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Pour aller plus loin, il nous faut expliciter encore davantage notre pensée. Nous venons de dire que le cosmos n'est pas un simple cadre extérieur de l'histoire humaine, un édifice statique, une sorte de récipient où se trouvent toutes sortes d'êtres vivants, que l'on pourrait transvaser tout aussi bien dans d'autres récipients.
Cela signifie positivement que le cosmos est mouvement; qu'il n'a pas seulement une histoire en lui, mais qu'il est lui‑même histoire: il n'est pas seulement le théâtre de l'histoire humaine, il est “histoire » bien avant l'homme, et ensuite avec lui.
En définitive, il n'existe qu'une seule et universelle histoire du monde qui à travers les hauts et les bas, les progrès et les reculs qu'elle présente, a pourtant une direction d'ensemble et va de l'avant.
Il est vrai que pour celui qui n'en perçoit qu'une fraction, même si celle‑ci est relativement grande, il semble que ce soit toujours le même mouvement cyclique, indéfiniment recommencé. On ne peut y reconnaître une direction. Il faut arriver à voir l'ensemble pour la percevoir.
Or
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p229 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
dans ce mouvement cosmique, comme nous l'avons déjà vu, l'esprit n'est pas un quelconque produit secondaire et fortuit de l'évolution, sans signification pour l'ensemble; nous avons pu constater au contraire que dans cette évolution, la matière et son développement constituent la préhistoire de l'esprit.
La foi au retour du Christ et à l'achèvement du monde grâce à lui, pourrait ainsi se définir comme la conviction que notre histoire avance vers un point Oméga, dans lequel il deviendra définitivement clair et manifeste que l'élément stable, ce fond de réalité qui porte toutes choses, n'est pas la simple matière inconsciente, que c'est au contraire le sens qui constitue le véritable sol ferme: c'est le sens qui donne cohésion à l'être, qui lui donne réalité, il est la réalité; l'être ne reçoit pas sa consistance d'en‑bas, mais d'en‑haut.
Que ce processus de « complexification » de l'être matériel par l'esprit existe, que l'être matériel soit reconstitué par l'esprit en une nouvelle forme d'unité, nous en faisons déjà aujourd'hui, en un certain sens, l'expérience dans la transformation du monde réalisée par la technique.
Dans cette possibilité de manipulation du réel, les frontières entre nature et technique commencent à s'effacer, les deux ne peuvent plus être nettement séparées. Sans doute cette analogie est‑elle à bien des égards sujette à caution.
Cependant à travers de tels processus, se fait jour une forme du monde où l'esprit et la nature ne sont plus simplement juxtaposés, mais où dans une « complexification » nouvelle, l'esprit intègre en lui ce qui apparemment est purement naturel, et crée ainsi un monde nouveau, qui représente en même temps nécessairement la fin de l'ancien.
Bien sûr, la fin du monde à laquelle croit le chrétien, est tout autre chose que la victoire définitive de la technique. Mais la fusion entre la nature et l'esprit opérée par la technique nous permet de comprendre de façon nouvelle dans quel sens il faut penser la réalité de la foi au retour du Christ comme foi en l'unification définitive du réel à partir de l'esprit.
Cela nous permet de faire un pas de plus. Nous avons dit que la nature et l'esprit forment une unique histoire, qui progresse de telle manière que l'esprit se révèle toujours plus comme le principe qui englobe tout, si bien que concrètement l'anthropologie et la cosmologie finissent par confluer.
Or, cette affirmation de la “complexification» croissante du monde par l'esprit, signifie nécessairement son unification autour d'un centre personnel, car
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l'esprit n'est pas une chose indéterminée; là où il existe dans son authenticité, il existe comme individualité, comme personne.
Il y a sans doute quelque chose comme un «esprit objectif », un esprit investi dans les machines, dans des ouvrages de toutes sortes; mais dans tous ces cas, l'esprit ne subsiste pas dans sa forme originelle: l' “esprit objectif” provient toujours de l'esprit subjectif, il renvoie à la personne, qui est le seul mode d'existence authentique de l'esprit.
Affirmer que le monde progresse vers une «complexification» par l'esprit, c'est donc affirmer que le cosmos progresse vers l'unification dans une sphère personnelle.