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§ III. CONCILE DE MANTOUE.
28. Benzo dut prendre une route moins merveilleuse pour rejoindre son antipape et le consoler de ses disgrâces. Pierre Damien écrivait alors à saint Annon de Cologne : « Déjà une première fois, vénérable père, vous avez sauvé l'Eglise, lorsque frappant du glaive
évangélique l’intrus de Parme, vous avez fait connaître en Allemagne l'autorité du saint pontife Alexandre II. Mettez aujourd'hui la dernière main à votre œuvre, ne laissez point abattre le glorieux édifice relevé par vos efforts. Gadaloüs, ce perturbateur de la sainte église, ce destructeur de la discipline apostolique, cet ennemi du salut des âmes, séduit encore la foi des faibles et les entraîne dans l'erreur. Votre prudence, vénérable père, comprendra la nécessité d'intervenir de nouveau pour résister à ses schismatiques attentats et préparer la tenue d'un concile général qui rendra la paix à l'église et au monde 3. » L'illustre cardinal, dans une
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1.Denzo, ap. Watterich. Tom. I, p. 287-288.
2. Ibld. p. 289. Cf. le N» 20 du présent Chapitre.
3. S. Petr. Daniian. Epist. si, Lia. III; Pair'. Lat. Tout. CXLIV, col. 291.
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autre lettre adressée directement au jeune roi Henri, tenait un langage plus énergique encore « Prince, disait-il, les attentats commis de vos jours contre la sainte Église de Dieu dépassent en horreur tout ce que les siècles passés ont pu voir ; le siège apostolique est revendiqué par un intrus, la discipline chrétienne est anéantie, le travail des apôtres, la splendeur du catholicisme, sont étouffés par la ténébreuse concupiscence des schismatiques. Parmi les membres de votre conseil royal, il en est dont la voix publique signale la coupable attitude ; les malheurs de l'église romaine sont pour eux un sujet de joie; ils flattent tour à tour les deux partis, adressant des messages flatteurs au pape légitime et soutenant en secret l'intrus, ce premier-né de Satan. Prenez garde, seigneur-roi, qu'en laissant déchirer l'unité du sacerdoce, l'empire, ce qu'à Dieu ne plaise, ne soit lui-même divisé. Quand la robe sans couture du Christ est lacérée, croyez-vous qu'on respectera le manteau de pourpre des rois? Au pied du Calvaire les soldats païens n'osèrent partager la tunique du Rédempteur; et des chrétiens ne rougissent pas de morceler la sainte Eglise, d'en jeter les lambeaux à la fureur des schismatiques! Déjà la vengeance de Dieu se fait sentir; des cités, des forteresses, des provinces entières de votre royaume sont envahies par l'étranger. Il est temps, glorieux roi, d'écarter de perfides conseils, et de prendre une résolution virile. Tendez une main secourable à la sainte Église, votre mère désolée. Jadis l'empereur Auguste disait avec orgueil : « J'ai trouvé à Rome une ville de briques, je la laisse de marbre ; » vous pourrez dire avec une fierté plus légitime : «Enfant j'ai trouvé l'église romaine en ruines; le premier acte de mon adolescence fut de lui rendre son antique splendeur. » Vous êtes, suivant l'expression de saint Paul, « le ministre de Dieu pour le bien; c'est pour cela que vous portez le glaive. » Levez-vous donc, au nom du Seigneur, pour la défense de son église. A quoi vous sert une armure si vous ne combattez point, un glaive si vous ne frappez les ennemis de Dieu ? L'heure est venue où Cadaloüs, ce révolté contre le ciel, doit apprendre que la majesté royale de la terre ne laisse point impunis les attentats contre la majesté divine. Montrez que vous êtes le digne héritier de
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la foi, du courage, des vertus de vos aïeux ; à leur exemple mettez les armées de la terre au service du roi des cieux 1.»
