Darras tome 33 p. 619
164. Pour juger la pénalité de l'Inquisition, il faudrait connaître à fond le droit criminel du moyen âge. Nous ne pouvons ici que faire une courte observation. Le droit barbare, dans sa grossièreté primitive, autorisait la réparation des torts par le duel et la compensation pécuniaire. Mais alors le mal n'était ni prévenu ni expié. Pour obvier à ces graves inconvénients, on diminua le domaine des faits rachetables en agrandissant celui du talion, qui, peu à peu, se dépouilla de sa grossièreté littérale et devint symbolique sans cesser d'être sanguinaire, mais sans être encore égal pour toutes personnes et entièrement soustrait à l'arbitraire du juge. La justification de ces changements est facile : le barbare était ignorant, peu délicat, peu sensible à la douleur, et partant il craignait peu la mort. Il fallait donc, non pas notre pénalité philosophique, mais une pénalité dramatique, symbolique, féroce qui portât avec elle l'instruction et la terreur. A ces principes généraux il faut joindre quelques indications particulières. La torture était alors employée partout et elle a subsisté en France jusqu'à Louis XVI, sans que nous en ayons été plus barbares. Les promenades dérisoires, les processions humiliantes étaient également établies çà et là pour punir divers délits et crimes. Enfin la peine du feu, usitée chez les Goths avant l'invasion, avait été sans doute apportée en Occident et appliquée à la magie, à la sorcellerie et à l'apostasie. Ces détails suffisent pour comprendre la pénalité de l'Inquisition. La torture qui sert de complément à la procédure n'est employée qu'avec la plus grande prudence ; il faut qu'il y ait charges graves, certitude qu'on a des complices et permission du pape ou du grand inquisiteur. Ces conditions posées on recourt à la torture par l'eau, le feu, ou par la faim. Un sablier en règle la durée et un évêque y assiste pour en modérer les rigueurs. Après la condamnation, si le convaincu est mort, on jette
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1. Incartades libérales, p. 161.
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p620 PONTIFICAT DE PAUL m (1534-1S49).
ses cendres au vent ; sinon, suivant le degré de culpabilité, il y a amende, confiscation, destruction de la maison, prison et mort sur le bûcher. Les premières peines n'ont rien de sanguinaire ; la dernière n'est pas pire que le supplice des coupables roués en place de Grève. Voici comment la sentence s'exécutait en Espagne. Les cloches sonnent ; une cavalcade va chercher le funèbre cortège à la porte du Saint-Office ; la musique se fait entendre ; des charbonniers armés de piques et de mousquets précèdent ; viennent ensuite les dominicains précédés d'une croix blanche; puis des hommes portant les effigies de carton de ceux qui sont morts en prison ou condamnés par contumace ; ensuite des condamnés non à être brûlés, la corde au cou, la torche à la main, avec de grands bonnets de cartons portant leur condamnation: et après des Juifs repentants, condamnés à la prison, la torche à la main, couvert du san-benito (sac bénit), ou casaque jaune, sans manches, avec croix rouge de Saint-André, devant et derrière ; enfin les condamnés au feu en san-benito avec flammes rouges, bonnet rouge et bâillon s'ils blasphèment : chacun est conduit par deux familiers de l'Inquisition. La procession arrivée non loin du Quemadero, on livre les coupables au bras séculier qui exécute la sentence.
Coxclusion. En étudiant avec calme et impartialité le tribunal de l'Inquisition, on ne peut donc méconnaître que ces lois n'aient été établies avec une grande prudence, proportionnée aux usages des siècles, et confiées, quant à l'application, à des hommes dont l'état est propre à faire éviter un grand nombre de désordres, qui se rencontrent dans les tribunaux séculiers. Cette sagesse d'organisation prévient les abus, mais ne les évite pas tous; il y a d'innocentes victimes, il est regrettable qu'on en brûle beaucoup comme sorciers, regrettable encore qu'on applique, aux Indiens nouveaux convertis, des peines réservées aux apostats d'Espagne. Mais ces désordres ne sont ni essentiels, ni ordinaires, ni considérables : non essentiels, ils n'attaquent point les principes et la composition du tribunal; non ordinaires, ils ne se trouvent que dans des cas particuliers qu'on peut éviter dans une certaine mesure : non considérables, ils sont loin de contrebalancer les avantages de l'In-
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p621 CHAP. XII. — SAINT IGNACE DE LOYOLA ETC.
quisition. Ainsi pour un certain nombre de condamnés, l'Espagne sauve sa foi, assure sa paix et sa prospérité, garde sur son trône des rois catholiques : tandis que l'Allemagne, hérétique est ravagée par la guerre des anabaptistes, la guerre des paysans et la guerre de Trente ans ; l'Angleterre hérétique est livrée à d'odieux tyrans ; la France désolée par la Saint-Barthélémy, par les massacres des Cévennes, de Mérindol, des Camisards, etc. ; les rois sont assassinés et les papes et papesses du protestantisme commettent, dans un temps très-court, beaucoup plus d'atrocités qu'on n'en reprochera jamais à tous les princes catholiques réunis. Enfin l'utilité du Saint-Office est si bien sentie par ceux qui en redoutent l'action pour eux-mêmes, qu'ils forment la masse de ses ennemis. En pratique, cependant, à raison de l'infirmité intellectuelle et des grosses rancunes de nos contemporains, il n'en faut point parler; répondre s'il le faut, avec circonspection et ne se défendre qu'en fuyant. Non qu'il soit difficile de se défendre : cela est, croyons-nous, facile ; mais il est superflu de discuter là où les préjugés et l'ignorance ne laissent pas de prise ; et c'est recourir inutilement aux plus solides preuves si les démonstrations les plus évidentes ne peuvent qu'exaspérer les passions.