St Jean Chrysostome 6

Darras tome 11 p. 333

 

37. C'est là le point sur lequel il nous faut insister, maintenant que l'histoire et la chronologie ont fait justice de tant d'autres calom­nies biographiques. Qu'importe après tout que l'on se soit trompé en infligeant sans motif à Chrysostome l'épithète de « prêtre de province? » Qu'importe qu'on se soit trompé en lui faisant passer dans une grotte du mont Casius quarante ans de vie, au lieu de deux ans? Qu'importe que le disciple de Libanius, du divin Mélèce et de Flavien ait vécu vingt-cinq ans sous la direction du premier, huit ans sous celle du second, douze ans sous celle du troisième? A force de témoignages, le lecteur finira par le croire. Mais il restera persuadé que Chrysostome « ressemblait trop à ces opéra­teurs hardis qui aiment l'art pour l'art et abusent du fer et du feu pour extirper un mal sans s'inquiéter beaucoup du malade. » Il restera convaincu que la solitude d'où sortait Chrysostome, « ne l'avait guère habitué au ménagement des hommes, et qu'enfin, d'humeur naturellement chagrine, il était de plus ombrageux, hautain, jaloux de son pouvoir, orgueilleux, opiniâtre, irascible, superbe et violent. » Le lecteur le croira, parce que la critique moderne s'est complue à le dire. Mais, s'il arrivait par hasard que rien de tout cela ne fût vrai et qu'on le prouvât au lecteur, que deviendrait la critique moderne?

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1. Le calcul est facile à contrôler, Chrysostome étant né en 344.

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38. Lorsque de nos jours on instruit à Rome une cause de béatification ou de canonisation, il est d'usage de constituer un avocat d'office, lequel remplit très-sérieusement le rôle de l'opposition, ou suivant l’expression vulgaire, celui du diable. II relève avec une vigilance et une énergie infatigables tous les défauts apparents, tous les travers de caractère qu'il peut découvrir dans la biogra­phie du sujet. Il analyse tous les actes, scrute toutes les intentions, fait ressortir la moindre imperfection et la met en lumière. Or, ce procédé n'est pas nouveau dans l'Église de Dieu. Bien que les ca­nonisations dites régulières, telles que le Saint-Siège les prononce aujourd'hui après des débats contradictoires, ne remontent pas au delà du Xe siècle 1, il est certain que la primitive Église ne dé­cernait pas légèrement le titre de saint. II fallait ou qu'une noto­riété unanime ou universelle ou qu'une enquête préalable eussent établi la légitimité de cette qualification. Or, nous possédons encore maintenant le procès-verbal de l'enquête officielle qui fut faite à Rome, sous le pontificat de saint Innocent I, à propos de Jean Chry-sostome. Ce monument d'un prix inestimable est le Dialogus de Joannis Chrysostomi,  écrit par Palladius, évêque d'Helénopolis. Disons tout d'abord que ce Palladius n'est pas le même que l'auteur de l’Historia Lausiaca dont nous avons eu précédemment l'occasion de parler en racontant les démêlés de saint Jérôme avec Rufin 2. Il y a lieu de croire que les deux homonymes s'assirent successi­vement sur le même siège épiscopal d'Helénopolis, petite cité de Bithynie, ainsi nommée en souvenir de la pieuse mère de Constan­tin. L'auteur du Dialogue sur la vie de saint Jean Chrysostome, avait été, ainsi que nous l'avons dit, le suffragant, l'admirateur et l'ami du grand archevêque de Constantinople. II fut exilé comme lui par l'impératrice Eudoxia. Mais, plus heureux que Chrysostome, il put quitter l'Orient, échapper aux mains des persécuteurs et gagner Rome où il acheva paisiblement sa vie. Son arrivée dans la ville éternelle coïncida avec la funeste nouvelle de la mort

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1 La première canonisation de ce genre est celle de saint Udalric (Ulrich;, évêque d'Augsbourg, prononcée en 993 par le pape Jean XV (Cr. Bolland. Act. Sanctor., (Juîii). — 2. Cf. chapitre II de ce volume, page 228.

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p335 CHAP.   III.   —   CHRYSOSTOME   ET LA   CRITIQUE  MOCERKE.

