Darras tome 11 p. 382
57. Les joies de ces pompes chrétiennes s'évanouirent bientôt, pour faire place aux terreurs et aux anxiétés de la situation politique la plus effrayante peut-être qui ait jamais pesé sur le monde. En Occident, Stilicon venait d'être nommé consul. Le poète Claudien achevait de polir les dernières strophes d'un nouveau dithyrambe en l'honneur de cette promotion. Tout à coup se répandit la sinistre nouvelle qu’Alaric, à la tête non plus d'une armée mais d'une véritable invasion de Goths, s'avançait contre l'Italie et assiégeait les remparts d'Aquilée. Stilicon , aussi ambitieux que Rufin, aussi intrigant qu'Eutrope, valait mieux cependant que l'un et l'autre. A une conception nette et ferme, il joignait une volonté énergique et une activité infatigable. Au lieu de confiner Honorius, son impérial gendre, dans l'intérieur d'un palais au milieu d'une domesticité subalterne et avide, il essayait de le faire connaître des populations soumises à son sceptre. Il avait parcouru avec lui les principales cités de l’Italie, et la cour se trouvait à Ravenne au moment où la levée de boucliers d'Alaric vint jeter l'effroi en Occident. Cet coïncidence fit la fortune de Ravenne. Située sur la petite rivière de Montone, à huit kilomètres de son embouchure dans l'Adriatique, cette ville offrait, dans le cas d'une invasion subite de bar-
=========================================
p383 CHAP. III. — CHRYSOSTOME ET GAINAS.
bares, l'avantage d'un port toujours ouvert où l'empereur pouvait s'embarquer de sa personne et éviter un péril imminent. Au nord le Padus (Pô), au sud la chaîne des Apennins lui servaient de barrière. Entre l'une et l'autre de ces défenses naturelles on pouvait rassembler une armée défensive qui trouvait facilement à se ravitailler par le golfe, et suffisait à défendre les passages de l'Illyrie, seul point menacé alors. Milan, au centre des plaines cisalpines, n'offrait aucune de ces ressources. Aussi fut-elle bientôt abandonnée comme capitale, et Ravenne devint la résidence officielle des empereurs d'Occident. Alaric fut en définitive la cause première de ce transfert de métropole. Il était lui-même chassé de ses cantonnements du Péloponèse et de la Grèce par la famine qui décimait son peuple. Depuis les derniers succès du roi des Goths, une immense agglomération de ses compatriotes était venue se grouper à l'ombre de sa nouvelle fortune. C'était une véritable nuée de nomades grossissant chaque jour, ruinant le sol sur son passage sans se préoccuper jamais d'en renouveler les richesses par une culture sédentaire et comptent sur un campement nouveau pour remplacer celui qu'elle venait d'épuiser. Ce caractère d'ailleurs fut commun à tous les barbares qui successivement envahirent le monde romain. On conçoit l'épouvante qui saisit l'Occident tout entier, à l'approche de ces bandes de pillards. Cependant Alaric avait de la diplomatie. Il envoya humblement offrir ses services à l'empereur Honorius. « Si vous ne voulez pas me fixer un cantonnement en Italie, disait-il, donnez-moi le commandement des Gaules. Mon peuple y vivra fort à l'aise, et je défendrai vos frontières contre les Germains et les Francs. » Ces propositions en apparence si bienveillantes jetèrent l'effroi dans toutes les cités italiennes. Stilicon donna l'ordre de fortifier les remparts de chaque citadelle. Milan, Rome, Florence, toutes les places de quelque importance au point de vue militaire furent transformées en forteresses. La levée en masse de tous les hommes valides s'exécuta d'une manière absolue. On alla jusqu'à prévoir le cas où les réfractaires se feraient attacher avec des cordes aux autels des basiliques, et l'on déclara que le droit d'asile dont jouissaient alors les églises ne pourrait être invoqué dans la circonstance présente. L'image de la patrie
========================================
p384 PONTIFICAT DE SAINT INNOCENT I (401-417).
