p189
2
LE DÉPLOIEMENT DE LA PROFESSION
DE FOI AU CHRIST DANS LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES
I. “CONÇU DU SAINT‑ESPRIT, NÉ DE LA VIERGE MARIE”
L'origine de Jésus est entourée de mystère. Sans doute, les habitants de Jérusalem objectent à sa messianité, dans l'évangile de Jean, le fait que l'on sait « d'où il est; tandis que le Christ, quand il viendra, personne ne saura d'où il est» (Jn 7, 27).
Mais aussitôt après, les paroles de Jésus démontrent à quel point leur prétendu savoir au sujet de son origine est insuffisant: « Je ne suis pas venu de moi‑même, mais il est véritable celui qui m'envoie, et vous ne le connaissez pas » (7, 28). Assurément, Jésus est originaire de Nazareth. Mais que savons‑nous de sa véritable origine, même si nous connaissons le lieu géographique d'où il est issu?
L'évangile de Jean souligne sans cesse que la véritable origine de Jésus est « le Père », il vient du Père d'une manière autre et bien plus radicale que n'importe lequel des envoyés de Dieu avant lui.
Cette origine de Jésus dans le mystère de Dieu « que personne ne connaît », les récits de l'Enfance, dans Matthieu et Luc, nous la décrivent, non pas pour lever le mystère, mais pour l'attester comme tel.
Les deux évangélistes, surtout Luc, racontent les débuts de l'histoire de Jésus presque entièrement en termes de l'Ancien Testament, afin de montrer ainsi de l'intérieur que ces événements sont l'accomplissement de l'espérance d'Israël, et pour les intégrer dans l'ensemble de l'histoire de l'alliance de Dieu avec les hommes.
Le mot par lequel, chez Luc, l'ange salue la Vierge, s'apparente étroitement à la salutation du prophète Sophonie, que celui‑ci adresse à la Jérusalem sauvée des temps eschatologiques
=================================
p190 JESUS‑CHRIST
(So 3, 14 ss); il reprend également les paroles de bénédiction, par lesquelles on avait salué les femmes célèbres d'Israël (Jg 5, 24; Jdt 13, 18).
Marie est ainsi désignée comme le saint reste d'Israël, comme la vraie Sion, vers laquelle s'étaient tournées les espérances au milieu des malheurs de l'histoire. Avec elle commence, d'après le texte de Luc, le nouvel Israel, ou plutôt : il ne commence pas avec elle, mais elle l'est, elle, la « fille de Sion », en qui Dieu établit un nouveau commencement47 .
La promesse centrale n'est pas moins chargée de réminiscences: « L'Esprit‑Saint viendra sur toi, et la puissance du Très‑Haut te prendra sous son ombre. C'est pourquoi ce qui naîtra de toi sera appelé saint: Fils de Dieu» (Lc 1, 35).
Par‑delà l'histoire de l'Alliance d'Israël, le regard porte ici jusqu'à la création : l'Esprit de Dieu est, dans l'Ancien Testament, la puissance créatrice de Dieu; c'est lui qui, à l'origine, planait sur les eaux et changeait le chaos en cosmos (Gn 1, 2); lorsqu'il est envoyé, les êtres vivants sont créés (Ps 104 (103), 30).
Ainsi ce qui doit arriver en Marie est une nouvelle création: Dieu qui a appelé l'être du néant, établit au milieu de l'humanité un nouveau commencement; sa Parole devient chair.
L'autre image de notre texte ‑ la puissance du Très‑Haut te couvrira de son ombre ‑évoque le Temple d'Israël et la sainte Tente du désert, où Dieu manifestait sa présence par la nuée, qui cache et révèle à la fois sa Gloire (Ex 40, 34; Jg 8, 11). De même qu'auparavant Marie était présentée comme le nouvel Israel, comme la véritable « fille de Sion », elle apparaît maintenant comme le Temple, sur lequel descend la nuée, dans laquelle Dieu pénètre au milieu de l'histoire.
Celui qui se met à la disposition de Dieu disparaît avec Lui dans la nuée, dans l'oubli, dans l'insignifiance et devient par là‑même participant de sa gloire.
La naissance de Jésus à partir de la Vierge, telle qu'elle nous est racontée dans les évangiles, a offusqué depuis toujours les rationalistes de tous ordres.
On cherchera à minimiser le témoignage du Nouveau Testament par la distinction de différentes couches littéraires, à le réduire au symbolique, en rappelant l'absence de mentalité historique scientifique chez les anciens, on cherchera à le
=================================
p191 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
faire entrer dans le cadre de l'histoire des religions, pour le présenter comme la variante d'un mythe.
Le mythe de la naissance miraculeuse de l'enfant‑sauveur est de fait très largement répandu. Il exprime une nostalgie de l'humanité : la nostalgie de la fraîcheur et de la pureté, personnifiées par la vierge intacte; la nostalgie d'une présence vraiment maternelle, rassurante, adulte, et pleine de bonté; il exprime enfin l'espérance, qui reprend vie chaque fois que naît un homme ‑ l'espérance et la joie que représente un enfant.
On peut sans doute admettre comme vraisemblable qu'Israël aussi a connu des mythes de ce genre; le passage d'Is 7, 14 (“Voici qu'une vierge concevra... ») pourrait bien être l'écho d'une telle attente, même si le texte lui‑même n'indique pas directement qu'il soit question ici d'une vierge au sens strict 48.
Si l'on devait comprendre le texte à partir de telles origines, cela voudrait dire que le Nouveau Testament aurait repris par ce biais les aspirations obscures de l'humanité vers la « vierge‑mère »; quoi qu'il en soit, un tel archétype de l'histoire humaine n'est sûrement pas sans signification.