèrent une députation au monastère de Settimo pour affirmer qu'ils étaient prêts à accepter l'épreuve du feu proposée par les moines, jurant d'abandonner l'intrus si le résullat était défavorable à sa cause. A cette nouvelle la cité éclata en transports d'allégresse. Le jour de l'épreuve fut fixé au surlendemain, mercredi des cendres. Dès l'aurore plus de trois mille personnes se transportèrent au couvent de Settimo, où devait avoir lieu le jugement solennel. «Frères, dirent les religieux, que venez-vous chercher ici? » — « Nous venons, répondirent toutes les
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voix, chercher la lumière de la vérité. » — «Par quel moyen espérez-vous obtenir cette lumière? demandèrent encore les moines. — Au moyen de l'épreuve du feu, reprit la multitude. Si le résultat est défavorable à la cause de Pierre de Pavie, nous abandonnerons tous cet évêque, comme un simoniaque et un intrus. — Deo gratias! répondirent les religieux. » — On construisit alors deux bûchers côte à côte, longs chacun de dix pieds, sur cinq de large et quatre et demi de haut, séparés dans toute leur longueur par un sentier de deux pieds et demi de large et parsemé de bois sec. Cependant les moines avaient procédé à l'élection de celui d'entre eux qui devait subir l'épreuve terrible. Leur choix tomba sur Pierre Aldobrandini, lequel par ordre du vénérable Jean Gualbert se revêtit des ornements sacerdotaux et chanta en grande dévotion, au milieu des larmes et des sanglots de la foule, une messe solennelle. A l’Agnus Dei, Kyrie eleison. quatre religieux portant le crucifix, le vase d'eau sainte, douze cierges bénits et allumés, et l'encensoir plein de charbons ardents, quittèrent le chœur et allèrent mettre le feu aux deux bûchers. La multitude qui couvrait la plaine fit retentir les airs des paroles suppliantes du On invoquait le nom de Jésus-Christ, la protection de Marie, l'intercession du bienheureux Pierre prince des apôtres. Quand la messe fut terminée, Aldobrandini quitta la chasuble et gardant tous les autres ornements sacerdotaux prit en main une croix, et précédé des religieux qui chantaient les litanies, s'avança près des bûchers déjà en flammes. Un silence de mort se fit dans tous les rangs, pendant qu'un des moines, élevant la voix parla ainsi : «Hommes frères et femmes nos sœurs, c'est pour le salut de vos âmes, c'est pour vous préserver à jamais de la contagion simoniaque, qu'avec l'aide du Seigneur la formidable épreuve va s'accomplir. Combien de temps voulez-vous que le serviteur de Dieu Pierre Adolbrandini reste dans les flammes?»— A cette interrogation des cris d'étonnement se firent entendre, « Il suffit qu'il traverse ce fleuve de feu ! » disait la multitude.— En ce moment tout le bois des deux bûchers jetait des torrents de flammes, et l'étroit sentier qui les séparait était plein de charbons embrasés. Aldobrandini s'arrêta à l'entrée de la voûte de feu et fit
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à haute voix cette prière :« Seigneur Jésus-Christ, vous la véritable lumière, j'implore votre miséricorde. S'il est vrai que Pierre de Pavie ait acheté à un prix simoniaque l'évêché de Florence, renouvelez en faveur de tout ce peuple le miracle des trois hébreux dans la fournaise, faites moi passer sain et sauf au milieu des flammes.»—Amen, répondirent tous les assistants et chacun des religieux vint donner le baiser de paix au confesseur. Celui-ci traçant alors le signe de la croix sur le bûcher et tenant le crucifix de la main droite, entra pieds nus, le front radieux, le visage souriant, dans l'océan de feu, et le traversa lentement. Les flammes l'environnaient de toutes parts, gonflant son aube de fin lin, faisant voltiger les extrémités de l'étole et du manipule, sans consumer les franges les plus déliées. Sa chevelure ondulait comme au souffle du vent, et pas un cheveu ne brûlait. Quand il fut sorti sain et sauf du sentier ardent il se retourna pour le traverser de nouveau et revenir à son point de départ. Mais le peuple prosterné lui baisait les pieds et les mains, se disputant l'honneur de toucher la frange de ses vêtements. En un clin d'œil le pieux moine se vit exposé à une épreuve d'un genre tout différent et ce fut un nouveau miracle qui le protégea encore contre l'empressement de la foule . Des larmes de joie coulaient de tous les yeux pendant qu'au chant du Te Deum les religieux ramenaient le confesseur dans l'église du monastère 1. » Ces
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1 S. Gualbert. Acta. Patrol. Lat. Tom. CXLVI, col. C93 698. — Desiderius alors abbé du Mont-Cassiu et plus tard promu au souverain pontificat sous le nom de Victor III raconte également ce miracle. Il y ajoute un trait omis par la relation officielle. « Au moment où Aldobrandini allait sortir du sentier de flammes, dit-il, s'étant aperçu que son manipule venait de tomber, il s'arrêta tranquillement ponr le reprendre. » (Vict. III, Dialog. Lib. III ; Patr. Lai. Tom. CXLIX, col. 1012.) L'Église célèbre la fête de saint Pierre Igné le 8 janvier. Si jamais un prodige fut authentiquement constaté, c'est bien celui-ci. La conversion et la pénitence de l'évêque simoniaque le confirment d'une manière irrécusable. Voici pourtant en quels termes M. Villemain (Hist. de Grégoire VII, Tom. I, p. 362) croit devoir l'apprécier : « Il est certain que les bourgeois de Florence, ennemis de l'évêque, écrivirent au pape une longue lettre pour lui raconter tout cet absurde prodige. On peut y voir seulement jusqu'à quel point tout un parti peut mentir ou se tromper, dans un temps d'ignorance et de passion. La lettre d'ailleurs, rédigée par quelques moines fanatiques, ne fut pas sans doute soumise à chacun des assistants. Quoiqu'il
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prodiges qui rappelaient ceux des prophètes bibliques mirent fin au schisme de Florence. Pierre de Pavie, l'évêque simoniaque vint se jeter aux pieds de Jean Gualbert, revêtit l'habit des Camaldules et acheva ses jours dans la pénitence. Aldobrandini ne fut plus connu dès lors que sous le nom de Petrus Igneus (Pierre Igné). Alexandre II le contraignit en vertu de la sainte obéissance d'accepter la dignité cardinalice et l'évêché suburbicaire d'Albano.