en danger aurait dû exalter de toutes parts le sentiment national. Mais les Romains de cette époque n'avaient plus la fibre patriotique. Les sénateurs, les patriciens, les riches de Rome furent les premiers à s'embarquer avec leurs trésors et leur famille, pour aller chercher dans les îles de la Sardaigne, de la Corse et de la Sicile un refuge contre les barbares. Les routes de terre étaient encombrées de fuyards; les navires étaient insuffisants à emporter toute cette multitude épouvantée. Quand un peuple en est là, l'heure de sa ruine est proche. Honorius donnait d'ailleurs lui-même l'exemple de la peur et de la lâcheté. Il voulait fuir à tout prix avec ses familiers, ses courtisans et sa volière chérie renfermant une poule favorite, nommée Roma, que l'indigne fils de Théodose le Grand prenait plaisir à nourrir de sa main. Stilicon, ce ministre Vandale qui seul alors représentait dans une cour dégénérée le vieil honneur du nom romain, eut besoin de toute son énergie pour retenir l'empereur à son poste. Il y réussit avec peine, à la condition qu'Honorius demeurerait à Ravenne, toujours prêt à prendre la mer si le danger devenait trop pressant. Cependant Alaric, franchissant les défilés des Alpes Juliennes, s'était précipité dans les riches provinces de l'Italie transpadane. Milan fut sur le point d'être envahie. Elle ne dut son salut qu'à une marche rapide de Stilicon, lequel était allé chercher dans la Rhétie, parmi les tribus des Suèves, des Alains et des Francs, une force auxiliaire à opposer aux Goths partout vainqueurs. Enfin, le 5 avril 402, un samedi saint, au moment où le roi barbare fidèle à son plan de stratégie diplomatique, songeait à quitter la Ligurie pour traverser les Alpes maritimes, et entrer dans les Gaules par la Provence, l'armée de Stilicon l'atteignit sur les bords du Tanaro, près de Pollentia, ancien municipe assez considérable, et fort rapproché de la ville actuelle d'Asti. Le combat fut acharné et sanglant. Mais la victoire demeura aux troupes romaines. Le camp d'Alaric, la femme du roi Goth, d'immenses richesses accumulées par les pillards, tombèrent entre les mains de Stilicon. Rome élait sauvée. Le flot barbare rétrograda vers l'Illyrie, et le poète Claudien compara hyperboliquement Stilicon à Cincinnatus. A Scipion, à Marius et à César.
============================================
p385 CHAP. III. — CHRTSOSTOME ET GAINAS.
58. Ce qu'Alaric venait de tenter
en Occident, le goth Gaïnas l'essayait en Orient, avec cette différence
qu'Alaric était un ennemi déclaré de la cour de Ravenne, tandis que Gainas,
depuis la mort d'Eutrope, était officiellement le généralissime des armées de Byzance. Entre Alaric et Gaïnas il y avait sympathie de race, communauté de
vues, rivalité d'ambition. Tons deux voulaient se tailler un empire aux dépens du monde romain. Alaric venait d'échouer à
Pollentia ; mais il se promettait
de prendre sa revanche. Gaïnas avait réussi contre Eutrope ; mais son succès n'avait encore
profité qu'à l'impératrice Eudoxia. Cette Gauloise, portée réellement par un vent de fortune prodigieuse sur le trône de l'Orient,
avait tous les instincts du pouvoir moins la capacité. Nous l'avons vue
naguère assister avec les démonstrations de la piété la plus sincère et la plus
éclatante, à la translation solennelle des reliques des martyrs de Tridentum.
Mais, au moment où elle se prêtait à cet acte extérieur de vertu, elle songeait moins à l'accomplissement
d'un devoir de chrétienne qu'à la popularité qui pouvait en rejaillir sur son nom. Elle gémissait encore sous la tyrannie
d'Eutrope. Quand la révolution de palais dont nous avons précédemment raconté les détails l'en eut délivrée. Eudoxia ne dissimula plus. Elle se
laissa voir telle qu'elle était, impérieuse, passionnée, jalouse du
commandement, et avec cela incapable de secouer le joug d'un favoritisme
subalterne. Cette contradiction apparente d'un caractère naturellement altier avec une faiblesse
indolente, qui non-seulement accepte mais aime et recherche le joug de
courtisans de bas étage, n'est malheureusement pas rare chez les princes. Eudoxia
était belle. Arcadius, son imbécile époux, le savait peut-être : mais d'autres
que lui s'en aperçurent et il ne songea point à leur imposer des réserves.
L'impératrice n'avait porté jusque-là que le titre de nobilissime : elle
reçut, le janvier 400, celui d'Augusta. C'était la première fois qu'une femme était
directement associée à l'empire. On en murmura quelque peu. Honorius crut même
devoir écrire à ce sujet une lettre courroucée à son frère de Constantinople.