 

de saint Jean Chrysostome, lequel venait de succomber aux tortures des bourreaux et de rendre à Dieu son âme généreuse, dans la bourgade à demi-sauvage de Cucusa, au fond de l'Arménie. Ce tragique événement qui couronnait la renommée du grand docteur par l'auréole du martyre, et jetait une tache de sang sur la pourpre impériale d'Arcadius, préoccupait au plus haut degré l'attention des esprits en Occident. Grâces aux sourdes rivalités qui existaient entre la cour de Milan et celle de Byzance, on n'avait eu en Italie sur le conflit de Chrysostome et d'Eudoxia que des renseignements incomplets, obscurs, vagues tout au moins quand ils n'étaient pas falsifiés par la chancellerie officielle de Constanti-nople. Palladius se vit donc bientôt entouré d'une foule avide d'apprendre, de la bouche d'un témoin oculaire, les détails authen­tiques de la vie et de la mort de Chrysostome. Celui qui se montra le plus empressé à les recueillir était un diacre de l'Église romaine, nommé Théodore. « Vénérable père, dit-il à Palladius, c'est vrai­ment la Providence qui vous envoie parmi nous. Tous ici nous partageons l'admiration que vous professez pour Chrysostome. Mais, à voir l'affliction que vous cause sa mort, je conjecture que vous avez vécu dans l'intimité de ce grand homme. — Oui, répon­dit l'évêque. — Puisqu'il en est ainsi, reprit Théodore, je vous adjure, au nom du Dieu Tout-Puissant, de nous raconter tout ce que vous avez su de son histoire. Si vous nous trompiez en quoi que ce fût, Jésus-Christ lui-même serait votre juge. D'ailleurs, nous avons reçu ici plus de vingt messagers venus de Constantinople lesquels nous ont parlé de Chrysostome. Nous avons recueilli leurs témoignages, et nous pourrons au besoin les con­fronter avec le récit que vous allez faire 1. » — Pour mettre plus d'ordre dans la discussion qui allait suivre, le diacre Théodore commença par lire in extenso à Palladius toute la correspondance échangée entre le saint siège et les accusateurs ou défenseurs de Chrysostome, d'une part ; puis, de l'autre, toutes les lettres qui

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1 Pallad., Dialog. de Vita S. Joan. Chrysot., cap. I; Patr. grcsc, tom. XLVII. col. 7, 8.

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p336 POSTIFICAl iTS SAINT INNOCENT I (401-417).

 

avaient été écrites à ce sujet par les deux empereurs d'Occident et d'Orient, Honorius et Arcadius, soit entre eux, soit au saint siège 1. Quand il eut terminé cette revue rétrospective, le diacre reprit : « Maintenant, vénérable père, en présence de Dieu qui nous écoute, expliquez-nous comment tant de haines ont pu s'accumu­ler sur la tête de Jean Chrysostome. Y eut-il de sa part une opi­niâtreté coupable qui révolta contre lui de si hauts personnages? N'omettez aucun détail. Faites-nous connaître sa naissance, son enfance et sa jeunesse. Dites-nous comment il fut promu au siège de Constantinople ; combien de temps il le conserva ; quelles étaient ses mœurs, et comment il a fini sa vie, s'il est vrai, comme le bruit s'en répand, qu'il soit déjà mort. La renommée raconte des merveilles de la sainteté et des vertus de cet homme illustre. C'est le bruit universel. Mais j'ai pour principe de n'attribuer que peu d'importance aux récits de ce genre, tant qu'ils ne sont pas con­firmés par des témoignages compétents, émanés d'hommes sérieux et dignes de foi, — Je ne puis qu'admirer votre prudence, cher et bien-aimé Théodore, répondit Palladius. Mais il me semble que mes cheveux blancs et ma dignité d'évêque devraient être à vos yeux une garantie. Cependant, voilà déjà deux fois que vous m'ad­jurez, au nom de Dieu, de ne dire que la vérité. Maintenant donc, vous pouvez avoir toute confiance dans la sincérité de ma parole. Moi aussi, je connais l'anathème de l'Ecriture : « Le Seigneur perdra tous ceux qui profèrent le mensonge2. » — Père très-saint, dit le diacre, s'il ne s'agissait que d'un fait ordinaire, il suffirait de vous voir pour ajouter foi à votre récit. Mais l'enquête que nous allons établir sur la vie de Chrysostome a une importance bien autrement considérable. Nous rendrons compte de ce qui va se débattre entre nous non-seulement à la face du monde et des rois de la terre, mais devant le tribunal redoutable du souverain juge.