29. Les avis de Pierre Damien, autorisés par une sainteté universellement reconnue, prévalurent à la cour d'Allemagne sur les intrigues schismatiques et les dithyrambes païens de Beuzo. L'illustre cardinal avait eu le premier l'idée de réunir en concile les évêques d'Italie et d'Allemagne pour mettre fin au schisme; saint Annon à qui il la suggéra l'avait complètement adoptée et travaillait eflicacément, nous l'avons vu 2, à la réaliser. Or, la lettre de Pierre Damien à ce sujet, écrite loin de Rome au monastère de Fontavellane, n'avait point été préalablement soumise à l'approbation d'Alexandre II. Elle soulevait cependant de graves objections et pouvait engager dans une voie fort dangereuse. Inviter l'archevêque de Cologne à réunir un concile afin de prononcer en dernier ressort dans le conflit élevé entre le pape légitime et l'intrus Cadaloüs, c'était d'une part reconnaître à ce dernier, sinon un droit, du moins une situation officielle et par conséquent donner à l'élection royale dont se prévalait l'antipape une certaine apparence de valeur; c'était d'autre part compromettre la dignité du siège apostolique auquel les canons réservent exclusivement le droit de convoquer les conciles ; enfin c'était subordonner en quelque façon la personne et l'autorité suprême d'Alexandre II au jugement d'une assemblée d'évêques, chose jusque-là inouïe et contre laquelle protestaient tous les précédents historiques et canoniques. Ces considérations n'échappèrent point au génie d'Hildebrand. Le remède proposé par Pierre Damien avec plus de zèle que de prudence, pouvait dans la disposition des esprits devenir à un moment donné pire que le mal. Alexandre II et son fidèle archidiacre lui firent à ce sujet des observations assez vives, auxquelles il répondit par une lettre ainsi conçue : « Au père et au fils, au pape et à l'archidiacre, le moine pécheur Pierre, hommage de servitude. Je vous transmets sans augmentation, diminution ni changement d'une seule syllabe, le texte
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1. S. Petr. Damian. Epist. m, Lib. VII ; Tom. cit. col. 438-442.
2. Cf. le N° 25 du présent Chapitre.
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si durement incriminé de l'épitre adressée par moi à l'archevêque de Cologne. L'exemplaire qu'on vous en a communiqué d'Allemagne a subi des altérations ; vous pouvez maintenant juger si j'ai fait quelque chose contre vous. Jésus-Christ et les saints anges sont témoins de la pureté de mes intentions et de mon entière sincérité. Si ma lettre mérite la mort, je présente la tête à votre glaive: frappez. Du reste je supplie humblement mon saint Satan (Hildebrand) de ne pas sévir avec tant de violence contre moi; que sa révérence superbe ne me flagelle pas de si loin, et que satisfaite maintenant elle s'adoucisse pour son dévoué serviteur. Vous m'invitez tous deux à vous rejoindre à Rome pour vous accompagner au concile de Mantoue. Ce double voyage serait trop fatigant pour ma vieillesse ; permettez-moi donc de ne point aller à Rome où je vous serais moins utile et de me réserver pour Mantoue où je pourrai plus utilement vous servir. L'un et l'autre vous m'adressez la même invitation, et des deux côtés elle revêt à mes yeux le caractère d'un oracle de sainteté. Cependant l'un me parle avec toute la tendresse et l'affection d'un père, l'autre sur le ton comminatoire d'un formidable ennemi; l'un m'apparait dans l'éclat bienfaisant du soleil radieux, l'autre avec la fougue et les tempêtes de l'Aquilon. Je me compare en riant à ce voyageur dont Phébus et Borée se disputaient le manteau. Comme le voyageur mythologique, je déclare que la palme appartient dans cette lutte à celui qui s'est montré le plus doux. J'achèverai mon apologie quand nous nous reverrons à Mantoue 1. »
30. M. Villemain dans son « histoire de Grégoire VII» ne traduit de la lettre de saint Pierre Damien que les trois premières phrases elles lui paraissent injurieuses pour Hildebrand et il en releve la signification en ces termes : « Cette humble et amère ironie semble indiquer assez le joug que l’impérieux archidiacre faisait peser sur ses confrères 2. » La malveillance d'une telle insinuation est visi-
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1. S. Petr. Dam. Epist. xvi, Lib. I; Patr. Lat. Tom. CXLIV, col. 23G.
