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5) Accomplissement et espérance
La foi chrétienne affirme que le salut des hommes est accompli dans le Christ; en Lui a commencé irrévocablement l'avenir véritable de l'homme, qui, tout en restant avenir, est déjà réalité, partie de notre présent.
Cette affirmation contient un principe d' «accomplissement » qui est de la plus haute importance pour la forme de l'existence chrétienne, pour la forme de la décision existentielle que représente la vie chrétienne.
Essayons de préciser cela. Nous venons de constater que le Christ est l'avenir déjà commencé de l'homme, son accomplissement déjà inauguré. Dans le langage de la scolastique, on avait exprimé cette idée en disant que la révélation était achevée avec le Christ.
Cela ne siginifie évidemment pas que Dieu, après avoir communiqué un certain nombre de vérités, aurait décidé de ne plus en ajouter d'autres. Cela veut dire plutôt que le dialogue de Dieu avec l'homme, l'insertion de Dieu dans l'humanité en Jésus, cet homme qui est Dieu, est arrivé à son terme.
Dans ce dialogue, il ne s'agissait pas, et il ne s'agit pas de dire quelque chose, de dire beaucoup de choses, il s'agit de se communiquer soi‑même dans la parole.
Le but de ce dialogue n'est donc pas atteint lorsque la plus grande somme de connaissances possible aura été communiquée, mais lorsque à travers la Parole, l'amour apparaît et que dans la Parole, le «Tu» et le «Tu» se touchent.
Le sens du dialogue ne se trouve pas dans une troisième réalité, dans un savoir objectif, mais dans les partenaires eux‑mêmes. Il signifie communion.
Or, dans l'homme Jésus, Dieu s'est révélé définitivement lui‑même:
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Jésus est sa Parole et en tant qu'il est sa Parole, il est Dieu lui‑même.
La révélation ne s'arrête donc pas ici parce que Dieu a décidé positivement de l'arrêter, mais parce qu'elle est arrivée à son terme, ou comme le dit Karl Rahner: « Il n'est plus rien dit de nouveau, non pas malgré qu'il y eût encore beaucoup à dire, mais parce que tout a été dit, tout a été donné dans le Fils de l'amour, dans lequel Dieu et le monde sont devenus un43 . »
En continuant la réflexion dans cette ligne, on découvre encore un autre aspect. Si, dans le Christ, le but de la révélation et celui de l'humanité ont été atteints, parce qu'en Lui être Dieu et être homme se touchent et s'unissent, cela veut dire en même temps que le but atteint n'est pas une limite rigide, mais un espace ouvert.
Car cette union qui a été réalisée en cet unique point Jésus de Nazareth, doit s'étendre à l' « Adam » total et le transformer en « Corps du Christ ». Aussi longtemps que cette totalité n'est pas atteinte, aussi longtemps qu'elle est restreinte à un seul point, ce qui s'est passé dans le Christ reste à la fois terme et commencement.
L'humanité ne peut aller ni plus avant ni plus haut que le Christ, car Dieu est ce qu'il y a de plus avant et de plus haut; chaque progrès apparent au‑delà du Christ est une chute dans le vide. L'humanité ne saurait le dépasser, et en ce sens le Christ est le terme; mais elle doit s'intégrer en Lui, et en ce sens il est seulement le véritable commencement.
Nous n'avons pas à réfléchir ici sur le recoupement du passé et de l'avenir qui résulte de là pour la conscience chrétienne, ni à considérer qu'ainsi la foi chrétienne, lorsqu'elle se retourne vers le Jésus historique, regarde en avant vers le nouvel Adam, vers l'avenir que Dieu destine à l'homme et au monde. Nous avons déjà parlé de tout cela plus haut.
Ici il s'agit d'autre chose. Le fait que la décision définitive de Dieu concernant l'homme est déjà prise signifie- selon la conviction de la foi ‑ que le définitif est présent dans l'histoire, même si ce définitif est tel qu'il n'exclut pas l'avenir, mais qu'il l'inaugure.
Il en résulte que le définitif, l'irrévocable est présent aussi, et doit l'être, dans la vie de l'homme, surtout là où l'homme rencontre ce définitif divin dont nous venons de parler.
Cette assurance que le définitif est déjà présent, et qu'en lui l'homme
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est gratifié d'un avenir ouvert, est caractéristique de la vision chrétienne de la réalité: le chrétien ne saurait admettre le perpétuel recommencement impliqué dans l'actualisme, qui se situe simplement par rapport à chaque instant présent, sans jamais atteindre le définitif.
Le chrétien sait au contraire que l'histoire va de l'avant; or, le progrès exige une orientation définitive; c'est cela précisément qui le distingue du mouvement circulaire qui ne mène pas à une fin.
La lutte pour l'irrévocabilité du christianisme a été menée, au Moyen Age, comme une lutte contre l'idée d'un « troisième royaume » : au « royaume du Père” de l'Ancien Testament aurait succédé le deuxième royaume, celui du Fils, qui est le christianisme vécu jusqu'à maintenant et qui est déjà bien meilleur; mais celui‑ci devra être remplacé par le troisième royaume, le temps de l'Esprit 44.
La foi à l'incarnation de Dieu en Jésus‑Christ ne saurait admettre un « troisième royaume»; elle croit au caractère définitif de cet événement et elle se sait pour cette raison ouverte à l'avenir.