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(1) Pallad.,Dialog.de Vita S.Joan.Chnjsos.jrs\i.À-\v.La lecture de ces documents officiels est une nouvelle preuve, entre tant d'autres que nous avons déjà signalées, de la suprématie de juridiction de doctrine et de gou­vernement exercée sans conteste par les papes du IVe et du Ve siècle.

(2) Psalm.,y, 7.

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p337 CHAP.  III.  —  C11RÏS0STOME  ET LA  CRITIQUE  MODERNE.     

 

   Pardonnez-moi donc mon insistance. Je vénère vos cheveux blancs. Mais, vous le savez comme moi, Acace de Bérée porte, lui aussi, cette couronne de la vieillesse. Nous l'avons vu, quand il apporta les lettres d'ordination épiscopale de Chrysostome1. Sa barbe et sa chevelure blanches furent alors très-remarquées. Et cependant, vous dites vous-même que cet Acace de Bérée fut depuis l'un des chefs de la conspiration que vous déplorez, et l'un des plus ardents ennemis de Chrysostome. — A présent, dit Palladius, je comprends que vous êtes un bon trapezita2; que vous ne jugez pas l'intérieur de la tente sur le poil qui la recouvre, mais sur la valeur de celui qui l'habite. Ainsi les temples égyptiens sont magnifiques ; les marbres précieux les décorent, et cependant on y adore des singes, des ibis et des chiens. Vous avez donc raison de dédaigner les ap­parences, de compter pour rien l'aspect extérieur de cette prison de boue qu'on appelle le corps. C'est le mot de l'Écriture : « Dieu ne jugera point comme jugent les hommes. Ceux-ci ne voient que la face ; Dieu scrute le cœur 3. » Si donc nous voulons imiter autant qu'il est en nous la sagesse éternelle, c'est le cœur que nous devons interroger. Aussi, je me livre entièrement à votre disposi­tion pour l'enquête que vous voulez faire. Vous êtes un juge excellent, dès que vous tenez la balance droite et que vous n'in­clinez préalablement ni d'un côté ni de l'autre 4. »

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1 Nous avons précédemment parlé du voyage en Italie d'Acace de Bérée, chargé, conjointement avec le prêtre Isidore d'Alexandrie, par le patriarche Théophile et par saint Chrysostome lui-même, de négocier avec le pape saint Siricius les mesures à prendre pour l'extinction du schisme Paulinien Antioche (Cf. dans ce présent volume, chap. I, n° 61, pag. 104).

2. Nous avons déjà eu l'occasion de faire remarquer qu'une tradition orale, conservée en dehors de l'Évangile, attribuait à Notre-Seigneur Jésus-Christ cette parole : Estote ergo boni trapezitœ; maxime traduite par saint Paul (1 Thess., v, 21) en la forme aujourd'hui connue de tous : Omnia probate, quod bonum est tenete. C'est à cette tradition que Palladius fait allusion ici. Le trapezita, ou changeur, contrôle la monnaie avant de la recevoir, et ne se laisse tromper ni au son ni à l'apparence extérieure.

