Julien l’Apostat 10

Darras tome 10 p. 116

 

    41. Ici s'arrêtent, malheureusement pour nous, les citations de Julien reproduites dans les dix premiers livres du Traité de saint Cyrille d'Alexandrie contre l'Apostat. Les dix autres livres, maintenant perdus, renfermaient le reste de l'ouvrage du sophiste couronné. Cette seconde partie se retrouvera-t-elle jamais? nous ne pouvons que le souhaiter. En attendant, ces extraits authentiques suffisent amplement pour nous faire comprendre la pensée intime de Julien, le caractère de sa polémique, et la supériorité de son attaque sur le scepticisme voltairien du siècle dernier, ou sur la tentative rationaliste dont nous sommes aujourd'hui les témoins. Nos modernes antechrist s'élèvent à peine à la cheville de l'Apostat. Voilà ce qu'il faut savoir et dire bien haut; ne fût-ce que pour décourager les amours-propres littéraires qui croient inventer une objection nouvelle contre l'Église, quand ils ne connaissent même pas l'immense arsenal épuisé précédemment contre cette institu-

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1. Gènes., xv, 7-11. En se reportant au tom. I de cette Histoire, pag. 372, le lecteur pourra se convaincre de la mauvaise foi avec laquelle Julien dénature le texte sacré, par une interprétation véritablement absurde.

2. Nous avons donné in extenso tous les fragments authentiques, du livre de julien In Atheos, cités par S. Cyrille d'Alexandrie dans son traité Contra Julianum. Afin que le lecteur puisse facilement se reporter au texte même de Julien, voici les citations exactes de tous les passages mentionnés : Cyrilli Alexander. contra Julianum, libri decem ; Patrol, grœc, tom. LXXVI, col. 559, rM, 5C4, 567, 575, 590, 599, 606, 614, 631, 635, 643, 647, 651, 662, 678, 7l"i9, 705, ïll, 713, 719, 723, 727, 731, 753, 743, 746, 758,762,770,771,779,790,791, 795, E02, R 5. 807, 814, 819, 8ÏG, 834, 838, 842, 850, S59, 8G3, S74, 880, 899, 923, 94G, «"A 970, 983, 991, 1002, 1011, 1015, 1023, 1030, 1034, 1039, 104G, 1050, t051.

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p117 CHAP.   I.   —  PEBSÉCUTION   DE   JULIEN   L'APOSTAT.               

 

tion divine, par des esprits qui les dépassaient cent fois en érudition et en science technique.

 

  42. Julien fut donc un sophiste très-supérieur à tous les collaborateurs de l'Encyclopédie aussi bien qu'à tous les pseudo-savants de notre époque qui se sont donné la mission de nier l'Évangile. Outre sa supériorité intellectuelle, sa science profonde des Écritures et de la dogmatique chrétienne; en dehors de son fanatisme spirite qui le mettait très-réellement en communication avec les princes des ténèbres ; Julien avait l'avantage énorme d'être le César de l'Orient et de l'Occident, le maître absolu de tout l'univers civilisé.  La force matérielle s'unissait dans sa main  à la puissance sophistique la plus haute qui fut jamais. C'est là ce qui explique les violences exercées en son nom contre les chrétiens. Julien était trop habile pour se donner l'apparence d'un persécuteur avoué,  mais il laissait libre carrière aux violences des païens contre les fidèles. On compte donc plusieurs martyrs sous son règne. A Dorostore en Thrace, Emilien fut jeté au feu pour avoir renversé les autels; à Myre en Phrygie, Macédonius, Théodule et Tatien furent grillés à petit feu pour avoir brisé les idoles d'un   temple; à Ancyre en Galatie, le prêtre Basile fut déchiré avec les ongles de fer et périt dans les tourments. Césarée de Cappadoce, dont tous les habitants s’étaient montrés attachés à la foi catholique, en fut punie par Julien, qui lui ôta le nom de Césarée donné par Constantin, et lui fit reprendre celui de Mazacca. A Hiérapolis en Phénicie, un supplice inconnu même au temps de Dioclétien  épouvanta  l'humanité.  Des  vierges  consacrées à Dieu, après avoir été exposées nues à la vue et aux outrages de peuple, eurent le ventre ouvert ; on le remplit d'orge et on le fit dévorer par des pourceaux.  Ces  horreurs  se   renouvelèrent à Gaza en Palestine, contre des prêtres et des vierges. Les soldats chrétiens n'étaient pas mieux traités. Bonose et Maximilien, vétérans  légionnaires,  ayant refusé d'ôter la croix du Labarum eurent la tête tranchée. Toutes ces cruautés, tant de sang répandu sont une flétrissure de plus à la mémoire de l'empereur apostat.

