p139 JE CROIS EN JESUS‑CHRIST
3) Jésus‑Christ, vrai Dieu et vrai homme
I. POINT DE DÉPART DE LA QUESTION
Revenons encore une fois à la question christologique au sens strict, pour éviter de présenter nos considérations comme de simples affirmations ou même comme une façon de se réfugier dans les problèmes actuels.
Nous avions constaté que l'adhésion chrétienne à Jésus équivalait à le reconnaître comme Christ, c'est‑à-dire comme celui en qui personne et oeuvre sont identiques; à partir de là, nous avons découvert l'unité qui existe entre foi et amour.
La foi chrétienne, en se détournant des idées pures et de toute doctrine abstraite pour se tourner vers le « Moi” de Jésus, conduit à un « Moi » qui est ouverture totale, qui est tout entier “parole”, tout entier « fils”.
Nous avons vu également que les concepts de “ parole » et de “fils” doivent exprimer le caractère dynamique de cette existence, sa pure actualitas. La parole ne subsiste jamais en elle‑même, elle vient de quelqu'un et elle est là pour être entendue, elle est donc ordonnée à d'autres. Elle ne subsiste que dans la totalité de cette double relation; “à partir de” ‑ « pour”.
Nous avions trouvé le même sens pour le concept de “fils”, qui exprime lui aussi cette suspension entre deux pôles. Tout cela pourrait se résumer dans cette formule: la foi chrétienne ne se réfère pas à des idées, mais à une personne, à un “Moi”, un “Moi” défini comme parole et fils, c'est‑à‑dire comme ouverture totale.
Or, cela entraîne deux conséquences, où apparaissent la problématique interne de la foi (dans le sens d'une foi en Jésus reconnu comme Christ, comme Messie), et le nécessaire dépassement de cette foi, pour arriver au plein scandale de la foi au Fils (foi en la divinité véritable de Jésus).
Car si, comme nous l'avons dit, la foi reconnaît dans le “ Moi” de Jésus une pure ouverture, un être tout entier «à‑partir‑du Père”; si, par toute son existence, ce “ Moi” est “Fils”, actualité d'un pur service ‑ si, autrement dit, cette existence n'a pas seulement de l'amour mais est amour, n'est‑elle pas alors nécessairement identique à Dieu qui seul est l'amour?
Jésus, le Fils de Dieu, n'est‑il pas alors lui‑même Dieu? N'est‑il pas vrai alors que le «Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu” (Jn 1, 1) ?
Mais la question inverse se pose également, pour nous forcer à dire si cet homme
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est tout entier ce qu'il fait, s'il est tout entier derrière ce qu'il dit, s'il est tout entier pour les autres; si en se «perdant» ainsi, il reste pourtant entièrement lui‑même, s'il est celui qui s'est trouvé en se perdant (cf. Mc 8, 35), n'est‑il pas alors le plus humain des hommes, la plénitude même de l'humain?
Avons‑nous alors encore le droit de résorber la christologie (discours sur le Christ) dans la théologie (discours sur Dieu) ? Ne devons‑nous pas plutôt revendiquer Jésus passionnément comme homme, et faire de la christologie un humanisme, une anthropologie?
Ou alors l'homme authentique, par le fait même qu'il est entièrement et authentiquement homme, serait‑il Dieu, et Dieu serait‑il précisément l'homme authentique? Serait‑il possible que l'humanisme le plus radical et la foi au Dieu de la révélation se rejoignent ici jusqu'à se confondre?
On peut voir, je crois, que ces questions, dont la force a ébranlé l'Église des cinq premiers siècles, surgissent spontanément de la confession de foi christologique; la lutte dramatique qui s'est livrée alors autour de ces questions, a abouti, dans les conciles oecuméniques de l'époque, à une réponse affirmative aux trois questions.
Ce triple « oui » constitue la substance et la forme définitive du dogme christologique classique; il ne visait qu'à rester entièrement fidèle à la modeste confession de foi primitive en Jésus, reconnu comme “Christ ». Autrement dit si Jésus est radicalement Christ, comme le dogme christologique explicité l'affirme, cela suppose qu'il est Fils, et s'il est Fils, cela implique qu'il est Dieu.
Pour rester un énoncé conforme au logos, intelligible, le dogme doit être compris de cette manière, sinon on tombe dans le mythe, en ne tirant pas cette conséquence. Mais il affirme aussi catégoriquement que Jésus est, dans la radicalité de sa diaconie, le plus humain des hommes, l'homme véritable. Il reconnaît ainsi que théologie et anthropologie se compénètrent, ce qui constitue dès lors le caractère vraiment exaltant de la foi chrétienne.