Mais le temps des indignations généreuses et efficaces était passé. Les statues
de la nouvelle Augusta
=========================================
p386 PONTIFICAT DE SAINT INNOCENT I (401-417).
furent envoyées à toutes les villes et à tous les municipes, pour être placées à côté de celles des deux empereurs et sur le même rang. Logiquement on ne pouvait guère refuser le titre et les honneurs impériaux à celle qui en exerçait directement et exclusivement l'autorité. Ce fut donc Eudoxia qui régna sous le nom d'Arcadius et succéda au pouvoir d'Eutrope. Malheureusement, tout le monde savait que le comte Jean, maître des sacrées largesses, régnait sur le cœur d'Eudoxia. En sorte que cette dernière ayant mis au monde sur les entrefaites une jeune princesse qu'elle fit cependant nommer Arcadia, il y eut une explosion unanime contre le scandale. En dépit des trois favorites Marsa, Gastricia et Eugraphia qui gouvernaient le sérail et tenaient le sceptre de cette cour de débauchés et d'eunuques, il s'en fallut peu que le mécontentement populaire ne se traduisît par une révolte. Mais les délateurs et les espions d'Eutrope étaient passés au service de l'impératrice. A force d'argent, on étouffa les voix séditieuses. Arcadius ne soupçonna rien ; le peuple se tut. Gaïnas ne fut pas si facile à satisfaire. Il avait successivement renversé les deux premiers ministres Mutin et Eutrope ; il entendait bien les remplacer, et ne voulait absolument pas consentir à laisser Eudoxia hériter d'une succession qu'il regardait comme sienne.
59. Le généralissime goth avait été, on se le rappelle, envoyé avec une armée pour combattre son compatriote et parent Trébi-gild. Tant que le règne d'Eutrope avait duré, Gaïnas s'était borné à éviter toutes les occasions de rencontrer les troupes qu'il avait mission de combattre. Mais, après qu'Eutrope fut mort sans aucun profit pour Gaïnas, celui-ci n'ayant plus rien à ménager fit ostensiblement à Thyatire, en Lydie, la jonction de ses forces avec celles du greuthongue Trébigild, et les deux armées se dirigèrent dans un accord fraternel sur Constantinople. Trébigild suivit la route de l'Hellespont jusqu'à Lampsaque; Gaïnas celle de Bithynie jusqu'à Chalcédoine. Sur leur passage, l'incendie, le pillage et le sang formaient une longue traînée de désastres et de ruines. A mesure que le cercle de fer et de feu se rétrécissait autour de la capitale, les Byzantins pouvaient contempler du haut de leurs remparts les
=========================================
pCHAP. III. — CERYSOSTOME ET GAINAS.
flammes qui dévoraient les cités voisines. Ce fut une terreur sans pareille. Eudora n'avait pas une seule légion à opposer à ces implacables ennemis. Arcadius comptait sur Eudoxia et ne s'inquiétait de tien. Mais Eudoxia s'inquiétait grandement alors et ne pouvait compter sur personne. L'aréopage féminin, doublé des eunuques et des favoris, ne trouva rien de mieux à faire, dans le péril menaçant, qu'une infâme lâcheté. On dicta à Arcadius une lettre autographe dans laquelle le fils de Théodose le Grand déclarait à Gaïnas qu'il l'attendait les bras ouverts, prêt à lui décerner comme au sauveur de la patrie les honneurs du triomphe, et désireux seulement de savoir quelle récompense pourrait être agréable à son noble cœur. Gaïnas répondit fièrement qu'il ferait connaître ultérieurement ses intentions, mais que, préalablement à toute négociation, il demandait la tête de trois hommes dont la trahison avait failli perdre l'empire. Ces trois hommes étaient : le comte Jean; Saturninus, époux de Castricia; et le consul Aurélien. «Envoyez-moi ces traîtres, disait Gaïnas. J'en ferai justice et j'entrerai alors en ami dans la ville de Constantinople. » Le choix des trois victimes était combiné de manière à déshonorer plus encore qu'à désoler la cour byzantine. Le comte Jean, maître des sacrées largesses, outre qu'il était désigné par la voix publique comme le favori de l'impératrice, était le plus cher des confidents d'Arcadius. Saturniuus, homme consulaire et sénateur, en sa qualité d'époux de Castricia était l'un des suppôts du triumvirat féminin qui régnait à la cour. Aurélien était consul ; on n'a pas d’autres détails sur son compte. Vraisemblablement quelque motif semblable l'avait désigné à la proscription de Gaïnas. Celui-ci, campé à Chalcédoine en face de Byzance, attendait le résultat de son message. Il avait nettement déclaré que, si la réponse n'était pas satisfaisante, le pillage de Constantinople par les Goths lui rendrait raison. Eudoxia était au désespoir. Un seul homme lui paraissait de taille à lutter contre la barbarie du généralissime greuthongue. Cet homme, le type et le modèle de toutes les vertus chrétiennes, était Chrysostome. L'impératrice le supplia d'aller trouver Gaïnas. «Votre éloquence triomphera de ce cœur farouche, lui dit-elle. Il
==========================================
p388 PONTIFICAT DE SAINT INNOCENT I (401-417).