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p118    PONTIFICAT DE  SAINT LI6ERICS  (359-360).

 

   43. Ces diverses exécutions ne retombent qu'indirectement sur Julien, qui les laissa faire plutôt qu'il ne les ordonna. Mais le martyre de saint Artemius1, ancien gouverneur militaire de l'Egypte, est son œuvre personnelle. A ce titre, il nous faut insister plus par-ticulièrement sur cet épisode. Artemius, d'une origine patricienne, avait fait ses premières armes sous Constance Chlore et Constantin le Grand. Il faisait partie des légions qui, à cette époque, guerroyaient contre les Pictes dans la Grande Bretagne, et contre les Germains et les Francs sur les bords du Rhin. Témoin de l'apparition miraculeuse de la croix, il avait vu le Labarum substitué aux aigles romaines; il était entré dans Rome avec l'armée victorieuse, après la défaite de Maxence; il avait assisté aux glorieuses journées d'Andrinople et de Chrysopolis, durant l'ex- pédition contre Licinius. Soit qu'il fût chrétien d'origine, soit que le miracle du Labarum l'eût converti plus tard à la foi, Artemius, à la mort de Constantin le Grand, était compté parmi les plus fervents disciples de Jésus-Christ. Après avoir successivement franchi tous les échelons de la hiérarchie militaire, il avait été nommé procurator de Syrie. Constance l'éleva bientôt au poste plus important de préfet de l'Egypte. Cette promotion eut lieu à la suite d'un événement qui intéresse au plus haut point l'hagiographie chrétienne. On se rappelle que le grand Constantin avait choisi sa sépulture dans la basilique élevée par lui en l'honneur des douze apôtres. La nouvelle Rome, Constantinople, moins riche en reliques que l'ancienne, ne pouvait fournir immédiatement de quoi doter les sarcophages des douze apôtres, au milieu desquels le conquérant avait fait placer le sien. « Or, disent les Actes de saint Artemius, dans une expédition contre les barbares des rives de l'Ister (Danube), Constance s'avança jusqu'à la cité d'Odryses (Andrinople). Là un évêque lui apprit que le corps de saint André reposait à Patras en Achaïe, et celui de saint Luc à Thèbes en Béotie. Ce renseignement

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1. Nous avons précédemment cité un fragment considérable des Actes du S. Artemius, restitués à la science historique par le cardinal Mai et les nouveaux Bollandistes. Cf. tom. IX de cette Histoire, pag. 149-153.

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p119 CHAP.   I.   —   PERSÉCUTION DE  JULIEN   l'aFOSÏAT.            

 

authentique combla de joie l'empereur Constance. — Appelez-moi sur-le-champ Artemius, dit-il. —Artemius parut. —Réjouissez-vous, saint homme, dit l'empereur, nous avons de bonnes nouvelles. — Puissent toutes celles que reçoit César être de même nature ! dit Artemius. Mais de quoi s'agit-il? — Cher ami, il n'est question de rien moins que de la découverte d'une tombe d'apôtre. N'est-il pas vrai, ajouta Constance, que cette nouvelle est la meilleure qu'on puisse vous annoncer? — Qui vous a révélé un si précieux trésor? demanda Artemius. — C'est l'évêque de Patras, dit Constance. Allez avec lui procéder à la translation des saintes reliques, et faites-les amener à Constantinople. — Ainsi parla Constance. Ce prince, malgré son attachement à l'Arianisme, qui lui avait été inspiré par Eusèbe, l'évêque hérétique de Nicomédie, n'en était pas moins très-zélé pour le culte de Dieu et des saints. Il prenait à tâche de continuer l'œuvre des basiliques commencées par son père et affichait la prétention de dépasser en pieuses libéralités Constantin le Grand lui-même. Artemius accepta avec empressement la mission qui lui était confiée. Il se rendit en Achaïe. Les corps de l'apôtre André et de l'évangéliste Luc, après avoir été exhumés en grande pompe, furent transportés à Constantinople et déposés dans la basilique des Saints-Apôtres, auprès du sépulcre de Constantin le Grand. Artemius se rendit ensuite à Éphèse en Ionie, et procéda de même à la translation des reliques de saint Timothée. Au retour de ces deux expéditions saintes, les évêques prièrent l'empereur de récompenser le zèle d'Artemius en le nommant à la préfecture de l'Egypte. Leur requête fut accueillie favorablement et Artemius partit pour Alexandrie1. » Le nouveau gouverneur d'Egypte eut bientôt conquis, par sa prudence et ses vertus, le cœur de ses administrés. Julien, à son avènement à l'empire, conserva Artemius dans ses fonctions militaires et se contenta d'envoyer un favori à Alexandrie, avec le titre supérieur de comes AEgypti, pour surveiller un homme dont la foi chrétienne était universellement connue. Cette situation se prolongea pendant

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1. Âct. S. Arten.; Bolland., 20 oclobr., pag. 861-862.