2. Villemam, Hist. de Greg. VII, Tom. I, p. 364. M. Villemain semble n'avoir pas même pris la peine de parcourir des yeux le reste de la lettre, car il ajoute immédiatement ces paroles : « Pierre Damien refusa d'aller au concile de Mantoue. » Or, Pierre Damien déclare au contraire qu'il se rendra à cette assemblée.
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ble : il eût suffi pour en démontrer l'injustice, de poursuivre la citation jusqu'au bout. La lettre de Pierre Damien dans son ensemble est en effet une peinture au vif de l'intimité qui l'unissait au vénérable pontife Alexandre II et à l'héroïque archidiacre. Lorsque Pierre Damien appelle Hildebrand meum sanctum Satanam, ce n'est pas comme le croyait M. Villemain « une humble et amère ironie. » En aucun temps on ne se permettrait de parler ainsi d'un premier ministre, dans une dépêche commune à lui et à son souverain, à moins d'être avec l'un et l'autre sur un pied de familiarité telle que tous deux pussent accepter en riant une expression piquante. Cette expression d'ailleurs était devenue habituelle au solitaire de Fontavellane, depuis que malgré ses instances vingt fois renouvelées Hildebrand s'était opposé à ses projets d'abdication et de retraite absolue. Nous avons donc le droit et le devoir de protester contre les travestissements posthumes dont la correspondance de saint Pierre Damien avec le plus illustre et le plus cher de ses amis a été l'objet. Le lecteur nous saura gré de réunir ici les textes authentiques qui rétablissent la vérité. Les lettres de saint Pierre Damien à Hildebrand, celles du moins qui nous ont été conservées, sont au nombre de cinq. La première porte pour suscription : «Au soutien du siège apostolique Hildebrand, Pierre, moine pécheur, en gage d'un amour dont les liens sont indissolubles 1 ; » la seconde : « Au bouclier inexpugnable de l'église romaine Hildebrand mon seigneur 2 ; » la troisième : « A l'immuable colonne du siège apostolique le seigneur archidiacre Hildebrand 3; « la quatrième : « A mon révérendissime frère Hildebrand, intime affection et tendresse 4; » la cinquième, celle qu'à la suite de l'incident relatif au projet du concile de Mantoue il écrivait à Hildebrand, s'exprimait ainsi : « Vénérable frère, lorsqu'un saint tel que vous croit devoir m'adresser des reproches, ma désolation est extrême. Rendez-moi la justice de reconnaître que depuis l'époque où l'on m'a de force introduit dans le collège de la sainte église romaine, j'ai partagé
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1. l'ab: Lai. Tom. CXLIV, col. 200. — 2. Ibid. col. 270. — 3 Ibid. col. 273. s Tom. CXLV, col. 543.