a beau être arien, vous êtes un saint, et nul ne résiste à l’accent de votre vertue. » Jean Chrysostome accepta la mission. Il fut convenu que le lendemain matin il partirait en même temps que les trois victimes désignées à la mort, et qu'il emploierait tout son ascendant pour les sauver. Tout se passa selon les termes de ce programme. A l'aube du jour, le comte Jean, le consul Aurélien et le sénateur Saturninus escortés par le grand archevêque traversèrent le Bosphore et vinrent se présenter devant Gaïnas. Celui-ci était à cheval, et il passait une revue de ses troupes. Jetant un regard irrité sur les trois proscrits, il donna l'ordre de les décapiter sur-le-champ. Mais Chrysostome prit la parole. Il s'exprima avec une telle véhémence que le barbare se sentit ému. Gaïnas révoqua l'arrêt de mort et fit conduire les trois victimes en prison. Quand la revue fut terminée et qu'il fut rentré sous sa tente, il parut se repentir de ce mouvement de sensibilité. On lui amena les prisonniers ; il leur signifia qu'il fallait mourir. Trois soldats étaient là, le glaive levé. Les victimes s'agenouillèrent. Mais au lieu de faire tomber ces têtes inclinées, les bourreaux qui avaient le mot d'ordre se contentèrent d'effleurer avec le tranchant du fer le cou des trois proscrits. Gaïnas les fit alors relever et leur notifia qu'il commuait la peine de mort en un bannissement perpétuel.
60. Ainsi se dénoua par un caprice de Gaïnas cette péripétie qui faillit être sanglante. Chrysostome revint à Constantinople. Il aurait pu croire à quelque reconnaissance de la part de l'impératrice et de Castricia. Mais il y a des services qui humilient ceux à qui on les rend. Chrysostome, qui venait de sauver la vie du comte Jean, savait le motif de l'intérêt exceptionnel qu'Eudoxia portait à ce personnage. Il savait de même pourquoi Saturninus, le mari de Castricia, tenait si fort au cœur de l'impératrice. Eudoxia ne pouvait plus regarder Chrysostome sans rougir d'elle-même. Castricia, en favorite bien apprise, n'avait garde de froisser son auguste maîtresse par la moindre expression de reconnaissance vis-à-vis d'un évêque aux instances duquel elle devait de n'être pas veuve. En sorte que, de retour à Constantinople, Chrysostome ne reçut au palais qu'un accueil glacial et presque courroucé. Il
=========================================
p389 CHAP. III.— CUIiYSOSTOHE ET GAÏNAS.