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p120 PONTIFICAT DE  SAINT  LIBERIUS   (359-36G).

 

les deux premières années du règne de l'Apostat. L'expédition que Julien méditait contre les Perses ayant nécessité la concentration de toutes les forces militaires de l'empire, Artemius reçut l'ordre d'amener à Antioche les légions dont il disposait en Egypte. Au moment où, à la tête de ses troupes, Artemius entrait dans la capitale de la Syrie, Julien que la guerre contre Sapor ne distrayait pas de la guerre contre l'Évangile, donnait à la foule le spectacle d'une flagellation dont les prêtres d'Antioche Eugène et Macarius étaient les victimes.

 

   44. On avait arrêté ces généreux confesseurs, sous la double accusation d'outrages à la majesté impériale et d'injures proférées contre les dieux. L'Apostat avait pris place sur son tribunal. «Qui êtes-vous? leur demanda-t-il. Qu'avez-vous fait pour être amenés à mon audience? — Nous sommes chrétiens, dirent-ils ; nous sommes deux pasteurs du troupeau du Christ. —Le troupeau du Christ! s'écria Julien, où est-il? — Par tout l'univers. Tous les hommes que le soleil éclaire de ses rayons sont appelés à en faire partie. —Vraiment ! Et de qui donc serai-je le chef, moi, si le Christ me prend tous les hommes? — Empereur, rappelez-vous que, vous-même jadis, vous fûtes compté parmi le troupeau de Jésus-Christ. Rappelez-vous que c'est Jésus-Christ qui donne ou ôte à son gré les couronnes. C'est par lui que les rois règnent. Vous n'êtes devant lui qu'un faible mortel : votre règne est d'un jour; le règne de Jésus-Christ n'aura pas de fin. » Le dialogue ne continua pas longtemps sur ce ton. Julien essaya de le faire descendre de cette hauteur sur le terrain d'une discussion sarcastique. — Insensé! dit-il au prêtre Eugène, ne vois-tu pas que c'est ton Christ qui est un roi de théâtre? Il naquit sous Auguste, vécut trente-trois ans et mourut sur un gibet. Quelle éternité peux-tu trouver là-dedans?— Jésus-Christ est né, a vécu, est mort comme homme, dit le martyr; mais comme Dieu, il n'a eu ni commencement ni fin. — L'empereur se mit à rire. Je comprends, dit-il. Ton Christ a plus d'une naissance. C'est comme Pythagore, lequel naquit une pre-mière fois en Egypte, fils d'un matelot; une seconde fois sous le nom d'Euphorbe, l'un des héros d'Homère ; une troisième fois à

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p121 CHAP. I. — PERSÉCUTION DE JULIEN L'APOSTAT.                 

 

