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21. Au lever du iour, elle était à cheval armée de toutes pièces, annonçant qu'elle reviendrait par les Tournelles et le pont, victorieuse et blessée. Le bailli de la ville, l'un des principaux membres du conseil, avait donné l'ordre de fermer les portes pour empêcher l'exécution de ce dessein ; lui-même gardait celle de Bourgogne. Jeanne commanda de l'ouvrir, et Gaucourt eût péri sous les flots débordés de la troupe et du peuple, s'il ne s'était hâté d'obéir à cette injonction. Elle fut bientôt de l'autre côté du fleuve, à la tête d'une armée pour qui sa présence remplaçait toute discipline et toute stratégie. Les chefs, emportés par la tourmente, sont devenus de simples soldats : ils secondent avec une héroïque abnégation le mouvement qu'ils voulaient tout à l'heure empêcher. Jeanne les conduit à l'attaque des Tournelles, pendant que les Orléanais, restés aux barricades du pont, prennent à revers ce même fort par une violente canonnade. Placés entre deux feux, les Anglais défendent leur position avec un indomptable courage. Là sont leurs plus vaillants chevaliers, commandés par Glandsdale. Assaillants et tenants, tous comprennent que dans cette partie se joue le sort de deux grandes nations. Repoussés pendant trois mortelles heures dans leurs furieux assauts, les Français ne montraient plus la même confiance et semblaient au moment de lâcher pied. Jeanne, qui se tenait debout sur la contrescarpe, ne cessant de les exhorter et de leur donner l'exemple, aperçoit avec douleur ce mouvement d'hésitation ; elle n'hésite plus elle-même: se jetant au bas du rempart, elle saisit une échelle et monte hardiment sous les coups redoublés des ennemis. Le péril est extrême; comme elle approche du sommet, un trait d'arbalète la frappe au sein, entre le gorgerin et la cuirasse : elle roule dans le fossé. On l'emporte aussitôt, la croyant morte ; elle n'est qu'évanouie. Revenue promp-
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tement de cette défaillance, elle arrache le trait de sa propre main, et, quoique mêlant ses larmes à son sang qui coule avec abondance, après avoir à peine fait bander sa plaie, elle remonte à cheval, arrête les capitaines que cet accident avait déconcertés et qui donnaient déjà le signal de la retraite.
22. Le combat se rétablit; une exaltation surhumaine s'empare des Français. Ceux de la ville jettent quelques poutres sur les arches brisées du pont et sont bientôt maîtres des ouvrages extérieurs. La Pucelle et les siens le sont également du boulevard et des redoutes. Les Anglais terrifiés n'opposent plus qu'une faible résistance ; ils voient dans les airs de mystérieux cavaliers prendre part à la bataille. Les saints patrons d'Orléans viennent au secours de leur ville ; l'archange saint Michel, l'inspirateur de Jeanne, debout sur le milieu du pont, brandit sa flamboyante épée. « Rends-toi, Glandsdale, rends-toi ! dit-elle, je te le dis au nom de Dieu ; j'ai pitié de ton âme et de l'âme des tiens. » Le fier Anglais n'écoute pas cette sommation ; il se rejette sur le pont-levis pour rentrer dans les Tournelles, quand un boulet brise ce frêle appui sous ses pieds : il tombe et disparaît dans l'eau dont lui-même a fait remplir le second fossé pour la défense de la place. Dans son agonie vit-il briller comme un lugubre éclair la menaçante prophétie de la Pucelle ? En quelques instants les Français avaient reconquis leur citadelle, la garnison était prisonnière ou tuée. Impassibles témoins de ce désastre, cloués sur la rive opposée comme par une puissance magique, ni Talbot ni Suffolk n'avaient rien fait pour secourir Glandsdale, ou tenter au moins une diversion. Après sa complète victoire, Jeanne rentrait dans Orléans, où l'enthousiasme touchait au délire. Elle y rentrait par le pont provisoirement rétabli, réalisant de la sorte une autre de ses prédictions. Le lendemain, au petit jour, les Anglais levaient le siège et se mettaient en mouvement pour s'éloigner de la ville, les uns se dirigeant vers Meung, les autres vers Jargeau. Les Orléanais se disposaient à les poursuivre ; mais la Pucelle accourut, quoique souffrant beaucoup de sa blessure, et défendit aux siens de s'acharner à la poursuite des fuyards. C'était le dimanche, 8 mai; l'héroïne fit dresser un au-
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tel dans la campague, en présence de toute l'armée. On y célébra la messe, qui fut entendue par elle avec une angélique piété, et par tous avec une émotion difficile à comprendre, impossible à retracer. Le soir une immense procession se déroula dans la ville, puis l'enveloppa comme un diadème de bonheur, de reconnaissance et de liberté. C'est la cérémonie, le sublime annuaire, qui se perpétue depuis lors et se perpétuera dans les siècles, à moins que le dernier de la France ne soit près de finir.