ne s'en émut pas pius que de raison. Le dimanche suivant, rendant compte à son peuple de l'absence qu'il venait de faire, il disait • « J ‘ai dû me séparer de vous pour quelques jours. Je suis allé conjurer les orages et tendre la main à des naufragés sur le bord de l'abîme. Je suis le père commun de tous; il me faut veiller au saut non-seulement de ceux qui sont encore debout, mais de ceux qui tombent; suivre de l'oeil tous les navires lancés sur l'océan du monde, pour aider ceux que pousse un vent favorable, pour arracher aux écueils ceux que bat la tempête. C'est pour cela que je vous ai quittés, ces jours derniers. J'ai multiplié les prières, les remontrances, les supplications, afin d'arracher d'illustres victimes à la mort. Et maintenant, me voici au milieu de vous, dans cette paisible enceinte. Ici tout est calme, et votre barque semble glisser sur une mer tranquille. Songez-y pourtant. Rien n'est stable pour personne dans les choses humaines. Pas d'édifice si solide qui ne puisse à son tour être ébranlé. Ai-je beoin de vous rappeler ces choses? Jetez un regard sur le monde. Partout confusion et tumulte, partout écueils et précipices, récifs cachés sous la vague ; partout la terreur, les périls, les soupçons, les terreurs, les angoisses. La guerre civile est partout, non pas ouverte, mais voilée. Sous la peau des brebis se cachent des loups cruels. Les ennemis déclarés sont moins à craindre que les amis. Ceux qui vous adulaient hier et vous baisaient la main sont aujourd'hui vos adversaires les plus terribles. Hier, ils vous remerciaient d'un bienfait; aujourd'hui, ils vous en font un crime 1 ! »
61. Nous ne savons si c'est là ce que la critique moderne a reproché à saint Jean Chrysostome comme des personnalités outrageantes contre la personne auguste d'Eudoxia. Pour nous, il nous est impossible d'y voir autre chose que l'allusion la plus discrète à des événements qui étaient alors de notoriété publique à Constantinople. Il nous est impnssible de ne pas remarquer en outre cette singulière erreur de la critique moderne qui nous re-
----------------------
1. S. José. Clirysost.. HomMa de Salurnino et Aurelic.no ; Pair, grœc, t. LU, col.*■'» 15.
========================================
p390 PONTIFICAT DE SAINT INNOCENT I (401-417).
présente Chrysostome comme un moine intraitable, un farouche anachorète ignorant le maniement des hommes et des choses ; quand au contraire l'histoire vraie nous le montre appelé à la négociation des intérêts politiques les plus considérables ; quand l'histoire nous apprend que Chrysostome réussit dans la mission la plus délicate et la plus difficile qui fut jamais; quand enfin l'histoire nous atteste que, payé comme tant d'autres par la plus noire ingratitude pour les services qu'il venait de rendre, Chrysostome, loin de publier sur les toits ses légitimes sujets de plainte, se contentait d'en tirer pour son peuple une leçon de morale pratique où ne se révèle pas la plus légère pointe d'aigreur ni de ressentiment personnel. Cependant Gaïnas était toujours là, menaçant et terrible. Son insolence croissait avec la faiblesse de la cour. Ses prétentions ne connaissaient plus de bornes. Il demanda une somme fabuleuse, dont il avait besoin, disait-il, pour indemniser les troupes fidèles qui étaient sous ses ordres. Arcadius ou plutôt la régente Eudoxia souscrivit à la nouvelle injonction. Tous les ordres de l'état, toutes les classes de citoyens concoururent à cet impôt forcé. Mais le chiffre indiqué par le barbare était tellement exorbitant qu'on ne réussissait point à le compléter. Chrysostome donna tous les vases d'or et d'argent des églises de Constantinople. Il les remit lui-même entre les mains de l'impératrice. Grâce à cette offrande spontanée l'avidité de Gaïnas put être satisfaite. Le Goth se torturait l'esprit pour imaginer de nouvelles vexations. Il s'arrêta enfin à l'idée de demander une conférence où l'empereur Arcadius viendrait en personne à Chalcédoine recevoir les ordres qu'il plairait à son sujet rebelle de lui intimer. Le rendez-vous était indiqué dans l'oratoire de Sainte-Euphémie sur la rive du Bosphore en face de Constantinople, demanière à ce que le peuple de Byzance pût voir de ses yeux l'humiliation du fils de Théodose le Grand. Eudoxia ne parut nullement blessée de cette nouvelle exigence. Arcadius monté sur la barque impériale, escorté de tous les eunuques et hauts fonctionnaires de son palais, traversa le Bosphore, vint saluer le barbare et l'embrassa comme son meilleur ami. Gaïnas daigna signifier
=========================================
p391 CHAP. III. — CHRYS0S
alors à cette ombre de monarque qu'il se contenterait pour lui-même des titres de consul et de généralissime de l'empire d'Orient; que Trébigild son allié accepterait de servir sous ses ordres, qu’à ces conditions leurs troupes réunies entreraient pacifiquement à Constantinople et y resteraient tout le temps qu'elles voudraient, Arcadius ratifia cet arrangement. Il jura sur les reliques de Sainte Euphémie qu'il exécuterait fidèlement la convention. Deux jours après, les troupes rebelles ayant à leur tête le consul Gaïnas et le général greuthongue Trébigild entraient triomphalement à Byzance. Certes ! le nom de Bas Empire n'est pas une calomnie.