Samos, sous le nom de Pythagore, fils de Mnésarque.— L'Apostat s'était flatté d'avoir affaire à un prêtre illettré qui ne saurait rien répondre à l'étalage ironique de cette érudition païenne. Mais il se trompait. Eugène lui répondit : Ce n'est point pour vous que je prendrai la peine de relever une plaisanterie dont vous connaissez mieux que personne l'inanité. Mais pour cette foule qui nous envi- ronne, et dont les âmes me sont plus chères que ma propre vie, je parlerai. Le Christ dont nous sommes les prédicateurs a été annoncé au monde non point seulement par la série des prophètes juifs, mais par les oracles que vous acceptez comme authentiques, et par les livres sibyllins eux-mêmes. Son incarnation et son avènement ont rempli l'attente universelle, en consommant la rédemption du genre humain. Il a souffert et il est mort pour expier tous les crimes et tous les forfaits de l'humanité. Mais il est ressuscité le troisième jour. Cinq cents hommes réunis l'ont vu après sa rérésurrection; les soldats romains qui gardaient son sépulcre ont rendu le même témoignage. En présence de ses disciples, il s'éleva vers les cieux dans une ascension glorieuse, et dix jours plus tard, il envoyait le Saint-Esprit à ses apôtres. A partir de ce moment, ces hommes qui n'avaient jamais cultivé les lettres humaines, parlaient toutes les langues. Ils se dispersèrent dans le monde entier, prêchant le nom du Sauveur et confirmant leur doctrine par des miracles sans nombre. Aujourd'hui, il n'est pas un point du globe qui n'ait retenti de la gloire et de la divinité de Jésus-Christ. C'est un fait constant. Or ce fait constitue à lui seul un prodige du premier ordre, puisqu'il est dû à l'initiative de douze pauvres pêcheurs, sans crédit, sans puissance humaine, sans armes et sans richesses. Mais ces douze pêcheurs qui ont conquis le monde, ressuscitaient les morts, guérissaient les lépreux, rendaient la vue aux aveugles, chassaient les démons. Et maintenant, osez-vous comparer des faits si éclatants et si notoires aux apocryphes métempsycoses de Pythagore, ou de Mercure Trismégiste? Faut-il que je vous raconte en détail les fables ridicules de ces deux imposteurs? Non. Non! Qu'il me suffise de vous dire à vous César, jadis chrétien aujourd'hui apostat : Le Christ que vous

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p122  PONTIFICAT DE SAINT LIBERIUS (359-366).

 

conspuez, viendra vous juger à votre tour, alors que les vivants et les morts comparaîtront devant son tribunal ! — Julien répondit à cette courageuse apologie en faisant flageller le prêtre Eugène. Macarius montra la même fermeté et partagea le même supplice.

 

   43. Artemius avait pris place parmi la foule qui encombrait le tribunal. Témoin de cette scène de cruauté, il ne put contenir son indignation. « César, s'écria-t-il, oubliez-vous donc que vous êtes homme, en faisant ainsi torturer des innocents? Ni la pourpre, ni le trône, ni le sceptre ne garantissent de la justice de Dieu et de ses châtiments terribles. N'est-ce pas Apollon de Delphes qui a dit ces trois vers :

 

EtitaTa tû payi).et. Xajisl mat ôaCîaXo; aù)à •

O'jxéti tf'oïSo; tyti xaWëav, où (lâviiîa Sif.ry,

Oj ^ayàv >.oc).eiuîav, àîiéïëETO y.aî ).â).ov Coup.

 

« Allez dire à l'empereur : Le palais superbe est écroulé ; Phébus a perdu son temple et son laurier fatidique; la fontaine qui rendait des oracles a vu tarir ses ondes sonores. » — Quel est le scélérat qui ose faire entendre ces présages sinistres? demanda Julien.— C'est Artemius, c'est le préfet d'Egypte! repondit un héraut.—Artemius se montra, et Julien, trouvant sur-le-champ une accusation calomnieuse à jeter au dignitaire de l'empire, s'écria : Grâces soient rendues aux dieux immortels, et à la protection spéciale d'A-pollon de Delphes! Ils viennent de livrer entre mes mains le traître qui a jadis tramé la mort du César Gallus, mon frère. Qu'on se saisisse de sa personne. Demain je le jugerai pour ce crime. Plût aux dieux qu'il eût mille vies à me rendre pour celle de mon frère bien-aimé ! — Le lendemain, Artemius comparut devant le tribunal. Nous avons reproduit plus haut les faits importants de son interrogatoire. Julien dut abandonner le chef de complicité dans le meurtre de Gallus après que le préfet d'Egypte eut apporté les preuves les plus manifestes de son innocence sur ce point. Mais il insista avec d'autant plus

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1.  Cf. ton;  IX de uUe-Histoire, pag. itS-ïSS1'   .

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p123 CHAP.   I.   — ÏEKSÉCUTXOX. Uîi.JUiiJEiS. L'APOSTAT.        

 