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toutes vos luttes, pris part à tous vos combats, non comme un serviteur mais comme un soldat prêt à mourir pour le droit, la justice, la vérité dont vous êtes le défenseur. Votre nom est sans cesse en bénédiction sur mes lèvres, vous le savez, et au besoin le vénérable abbé de Cluny (saint Hugues) pourrait vous le rappeler. Dernièrement comme je l'entretenais de mon chagrin, il me disait en parlant de vous : « S'il connaissait toute la profondeur de l'amour que vous lui portez, il vous le rendrait en consolations ineffables 1. » Ce nuage entre deux grands hommes également saints fut d'ailleurs bientôt dissipé et leur commerce reprit son caractère d'intimité et de gracieux abandon. Un jour Hildebrand ayant reçu en cadeau un poisson, en envoya la moitié au saint cardinal, qui répondit par ce distique : « Je ne m'étonne plus que Pierre soit réduit de nos jours à une telle pauvreté; les fleuves ne produisent plus que des demi-poissons 2. » Une autre fois, comme on parlait de la petite taille d'Hildebrand, qui faisait contraste avec l'étendue de son génie, Pierre Damien improvisa ces deux vers : « Le voilà celui qui subjugue le monde, il a la taille de Sisiphe. Que de gens tremblent devant lui ! Et pourtant moi tout seul je fais de lui bon gré mal gré tout ce que je veux 3. » Pierre Damien faisant allusion aux promotions successives de Nicolas et d'Alexandre II dont l'initiative appartenait à Hildebrand, disait à celui-ci : « Je révère comme il convient le pape, mais devant vous je me prosterne et j'adore; vous le faites seigneur, et lui vous fait dieu 1. » La même pensée se trouve reproduite sous forme de maxime dans ces deux alexandrins : « Veux-tu vivre tranquille à Rome? Adopte
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1 Pat>: Lat. Tom. CXL1V, col. 272.
2. Non mirum Petrus si sit mihi semper egenus,
Cum génèrent médias flumina piseieulos.
(Id. Tom. CXLV, col. 9G7).
3. Hune qui cuncta domat Sisiphi
mensura coarctat,
Quemque tremunt multi, nolens mihi subditur uni.
(Ibid. Tom. CXLV. col. 9C7).
4. Papam rite colo, sed te prostratus adoro ;
Tu facis hune dominum; te facit vite deum.
(Ibid. Tom. CXLV, col. 0G7).
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ma devise: j'obéis au seigneur du pape plus qu'au seigneur pape 1. » C'était à Hildebrand et au pape lui-même que Pierre Damien adressait ces caustiques saillies, à mesure qu'elles échappaient à sa verve intarissable. Ni l'archidiacre ni Alexandre II ne songeaient à s'en offenser. « Un jour, dit encore saint Pierre Damien, le vénérable pontife ayant engagé sans moi une affaire épineuse me demanda d'intervenir pour la terminer. On avait ainsi entonné le Gloria Patri et l'on m'appelait pour dire Sicut erat. J'en fis l'observation en ces vers: « Je n'aime guère le Sicut erat, moi qui n'ai jamais l'occasion de chanter le Gloria Patri. Qui a déjà mangé la tête devrait en bon droit avaler aussi la queue, qui a sucé la moelle peut bien risquer ses dents à casser les os 2. » Ces jeux d'esprit entre trois grands hommes étaient comme l'assaisonnement de leur austérité vraiment admirable. Sous ce rapport M. Villemain rend justice à Hildebrand. « L'archidiacre au milieu de ses grandeurs et de sa puissance, dit-il, gardait les habitudes d'un anachorète. Il ne vivait que de quelques légumes, préférant les plus insipides. Il avait fini, confessa-t-il à Pierre Damien, par s'abstenir tout à fait de poireaux et d'oignons, par scrupule sur le plaisir qu'il trouvait à cette piquante fadeur 3. » Le pape Alexandre II, l'élève de Lanfranc, l'ancien moine de l'abbaye du Bec, observait les mêmes abstinences. Quant à Pierre Damien, il renchérissait encore sur tant de mortifications. « Sauf les jours de fête où il se permettait un peu de poisson, dit son biographe, sa nourriture quotidienne consistait en un morceau de pain noir; pour boisson il ne voulait jamais se servir que d'eau tirée la veille et qui avait perdu toute fraîcheur. Jusqu'à son dernier soupir il porta sur
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1. Vivere vis Iîomse, clara depromito voce :
Plus domino papse quam domno pareo papse.
(Ibid. col, 961).
2. « Sicut erat •• damno, quia nunquam « Gloria » canto.
Qui caput abrasit caudam qitoque jure vorabit : Ossibus ora terat qui sorbuit unie medutlas.
(Ibid. col. 962).
3.Villemain, Hlst. de Grégoire Vit, Tora. I, p. 357. — Cf. Petr. Dam. Opusc. xxxii, cap. I. Pair. Lut. ïoru. CXLV, col. $iô.
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sa chair nue une ceinture de fer armée d'aiguillons. Le bassin dans lequel il lavait les pieds aux pauvres, lui servait parfois à détremper son pain; une natte de jonc formait son lit 1. » Il inventait des raffinements dans l'abstinence. « Il est plus difficile et plus méritoire, disait-il, de renoncer à l'usage du sel qu'à celui de la viande, de s'abstenir de légumes et de fruits que des mets les plus délicats 1-. » Avec un tel genre de vie on comprend que l'archidiacre put envoyer pour quelque jour de fête une moitié de poisson à celui qui l'appelait « son saint Satan. » On conçoit également qu'une telle abnégation personnelle devait attirer comme un aimant le cœur des âmes charitables. «Je prends de toutes mains, disait encore Pierre Damien, mais je distribue tout aux frères ; j'enlève aux riches, mais c'est pour donner aux pauvres 2.»
31. L'affaire du concile de Mantoue imprudemment engagée par le solitaire de Fontavellane et poursuivie par saint Annon de Cologne vérifia au début les appréhensions de l'archidiacre Hildebrand et finit pourtant par une heureuse solution. Voici en quels termes Bonizo de Sutri et le catalogue pontifical de Cencius résument les faits qui se passèrent à la cour d'Allemagne après le dernier échec diplomatique de Benzo. « Les princes, archevêques, évêques, abbés, ducs et comtes du royaume teutonique se réunirent en une diète synodale, et délibérèrent sur les moyens d'extirper le schisme qui désolait l'église romaine, de rétablir la concorde entre le saint-siége et l'empire, de fortifier l'autorité royale en Germanie. On résolut d'écarter absolument des affaires l'impératrice Agnès, laquelle retirée au monastère de Fruttuaria près de Turin entretenait les espérances de l'antipape Cadaloüs. Il ne convient plus, disait-on, de laisser le gouvernement de l'Italie aux mains d'une femme. L'impératrice a témoigné elle-même le désir
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1.Vit. S. Petr. Damian. cap. svm; Patr. Lat. Tom. CXLIV, col. 138.
2.Petr. Damian. Opusc. xxxn, loc. cit.
Mulla quidem tollo, sed fratribus omnia trado : Aufero divitil/us, prsbeo pauperibus.
(Id.Tom.CXLV, col. 362).
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d'entrer en religion, l'heure est venue pour elle de déposer le pouvoir, de rentrer dans la vie privée et de se vouer aux pieux exercices de la vie monastique. Le jeune roi Henri touche à l'âge de l'adolescence. L'archevêque de Brème Adalbert gouvernera l'Allemagne en son nom. L'archevêque Annon de Cologne se rendra en Lombardie, en Toscane et à Rome afin de prononcer définitivement entre les deux pontifes rivaux Alexandre et Cadaloüs. Toutes ces résolutions furent adoptées par le synode 1. » La dernière, celle qui constituait saint Annon juge en dernier ressort entre Alexandre et Cadaloüs était manifestement anticanonique. L'éminente sainteté du vénérable archevêque ne suffisait point à justifier une mesure aussi exorbitante. Hildebrand avait prévu ce mouvement d'opinion dont les conséquences pouvaient devenir plus funestes encore. Mais si l'archidiacre de l'église romaine eut droit de s'inquiéter en apprenant les décisions de la diète synodale (décembre 1068), les partisans de Cadaloüs furent encore moins satisfaits. Voici en quels termes le schismatique Benzo exhale sa douleur ou plutôt sa rage : « Le grand prêtre Annon convoqua de toutes parts les évêques pour son conventicule. Il en vint quelques uns de Ligurie mandés par lettres royales. Anne leur parla ainsi : « Vous savez tous, bien aimés frères, les malheurs qui accablent la sainte église romaine. Secourons cette mère auguste, si nous ne voulons périr nous-mêmes avec elle. Réunis en ce jour sous les auspices du Seigneur, prenons un parti décisif, rallions-nous au pape légitime. Quelles que soient les sympathies de chacun de nous, que le droit, la justice, la vérité, l'emportent sur toutes les considérations personnelles. » A ces mots les évêques italiens se levèrent et dirent : « Les deux églises de saint Ambroise et de saint Apollinaire (Milan et Ravenne) ne sont point représentées ici. Il serait injuste de prendre sans elles une résolution définitive.» Anne écarta cette objection : « Nous réserverons leurs droits dit-il : la sentence que nous allons prononcer sera seulement suspensive, elle
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1. Bonizo Sutr. Ad amie. Lib. VI. Pair. Lat. T. CL, col. 830. — Codex Arc/àv. Vatican, ap. Watterich, tom. I, p. 260.
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ne deviendra définitive qu'au prochain concile de Mantoue. » Les autres évêques acceptèrent cette proposition en disant : « Nous adoptons votre avis. Il est en effet conforme au droit canonique d'accorder un délai avant de prononcer une sentence solennelle. » Le perfide Anne reprit alors la parole : « Maintenant, dit-il, prêtez-moi toute votre attention et avant de me répondre, comprenez bien toute la portée de l'interrogation que je vais vous adresser. Croyez-vous que ma promotion au siège primatial de Cologne ait été canonique? » — « Oui, » répondirent toutes les voix, — « Je suis donc entré par la porte dans le bercail du Seigneur? » demanda-t-il encore, et tous répondirent affirmativement. — « Or, ajouta-t-il, de même que ma promotion au siège de Cologne fut canonique, ainsi le fut l'exaltation du pape Alexandre II sur le siège de saint Pierre; comme moi il est entré par la porte dans le bercail. En conséquence mon avis est que nous reconnaissions tous sa légitimité, jusqu'au prochain concile qui la proclamera définitivement. » — « Non, non ! s'écria Rumold évêque de Constance. Vous êtes légitime archevêque de Cologne parce que votre élection fut canonique, votre ordination régulière, votre consécration parfaitement orthodoxe. Il n'en est pas ainsi d'Alexandre II. Son élection fut faite par le marchand de chevaux Arnaldellus (Richard) qui s'intitule prince de Capoue et par le sarabaïte Prandellus (Hildebrand). Les Normands gagnés à prix d'or l'ont intronisé clandestinement durant la nuit, en dépit des Romains qui ne voulaient pas de ce pape et lui ont résisté jusqu'à effusion de sang. Comment pouvez-vous comparer une telle promotion à la vôtre? » Ainsi parla Rumold, mais le grand prêtre Anne sans tenir compte de ses protestations répliqua : « Ce que j'ai dit est dit. Alexandre II est entré dans le bercail du Seigneur aussi légitimement que j'y suis entré moi-même. Il siégera donc sur le trône de saint Pierre, telle est notre décision provisoire jusqu'au jugement définitif du concile de Mantoue. » — Ayant ainsi clos la discussion, reprend Benzo, il se hâta d'expédier à Rome son neveu Burchard évêque d'Halberstadt afin de porter ces heureuses nouvelles à son Caïphe (Alexandre II) et au Doëg Hildebrand. Ces deux magiciens sonnèrent aussitôt de la trom-
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pette, comme jadis Goliath et ses Philistins contre David. Nous cependant réunis autour du seigneur Cadaloüs dans la cité de Parme, ainsi que le prophète Elie à l'ombre du genévrier 1, nous ignorions toutes leurs perfidies, leurs complots et leurs préparatifs de guerre2.» (décembre 1063).