§ IV. VICTOIRE A PATAY, TRIOMPHE A REIMS
23. Jeanne avait réalisé la première de ses promesses, celle dont le succès était à la fois le plus important et le moins probable ; car il s'agissait avant tout d'humilier dans leur orgueil, d'ébranler dans toute leur puissance les vainqueurs de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt et de tant d'autres batailles : il fallait changer le cours des idées et des événements, ramener la confiance, inspirer la terreur, inaugurer une ère nouvelle. C'était fait. Sans perdre un jour à contempler son œuvre, à recueillir les témoignages d'admiration et d'amour que lui prodiguent à l'envi l'armée victorieuse et la cité délivrée, dès le lendemain elle sort de cette enivrante atmosphère, elle s'éloigne d'Orléans, pour aller elle-même annoncer au roi ce que les chroniqueurs du temps appellent la noble besogne. Mais ce qui la stimule avant tout, c'est la pensée de fournir immédiatement la seconde étape de sa grande mission. Le bruit des merveilles accomplies l'a précédée ; sur son passage accourent à chaque instant les populations secouées au plus intime de leurs sentiments patriotiques et chrétiens. Dire que son voyage est une marche triomphale serait en amoindrir le caractère et la portée. Rien d'officiel, aucun ordre, un élan universel et spontané, une splendide confusion. On l'entoure, on la presse; ceux qui ne peuvent baiser ses mains ou ses pieds, se prosternent sur la terre et baisent l'empreinte des pas de son cheval. Le triomphateur n'est pas un illustre capitaine, un vaillant chevalier, qui vient d'ajouter une page
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étincelante aux annales de la patrie ; le triomphateur est un ange descendu du ciel pour opérer le miracle de la résurrection nationale. Ange par son ministère et sa sainteté, Jeanne appartenait cependant à la nature humaine ; Dieu seul pouvait la garder, comme elle le déclara dans la suite, du dangereux enivrement auquel l'exposaient les transports populaires. Dans son héroïque abnégation, elle avait hâte de s'y dérober. Poursuivant sa route, sans vouloir même s'arrêter à Blois, elle parvint à Loches, où le roi résidait en ce moment. Il l'accueillit de la manière la plus honorable ; mais, quand elle parla de partir sans retard pour Reims, les courtisans s'interposèrent, faisant ressortir la folie d'un tel projet, et Charles lui même demeurait dans une incertitude qui conclut toujours à l’inaction.
24. C'était le désespoir de la Pucelle. Elle revenait à Dieu, se voyant ainsi repoussée par les hommes ; et chaque fois elle entendait la voix intérieure qui lui disait : « Va, fille de Dieu, va, va ; je serai ton aide ! » A force de supplications, elle émut le prince, qui se déclara prêt à marcher, mais seulement lorsqu'il aurait réuni de nouvelles troupes et qu'une armée serait prête à marcher avec lui. Le rendez -vous général était sur la Loire, entre Orléans et Gien. Trois longues semaines s'étaient écoulées dans cette agglomération, nous ne disons pas dans cette organisation militaire. Enfin, le 10 juin, le jeune duc d'Alençon, désormais libre de combattre, comme ayant complété le solde de sa rançon, Dunois, Vendôme, tous les défenseurs d'Orléans, étaient autour de Jeanne avec quinze cents chevaliers environ. Les milices des communes, devançant l'appel royal, étaient accourues en grand nombre, pleines de courage et d'ardeur, se ranger sous l'étendard de l'héroïne populaire: Alençon commandait, mais, par ordre exprès du roi, sous le contrôle et la direction de la Pucelle. Les Anglais occupaient les places fortes d'alentour, dominant le cours du fleuve, Suffolk à Jar-geau, Talbot à Meung. On leur avait donné le temps de relever le moral de leurs troupes. C'est contre Jargeau que l'année française se dirigea d'abord. Suffolk prévint l'attaque par une impétueuse sortie, qui pouvait changer les rôles. Ne s'attendant à rien de pa-
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reil, sans ordre de bataille, la chevalerie commençait à plier, la déroute était imminente. Aussitôt Jeanne se porte en avant, en poussant son cri de guerre. Ranimés tout-à-coup, les Français reviennent à la charge : en quelques instants, les ennemis sont refoulés dans les murs de la place. Le siège commence aussitôt; l'artillerie prend ses positions, indiquées par Jeanne elle-même avec une rare sûreté de coup d'œil. La ville est foudroyée. Au bout de trois jours, l'héroïne ayant déployé le même courage et couru les mêmes périls qu'aux Tournelles, la place est emportée d'assaut. Le capitaine anglais se rend avec l'un de ses frères ; l'autre était mort à ses cotés. Tout ce qui reste de la vaillante garnison imite son exemple. Quelques prisonniers sont massacrés par la fureur des milices communales ; la plupart cependant échappent à la mort, grâce à l'énergique intervention des chevaliers, et beaucoup plus à l'ascendant de Jeanne.
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20. Suffolk pris, Jargeau réduit, les vainqueurs se dirigent sur Meung où commande Talbot. Ils enlèvent le pont hérissé de redoutes et garni d'artillerie. Ils pasent devant la forteresse, où les Anglais, sous les ordres de Scales, se sont promptemenl renfermés, et marchent droit à Beaugency, position tout autrement importante. Talbot est allé recevoir et protéger un convoi, qui lui vient de la capitale. Son lieutenant à Beaugency, comme celui de Meung, abandonne la ville et se renferme dans le château, dont le siège commence à l'heure même. Survient alors, malgré la rigoureuse défense du roi que La Trémouille obsède sans cesse, le connétable de Richemont, avec une troupe considérable de Bretons et d'Angevins ; il n'a pu demeurer dans l'inaction quand on combat pour la France. Ii ne revendique pas ses droits au commandement ; la seule chose qu'il demande, c'est de participer au danger et de concourir à la victoire. Le duc d'Alençon n'ose l'accepter; les autres capitaines interprétant mieux les intentions du roi, s'inspirant au moins des intérêts du royaume, se prononcent en sa faveur. Jeanne prend sur elle de décider provisoirement la question et se garde bien de repousser les services du connétable. Quelques heures après, le château de Beaugency se rend, la garnison anglaise ayant
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obtenu le droit de se retirer en armes. On apprend aussitôt que Talbot, accompagné de Falstolf et de Scales, approche pour le secourir, qu'il attaque avec toutes ses forces réunies le pont de Meung. La rencontre paraît inévitable. A cette pensée, Jeanne laisse éclater sa joie. Telle n'est pas l'impression de la plupart des capitaines : le souvenir des anciens malheurs se présente à leur esprit, sur le point d'engager une bataille régulière, en rase campagne, contre ces mêmes anglais qu'ils ont abordés sans crainte et si complètement battus dans leurs citadelles. Ces derniers, apprenant la reddition de Beaugency, s'éloignent en bon ordre. Le duc d'Alençon hésitant à les poursuivre pour les forcer au combat, «Avez-vous de bons éperons, beau prince? repart celle-ci. En nom Dieu, vous en aurez grand besoin dans la déroute. Chevauchez hardiment. Ce n'est pas nous qui prendrons la fuite ; ce sont les Anglais. Seraient-ils pendus aux nues, nous les atteindrons. Mes voix m'assurent qu'ils sont à nous, et que la victoire coûtera peu de sang à la France. »
26. Toute hésitation a cessé ; l'avant-garde, formée des hommes les mieux montés, sous les ordres de Lahire et de Xaintrailles, se met en mouvement. Jeanne, à son grand regret, est retenue dans le corps de bataille par Alençon et Richemont; mais elle presse la marche. Les coureurs aperçoivent enfin les Anglais qui prennent déjà leurs dispositions, adossés au village de Patay, dont l'église était une vraie forteresse, et garantis encore par un bois. Ils n'avaient opté pour ce poste qu'an dernier moment, quand la bataille était imminente, et ne l'avaient occupé, par une imprudente manœuvre, que sous les yeux des premières colonnes de l'ennemi. Celui-ci ne leur laissa pas le temps de dresser leurs palissades mobiles : la cavalerie fondit sur eux avec l'impétuosité d'un torrent qui vient de rompre ses digues. En un clin d'oeil la bataille était décidée. Les Anglais restés à cheval tournent bride et s'enfuient avec précipitation, sans avoir même essayé de frapper un coup pour leur honneur, sinon pour disputer la victoire ; dispersés au premier choc, les autres beaucoup plus nombreux tentent de se rallier dans le bois et le village. Ils tombent sous les coups des Français,
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qui tous maintenant ont rejoint l'avant-garde. Le nombre de leurs morts, en combinant les récits des divers historiens, peut s'évaluer à trois ou quatre mille. Celui des prisonniers était relativement peu considérable et se réduisait à quelques chefs, tant nos milices nationales avaient à cœur d'en finir avec l'invasion étrangère. Talbot resté debout jusqu'à la dernière minute, parmi les cadavres des siens, rendit son épée au vaillant Pothon de Xaintrailles, qui ne tarda pas à le renvoyer sans rançon. Cette générosité chevaleresque sera payée plus tard par une égale générosité. Les Français n'avaient presque pas essuyé de pertes dans une telle action, selon la prophé- tie de Jeanne. L'Orléanais était complètement délivré. Six semaines n'avaient pas même été nécessaires pour opérer cette délivrance ; la bataille de Patay date du 18 juin. Ce nom se rattache aux destinées de la France par un double lien, celui de la victoire d'abord, celui de la défaite ensuite, mais d'une de ces défaites où le courage est encore plus grand et que Bossuet proclame triomphantes à l'égal des plus belles victoires ; ce qui n'implique cependant le succès définitif que pour les peuples qui savent s'en montrer ou s'en rendre dignes.
27. Alors c'était la résurrection : les mœurs se renouvelaient dans les camps, le patriotisme débordait dans les âmes, la Religion suscitait et dominait tous les généreux élans, personnifiée dans une vierge guerrière. Parti de son cœur, ce cri remontait de tous les rangs de l'armée victorieuse ! « A Reims, à Reims ! » Jeanne court le faire entendre à l'oreille même du roi, qui, renfermé dans le château de la Trémouille à Sully, n'en percevait pas même l'écho. Elle veut le réconcilier avec le connétable ; Richemont s'humilie devant le jaloux courtisan, demandant comme une grâce le pouvoir de combattre et de mourir pour sa patrie. Prières inutiles : il est une seconde fois exilé. Cette aveugle répulsion ne pourra le détacher de la France : il ira dans l'Ouest, à la tête de ses braves compagnons d'armes, guerroyer isolément contre les mêmes ennemis. Cédant enfin aux instances de la Pucelle, le roi se rend à Gien, et, malgré d'implacables oppositions, l'armée se met en marche, le 29 juin. Bientôt elle était sous les murs d'Auxerre, qui par une feinte sou-
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mission et de réelles largesses échappait aux horreurs de l'assaut. Devant Troyes, qui ne fait pas mine de se rendre, recommencent les perfides conseils et les lâches hésitations. Jeanne rompt encore ces trames; le siège est immédiatement décidé. Le peuple et le clergé de Troyes aspirent à redevenir Français. Les grands et les riches retenus par le remords ou l'intérêt, s'attachent à la garnison anglaise et bourguignonne. Mais quand, après une seule nuit d'attente, ils voient au matin leur ville cernée, les bataillons du roi s'approcher des remparts avec des fascines et des échelles, précédés par l'étendard sacré qui symbolise désormais la fortune de la France, toute pensée de résistance s'évanouit; ils se hâtent d'ouvrir leurs portes, la garnison elle-même demande à capituler ; elle évacue la place, et, sans combat, Charles entre en vainqueur dans la capitale de la Champagne. C'était le 10 juillet. Le 11, toujours sous l'impulsion de l'héroïne, sur les pas de son destrier, on s'achemine vers la ville du sacre. Sur la route est Châlons, dont les habitants, leur évêque en tête, à la vue des bataillons français, se précipitent aux pieds de Charles et de la Pucelle. A Châlons étaient accourus plusieurs habitants de Domrémy pour saluer au passage et contempler à la tête des armées la jeune fille qu'ils avaient vu grandir si modeste et si douce au milieu d'eux. Jeanne les accueillit avec sa douceur accoutumée, d'une manière affectueuse et simple, comme sous le toit paternel. Les souvenirs du village et les affections de la famille reparaissent toujours dans sa gloire et ses malheurs. Quelques-uns lui demandèrent d'où lui venait son courage, si la mort ne l'effrayait pas quand elle engageait la bataille. « Non, leur répondait elle, je ne crains qu'une chose, la trahison ! » Encore une prophétie de la jeune inspirée.
28. N'ignorant pas le sort qui la menaçait, elle avait hâte d'accomplir son œuvre. Pas tout-à-fait un jour de repos, après la red-dition spontanée de la ville, et l'armée se remet en marche pour Reims. Le I6 juillet, elle vit se dresser à l'horizon les tours de la cathédrale. Un cride joie s'élança de tous les cœurs, si nous en exceptons l'entourage immédiat du prince. Lui-même n'était pas entièrement rassuré, plongé dans une telle atmosphère. Le
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sire de Châtillon, un rude batailleur, un Bourguignon fanatique, commandait à Reims. Jeanne s'efforçait de dissiper l'incertitude et la crainte, assurant que le sang ne serait pas versé. Le peuple donna raison à sa libératrice. Il manifesta sur le champ de telles dispositions, que le gouverneur jugea prudent de quitter la ville, de l'abandonner à ses anciennes et nouvelles destinées. Elle ouvrit aussitôt les portes à son archevêque d'abord, le chancelier Regnault de Chartres, qui ne voulait pas de cette expédition, et qui maintenant en bénéficiait le premier ; puis au roi, qui le soir même entrait dans la ville du sacre avec une pompe inouïe, entouré de ses illustres capitaines, escorté de sa brillante armée. Grâce à l'activité qu'on déploya pendant la nuit entière le lendemain, dimanche 17 Juillet, tout était prêt pour la grande cérémonie. Pour surcroit de bonheur, avant l'heure on vit arriver René d'Anjou, duc de Bar et gendre du duc de Lorraine, menant à l'armée royale une nombreuse chevalerie, venue des deux provinces depuis peu réconciliées, sous l'heureuse influence de l'héroïne née sur leurs confins. La Pucelle aurait surtout désiré voir le duc de Bourgogne présent, à la solennité de la résurrection ; elle avait dicté pour lui deux lettres, l'une à Gien, la veille du départ, l'autre quand elle touchait au terme du voyage. Ne pouvant les citer, bornons-nous à dire que, par la noblesse des sentiments et l'élévation des pensées, ces deux lettres égalent celle qu'elle avait écritie aux Anglais ou même la surpassent, tant son cœur de française et de chrétienne s'y montre à découvert. Les cérémonies du sacre furent accomplies de point en point comme aux plus belles époques de la monarchie, mais avec un degré d'émotion et d'enthousiasme qui rappelait le jour où le fier et doux Sicambre courba le front sous la main de Rémi.
29. L'éclat extérieur n'était pas ce qui captivait surtout les regards des fidèles ; ils oubliaient et les nobles pairs rangés autour du trône, et l'archevêque consécrateur qui prenait ainsi possession de son siège, et la personne même du roi, pour contempler Jeanne debout à côté de lui, tenant sa vaillante bannière. L'étendard devait être à l'honneur, selon le mot connu de l'héroïne, comme il n'avait cessé d'être un instant à la peine. Les rites traditionnels
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finissent. Charles proclamé roi, portant la couronne et le sceptre, Jeanne s'agenouilla devant lui. « Gentil roi, dit-elle en versant d'abondantes larmes, ores est exécuté le plaisir de Dieu ; vous êtes de par sa sainte volonté, légitime possesseur du royaume. Ma mission est remplie !» Une formidable acclamation de joie, le tressaillement de tout un peuple, où semblaient concentrées et déborder avec une puissance irrésistible les gloires des anciens temps et celles de l'avenir, ébranla les voûtes de la cathédrale, qui les rivait une fois de plus à celles de la Religion. Plusieurs historiens ont prétendu que la Pucelle aurait en ce moment exprimé le désir de rentrer au sein de sa famille, dans l'obscurité de ses premières années. La chose est peu probable ; bien que le point capital de sa mission fût atteint, il lui restait encore, selon ses engagements formels, à purger la France de la domination des Anglais, en lui redonnant d'abord sa capitale. Rien désormais ne semblait pouvoir lui résister. Le peuple la vénérait non-seulement comme une sainte, mais encore comme un être surhumain, l'image de Dieu sur la terre, l'instrument direct de sa volonté, la dépositaire de sa puissance. On lui portait des objets à bénir, ce dont elle s'abstint constamment comme d'une usurpation sacrilège. Chacun voulait avoir sur soi son effigie gravée sur des médailles de plomb ou d'étain ; elle ne se prêta jamais à ce culte, sans pouvoir l'empêcher. Son influence, sa renommée, son regard s'étendaient au-delà de la France, embrassaient le monde entier. Les Hussites inondaient de sang et couvraient de ruines la Bohème et la Moravie, parfois le centre même de l'Allemagne ; elle leur fit annoncer qu'elle viendrait de la part du Seigneur appesantir sur eux son bras, s'ils ne rentraient dans le sein de l'Eglise et ne se soumettaient à l'autorité du Pontife Romain. Son langage s'empreint d'une couleur biblique par l'effet naturel de son inspiration. Les Turcs ravagent les provinces d'Orient, exterminent ou subjuguent les populations chrétiennes ; Constantinople est sur le point de succomber. Jeanne leur adresse les mêmes menaces.
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