de rigueur pour arracher au saint martyr une parole d'apostasie contre la foi chrétienne. Artemius demeura inébranlable. Julien lui fit déchirer les flancs avec des ongles de fer rougis au feu. Cet affreux supplice n'arracha pas même une plainte à l'héroïque vieillard. II fut reconduit en prison, où il demeura quinze jours sans recevoir aucune nourriture. Julien avait pris cette précaution barbare, dans l'espoir que l'illustre victime succomberait aux tortures de la faim. Il comptait sans le Dieu tout-puissant qui nourrit ses enfants au désert, et sait ouvrir des sources de vie dans les murailles d'un noir cachot. Artemius survécut à la privation de nourriture, comme il avait survécu au fer rouge des bourreaux. Un incident survenu durant cet intervalle ralluma la fureur de Julien et le fit souvenir de son prisonnier. Le feu avait dévoré en une nuit le temple d'Apollon et le lucus de Daphné, si célèbres dans les fastes de l'histoire païenne. L'empereur se promettait précisément d'y offrir un sacrifice solennel et de consulter l'oracle au sujet de l'expédition contre les Perses. Il affecta d'attribuer l'incendie à la vengeance des chrétiens. Pour mieux accentuer cette accusation, il fit de nouveau comparaître Artemius devant son tribunal. «Tu connais sans doute, lui dit-il, le sacrilège attentat, commis par tes compagnons d'impiété! Tu sais que les chrétiens ont incendié le temple d'Apollon, et changé en un monceau de cendres l'une des merveilles de l'univers. Ils triomphent de ce résultat de leur vengeance, sans songer que je me prépare à leur faire payer la peine de ce crime septante fois sept fois, pour employer une expression de vos livres sacrés. — Le martyr répondit : J'ai su, en effet que le feu du ciel, allumé par la colère divine, a consumé votre idole d'Apollon, le temple, et le lucus de Daphné. Mais dites-moi, si Apollon est dieu, pourquoi ne s'est-il pas lui-même soustrait aux flammes? — Quoi ! dit Julien. Tu as l'audace d'avouer tes sympathies pour des incendiaires, et d'applaudir à un crime que tout Romain fidèle déplore! — Oui, dit Artemius, je me glorifie, je me réjouis, je triomphe de la ruine des démons! J'applaudis de tout cœur aux manifestations de la puissance de Jésus-Christ mon Dieu. C'est là mon unique consola-

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p124 PONTIFICAT DE  SAINT 1IBERIOS   (359-366).

 

tion. L'heure approche, César; elle va bientôt venir cette heure où ta mémoire s'écroulera avec fracas, pendant que ton âme sera livrée aux flammes inextinguibles de l'enfer ! — Julien, que cette prophétie épouvantait peut-être, passa subitement de la menace aux caresses. Infortuné, dit-il, j'ai pitié de ta fureur et je te pardonne! Tu me parais en proie à un véritable délire. Je te laisserai le temps de revenir à la raison, car les dieux immortels ne veulent que les hommages d'une âme saine et rassise. Tu reconnaîtras leur pouvoir. Ce sont eux qui t'ont jadis accordé la richesse, les hon- neurs et des qualités que je sais apprécier à leur juste valeur, malgré ton insolence actuelle. — A quoi bon perdre ainsi le temps en paroles inutiles? répondit Artemius. Vous oubliez les révoltes des barbares; vous négligez votre expédition contre les Perses, cette expédition qui agite en ce moment l'univers entier; vous sacrifiez tous ces intérêts pour vous occuper à séduire un serviteur de Jésus-Christ ! Finissons tous ces discours. Que demandez-vous de moi? L'apostasie. Vous ne l'obtiendrez point. Je n'adore pas vos dieux; je ne leur immolerai jamais de victimes. Vous connaissez le sacrifice de louanges, le sacrifice pur et sans tache que Jésus-Christ nous a donné. C'est celui auquel je m'unis chaque jour. Je n'en veux pas d'autre. — Eh bien ! dit l'empereur, nous verrons si ton Christ te préservera mieux qu'Apollon ne s'est garanti lui-même ! — Julien donna un ordre à ses officiers. Artemius fut conduit au pied d'un pan de mur à demi consumé par l'incendie du temple de Daphné. Des maçons furent chargés de faire écrouler cette muraille sur le martyr. Le choc eut lieu avec un horrible fracas, en même temps qu'Artemius s'écriait : Statuisti supra petram pedes meos 1. Sa voix fut étouffée par l'épouvantable chute et l'on n'entendit plus rien. Des ouvriers se mirent aussitôt à fouiller les décombres. On retrouva le corps du confesseur, ou plutôt les débris d'un corps humain, car les os avaient été broyés, et les entrailles écrasées. Les yeux du martyr sortis de leurs orbites flottaient dans le vide, retenus par les ligaments internes. En cet état, Artemius

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1. Ptalm. u, 3.

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p125 CHAP.   I.   — PERSÉCUTION  "E  JULIEN  L'APOSTAT.            

 

respirait encore. Julien se hâta d'achever son œuvre ; d'un coup d'épée. le bourreau trancha la tête du squelette mutilé et vivant 1

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon