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On le voit: les problèmes philosophiques, politiques et religieux que pose la liberté forment un tout indissoluble. ---------
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----- Jean‑Paul Sartre. ----- pose la question dans toute son ampleur et dans tout son sérieux. Pour lui, la liberté de l'homme est sa malédiction, car, au contraire de l'animal, il n'a pas de « nature ».
Le premier vit selon des lois qui lui sont inhérentes, sans nul besoin de réfléchir sur la façon de mener son existence. Mais la vie humaine n'est pas prédéterminée. Elle est une question ouverte.
L'homme doit décider lui‑même de ce qu'il entend par humanité, de la façon de la vivre, de la façonner. Il n'est pas nature, il est seulement liberté. Il doit conduire sa vie n'importe où, mais il doit le faire dans le vide. Cette liberté sans sens est son enfer.
Ce qu'il y a de passionnant dans cette façon de penser, c'est que la séparation entre liberté et vérité est poussée à l'extrême: il n'y a pas de vérité. La liberté n'a pas d'orientation et pas de mesure.
Mais cette absence totale de vérité, cette absence de tout lien moral et métaphysique, cette liberté anarchiste absolue qui définit l'être même de l'homme se dévoile à celui qui cherche à la vivre non pas comme accomplissement suprême de l'existence, mais comme tombée dans le néant, vide absolu: par définition, c'est la damnation.
En extrapolant cette notion de liberté qui est au coeur de l'expérience de Sartre lui‑même, il devient manifeste que la libération de la vérité n'engendre en rien une liberté pure, mais la détruit. Prise radicalement, la liberté anarchiste ne résout rien, mais fait de l'homme un raté, une créature sans aucun sens.
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La liberté humaine
------ Je veux parler du problème de l'avortement.
Dans la perspective de la tendance individualisante radicale, celui‑ci semble un droit de la liberté. --------
Mais, dans l'avortement, la femme dispose‑t‑elle vraiment de la décision qui la concerne? Ne décide‑telle pas d'un autre par le fait même qu'elle ne lui consent aucune liberté, qu'elle lui ôte tout espace de liberté ‑ la vie ‑ parce que celui‑ci concurrence la sienne?
Il faut donc se demander ce qu'est cette liberté qui compte parmi ses droits celui de supprimer au départ celle d'un autre.
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-------- de quoi s'agit‑il? L'existence d'un humain se trouve si intimement tissée à celle d'un autre être humain, celle de la mère, qu'elle ne peut durant un temps consister en rien d'autre qu'en une fusion corporelle, en une unité physique avec celle‑ci sans pour autant rien perdre de sa différenciation et sans qu'on puisse contester son identité, son être soi.
Bien sûr, cette identité est de façon radicale tirée d'une autre, tout comme inversement l'identité de la mère est contrainte par cet «être avec » à se poser comme un être pour, ce qui vient contredire sa volonté d'être en soi et est donc ressenti comme opposition à son indépendance.
Mais il faut ajouter que, une fois né, l'enfant, même si son « partir de » et son « être avec » ont changé de forme, demeure tout autant dépendant, tout autant renvoyé à un «pour lui ».
Bien sûr, on peut désormais l'envoyer dans un home et l'ordonner à un autre «pour», mais la figure anthropologique reste la même: un « être‑à‑partir‑de » aspire à un «pour », et consent donc à la limite de sa liberté, ou plutôt appelle une vie de liberté faite, non pas de concurrence, mais de soutien réciproque.
Si nous ouvrons les yeux, nous voyons que cela ne vaut pas seulement pour l'enfant dans le sein de sa mère. Cela ne fait que rendre manifeste la nature même de l'existence humaine: il est tout aussi vrai de dire de l'adulte qu'il ne peut exister qu' «avec» l'autre et «à
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partir de lui en étant ainsi toujours renvoyé à un «pour» qu'il voudrait justement exclure.
Pour le dire de façon plus précise: l'homme présuppose de soi l'être pour les autres, tel qu'il s'est aujourd'hui constitué dans le système de prestation de services, mais il voudrait pour sa part échapper à la contrainte de l'être‑De et de l'être‑Pour; être ainsi totalement indépendant, donc habilité à faire ce qu'il veut.
L'appel à la liberté radicale qui se manifeste de façon toujours plus nette dans la ligne des lumières et en particulier de Rousseau, celui qui caractérise la mentalité commune, ne voudrait ni d'origine, ni de finalité, ni de pour‑soi, mais seulement une liberté totale.
Autrement dit, l'homme ne voit dans ce qui fonde réellement l'existence humaine qu'un attentat à la liberté, préalable à toute vie et à tout agir. Il voudrait être délivré de sa propre existence humaine pour accéder à « l'homme nouveau»: dans une société neuve où tous ces renvois qui limitent son "je" devraient se diluer, y compris le devoir de se donner à soi‑même.