3.11 Reg., xvi, 7.

4. Pallad., Dialog. de Tita S. Joan. Chrys., cap. iv; Pair, grac, tom. XLV1I, toi. 16-13.

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   39. Cette citation, un peu longue peut-être, était indispensable pour faire connaître très-exactement au lecteur le caractère réel du dialogue de Palladius, de Vita S. Joannis Chrysostomi. Le diacre romain Théodore y joue, au pied de la lettre, l'office d' « avocat du diable; » c'est-à-dire qu'il accumule l'une après l'autre toutes les objections possibles contre la sainteté de Chrysostome. Il lui cherche des torts et les exagère; il présente sous toutes les faces les circonstances atténuantes qui auraient, de façon ou d'autre, excusé la conduite des ennemis du grand docteur. Or, savez-vous ce qu'a fait la critique moderne, dans l'appréciation si épouvanta-blement chargée qu'elle vient de nous donner du caractère de saint «Jean Chrysostome? La critique moderne a tout simplement copié mot à mot chacune des objections que le diacre Théodore présen­tait à Palladius. Théodore exposait ses objections avec gravité et respect, sous forme dubitative. La critique moderne les a trans­formées en affirmations solennelles, précises, acceptées et irréfutables. Palladius répondit à toutes les objections du diacre; il y répondit péremptoirement. La critique moderne n'a pas dit un seul mot des réponses de Palladius. A la fin de cette rigoureuse enquête, véritable modèle d'un procès en canonisation, Théodore se déclara complètement édifié sur la fausseté des calomnies dont les adversaires de Chrysostome s'étaient servis pour atténuer leur crime et flétrir la mémoire de l'illustre athlète de Jésus-Christ. Voici ses paroles. « 0 mon père, dit-il à Palladius, puisse la misé­ricorde de Dieu vous récompenser de votre courage ! Vous avez bien fait de repousser toute communion avec les persécuteurs de Jean. Vous avez rendu à l'Église un immense service en nous apprenant la vérité tout entière. Le Seigneur Tout-Puissant ne laissera pas sans gloire le sacrifice de Jean, son héroïque serviteur, lequel a souffert la mort pour la liberté du ministère évangélique. L'Église romaine ne communiquera plus avec les évêques d'Orient, fauteurs de tant de  désordres,  ni surtout avec le  patriarche d'Alexandrie Théophile, jusqu'à ce que le Seigneur nous ait per­mis d'assembler un concile général, où l'on prendra des mesures définitives contre les membres gangrenés et pourris qui désho-

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p339 CHAP.   ni.   —  CflRYSOSTOJIE   ET  LA  CRITIQUE  MODERNE.   

   

norent l'Église. Le bienheureux Jean s'est endormi en paix dans le Seigneur, mais la vérité veille sur sa mémoire. S'il m'est donné un jour d'interpeller en face ceux qui ont commis de tels forfaits au sein de l'Église, je leur dirai : Qu'avez-vous fait de l'honneur du sacer­doce? Où est la sainteté de votre ministère, la douceur de votre vocation, le sentiment naturel à toute l'humanité? 0 trois et quatre fois misérables ! Vous vous êtes acharnés sans raison, sans motif, contre l'innocence même; vous n'avez pas reculé à la pensée de l'égorger de vos mains! Voilà ce que je leur dirai, à ces arti­sans d'iniquité, de mensonge et d'infamie. Quant à toi, bienheu- reux Jean, de quelles fleurs tresserai-je la couronne immarcescible de gloire que mérite ton front vainqueur? Tu as subi la tempête, et tu en triomphes aujourd'hui. Qui aime Jésus-Christ t'aimera éternellement et ne sera jamais confondu1! » — Ainsi concluait le diacre Théodore, à la fin de son enquête officielle. La critique mo­derne ne le laisse même pas soupçonner.

 

40. De bonne foi, un procédé de ce genre est-il fait pour rehaus­ser dans le monde la loyauté, l'honneur des lettres françaises? Mais peut-être que nous nous trompons. Notre admiration pour saint Chrysostome, admiration préconçue, mal raisonnée, aveugle, comme le sont d'ordinaire les préjugés, pourrait nous faire illusion et nous rendre à notre insu trop partial dans nos appréciations vis-à-vis de la critique moderne. Soit. Voici les pièces du procès. Le lecteur jugera. La critique moderne dit : « Monté sur le siége métropolitain de l'Orient 2 par la volonté de l'empereur et de son ministre, malgré l'opposition du clergé de la ville et les cabales d'évêques considérables de province, Chrysostome avait eu de rudes débuts et malheureusement rien en lui n'était fait pour les adoucir 3. » — Le diacre Théodore faisait à Palladius une

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1 Pallad., Dialog. de Vita S. Jocm. Chrys., cap. IV; Pair, grœc, tom. XLVir, col. 78; 79.

2. Le lecteur sait déjà que le premier siège d'Orient était celui d'Alexan­drie, et le second celui d'Antioche. Les décrets du concile de Nicée sont formels sur ce point. Par conséquent, le siège de Constantinople n'était nullement le premier siège de la chrétienté orientale.

3. Cf. le portrait de saint Chrysostome, par M. Thierry, n° 16 de ce présent chapitre, p. 295.

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objection moins injurieuse dans les termes, mais équivalente dans le fond. Il disait : «Comment le patriarche Théophile, un homme dont vous reconnaissez l'habileté, a-t-il pu s'opposer à la consé­cration épiscopale de Chrysostome? Comment ne voyait-il pas qu'en s ‘opposant à l'élection d'un tel sujet, il allait soulever l'opi­nion contre lui ? Il faut donc admettre que Théophile n'était pas seul de son parti, et qu'il avait par devers lui des raisons considé­rables 1. » — Ou nous nous trompons étrangement, ou ces deux objections, l'une du diacre Théodore, l'autre de la critique mo­derne, sont exactement les mêmes. L'une a engendré l'autre ; la seconde a reproduit la première, avec cette différence toutefois que la critique moderne s'est dispensée de faire connaître la réponse. Cependant Palladius répondait au diacre Théodore que l'unique opposition qui se fût produite au sacre de Chrysostome avait été celle du patriarche Théophile d'Alexandrie; celle-là seule, pas une autre. Que si la critique moderne ne voulait pas s'en rapporter sur ce point au témoignage catégorique de Palladius, elle avait celui de Socrate, autre chroniqueur contemporain, témoin oculaire, et dont la critique moderne fait grand cas pour des raisons que nous dirons bientôt. Or, Socrate nous déclare que Chrysostome, com­battu en effet par Théophile d'Alexandrie, avait été élu à l'épiscopat de Constantinople «par le suffrage unanime de tous, je veux dire par le clergé aussi bien que par le peuple : » YriitsuaTi v.otvw ô[j.oû m7.v™v, Y.l-fifdM -c£ <fr,[« xaî >.ao3 \ Est-ce clair? Sozomène, autre historien et témoin également oculaire, tient absolument le même langage. Nous l'avons reproduit précédemment in extenso ; nous le rappelons pour mémoire. Voici ses paroles textuelles : Tr.çisajuvtov £s touto tqv ).aoû, xai tou %Ay(pou, y.ai ô PacO.eù; cjv^vsi, y.ai toù; a^ovta; aÙTOv *eKÔ,u.x». EuvewxXei SI xotï cûvoSov, xat toûtw <7E[ivoTÉpav xrçv y_Eipo"c<mav  GEL/.vûr.

Voilà qui est encore suffisamment explicite. Sozomène affirme, comme Socrate, comme Palladius, que tout leclergé, tout le peuple deConstantinople unanimement avaient élu Chrysostome ; qu'un synode de tous les évêques d'Orient avait été convo-

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1 Pallad., Diatiii). ne Vi.u C'-n/:. !":. ':i:., Jui.  i'J. — 2.Socrat.  liai, cerfit^ lib. Vlj ciii*. II; l'-.tli. ji'w... lo.i-. La \.!,tu!. rjiii.

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p341 CHAP. III.   —  CHRÏS03TOJIE   Eï  LA   CRITIQUE  1I0DERKB.

 

que pour donner plus de solennité au sacre; et qu'enfin, dans cette manifestation solennelle du sentiment public, il n'y eut qu'une seule discordance, une seule, pas plus, celle du patriarche d'Alexandrie Théophile, lequel fut sommé par Eutrope de se ral­lier au sentiment unanime du clergé, toï; Sî.Xoi; UpsOcr. av^r^imnia., ou de décliner les motifs canoniques qui l'en empêchaient 1. Encore une fois, cela est clair. Tous les autres biographes de saint Jean Chrysostome, tels que Georges d'Alexandrie, Martyrius d'Antioche, Théodore de Trimithunte, et les palimpsestes de Tusculum remis en lumière par le cardinal Maï, de regrettable mémoire, tiennent absolument le même langage. Où donc la critique moderne a-t-elle découvert que Chrysostome « monta sur le siège métropolitain de tout l'Orient malgré l'opposition du clergé de la ville et les cabales d'évêques considérables des provinces? » La critique moderne n'a trouvé cela nulle part. Elle l'a conjecturé en exagérant l'objection faite par le diacre romain Théodore au saint évêque Palladius; et elle a transformé en une affirmation décisive l'objection de Théodore et ses propres conjectures, sans se préoccuper un instant du devoir d'impartialité qui incombe à tout historien sérieux.

 

41. « A peine, dit la moderne critique, le nouvel élu était-il ins­tallé sur son siège, que la guerre commença entre lui et ceux qu'il venait gouverner. — En lutte avec tout le monde, il ne réussit, chose triste à dire, que contre celui qui l'avait élevé. » Le diacre romain fait exactement la même objection à l'évêque Palladius. « Comment, lui demandait-il, Chrysostome a-t-il pu soulever contre sa personne la haine de tant de gens, et surtout l'animadversion de personnages si élevés ? » Il est vrai que Palladius répondit pé­remptoirement à l'objection du diacre. Mais la critique moderne supprime complètement cette réponse. La voici. « Toute la terre a su, dit Palladius, que la conspiration ourdie contre Chrysostome eut pour chefs trois évêques seulement : Théophile d'Alexandrie, Acace de Bérée et Sévérianus de Gabala; deux prêtres et cinq

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1 Sozomen., Bist. eccksn lib. Vill, cap, n; Pair, greee, tom. LXV1I, c<^

13l7-152tt.

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diacres du clergé de Constantinople tellement décriés pour leurs mœurs que je ne sais, en vérité, s'il convient de leur donner le titre de diacres ou de prêtres; de plus, à la cour de l'empereur, en fait d'hommes, deux ou trois officiers seulement lesquels mirent la force militaire qu'ils commandaient au service de Théophile ; en fait de femmes, trois veuves disposant d'une grande fortune acquise à force de rapines. Elles sont assez connues par les émeutes et les violences qu'elles ont excitées pour que je puisse les nommer. C'étaient Marsa, femme de Promotus ; Castricia, femme de Saturninus, et Eugraphia, la plus acharnée des trois ; son emportement allait jusqu'à la fureur. Vous savez qu'au-dessus de ces femmes il y en eut une autre; mais je respecte son rang et j'aurais honte de la désigner par son nom1. » Palladius, sous cette réticence, indiquait suffisamment l'impératrice Eudoxia. Cette réponse de l'évêque d'Hélénopolls réduisant le nombre des ennemis de saint Jean Chrysostome à cinq seulement des membres les plus gangrenés du clergé de Constantinople, trois évêques étrangers, trois officiers et quatre femmes de la cour, en tout quinze personnes, valait, il nous semble, la peine d'être remarquée. Il y a loin de cette appréciation à celle de la critique moderne, laquelle déclare, « qu'à peine ins­tallé sur son siège, le nouvel élu fut en guerre avec tout le monde et eut tout le monde contre lui. » Un évêque, même de nos jours, qui n'aurait dans son diocèse que quinze personnes hostiles à son administration, passerait à juste titre pour le plus heureux et le plus aimé des évêques. La réponse de Palladius est donc d'une importance extrême. Nous ne prétendons point que la critique moderne eût le devoir de l'accepter sans contrôle. Le diacre Théodore ne l'admit pas lui-même si facilement ; nous en aurons bientôt la preuve. Mais enfin il fallait en prendre note et la con­fronter avec d'autres témoignages, pour en dégager impartialement la valeur réelle. Or, les sources authentiques de la tradition rela­tives à la biographie de saint Jean Ghrysostome ne manquent pas.

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1 Pallail., Vialog. efe Yita S. Joan. Chrytost., cap. IV; Pair, grac, toia. clt._ •ol. 16.

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p343 CHAP.  m.  — CnRÏSOSTOME  ET LA  CRITIQUE  MODERNE.     

 

On pouvait, par exemple, lire le chapitre suivant de Sozomène : «Jean administrât admirablement l'Église de Constantinople, dit cet historien. Il convertissait des multitudes de païens et d'hérétiques. On affluait autour de lui, sans vouloir le quitter : les fidèles, pour profiter de ses instructions; les autres, dans l'espoir de le prendre en défaut. Mais Chrysostome les séduisait les uns et les autres, par­ le charme de ses mœurs et de sa parole ; il les conquérait tous à la foi véritable. Le peuple était avide de ses discours et ne pouvait s'en rassasier. L'empressement était tel qu'on s'étouffait autour de la chaire épiscopale, se portant les uns sur les autres au risque de s'étouffer pour mieux l'entendre. Jean Chrysostome fut obligé de renoncer à l'usage suivi jusque-là par ses prédécesseurs de parler du haut de leur trône. Il se plaçait sur l'ambon destiné aux lec­teurs, et de là, dominant la foule, ses discours arrivaient plus faci­lement à ses milliers d'auditeurs 1. La chrétienté de Constantinople était donc dans l'état le plus florissant : elle croissait chaque jour en fruits de grâce et de salut 2. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon